V. DÉCENTRALISER DAVANTAGE : POUR UNE NOUVELLE ÉTAPE

A. DE LA RÉFLEXION À L'EXPÉRIMENTATION : LE GOUVERNEMENT REFUSE L'OBSTACLE ?

1. Les contributions à la réflexion sont nombreuses

Les trois dernières années se caractérisent à la fois par l'enclenchement d'une mécanique de recentralisation des ressources des collectivités locales et l'accélération de la réflexion sur l'avenir de la décentralisation.

Dès le printemps 1999, le Sénat a constitué une mission d'information chargée de « dresser le bilan de la décentralisation et de proposer les améliorations de nature à faciliter l'exercice des compétences locales », qui a rendu son rapport 59( * ) en juin 2000. Peu après, le gouvernement a confié à notre collègue Pierre Mauroy et à une commission composée d'élus le soin de réfléchir à l'avenir de la décentralisation, qui a rendu son rapport au Premier ministre le 17 octobre 2000 60( * ) . Le Sénat et l'Assemblée nationale ont également adopté des propositions de loi visant à relancer la décentralisation. La proposition de loi constitutionnelle relative à la libre administration des collectivités territoriales et à ses implications fiscales et financières, signée par le président Christian Poncelet et nos collègues Jean-Paul Delevoye, Jean-Pierre Fourcade, Jean Puech et Jean-Pierre Raffarin, adoptée par le Sénat, qui propose d'inscrire dans la Constitution le principe d'un financement majoritaire des collectivités locales par la fiscalité ; la proposition de loi présentée par notre collègue député Pierre Méhaignerie, adoptée par l'Assemblée nationale, vise à instituer un droit à l'expérimentation au bénéfice des collectivités locales.

Ces démarches n'ont pas encore abouti, mais elles ont conduit le Premier ministre à annoncer une « grande réforme » des finances locales, avec la présentation à la fin de l'année 2001, d'un rapport contenant des propositions. Une note d'étape a été communiquée au Comité des finances locales et aux commissions parlementaires le 12 juillet 2001. Les membres du comité ont réagi à ce document lors d'un séminaire au mois de septembre.

Ces différentes contributions cernent les mêmes enjeux, sans pour autant toujours aboutir aux mêmes préconisations.

Il convient désormais d'en finir avec l'incantation et de se donner les moyens d'engager enfin des réformes en expérimentant des nouvelles formules
. Pour cela, il est urgent de « tester » les différentes pistes suggérées par les uns et les autres, car, en matière de finances locales, rien ne peut se faire sans des simulations préalables. Malheureusement, le gouvernement n'y semble pas prêt. Votre commission regrette particulièrement que des demandes en la matière, formulées en vue de l'examen du présent projet de loi de finances soient restées sans suite, comme si le gouvernement souhaitait conserver le monopole de l'initiative des réformes.

2. Le gouvernement a pris des libertés avec l'esprit de la décentralisation

Depuis 1997, le gouvernement a cherché à réduire les inégalités résultant du caractère obsolète de la fiscalité locale non pas en la réformant, mais en multipliant les suppressions partielles ou totales d'impôts locaux, et, plus rarement, en élargissant le champ des dégrèvements. Cette solution est sous-tendue par un argument de principe : il considère que la libre administration des collectivités territoriales dépend plus de leur faculté de dépenser que de leur faculté d'agir sur l'évolution de leurs recettes.

Il a en outre, avec le soutien de l'Assemblée nationale, recentralisé certaines compétences auparavant confiées aux collectivités locales, s'agissant par exemple de l'aide médicale (mise en oeuvre de la couverture maladie universelle) ou du remplacement de la prestation solidarité dépendance (PSD) par l'allocation personnalisée d'autonomie (APA). Des charges nouvelles sont confiées aux collectivités locales sans que celles-ci bénéficient en compensation des ressources correspondantes : la réforme des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS), le financement des universités, l'application des dispositions de la loi sur les gens du voyage, le transfert aux régions du transport par rail des passagers, l'augmentation des cotisations employeurs à la caisse nationale des agents des collectivités locales, le transfert aux communes de la distribution des pièces d'identité, pour n'en citer que quelques-unes.

Ces exemples permettent de juger déplacés les propos tenus par la secrétaire d'Etat chargée du budget lors de l'examen de la première partie du présent projet de loi de finances, lorsqu'elle relevait que « la DGF a progressé de 16 % en cinq ans alors que les dépenses de l'Etat ont crû de 8 % sur la même période. La DGF aura donc progressé deux fois plus vite que les dépenses de l'Etat depuis 1998 ». Cette comparaison est d'autant plus maladroite qu'elle met en parallèle l'évolution des dépenses de l'Etat avec celle d'une ressource des collectivités locales, ressource dont il est avéré que sa progression ne permet pas de couvrir le coût des charges nouvelles transférées 61( * ) .

Pour les départements, le passage de la prestation spécifique dépendance (PSD) à l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) se traduira, en coût net, par une augmentation des dépenses de l'ordre de 1,7 milliard d'euros en régime de croisière.

A cela s'ajoutent les revalorisations des traitements des agents de la fonction publique territoriale et la mise aux normes des équipements et des bâtiments accueillant du public, pour lesquels les collectivités locales ne disposent pas plus d'une compensation financière que d'une possibilité de faire entendre leur voix.

Les trois dernières années ont ainsi été marquées par l'abandon du principe, hérité des lois de décentralisation, d'un financement par l'impôt des compétences transférées. Les collectivités locales ne peuvent plus voter les taux des droits de mutation à titre onéreux et la vignette automobile a été largement supprimée.

La part « salaires » de la taxe professionnelle, qui représente un tiers de l'assiette du principal impôt local, est en voie d'extinction.

Enfin, pour remédier aux inégalités résultant de l'obsolescence des valeurs locatives, le gouvernement a préféré supprimer la part régionale de la taxe d'habitation ou étendre les dégrèvements de la taxe foncière sur les propriétés bâties plutôt que de s'attaquer au problème de la révision des bases, ne souhaitant pas assumer la responsabilité politique d'une réforme entraînant d'importants transferts de charges.

Cette politique de l'Etat, présentée sous l'angle de la générosité aux contribuables, a eu des conséquences particulièrement néfastes, pour les collectivités locales comme pour l'Etat. Pour les collectivités locales, la réduction de leur autonomie fiscale distend le lien entre les élus et les contribuables locaux, qui est le coeur même de la décentralisation .

De son côté, le budget de l'Etat comporte un montant croissant de dotations et de dégrèvements en faveur des collectivités locales, conséquence des allègements et des suppressions d'impôts. La marge de manoeuvre de l'Etat, déjà fort réduite par l'importance croissante des dépenses de fonctionnement dans son budget, s'en trouve encore diminuée : depuis 1997, la part des dépenses « incompressibles » n'a cessé de croître, au détriment de ses dépenses d'investissement.

La politique menée par le gouvernement depuis 1997 va donc à l'encontre de l'esprit de la décentralisation, traditionnellement associée en France au financement des collectivités locales par des ressources propres. Elle rend d'autant plus indispensable une réforme d'ensemble des finances locales.

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