B. L'URGENCE D'UNE SIMPLIFICATION ET D'UNE ÉQUITÉ DES TRANSFERTS FINANCIERS

La plupart des régimes de retraite sont structurellement déficitaires ; des transferts financiers, de plus en plus complexes, ont ainsi été imaginés pour les équilibrer 12 ( * ) .

L'équilibre financier courant des caisses est maintenu par trois types de ressources.

1. La contribution sociale de solidarité sur les sociétés : un détournement du principe fondant cette taxe

L'équilibre des régimes de non-salariés (commerçants et artisans) est assuré par l'affectation d'une part de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S).

Cette taxe qui pèse sur le chiffre d'affaires hors taxe a été instituée par la loi du 3 janvier 1970 afin de compenser aux régimes des non salariés non agricoles les pertes de recettes liées à l'extension du salariat. Il ne s'agit en aucun cas d'un transfert d'une ressource fiscale de l'Etat, mais d'une imposition dont la caractéristique sui generis est d'avoir été affectée aux régimes de sécurité sociale. Elle a fait l'objet d'une réforme destinée à accroître son rendement en 1995. La C3S présente des caractéristiques intéressantes : son taux est bas (0,13 %), son assiette est large (entreprises de chiffre d'affaires de plus de cinq millions de chiffre d'affaires) et son produit extrêmement dynamique en période de croissance économique.

La C3S a contribué à l'équilibre du régime du commerce et l'industrie, l'ORGANIC 13 ( * ) , pour 3,3 milliards de francs en 2000 et à hauteur de 5,4 milliards de francs en 2001. Le régime des artisans, par l'intermédiaire de la CANCAVA, se voit attribuer respectivement 1,9 milliard de francs et 3,1 milliards de francs en 2000 et 2001. Grâce à ce mécanisme, le solde de ces régimes fluctue autour de l'équilibre.

ORGANIC - régime de base

(en millions d'euros)

2000

2001

2002

Produits

2.799,0

3.285,0

2.961,6

Charges

3.088,4

3.146,5

3.236,4

SOLDE

- 289,3

+ 138,6

- 274,8

CANCAVA - régime de base

(en millions d'euros)

2000

2001

2002

Produits

1.953,8

2.251,4

2.118,9

Charges

2.163,3

2.225,4

2.303,9

SOLDE

- 209,5

+ 26,0

- 185,0

La C3S fait aujourd'hui l'objet d'un double détournement :

- premier détournement, elle contribue à nouveau 14 ( * ) au financement du régime agricole , ce qui constitue un moyen pour l'Etat de réduire ses dépenses budgétaires, par le biais de la subvention d'équilibre qu'il verse au BAPSA ;

- second détournement, elle est désormais appelée comme ressource supplétive du Fonds de solidarité vieillesse (FSV), afin de masquer son déficit structurel : le financement du FOREC, de la dette de l'Etat à l'égard des régimes complémentaires AGIRC-ARRCO et de l'allocation personnalisée d'autonomie l'a, en effet, rendu exsangue. Ce détournement est une conséquence imprévue de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, qui avait inclus le FSV comme destinataire des excédents de C3S. En effet, il s'agissait à l'époque d'alimenter le Fonds de réserve.

Compte emplois-ressources de la C3S

(en millions d'euros)

1999

2000

2001

2002

EMPLOIS

2.438

2.262

2.279

2.147

dotation de gestion et autres charges

10

10

10

11

transferts versés aux régimes des non salariés non agricoles

CANAM

270

1259

598

855

ORGANIC

1.029

513

818

419

CANCAVA

626

288

477

401

Régime complémentaire bâtiment

45

40

43

42

BAPSA

152

152

332

520

transfert Fonds de réserve

305

RESSOURCES

2 . 638

2 . 813

2 . 951

3 . 041

Encaissements C3S

2.612

2.761

2.921

3.018

Revenus financiers

26

52

30

23

Solde des opérations courantes

200

551

679

894

transfert versé au FSV

623

551

679

Réserves du compte

623

551

679

894

Sur l'année 2002, le total des sommes ainsi distraites sera de 1.199 millions d'euros (soit près de 8 milliards de francs).

La présence, malgré ce double détournement, de réserves florissantes (plus de 5,8 milliards de francs à la fin de l'année 2002), laisse malheureusement présager, au cas où le solde budgétaire de l'Etat et la situation financière du Fonds de solidarité vieillesse se dégraderaient, un nouveau « siphonnage » 15 ( * ) .

