3. La fronde des partenaires familiaux

a) Des partenaires dupés

Les rapports entre le Gouvernement et les partenaires familiaux, associations familiales et partenaires sociaux, sont rythmés par deux moments forts. Le premier est le moment des satisfactions, en mai-juin, la conférence de la famille, l'autre, celui des déceptions, en octobre, la loi de financement de la sécurité sociale.

Or le Gouvernement a réalisé le tour de force de rassembler contre lui des partenaires réputés pour leur sens du dialogue et du compromis.

1. Les conférences de la famille sont devenues un exercice de style

A l'issue de la conférence de la famille de juin 2000, l'UNAF, union regroupant l'ensemble des associations familiales, rendait publique sa position tendant à  :

- approuver les mesures en faveur des familles annoncées, notamment les aides au logement et les mesures en faveur de la petite enfance ;

- rappeler que le transfert de la MARS ne saurait être poursuivi sans compensation.

Or, les textes financiers ultérieurs ont accéléré le transfert de la MARS au détriment de la CNAF et entamé la mise à sa charge des majorations de pensions pour enfants.

L'UNAF a réagi en ces termes 27 ( * ) : « quant au financement de la sécurité sociale, le projet de loi en cours d'arbitrage est une véritable agression contre les familles » .

Échaudée par son expérience, cette union nationale a un moment fait planer la menace de n'envoyer à la conférence de la famille 2001 qu'un représentant symbolique.

Réunie en Assemblée générale le 17 juin 2001, elle a adopté sur la conférence de la famille une position mitigée. L'appréciation fut positive concernant les mesures nouvelles annoncées, mais a fait part de ses déceptions concernant les transferts dont la branche est la victime et la revalorisation des prestations familiales.

Puis, lors de la commission des comptes de la sécurité sociales de septembre, le Gouvernement a annoncé de nouvelles ponctions sur la branche dont il n'avait été, lors de la conférence de la famille, nullement question.

Le 20 septembre 2001, l'UNAF résumait ainsi son opinion 28 ( * ) « Le projet de loi de financement de la sécurité sociale, la branche famille à nouveau dépouillée » et détaillait les griefs de l'organisme à l'égard du texte du Gouvernement.

En conférence de la famille, le Gouvernement entretient les partenaires familiaux dans la fiction que leur point de vue est pris en compte : en conséquence, on n'aborde que les dépenses en faveur des familles et jamais les excédents qu'une politique familiale minimaliste fait naturellement apparaître et qui sont systématiquement détournés vers d'autres usages.

2. Le Gouvernement écarte les partenaires familiaux

En réalité, il n'y a pas de volonté de dialogue de la part du Gouvernement, la politique familiale se résumant à l'objectif de réaliser un maximum d'économies tout en multipliant les mesures emblématiques peu coûteuses, ou gratuites à l'instar de la réforme, aujourd'hui éclatée, du droit de la famille.

Une étape ultime dans la duperie a été franchie par le Gouvernement à l'occasion du présent projet de loi de financement.

En effet, le projet de loi de financement de la sécurité sociale prévoit le transfert de 5 milliards des excédents passés de la branche au fonds de réserve des retraites.

Le Président de l'UNAF, M. Hubert Brin, fait part solennellement au Premier ministre de son « désaccord total » face à une « démarche de détournement de fonds discrétionnaire ».

Extraits de la lettre de l'UNAF au Premier ministre
le 5 octobre 2001

« Monsieur le Premier ministre,

« La lecture du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2002 surprend et déçoit l'UNAF .

« Pour être plus précis, elle ouvre une situation de conflit particulièrement sensible qui ne pourra se résorber sans une modification significative de ce texte.

« Après quelques courriers restés sans réponse, nous avions eu l'occasion de vous dire lors de la dernière Conférence de la famille que nous ne pouvions approuver le transfert de la charge des majorations de pensions pour enfant élevé du Fonds de solidarité vieillesse vers la Caisse nationale des allocations familiales puisque celui-ci n'avait fait l'objet d'aucune négociation .

« Lors de cette conférence, vous aviez laissé entendre que ce transfert pourrait faire l'objet d'un étalement supplémentaire.

« Nous constatons que même cette éventualité n'a pas été réalisée. Plus encore, l'article 25 du projet de loi a pour objectif de faire adopter par le Parlement le caractère définitif et total de ce transfert. L'UNAF ne peut donc dans ce cas que s'élever vigoureusement contre cette décision unilatérale.

« Nous considérons par ailleurs que l'article 29 est une véritable agression contre la branche famille alors même que l'UNAF avait fait des propositions constructives quant à la situation excédentaire de la CNAF.

« En effet, vos collaborateurs m'avaient interrogé le 14 septembre dernier en tant que Président de l'UNAF sur la position que prendrait l'Institution familiale en cas de transfert d'une partie des excédents de la branche vers le Fonds de réserve des retraites.

« J'avais alors rappelé à mes interlocuteurs, de la façon la plus nette possible, la position permanente de l'UNAF quant à l'indépendance des branches de la sécurité sociale.

« Néanmoins, devant réunir quelques heures après cet entretien un conseil d'administration de l'UNAF, j'avais ajouté que je lui poserais la question afin d'apporter une réponse plus complète à l'interrogation qui m'avait été formulée.

« Puisque celle-ci, adressée téléphoniquement dès le lundi matin 17 septembre, et par fax le même jour à 17 heures 45, ne semble pas avoir été entendue, je me permets de vous la transcrire ci-après. (...)

