C. LES CONSÉQUENCES DE LA CRÉATION DU CONSEIL : UNE RÉFORME DÉSORMAIS RENVOYÉE AU LENDEMAIN DES ÉLECTIONS LÉGISLATIVES

Il est des chiffres qui frappent.

Le sondage CSA/Liaisons sociales/Manpower, rendu public en septembre dernier, est particulièrement instructif : si 85 % des Français se déclarent « très inquiets » ou « assez inquiets » pour l'avenir financier des régimes de retraite, ce qui est peu étonnant, ils sont 92 % à juger qu'il s'agit d'un dossier « très urgent » ou « assez urgent ».

Pour autant, le Gouvernement a choisi de privilégier les 8 % de Français qui jugent ce dossier peu urgent.

1. Une réforme privilégiant désormais la « forme » au « fond »

Le bilan de la politique conduite depuis 1997 en matière de réforme des retraites est proche de l'ensemble vide. Selon le Gouvernement lui-même, un tel bilan repose sur deux éléments, la création du Fonds de réserve pour les retraites et l'installation du conseil d'orientation des retraites.

Faute de présenter une « réforme », le Gouvernement explique qu'il a « préparé la réforme ». Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité, n'hésite pas à affirmer : « Nous avons ainsi mis en place le socle de la future et nécessaire réforme des régimes de retraite par répartition » 34 ( * ) . Le « discours » sur la réforme des retraites glisse ainsi vers un nouveau « discours de la méthode », par opposition à la politique conduite par le gouvernement de M. Alain Juppé, même si Mme la ministre reconnaît qu'il importe de « progresser aussi bien sur le fond que sur la méthode » .

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité a annoncé devant l'Assemblée nationale un véritable calendrier :

- remise du premier rapport du COR en décembre, qui devrait, d'une part, « faire état d'une convergence des analyses » et, d'autre part, « avancer des propositions » ;

- travaux complémentaires effectués « dans la concertation » sur les avantages familiaux dans la retraite et sur la prise en compte du handicap ;

- choix à faire « tout de suite après les échéances électorales ».

En somme, il était et il est urgent d'attendre.

2. La chimère du desserrement de  « l'étau de l'urgence »

Le Gouvernement recourt à nouveau à une argumentation, cette fois-ci totalement infondée, selon laquelle « la question de l'emploi est évidemment le coeur du sujet dans la mesure où plus d'emploi génère plus de cotisations. C'est grâce à l'amélioration de l'emploi que nous avons desserré l'étau de l'urgence, sans toutefois, bien entendu, supprimer la nécessité de cette réforme » 35 ( * ) .

Le diagnostic posé par la commission Charpin a pourtant montré que, même dans le cadre d'un chômage à 3 %, les conséquences sur le besoin de financement des régimes de retraite étaient mineures : l'effet principal est bien l'effet démographique, contre lequel les politiques de l'emploi restent impuissantes. De plus, la « question de l'emploi » ne peut rien pour améliorer la situation des régimes spéciaux, dont la dégradation du solde démographique apparaît inévitable.

Certes, il est évidemment préférable que le régime général bénéficie du plus grand nombre de cotisants possible, ce qui impose notamment de relever le taux d'emploi des plus de cinquante-cinq ans.

Mais affirmer que l'amélioration de l'emploi a permis de desserrer « l'étau de l'urgence » relève au mieux de l'ignorance, au pire de la mystification.

3. L'abrogation d'une loi restée virtuelle pour solde de tout compte

La XI e législature risque, s'agissant des retraites, de se conclure sur une seule véritable mesure : l'abrogation de la loi du 25 mars 1997 relative aux plans d'épargne retraite, dite « loi Thomas ».

En effet, l'article 11 du projet de loi de modernisation sociale, encore en cours de discussion devant les assemblées, prévoit l'abrogation d'une telle loi. La commission mixte paritaire, réunie le 30 octobre 2001, a du reste échoué sur cet article.

Sur la forme comme sur le fond, le feuilleton de l'abrogation de la « loi Thomas » fait partie des zones d'ombre du bilan de la majorité plurielle.

Sur la forme, M. Lionel Jospin avait annoncé cette abrogation dès son discours de politique générale du 19 juin 1997.

Pourtant, le Gouvernement s'était réfugié pendant longtemps dans un scénario « ni abrogation, ni application », refusant de publier les décrets de la loi du 25 mars 1997.

L'article 11 du projet de loi de modernisation sociale constitue ainsi la troisième tentative d'abrogation de la loi n° 97-277 du 25 mars 1997 créant les plans d'épargne retraite, dite « loi Thomas ».

Une première tentative avait échoué lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1999. Le Gouvernement avait réussi à dissuader in extremis la composante de sa majorité favorable à une telle abrogation, qui aurait été censurée par le Conseil constitutionnel.

Une deuxième tentative a réussi à franchir le cap de la séance publique, lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001. C'était avec un enthousiasme prophétique que le Gouvernement avait, cette fois, donné un avis favorable à l'amendement. Le Conseil constitutionnel n'en a pas moins censuré l'article.

Sur le fond, le Gouvernement justifie cette abrogation par « la volonté d'assurer en priorité la pérennité des régimes de retraite par répartition ». En quelque sorte, la « réforme des retraites » attendue par les Français débutera lors de la promulgation de la loi de modernisation sociale, qui interviendra au début de l'année 2002, près de cinq ans après le discours de politique générale de M. Lionel Jospin. La seule proposition, le seul projet du Gouvernement, en dehors d'un Fonds de réserve largement insuffisant et dont il a de surcroît lui-même pillé les excédents, est d'abroger une loi restée virtuelle, faute de décrets d'application...

A opposer la répartition à la capitalisation, le Gouvernement s'est lui-même enfermé dans un piège dialectique. Le financement des retraites de demain est-il assuré grâce à l'abrogation de la loi créant les plans d'épargne retraite ? En aucune façon.

La « loi Thomas » était certes perfectible : quelle loi ne l'est pas ? Il était de la responsabilité du Gouvernement, sans idéologie mais avec pragmatisme, d'en proposer des modifications sur les différents points ayant cristallisé, à tort ou à raison, le rejet de certains partenaires sociaux.

Des personnalités imminentes, parmi lesquelles l'actuel ministre de l'économie et des finances, alors président de l'Assemblée nationale, se sont ralliées à l'idée de « fonds de pension à la française ».

Le Sénat, en adoptant le 14 octobre 1999 les conclusions de votre commission des Affaires sociales sur les propositions de M. Charles Descours et de M. Jean Arthuis avait « tendu une perche » au Gouvernement. Ce dernier ne l'a pas saisie.

Le constat est accablant : la France a perdu de nouveau cinq ans. A l'heure où l'Allemagne rejoint les pays disposant d'un dispositif de retraite par capitalisation, les 14,5 millions de salariés français ne peuvent toujours pas avoir accès à un troisième étage facultatif de retraite, alors même que les fonctionnaires y ont droit, à travers le CREF ou la Préfon, bénéficiant de « carottes » fiscales tout à fait substantielles.

* 34 JO Débats Assemblée nationale, 2 ème séance du 23 octobre 2001, p. 6443.

* 35 JO Débats Assemblée nationale, op. cit.

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