Le Sénat, lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, avait proposé un dispositif tendant à affecter la C3S par une clé de répartition en pourcentages fixée par la loi : 35 % pour la CANAM, 30 % pour l'ORGANIC et le régime complémentaire du bâtiment, 15 % pour la CANCAVA et 20 % pour le Fonds de réserve. Un tel dispositif, rejeté par le Gouvernement au seul motif de sa « rigidité », présentait l'avantage de la lisibilité.

2. Le système des compensations : la nécessité d'une réforme

Le système français de sécurité sociale est caractérisé par un grand nombre de régimes organisés sur le principe de la répartition au sein d'un groupe socioprofessionnel. Ces régimes, créés à des époques différentes, ont chacun leurs spécificités. Leur démographie varie sensiblement, leurs moyens financiers également. Ces derniers sont d'autant plus élevés que le nombre de cotisants est supérieur au nombre de retraités et que le salaire moyen du groupe sur lequel sont assises les cotisations est important.

Aussi est-il apparu juste, à défaut de la création du régime « unique » souhaité en 1945, d'instaurer un mécanisme de solidarité entre les régimes.

a) La compensation généralisée : un mode de calcul de plus en plus arbitraire

La loi du 24 décembre 1974 a instauré un système de compensation généralisée. Son objet est d'empêcher que certains régimes n'encourent la faillite ou ne soient dans l'obligation de mettre en oeuvre des mesures d'économie sévères pour atteindre un équilibre interne manifestement hors de leur portée.

A ce « jeu » de compensation entre régimes -qui est établie au titre des trois risques 16 ( * ) -, certains sont contributeurs nets et d'autres bénéficiaires nets.

Comme les régimes ne fonctionnent pas selon des règles similaires, il serait inéquitable de répartir les transferts de compensation en se limitant à redistribuer aux régimes déficitaires les excédents des autres régimes. Ainsi, le troisième alinéa de l'article L. 134-1 du code de la sécurité sociale précise les objectifs des mécanismes de compensation : « La compensation tend à remédier aux inégalités provenant des déséquilibres démographiques et des disparités de capacités contributives entre les différents régimes ».

Il s'agit de déterminer la situation des différents régimes si on leur appliquait les caractéristiques d'un régime fictif qui servirait une prestation dite « de référence ». Seuls les régimes de sécurité sociale dont l'effectif des actifs cotisants et des retraités titulaires de droits propres âgés de 65 ans 17 ( * ) ou plus dépasse au total 20.000 personnes participent à cette compensation.

Le dispositif comporte deux étapes :

- une compensation entre régimes de salariés, où les capacités contributives des régimes sont prises en compte puisque les cotisations du régime fictif sont assises sur les masses salariales. La prestation de référence est la pension moyenne servie aux salariés agricoles, dont le montant est le plus modique de toutes les pensions servies ;

- une compensation entre les régimes de salariés (ceux-ci étant agrégés dans un seul régime global) et les régimes de non-salariés. Celle-ci repose sur l'application d'un régime fictif, mais la cotisation est uniforme par cotisant et non proportionnelle aux masses salariales.

A l'origine, la prestation de référence retenue fut celle du régime des exploitants agricoles en tant que prestation moyenne la plus basse servie par les régimes en présence. Pour les exercices 1993, 1994 et 1998, elle céda la place à celle de l'ORGANIC, puis à celle de la CAVIMAC en 1999, puis à nouveau à celle l'ORGANIC à compter de 2000.

La compensation généralisée vieillesse

(en millions d'euros)

1999

2000

2001

2002

REGIMES CONTRIBUTEURS

Régime général

1.721,9

1.745,1

1.882,7

1.950,9

Fonctionnaires

1.795,2

1.825,5

1.804,7

1.764,8

CNRACL

1.484,1

1.493,0

1.513,0

1.537,3

SNCF

11,1

17,2

20,3

RATP

27,4

27,9

28,7

28,7

EGF

114,4

118,5

116,9

113,6

Banque de France

5,8

5,4

5,0

4,4

CNAVPL

392,1

398,1

405,2

414,0

CNBF

43,9

47,2

51,1

64,6

TOTAL en euros

5 . 584,9

5 . 671,7

5 . 824,5

5 . 898,6

TOTAL en francs

36.635

37.204

38.206

38.692

REGIMES BENEFICIAIRES

BAPSA (exploitants agricoles)

3.981,0

4.046,9

4.149,0

4.197,3

ORGANIC

732,1

745,5

783,8

805,5

CANCAVA

299,9

320,5

324,3

327,3

CANSSM

320,5

319,3

317,8

312,2

CAVIMAC

171,4

173,4

175,8

175,4

ENIM

49,7

51,4

54,3

56,3

SNCF

19,4

FSPOIE

8,3

12,2

16,4

20,2

CRPCEN

2,6

2,5

3,1

4,4

TOTAL

5.584,9

5.671,7

5.824,5

5.898,6

TOTAL en francs

36.635

37.204

38.206

38.692

Source : d'après le rapport CCSS, septembre 2001, p. 114-115.

b) La compensation spécifique : un mécanisme confiscatoire

Pour corriger l'insuffisance de transferts de compensation généralisée vis-à-vis des régimes spéciaux, la loi du 30 décembre 1985 a institué une compensation supplémentaire spécifique aux régimes spéciaux qui s'ajoute à la compensation généralisée.