« Le projet de loi en cours retient l'idée d'un transfert de 5 milliards au Fonds de réserve des retraites et seulement de 0,5 milliard au Fonds d'investissement pour la petite enfance en complément du milliard d'abondement annoncé lors de la Conférence de la famille.

« Il ne tient donc nullement compte de la réponse à apporter aux attentes des familles mais s'inscrit à nouveau dans une démarche de détournement de fonds discrétionnaire en en rejetant la responsabilité des modalités sur les parlementaires.

« Dans ces conditions, et sans attendre la prochaine réunion des instances de l'UNAF, je tiens à vous informer de notre désaccord total sur ce sujet, ainsi que de la diffusion de ces informations à l'ensemble du mouvement familial et des partenaires sociaux.

« Dans les jours à venir, les Unions départementales des associations familiales seront invitées à prendre tous les moyens à leur convenance pour faire connaître les positions et propositions de l'UNAF. »

Dans une nouvelle lettre adressée dernièrement à tous les parlementaires, l'UNAF constate que le Gouvernement achève la législature comme il l'avait commencée, dans le mépris des interlocuteurs de la politique familiale.

« La dernière fois que l'UNAF a décidé d'écrire à chacun d'entre vous, c'était en 1997 et 1998, lorsque le Gouvernement avait voulu supprimer l'universalité des allocations familiales en soumettant leur versement à un critère de ressources . Nombre d'entre vous nous avaient alors soutenus et nous étions arrivés à un compromis honorable, même si, comme tout compromis, il n'était pas exempt de critiques.

« Si l'UNAF se permet de recommencer aujourd'hui c'est que la gravité de la situation l'exige.

« De quoi s'agit-il ?

« Le Gouvernement organise des transferts de charges vers la branche famille et utilise les excédents de manière totalement unilatérale. Certains appelleront cela du pillage organisé, nous ne sommes pas loin de le penser. Pour ce qui nous concerne, il s'agit d'une démarche de détournement de fonds discrétionnaire. »

C'est une autre politique familiale qui est souhaitée par votre commission des Affaires sociales, qui oppose la volonté du dialogue et du respect des partenaires à la politique que le Gouvernement décide hors de toute concertation, dans le secret des cabinets ministériels, et qui détourne les fonds destinés aux familles vers d'autres objectifs.

b) Une politique discrétionnaire

La politique familiale du Gouvernement a été définie par Mme Martine Aubry 29 ( * ) le 4 novembre 1997. Un passage révèle aujourd'hui, avec la distance, toute sa signification :

« Je voudrais d'ailleurs rappeler que la politique familiale n'a jamais été une politique d'assurance. En effet, on met à bas une politique qui existe depuis le début du siècle, me dit-on. Ce sont non pas les salariés mais l'Etat et les chefs d'entreprises qui financent la politique familiale, contrairement à la santé et à la vieillesse.

On s'assure contre la maladie, la vieillesse, le chômage et non sur le fait d'avoir des enfants. C'est la solidarité nationale qui doit jouer, c'est l'Etat, et, en l'occurrence, rappelez-vous, pour des raisons historiques, les chefs d'entreprise, car il s'agissait de reconstruire notre pays et de trouver une main d'oeuvre nécessaire pour y parvenir » .

Outre qu'il expose le fondement de la politique familiale fort inexactement -la branche famille est née pour unifier des compléments familiaux versés dans une optique d'assurance d'une perte de revenu, perte occasionnée par la charge financière que représente un enfant- le discours de Mme Martine Aubry annonce en prélude une politique d'étatisation de la politique familiale.

En effet, les partenaires sociaux et familiaux n'ont pas le droit à la parole puisqu'ils ne cotisent pas. Mme Aubry nie ici que les cotisations payées par les employeurs ressortent de la théorie du salaire différé. Or celles-ci appartiennent bien au « coin salarial » acquitté par l'entreprise et calculé sur la base du salaire qui représente un droit pour le salarié à avoir part aux prestations familiales.

Certes, ce bénéfice est aujourd'hui universel. Est-ce un critère propre à la branche famille ? La réponse est négative puisque la même Martine Aubry a universalisé la couverture du risque maladie par le biais d'une couverture maladie universelle...

Demain, une politique d'exonération de charges sociales salariales, ou, comme il en fut question l'année dernière, d'exonération de CSG sur les bas salaires priverait-elle ces salariés du droit à la parole, par eux-mêmes ou par leurs représentants, dans les conseils d'administrations des caisses ?

En réalité, l'horizon programmé de la politique familiale du Gouvernement est l'étatisation. A ce titre, la réflexion de M. Jean Le Garrec 30 ( * ) va dans le même sens : il n'y a pas lieu de discuter des ressources de la branche mais seulement de fixer les dépenses. Et, force est de constater que, au vu du bilan de l'action menée sur cinq ans, des moyens engagés par rapport aux moyens disponibles, cette politique étatisée de « solidarité » sera une politique minimale.

* 27 UNAF, communiqué de presse n°12703, 21 septembre 2000

* 28 UNAF, communiqué de presse n°14808, 20 septembre 2001

* 29 Mme Martine Aubry, ministre de l'Emploi et de la Solidarité, déclaration du Gouvernement sur la politique familiale, Sénat, 4 novembre 1997

* 30 cf. plus haut

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