2. Le sort des jeunes adultes en friche

a) Une exigence qui s'accroît

L'examen de la proposition devenue la loi du 4 juillet 2001 37 ( * ) a été l'occasion pour votre commission des Affaires sociales de faire un point sur les difficultés des jeunes adultes, ainsi que sur les dispositifs apportant une première réponse à ces difficultés.

Les propositions faites en faveur des jeunes adultes

• Le commissariat général au Plan : l'attribution d'une « créance formation »

Animé par M. Dominique Charvet, le commissariat général au Plan a rendu publiques, en mars 2001, les conclusions d'un rapport intitulé « Jeunesse le devoir d'avenir ».

Ce rapport fait une proposition centrale : les jeunes doivent pouvoir se trouver, soit en formation, soit en emploi.

Pour rendre possible cette faculté, toute personne se verrait offert un droit de formation d'une durée de vingt ans, créance sur la société se renouvelant au fur et à mesure des périodes travaillées.

L'allocation proposée pour rendre ce droit effectif, comprise entre 1.200 et 1.700 francs par mois pourrait coûter jusqu'à 61 milliards de francs par un redéploiement de prestations familiales.

• Le Conseil économique et social : prêt et contribution de formation-insertion professionnelle

Le Conseil économique et social a adopté, le 28 mars dernier, un avis, rapporté par M. Hubert Brin et intitulé « Familles et insertions économiques et sociales des adultes de 18 à 25 ans ».

Le constat initial est le même que celui du commissariat général au Plan : l'indépendance financière des jeunes passe par l'intégration dans le monde du travail.

Afin de permettre l'accès de tous à la formation ou à un projet d'insertion, le Conseil économique et social fait la proposition « d'un prêt et d'une contribution de formation professionnelle ».

En contrepartie d'un projet de formation d'insertion, le jeune emprunte 1.000 francs mensuels à la collectivité, ce qui lui ouvre le droit à une allocation supplémentaire du même montant.

Le bulletin d'information en économie de la santé 38 ( * ) rapporte les résultats d'une enquête menée par l'INED sur « La vie et la santé des jeunes sans domicile ou en situation précaire ».

« La santé des jeunes séparés plus ou moins précocément de leurs parents, sortis du système scolaire sans diplôme dans un cas sur deux, et dont presque un sur cinq vit sans ressources est préoccupante. Plus d'un sur deux se plaint d'au moins un problème de santé, plus particulièrement de problèmes respiratoires, dermatologiques ou psychiques. Au regard de cet état de santé perçu, leurs besoins de soins sont sans doute insuffisamment couverts, même s'ils sont plus nombreux que les autres à avoir eu recours au système de soins récemment. En témoigne d'ailleurs la forte proportion de ceux qui déclarent des dents manquantes non remplacées et des problèmes de vue non corrigés ».

L'urgence, placée ici sur le terrain médical, l'est aussi, bien souvent, sur le terrain social.

b) La passivité du Gouvernement

Dès le début de la présente législature, le Gouvernement a été confronté aux attentes des jeunes et de leurs familles.

Le souhait d'être davantage soutenu avait été entendu par la majorité précédente qui, malgré une conjoncture moins favorable, avait prévu dans la loi Famille du 25 juillet 1994 plusieurs dispositions auxiliaires.

L'aide aux familles ayant à charge de jeunes adultes

La crise économique et la prolongation de la durée des études maintiennent de nombreux jeunes à la charge de leurs parents bien au-delà de l'âge limite de versement des prestations familiales.

La loi relative à la famille du 25 juillet 1994 prévoit son relèvement progressif, afin de tenir compte de ce phénomène.

• La première étape prévue est le relèvement de 18 à 20 ans, quelle que soit la situation de l'enfant (sous la seule réserve qu'il ne perçoive pas un revenu supérieur à 55 % du SMIC).

• Les étapes suivantes concernent les enfants pour lesquels la limite d'âge est actuellement fixée à 20 ans (étudiants, apprentis, stagiaires de la formation professionnelle, infirmes). Cette limite sera portée à 22 ans, successivement pour le droit :

- aux prestations de logement,

- à l'allocation de soutien familial et à l'allocation de parent isolé,

- au complément familial,

- aux allocations familiales et à leurs majorations, pour les familles de trois enfants et plus, puis pour les familles de deux enfants.

Le calendrier de mise en oeuvre de cette réforme sera fonction des excédents dégagés par la branche, mais la loi prévoit qu'elle doit être intégralement réalisée au 31 décembre 1999.