Les principales règles de la « surcompensation »

Les régimes concernés sont ceux dont l'effectif des retraités titulaires de pensions de droit direct, âgés de 60 ans ou plus, dépasse 5.000 personnes : fonctionnaires de l'Etat, CNRACL, ouvriers de l'Etat (FSPOIE), marins (ENIM), mines (CANMSS), salariés des chemins de fer secondaires (CAMR), EDF-GDF, Banque de France, clercs de notaire (CRPCEN), régimes de la RATP et de la SEITA.

Dans un premier temps, une nouvelle compensation est calculée entre l'ensemble des régimes participant à la compensation spécifique. Cette nouvelle compensation se distingue de la compensation généralisée sur plusieurs points : elle concerne à la fois les retraités de droit direct et les retraités de droit dérivé ; les effectifs de retraités incluent tous les retraités de 60 ans et plus (contre 65 ans pour la compensation généralisée) ; les prestations de référence (droit direct et droit dérivé) sont des prestations moyennes et non des prestations minimales . Le coût global est réparti entre les régimes au prorata des rémunérations servant de base au versement des cotisations d'assurance vieillesse.

Dans un second temps, il est opéré une redistribution des transferts versés au titre de la compensation généralisée. Tous, à l'exception de la SEITA et de la CAMR, participent à la compensation généralisée et sont globalement débiteurs. La première étape de la compensation spécifique consiste à redistribuer entre ces régimes, au prorata de leurs masses salariales, le total de leurs versements à la compensation généralisée. Dans ce nouveau calcul, tous les régimes sont débiteurs. On calcule pour chaque régime la différence entre le versement à la compensation généralisée calculé « après redistribution » et le transfert (débit ou crédit) initial à cette compensation.

Pour chaque régime, la somme des deux transferts précédents définit le transfert de compensation spécifique, mais compte tenu des montants excessifs auxquels ces calculs aboutissent, la compensation spécifique n'est appliquée que partiellement. Le taux d'application, de 22 % à l'origine, a été augmenté jusqu'à 38 %, puis ramené à 34 % en 2000 et 30 % en 2001. En outre, le transfert de compensation est limité pour chaque régime à 25 % de ses charges totales de pensions de droits directs de plus de 60 ans et de droits dérivés.

Après avoir atteint un sommet en 1999, les transferts de compensation spécifique avaient entamé une décrue en 2000 et en 2001. Ils repartent à la hausse en 2002.

Le régime fictif des fonctionnaires de l'Etat et la CNRACL sont les deux principaux régimes débiteurs.

La compensation spécifique vieillesse

(en millions d'euros)

1999

2000

2001

2002

RÉGIMES CONTRIBUTEURS

Fonctionnaires

1.306,4

1.209,1

1.030,5

970,4

CNRACL

1.536,2

1.382,8

1.256,6

1.337,8

EGF

77,3

64,7

61,7

63,4

TOTAL en euros

2.919,9

2.656,6

2.348,8

2.371,6

TOTAL en francs

19.153,3

17.426,8

15.407,1

15.556,7

RÉGIMES BÉNÉFICIAIRES

FSPOIE

217,6

205,3

189,1

197,6

CANSSM

1.520,7

1.385,1

1.229,4

1.237,7

ENIM

318,0

296,0

270,7

281,7

SNCF

666,3

592,9

503,6

497,0

RATP

16,8

13,9

10,5

9,4

CRPCEN

52,4

49,5

45,4

49,1

Banque de France

8,2

8,9

8,7

10,0

SEITA

35,7

33,9

31,7

32,4

CAMR

84,2

71,2

59,7

56,7

TOTAL en euros

2.919,9

2.656,7

2.348,8

2.371,6

TOTAL en francs

19.153,3

17.426,8

15.407,1

15.556,7

c) L'exemple de deux régimes fortement contributeurs : la CNAVPL et la CNRACL

La Caisse nationale des professions libérales, qui regroupe les douze sections professionnelles de ces professions, à l'exception notable des avocats ayant préféré constituer leur propre caisse, la Caisse nationale des barreaux français (CNBF), est un exemple des effets pervers de la compensation généralisée.

Son rapport démographique, excellent, s'érode néanmoins. Il atteindrait, selon les estimations réalisées par la commission Charpin, 1,1 cotisant pour 1 retraité à l'horizon 2040. Tout dépend non seulement du contexte économique mais également du choix effectué entre « libéralat » et « salariat ».

Le régime de base est fortement handicapé par la compensation, qui représentera 69,3 % des prestations versées en 2002. Même si ce ratio -qui atteignait 81 % en 1999- s'est amélioré, il n'existe aujourd'hui aucun plafonnement des mécanismes de compensation généralisée.

Les comptes de la CNAVPL

(en millions de francs)

1999

2000

2001

2002

EMPLOIS

Prestations

3.463

3.568

3.738

3.919

Compensations

2.804

2.679

2.742

2.716

Autres emplois techniques

221

252

340

351

TOTAL EMPLOIS

6.488

6.499

6.820

6.986

RESSOURCE S

Cotisations affectées

6.274

6.504

6.727

6.958

Autres ressources techniques

334

447

238

256

TOTAL RESSOURCES

6.608

6.951

6.965

7.214

Résultat net

119

452

146

230

Le régime des professions libérales est inquiet des projets évoqués en commission de compensation. Il serait notamment question de prendre en compte, dans le calcul de la compensation, les retraités à partir de 60 ans. Or, la CNAVPL reste l'un des deux seuls régimes où la retraite est attribuée à taux plein à 65 ans.

Les professionnels libéraux ne rejettent pas le principe de la compensation. Ils se bornent à demander une réforme des mécanismes, permettant un plafonnement de l'effort de solidarité. De plus, ils constatent que leur régime est exclu d'un certain nombre de mécanismes de solidarité :

- la CNAVPL ne bénéficie pas de la C3S, alors qu'elle devrait être l'un des destinataires potentiels ;

- la CNAVPL ne fait pas partie des régimes éligibles au Fonds de réserve des retraites ;

- la majoration pour conjoint à charge, attribuée dans les mêmes conditions que dans le régime général et les régimes alignés, n'est pas remboursée par le FSV 18 ( * ) .

Quant à la CNRACL, celle-ci est touchée à la fois par la compensation généralisée et la « surcompensation » des régimes spéciaux.

Malgré une dégradation continue depuis quinze ans, le rapport démographique de la CNRACL reste encore le plus favorable de l'ensemble des régimes de retraite de salariés.

Le rapport démographique de la CNRACL

1982

1987

1999

4,5

4,0

2,7

Depuis 1974, la caisse a versé 267,4 milliards de francs, dont 147 milliards de francs au titre de la compensation généralisée et 119 au titre de la compensation spécifique.

Les comptes de la CNRACL

(en milliards de francs)

1999

2000

2001

2002

EMPLOIS

Prestations

45,0

47,7

51,1

54,3

Compensations

19,8

19,3

18,0

19,1

dont généralisée

10,1

9,8

9,7

10,0

dont spécifique

8,9

8,6

7,9

8,4

dont régularisations n-2, n-1

0,8

0,8

0,4

0,6

Autres emplois techniques

1,0

1,0

1,1

1,1

TOTAL EMPLOIS

65,8

67,6

69,6

73,9

RESSOURCES

Cotisations affectées

61,1

64,1

67,4

70,1

Autres ressources techniques

1,9

2,2

2,1

2,1

TOTAL RESSOURCES

63,4

66,5

69,6

72,2

Résultat technique

18,0

18,5

18,4

17,8

Résultat net

- 2,2

- 1,1

- 0,1

- 1,7

Report à nouveau

0,8

- 0,2

- 0,3

- 2,0

Structurellement excédentaire, la CNRACL est déficitaire du fait des transferts de compensation, ce qui l'a tout d'abord conduit, à partir de 1992, à utiliser les « réserves » qu'elle avait engrangées (une quinzaine de milliards de francs).

Mais les réserves se sont épuisées, et il a fallu se résoudre -ce qui est ubuesque compte tenu du « résultat technique » de la Caisse- à recourir à l'emprunt.

Depuis la loi de financement de la sécurité sociale pour 1998, la CNRACL est « autorisée » à faire appel aux marchés financiers, à travers l'une des seules dispositions véritablement normative des lois de financement de la sécurité sociale que constitue le vote des plafonds d'avances de trésorerie.

Depuis 1998, ce plafond s'élève à 2,5 milliards de francs. Cette facilité n'a toutefois pas été utilisée en 1998 et en 1999, la trésorerie s'étant finalement révélée meilleure que prévu.