Source : CNAF, extrait du bilan de la loi Famille présenté
au conseil d'administration de la CNAF le 16 février 1999

Pour sa part, le Gouvernement n'a pas présenté de projets. Tout au plus s'est-il contenté de mettre en oeuvre, partiellement, les dispositions de la loi Famille relatives aux jeunes adultes et de formuler, au cours de discours annuels, la promesse d'une action aux contours toujours moins précis.

• 1998 : « Il nous faut répondre à la situation des familles ayant des jeunes adultes à charge. »

Ainsi, lors de la conférence de la Famille de 1998, le Premier ministre déclarait 39 ( * ) :

« Il nous faut répondre à la situation des familles ayant des jeunes adultes à charge . Nous avons décidé de poursuivre le mouvement que nous avions commencé l'année dernière. Désormais, jusqu'à 20 ans, les jeunes sans revenu propre ouvriront, pour leurs parents, le droit aux allocations familiales -qu'ils soient étudiants, chômeurs ou stagiaires. »

Les familles et leurs jeunes ont su gré au Premier ministre de leur concéder ce que la loi leur offrait déjà.

• 1999 : « Aider les familles : c'est aussi offrir aux jeunes plus d'autonomie. »

Pourtant, lors de la conférence de la Famille en 1999, le Premier ministre a, dans un même discours 40 ( * ) , affirmé que le recul de l'âge ouvrant droit aux allocations familiales n'était pas une solution au problème des jeunes. C'est pourtant la seule mesure que le Gouvernement va mettre en oeuvre.

« Aider les familles, c'est aussi offrir aux jeunes plus d'autonomie.

« Les jeunes, et notamment les jeunes adultes, sont une priorité de notre politique. La société française ne leur a pas jusqu'ici accordé cette priorité (sic). (...) Les jeunes forment une population très hétérogène. Car la jeunesse, cet âge où l'on va vers la pleine autonomie, voit ses frontières se déplacer. (...)

« Ces changements culturels doivent être pris en compte pour une plus grande justice. Le prolongement indéfini des allocations familiales, qui s'adresse à la famille et dépend de sa situation, ne constitue pas, à mes yeux, une réponse satisfaisante . Il reste que la baisse du revenu familial, lorsqu'un jeune à sa charge atteint 20 ans, est lourde, surtout pour les familles modestes. Outre les allocations familiales, c'est l'allocation logement qui diminue ; le complément familial disparaît pour les familles de trois enfants. Pour atténuer cette rupture brutale, le Gouvernement a décidé de prolonger à 21 ans l'âge limite pour le calcul de ces prestations , au 1 er janvier 2000. Mais rendre les jeunes plus autonomes, ce n'est pas leur verser une allocation. »

Votre rapporteur comprend l'embarras du Premier ministre qui, bien qu'affirmant que « la société française » n'a pas, jusqu'à l'arrivée de son Gouvernement, fait des jeunes une « priorité politique », n'apporte pour seule réponse concrète la mise en oeuvre partielle du plan voté en faveur des jeunes par l'ancienne majorité.

• 2000 : « Nous devons également aborder la situation des jeunes adultes encore à la charge de leur famille. »

Lors de la conférence de la Famille 2000, le Premier ministre a, une nouvelle fois, mesuré toute l'ampleur du problème :

« Nous devrons également aborder la situation des jeunes adultes encore à la charge de leur famille. Ces dernières années, l'allongement de la durée des études et une entrée dans la vie active plus tardive et parfois incertaine ont conduit beaucoup de jeunes à rester vivre chez leurs parents. Ce problème est à l'intersection des mutations de la famille, des évolutions du monde du travail et de la formation. Il fait apparaître de fortes inégalités entre jeunes. C'est pourquoi il nous faut traiter cette question dans toutes ses dimensions . (sic) »

Mais, pourtant, rien encore ne fut fait.

• 2001 : « Nous voulons favoriser l'autonomie des jeunes adultes. »

Lors de la conférence de la Famille 2001, le discours du Premier ministre, plus étendu que de coutume sur la question des jeunes, n'a cependant abouti que sur un point.

Hormis la confirmation de l'application de la loi Famille de 1994 en faveur des jeunes, à savoir favoriser leur accession au logement par le biais des prestations, le Premier ministre n'a avancé que dans le sens de la mise en place d'une commission de réflexion :