En revanche, en 2000 et en 2001, il a été nécessaire de recourir à l'emprunt, jusque dans la limite du plafond, et même au-delà. Votre rapporteur a en effet constaté que le plafond avait été dépassé à la fin du mois de février 2001, et que la CNRACL et la Caisse des dépôts 19 ( * ) avaient décidé de « jouer » sur les dates de valeur, afin d'éviter de demander au Gouvernement, conformément à la loi organique du 22 juillet 1996, de prendre un décret portant majoration de ce plafond.

Votre rapporteur comprend qu'un souci de bonne gestion ait prévalu, mais regrette que l'autorisation parlementaire ait été, dans une certaine mesure, bafouée : la nécessité d'un décret portant majoration aurait eu le mérite de mettre en lumière la situation de la CNRACL.

La diminution des transferts de compensation, observée en 2000 et 2001, ne se confirme pas en 2002, ce qui place la CNRACL dans une situation particulièrement délicate.

Le projet de loi propose en conséquence d'élever le plafond d'avances de trésorerie à 500 millions d'euros (3,3 milliards de francs). Selon les calculs de la CNRACL, ce plafond serait nettement insuffisant pour « tenir » lors des mois de novembre et décembre 2002 : 4,5 milliards de francs seraient au minimum nécessaires.

Votre rapporteur constate que le profil de trésorerie de l'annexe c) est beaucoup plus optimiste que celui prévu par la CNRACL.

d) La réforme de la compensation : aménagement ou suppression ?

Les mécanismes de compensation atteignent aujourd'hui leurs limites, excellemment décrites par un rapport de MM. Yves Ullmo et Louis-Paul Pelé, remis en septembre 2001 au Conseil d'orientation des retraites.

Le système est devenu tout d'abord trop complexe . Comme on l'a vu, il repose sur des règles différentes entre la compensation généralisée et la compensation spécifique. La référence à une « prestation minimale » a été, dans les faits, écartée : la Direction du budget a proposé d'exclure les petits régimes de la détermination de cette prestation. Il est certain que la référence au régime « atypique » de la CAVIMAC n'était pas peut-être pertinente. Cependant, les manipulations de variables permettent d'une année sur l'autre des écarts importants, créditant l'idée chez les régimes débiteurs, pas toujours inexacte, que la compensation n'est qu'un savant habillage d'une « ponction ».

Le système est ensuite devenu inéquitable . Certains régimes créditeurs peuvent devoir financer pour les retraités des autres régimes, par l'intermédiaire de la compensation, des prestations supérieures à celles qu'ils versent à leurs propres retraités. Les avantages familiaux pris en charge par le Fonds de solidarité vieillesse sont intégrés dans la prestation de référence. Lorsqu'un régime bénéficie de la compensation, et reçoit un transfert du FSV au titre des majorations familiales, ces majorations lui sont en quelque sorte remboursées deux fois.

Enfin, le système est devenu totalement illisible . Des régimes « contributeurs » de la compensation généralisée sont « bénéficiaires » de la compensation spécifique 20 ( * ) . Les différents mécanismes de plafonnement de la contribution des régimes, en ce qui concerne la compensation spécifique, n'ont pas correctement fonctionné. En effet, ils ne prenaient pas en compte la progression des transferts dus au titre de la compensation généralisée. La situation de la CNRACL, seul régime de retraite officiellement déficitaire , et obligée de recourir à l'emprunt, alors qu'il s'agit d'un régime structurellement excédentaire , illustre au plus haut chef les limites des mécanismes de compensation.

Votre rapporteur constate qu'il existe trois possibilités de réforme.

Le scénario minimal consiste à tenter de définir des règles stables et des mécanismes de plafonnement, évitant que les régimes soient trop lourdement ponctionnés. Ce scénario minimal aboutirait inévitablement à une complication encore plus grande du système de compensation.

Le scénario médian nécessite de réformer la compensation généralisée et de supprimer la compensation spécifique.

La réforme de la compensation généralisée nécessiterait, par exemple, d'exclure les majorations pour enfants de la prestation de référence et de prendre en compte la durée de carrière 21 ( * ) .

La suppression de la compensation spécifique est clairement envisagée par MM. Yves Ullmo et Louis-Paul Pelé.

« La compensation spécifique a peu de justifications... »

« De fait, la compensation spécifique a peu de justifications. Telle qu'elle fonctionne, elle met à la charge d'un régime des transferts pour d'autres régimes (mines, SNCF, marins...) qui par ailleurs sont équilibrés par une subvention de l'Etat. Sans homogénéité entre les régimes, il est difficile de mettre en place une compensation équitable, qui complète la compensation généralisée. Dans ce cas, il faudrait peut-être recourir à d'autres mécanismes de solidarité, du moins pour les régimes les plus atypiques ou les plus déséquilibrés démographiquement (mines, marins), dont l'équilibre pourrait être assuré par l'Etat ou par le FSV ».

Rapport de MM. Yves Ullmo et Louis-Paul Pelé, septembre 2001, p. 25.

La suppression de la compensation spécifique nécessiterait, afin d'équilibrer les régimes spéciaux aujourd'hui bénéficiaires, d'augmenter les subventions d'équilibre de l'Etat à ces mêmes régimes. Cependant, cette augmentation serait pour partie compensée pour le budget de l'Etat par la suppression parallèle de la « participation » du « régime » des fonctionnaires de l'Etat : ainsi, l'effet net sur les dépenses serait de 1.401,2 millions d'euros (environ 9,2 milliards de francs) 22 ( * ) .

Conséquences sur le budget de l'Etat de la suppression de la « surcompensation »

(en millions d'euros)

2002

Augmentation de la subvention d'équilibre aux régimes spéciaux

2.371,6

Réduction des transferts de compensation du « régime » des fonctionnaires

- 970,4

SOLDE en euros

1.401,2

SOLDE en francs

9.191,0

Un scénario radical consisterait à supprimer tout mécanisme de compensation entre les régimes.

En effet, le principe de la compensation consiste à rétablir la « solidarité nationale » entre les régimes de sécurité sociale. L'effet consiste à créer une forme « d'impôt » sur les régimes contributeurs. La « solidarité » s'exprime par une contraction entre les recettes et les dépenses des régimes, ce qui est contestable du point de vue comptable, et ne donne pas une vue exacte de l'état des régimes.

Total des transferts de compensation

(en millions d'euros)

Compensation généralisée

5.584,9

5.671,7

5.824,5

5.898,6

en millions de francs

36.635

37.204

38.206

38.692

Compensation spécifique

2.919,9

2.656,7

2.348,8

2.371,6

en millions de francs

19.153,3

17.426,8

15.407,1

15.556,7

TOTAL GENERAL

8.504,8

8.328,4

8.173,3

8.268,2

TOTAL GENERAL
en millions de francs

55.787,8

54.360,7

53.613,3

54.235,8

Les effets d'une suppression de la compensation seraient les suivants :

- maintien d'excédents structurels dans les régimes fortement contributeurs (CNRACL, CNAVPL) leur permettant de mettre en place une « répartition provisionnée », cette constitution de réserves leur étant utile pour les années à venir, particulièrement dans le cas de la CNRACL ;

- création parallèle de besoins de financement importants dans les régimes aujourd'hui fortement bénéficiaires.

Afin de financer de tels besoins, votre rapporteur considère que deux solutions sont envisageables :

- soit la création d'une imposition ad hoc ou l'augmentation d'une imposition existante (par exemple, la CSG) : cette solution représente l'inconvénient d'augmenter les prélèvements obligatoires ;

- soit un concours du budget de l'Etat, qui est l'expression même de la solidarité nationale.

Le montant en cause aggraverait fortement les dépenses publiques.

Cependant, ce montant pourrait être limité :

- les régimes ORGANIC et CANCAVA pourraient pallier la disparition de leurs recettes de compensation par une augmentation de la fraction de C3S qui leur est affectée : ainsi serait conforté le fondement même de cette contribution, qui a pour but de prendre en compte l'extension du salariat ;

- le régime des exploitants agricoles pourrait également bénéficier soit d'une augmentation de la subvention d'équilibre (augmentation des dépenses budgétaires), soit -si l'on souhaite limiter l'augmentation des dépenses budgétaires- d'une augmentation de la fraction de TVA qui lui est affectée (diminution des recettes budgétaires disponibles) ;

- seuls les autres régimes (petits régimes bénéficiant de la compensation généralisée, régimes spéciaux bénéficiant de la compensation spécifique) auraient alors recours aux concours financiers du budget de l'Etat.

L'augmentation des dépenses budgétaires serait ainsi très limitée, compte tenu de la suppression des transferts de compensation pour le régime des fonctionnaires de l'Etat ; l'effet sur le solde budgétaire serait quasi exclusivement concentré sur la perte de la fraction supplémentaire de TVA affectée au régime des exploitants agricoles.