« Nous voulons favoriser l'autonomie des jeunes adultes . Où finit l'enfance ? Comment la définir aujourd'hui ? Si l'âge de 18 ans signe désormais l'accès formel à la majorité civique, l'accès à une majorité effective, c'est-à-dire à l'indépendance financière et donc à la responsabilité sociale, est régulièrement retardé pour les jeunes adultes. L'allongement de la durée des études, les difficultés d'entrée sur le marché du travail -certes moindres ces toutes dernières années-, l'évolution des relations entre parents et enfants amènent un nombre toujours plus élevé de « grands enfants » à rester plus longtemps à la charge de leurs familles. Dans un avis récent du Conseil économique et social, M. Hubert Brin formule des propositions intéressantes pour permettre aux jeunes adultes de devenir plus vite des acteurs de la vie économique et d'assumer plus tôt leur rôle de citoyens à part entière. Le coût d'un tel projet est cependant très lourd pour les finances publiques. Il est donc indispensable d'engager sur ce sujet une réflexion d'ensemble . La proposition de loi d'Alain Bocquet et de l'ensemble du groupe communiste, portant création d'une Commission nationale pour l'autonomie des jeunes, qui a été adoptée en première lecture à l'Assemblée nationale, sera examinée le 19 juin par le Sénat. Cette commission pourra être mise en place avant la fin de l'année 2001 ; le Gouvernement sera très attentif au déroulement de ses travaux . Les propositions de cette commission constitueront un apport particulièrement important à la définition d'une nouvelle étape de la politique du Gouvernement en direction des jeunes. (...)

« Ces mesures constituent une première réponse à la question de l'autonomie des jeunes. Beaucoup reste à faire. Je souhaite que cette question fasse l'objet d'un large débat au cours des prochains mois . »

Contrairement à ses déclarations, le bilan du Gouvernement en faveur des jeunes n'est guère éloquent.

Le bilan de l'action du Gouvernement en faveur des jeunes adultes
vu par la Cour des comptes 41 ( * )

Question : L'article 22 de la loi de 1994 prévoyait le relèvement jusqu'à 21 ans du versement des prestations familiales. La Cour estime-t-elle significatif « le glissement de l'effort financier vers les plus âgés de ces enfants » ?

Comment la Cour interprète-t-elle ce glissement dans le contexte du débat de « l'accès des jeunes à l'autonomie » ?

Réponse : L'article 22 de la loi du 25 juillet 1994 qui prévoit le relèvement de l'âge limite de service des prestations familiales ne fixe pas l'âge cible mais arrête les principes et la date d'achèvement de ce relèvement. C'est dans le schéma de financement annoncé par le Gouvernement au printemps 1994, au moment de la préparation de la loi, que l'âge de 22 ans avait été fixé.

La situation financière du régime général n'a pas permis d'avancer en ce sens en début de période. A partir de 1998 en revanche, le relèvement s'est amorcé portant en trois ans l'âge limite à 20 ans, et 21 ans pour les aides au logement et le complément familial. Ce relèvement a entraîné une charge financière de 2,8 milliards de francs. Il a été partiellement compensé par le recul d'une année de l'âge d'octroi des majorations des allocations familiales. L'effort net en faveur des familles ayant à leur charge des adolescents et des jeunes adultes est ainsi de 0,9 milliard de francs.

Le Gouvernement a considéré que -indépendamment des éléments financiers qui l'ont amené à privilégier d'autres cibles de politique familiale et les transferts vers la branche vieillesse (prise en charge des majorations portées par le FSV, prélèvement au profit du fonds de réserve des retraites)- on ne saurait confirmer ou infirmer l'option d'un relèvement généralisé à 22 ans de l'âge limite de service des prestations familiales sans avoir mené une réflexion de fond sur la situation des jeunes adultes. Cette réflexion devrait porter tant sur les modalités et montants des différentes aides dont ils bénéficient (bourses universitaires, allocation de logement, subvention au régime maladie des étudiants, prestations familiales, quotient familial...) que sur les choix de doctrine concernant, pour une aide globale donnée, le profil général des aides (l'une des questions centrales évoquées porte sur le choix entre des aides qui tiennent compte des caractéristiques de la famille du jeune adulte et qui sont le cas échéant versées à la famille -c'est le cas pour les prestations familiales, les bourses et le quotient familial- et des aides versées directement aux jeunes adultes sans tenir compte de la taille et des revenus de leurs familles).

La loi du 4 juillet 2001 relative à la mise en place d'une allocation d'autonomie pour les jeunes de 16 à 25ans a été votée.

Le Sénat n'a pas souhaité retarder la constitution d'une commission nationale pour l'autonomie des jeunes, placée auprès du Premier ministre, qui aurait pu tout aussi bien être instituée par simple décision administrative. Il a adopté sans modification la proposition de loi transmises par l'Assemblée nationale, y compris son titre apocryphe.

Votre rapporteur constate que le décret d'application de cette loi, promulguée le 4 juillet dernier, n'est paru au Journal officiel que le 2 octobre 2001, et attend, pour être effective, l'arrêté des nominations.