Bilan pour le budget de l'Etat d'une suppression de la compensation

(en millions d'euros)

Recettes

Dépenses

Suppression des transferts de compensation

- 2.724,0

Augmentation de la fraction de TVA affectée au BAPSA

- 4.197,3

Augmentation des subventions d'équilibre aux régimes spéciaux (nette des économies réalisées sur la compensation généralisée par certains de ces régimes)

+ 2.318,2

Augmentation des subventions d'équilibre aux petits régimes

+ 568,5

TOTAL en euros

- 4.197,3

+ 162,7

TOTAL en francs

- 27.535,0

+ 1.067,0

La dégradation sur le solde budgétaire serait ainsi « limitée » à 4,36 milliards d'euros (soit 28,6 milliards de francs).

3. La contribution de la branche famille : le cas de l'Assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF)

A la suite du rapport de la Cour des comptes sur la sécurité sociale de septembre 2000, M. Alain Vasselle, rapporteur pour l'assurance vieillesse du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 avait consacré un long développement au cas de l'assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF).

Votre rapporteur en rappellera les principales conclusions.

Cette assurance vieillesse, créée en 1972 et soumise à des critères d'attribution restrictifs, permet de prendre en charge les années passées par les parents au foyer et de compléter d'éventuelles années validées au titre de leur activité professionnelle. La Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF) est, en quelque sorte, l'employeur fictif des ayants droit. La branche famille verse donc à la CNAV une somme qui atteindra 22,9 milliards de francs en 2002 au titre de ces « cotisations ».

Les prestations servies par la CNAV, de l'ordre de 3 milliards de francs, sont aujourd'hui sans commune mesure avec le montant des « cotisations » réglées par la CNAF.

En revanche, elles devraient, selon le rapport de 1997 de M. Jean-François Chadelat, inspecteur général des affaires sociales, atteindre au moment des pics démographiques (2015-2040) 30 milliards de francs, puis 50 milliards de francs .

Or, les cotisations versées par la CNAF sont aujourd'hui comptabilisées comme des cotisations courantes et dépensées dans le cadre de l'exercice. Elles ne sont pas mises en réserve pour procéder à la liquidation des droits le moment venu.

Entre 2000 et 2040, l'effet de l'AVPF passera d'un allégement de 19 milliards de francs à une charge nette de 35 milliards de francs. L'effet de dégradation sur les comptes sera de 54 milliards de francs.

Cette redoutable dégradation des comptes ne manquera pas de poser la question du maintien de cet avantage. Devant les difficultés considérables de financement des retraites, certains poseront immanquablement la question de la suppression des avantages familiaux en matière de retraites.

Pour maintenir cette prestation qui sera certainement « menacée » au sein de la branche vieillesse -dont on sait aujourd'hui qu'elle rencontrera de grandes difficultés à compter de 2020-, il y a un fort risque que la branche famille soit appelée une nouvelle fois à la rescousse.

Une telle démarche, qui ne serait pas -hélas- incohérente avec celle conduite aujourd'hui par le Gouvernement, présenterait toutefois la particularité de conduire la branche famille à prendre deux fois l'AVPF à sa charge, une première fois au titre ses « cotisations » qu'elle paye depuis 1975 et une deuxième fois en versant les prestations lorsque celles-ci deviendront significatives.

Votre rapporteur estime infiniment souhaitable de mettre fin à ce transfert inter-branches, et de supprimer ce versement de la branche famille. Il serait alors nécessaire d'assurer à la branche vieillesse une recette équivalente à celle de l'AVPF (environ 23 milliards de francs). Un simple transfert d'une fraction de CSG permettrait de le réaliser, ce qui conduirait à « débrancher » l'une des « tuyauteries » du financement de la sécurité sociale et à établir, avec davantage de clarté, un « compte » de la branche vieillesse.

4. L'imbrication Etat-sécurité sociale en matière de financement des régimes de retraite : l'urgence d'une clarification

L'Etat joue d'ores et déjà le rôle de « garant » de l'équilibre des régimes spéciaux, par l'intermédiaire d'une subvention d'équilibre. Cette recette a été étendue au régime de protection sociale des exploitants agricoles, en raison de la structure démographique particulièrement défavorable de ce régime et de l'existence du « budget annexe », adopté chaque année en loi de finances.

Un recours supplémentaire à la C3S -ou à la compensation spécifique- permet de limiter, voire de diminuer d'une année sur l'autre la charge financière de l'Etat. Ainsi, le « siphonnage » de la C3S au profit du BAPSA, opéré par l'article 18 du projet de loi de finances pour 2002, a pour conséquence une diminution de près de 4 milliards de francs du total des subventions d'équilibre entre 2001 et 2002.

Leur évolution est ainsi privée de sens.

Les subventions d'équilibre

(en millions d'euros)

2001

2002

SNCF

2.208

2.282

ENIM

733

708

Régime Minier

504

457

BAPSA

877

271

SEITA

89

97

CRRFOM 23 ( * )

8

7

Imprimerie nationale

0,3

0,2

TOTAL en euros

4.419

3.822

TOTAL en francs

28.987

25.071

L'étude du « jaune » budgétaire « Bilan des relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale » montre que l'étude des relations Etat-sécurité sociale en matière de retraite est encore plus complexe qu'il n'y apparaît.

En effet, différents chapitres budgétaires regroupent ces engagements.

Ainsi, même si des efforts ont été réalisés, le budget des charges communes (chapitre 46-90) ne regroupe pas l'intégralité des subventions d'équilibre, la plus importante, celle versée à la SNCF, relevant du budget des transports terrestres (chapitre 47-41), tandis que celle versée à l'Etablissement national des invalides de la marine est inscrite au budget de la mer (chapitre 47-37).

Les charges nettes de compensation entre régimes d'assurance vieillesse relèvent du budget des charges communes, mais d'un chapitre différent : le chapitre 33-91.

Les charges nettes de pensions des agents civils et militaires sont réparties entre les différents ministères, tout en étant regroupées au sein du chapitre 32-97.

Enfin, il est nécessaire de ne pas oublier les charges du FSPOIE (régime de pensions des ouvriers de l'Etat), qui relèvent du chapitre 32-92.

Si l'on tente d'additionner les différents concours financiers de l'Etat aux régimes d'assurance vieillesse, le résultat est le suivant :

Charges « retraites » du budget de l'Etat

(en millions d'euros)

2000

2001

2002

Charges nettes de pensions des agents civils et militaires

20.353

21.242

22.447

Charges brutes

28.538

29.660

31.063

Cotisations des actifs

- 4.341

- 4.511

- 4.627

Recettes diverses

- 3.844

- 3.907

- 3.989

Charges de compensation du régime des fonctionnaires

2.544

2.207

2.718

Contributions budgétaires au financement du FSPOIE

1.026

1.053

1.075

Subventions d'équilibre

4.204

4.419

3.822

TOTAL

28.127

28.921

30.062

TOTAL en francs

184.501

189.709

197.194

Source : Commission des Affaires sociales du Sénat, d'après le jaune budgétaire « Bilan des relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale »

Votre rapporteur constate que les débats de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances n'ont pas abordé la question du « traitement » en loi de finances des charges « retraites » du budget de l'Etat. Il serait pour le moins nécessaire de réfléchir à une individualisation par branche des transferts financiers entre le budget de l'Etat et les régimes sociaux.

Au-delà, votre rapporteur estime souhaitable la création d'un véritable régime de retraite des fonctionnaires de l'Etat, ou son inclusion dans l'actuelle CNRACL, ce qui aurait l'avantage de regrouper dans la même caisse les trois fonctions publiques et de contribuer à une « transparence » unanimement souhaitée.

* 12 Votre rapporteur, soucieux de ne pas limiter son examen au seul régime général, profitera de ces développements pour aborder plus en détail les comptes des régimes des non salariés non agricoles (ORGANIC, CANCAVA et CNAVPL) ainsi que ceux de la CNRACL.

* 13 Ce régime vient d'approuver la création d'un véritable régime de retraite complémentaire obligatoire. Votre rapporteur se félicite de cette évolution, qu'il faudra « concrétiser » au niveau législatif.

* 14 En effet, « l'histoire bégaye » : la C3S avait déjà été utilisée à cette fin en 1992 et en 1993, ce qui avait amené M. Jean Marmot, alors secrétaire général de la commission des comptes de la sécurité sociale, à utiliser le terme de « siphonnage ».

* 15 Compte tenu des perspectives financières désastreuses du BAPSA en 2001 (1,3 milliard de francs de déficit), le Gouvernement pourrait être tenté, dès le projet de loi de finances rectificative pour 2001, de « puiser » dans le compte C3S.

* 16 Risques maladie, vieillesse et famille.

* 17 Cet âge reste l'âge de la retraite dans deux régimes, celui des professions libérales et celui des ministres des cultes.

* 18 Le coût pour le FSV serait pourtant minime : 16 millions de francs.

* 19 Ce qui revient au même, la CNRACL étant gérée par la Caisse des dépôts et consignations.

* 20 C'est le cas de la SNCF et de la RATP.

* 21 Les règles actuelles ont cette conséquence : tout retraite, qu'il ait cotisé pendant quelques années ou pendant toute sa carrière, est compté pour un retraité.

* 22 Les conséquences sur le solde des administrations publiques sont nulles : l'augmentation nette des subventions d'équilibre est compensée par l'excédent retrouvé de la CNRACL.

* 23 Caisse de retraites des régies ferroviaires d'outre-mer.

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