Sachant que cette commission doit rendre ses travaux au plus tard au 31 décembre prochain, il est à présent probable qu'elle ressorte de ces commissions chargées d'élaborer « un diagnostic partagé » sur les sujets où il est, bien évidemment, urgent d'attendre.

c) L'action sociale des caisses d'allocations familiales et les jeunes adultes, un palliatif à la carence gouvernementale ?

Devant la carence gouvernementale, la CNAF a tenté de compenser par le biais de son action sociale les conséquences de l'inaction.

En 2000, 341 millions de francs sont considérés comme consacrés aux jeunes adultes, soit 2,2 % du budget total d'action sociale de la branche.

Pour la CNAF, cette masse financière sous-évalue l'effort réalisé en raison de l'impossibilité d'isoler la part des jeunes adultes dans des politiques temps libre, y compris les aides de départ en vacances, le financement des actions « ville-vie-vacances », et le fonds de solidarité vacances.

L'action sociale des caisse d'allocations familiales à l'endroit des jeunes est :

- les aides au financement des formations au brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur (BAFA) et au brevet d'aptitude aux fonctions de directeur (BAFD) ;

- les prestations extra-légales ;

- l'action d'accompagnement social ;

- les interventions en faveur du logement.

Evolution des dépenses des CAF en direction des jeunes adultes de 1996 à 2000 ( millions en francs)

1996

1997

1998

1999

2000

% en 2000

2000/1996

Logement

134,1

125,4

145,4

133,8

141,7

41,6

5,7

Foyers jeunes travailleurs

131,4

121,5

133,1

127,7

134,0

39,3

2,0

Autres actions logement

2,1

3,0

11,3

5,3

6,7

2,0

219,0

CLLAJ

0,6

0,9

1,0

0,8

1,0

0,3

66,7

Temps libres -BAFA

23,0

33,0

33,2

33,2

32,6

9,6

41,7

Accompagnement social

17,6

18,7

17,2

23,9

23,4

6,9

33,0

Insertion jeunes (dont jeunes chômeurs)

15,0

16,2

14,2

20,5

16,0

4,7

6,7

Fonds d'aide aux jeunes

2,6

2,5

3,0

3,4

7,4

2,2

184,6

Prestations extra-légales

252,6

232,1

204,3

170,9

143,0

42,0

- 43,4

Etudiants

178,0

168,8

152,4

127,9

100,0

29,4

- 43,8

Rentrée scolaire

71,0

60,0

47,4

38,0

39,0

11,4

- 45,1

Apprentis

3,6

3,3

4,5

5,0

4,0

1,2

11,1

TOTAL

427,3

409,2

400,1

361,8

340,7

100,0

- 20,3

L'aide aux formations BAFA ou BAFD a fortement augmenté sur la période 1996-2000 et représente 32 millions de francs.

Les actions en faveur du logement des jeunes ont crû de 5,7 % sur la même période et sont vouées à croître encore du fait des orientations posées par la nouvelle COG.

La CNAF déclare en outre que les CAF soutiennent 430 FJT accueillant chaque année plus de 100.000 jeunes. En 2000, les montants alloués représentent 134 millions de francs, dont 89,6 millions de francs au titre de la prestation de service fonction socio-éducative, 16,7 millions de francs d'aides complémentaires au fonctionnement et 27,9 millions de francs d'aides à l'investissement.

Votre rapporteur souhaite rendre hommage à l'action menée par les CAF en faveur des jeunes mais néanmoins formuler deux observations :

- les aides à l'endroit des jeunes représentent 2 % du budget d'action sociale qui lui-même représente très peu des dépenses de la branche ;

- sur la période 1996-2002, l'évolution des dépenses des caisses d'allocations familiales en direction des jeunes adultes marque un recul d'environ 20 %, causé pour la plus grande part à la décroissance des prestations extra-légales.

Utile et ciblée, l'action sociale de la CNAF en faveur des jeunes remplit son rôle. Mais elle ne saurait remplacer l'action de grande ampleur réclamée par les jeunes et leurs familles et auxquels le Gouvernement n'a apporté durant cinq années que des mots.

* 37 Loi n° 2001-582 du 4 juillet 2001, relative à la création d'une commission placée auprès du Premier ministre, ayant pour objet d'étudier la mise en place d'une allocation pour les jeunes de 16 à 25 ans.

* 38 Septembre 2001 n° 40.

* 39 Lionel Jospin, 12 juin 1998, discours d'ouverture de la conférence de la Famille.

* 40 Lionel Jospin, 7 juillet 1999.

* 41 Source : réponse de la Cour des comptes au questionnaire adressé par la commission des Affaires sociales, cf. annexe.

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