AUDITION DE MME MARYLISE LEBRANCHU,
GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE

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Après avoir rappelé que le Gouvernement s'était engagé depuis trois ans dans un vaste chantier de réforme du droit de la famille afin de prendre mieux en compte la diversité des réalités familiales et d'offrir des cadres juridiques adaptés tout en cherchant à valoriser le lien familial, Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice, a indiqué que les dossiers relatifs à la suppression des discriminations en matière de filiation, au partage effectif de l'exercice de l'autorité parentale, à la simplification du divorce ou encore à l'amélioration de la situation du conjoint survivant étaient apparus plus prioritaires que celui du régime de la dévolution du nom.

Approuvant l'initiative prise par M. Gérard Gouzes à l'Assemblée nationale, elle a observé que, comme de nombreuses réformes de société émergeant naturellement, celle des règles de dévolution du nom avait suscité peu de revendications démonstratives mais recueillait un véritable consensus social. Se référant à un sondage effectué par la SOFRES, elle a indiqué que 69 % des Français étaient favorables à la possibilité de transmettre à l'enfant le nom de famille de la mère, seul ou accolé à celui du père, 62 % estimant qu'une telle réforme n'affaiblirait pas la place du père.

Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice, a souligné que l'ensemble de ces sujets, et en particulier celui du nom patronymique, avaient fait l'objet d'une large concertation avec les spécialistes et les associations concernées, mais également avec les citoyens eux-mêmes, dans le cadre de rencontres régionales. Elle a précisé que la question du nom avait suscité un réel intérêt et que, si des avis divers s'étaient exprimés, un consensus pour reconnaître la nécessité de faire évoluer le régime juridique en vigueur s'était dégagé.

Après avoir indiqué que le calendrier parlementaire avait contraint le Gouvernement à morceler la réforme du droit de la famille en plusieurs projets de loi, elle a précisé qu'ils obéissaient néanmoins à une cohérence d'ensemble. Puis elle a rappelé les principes servant de fil conducteur à la réforme : le principe de liberté de choix de vie des familles, le principe d'égalité entre pères et mères et entre les enfants quel que soit leur mode de filiation ou la situation matrimoniale de leurs parents et, enfin, le souci du respect de l'autonomie des volontés.

Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice, a fait valoir que la législation française relative à la dévolution du nom était restée relativement figée, alors que l'évolution sociale avait fait émerger des aspirations que le droit ne pouvait plus ignorer. Elle a précisé que l'indépendance acquise par les femmes les conduisait de plus en plus souvent à ne plus porter le nom de leur mari, port du nom du mari qui ne constituait d'ailleurs qu'un simple usage. Elle a estimé que le partage effectif des responsabilités parentales devait trouver sa représentation symbolique dans le nom attribué aux enfants et a souligné la nécessité de respecter une liberté de choix en la matière au nom de la liberté individuelle. Après avoir mentionné le caractère discriminatoire de notre législation laissant planer une menace de condamnation de la France par la Cour européenne des Droits de l'Homme, elle a ajouté que la législation actuelle, privilégiant la lignée masculine, entraînait un appauvrissement du stock des noms, certains noms ne pouvant être transmis faute de descendance masculine.

Après avoir admis que la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale recelait quelques imperfections techniques, Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice, a affirmé son accord avec l'ouverture d'une option aux parents à la naissance de leur premier enfant. Elle a indiqué que le texte proposait d'inscrire la double filiation dans le nom de l'enfant par l'accolement des noms des deux parents, ceux-ci pouvant toutefois décider de transmettre le nom de l'un ou de l'autre seulement. Elle a approuvé cette liberté de choix offerte aux parents, la triple option consacrant un principe de parité entre pères et mères. Elle a cependant estimé nécessaire de faire de la dévolution du nom double accolé, symbole de la co-parentalité, la norme par défaut, en cas de désaccord entre les parents ou en cas d'abstention de ceux-ci. Considérant que la loi ne devait pas bouleverser contre leur gré les habitudes des français, elle a précisé que les parents souhaitant continuer à inscrire leurs enfants dans la tradition culturelle française de dévolution du nom du père devaient pouvoir le faire.

Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice, a indiqué que la triple option serait ouverte dans le cas où la filiation de l'enfant serait établie à l'égard de ses deux parents, que les parents soient mariés ou non, et que le choix interviendrait au moment de la naissance du premier enfant, lors de la déclaration de naissance, par une déclaration écrite conjointe devant l'officier d'état civil. Elle a précisé que le nom choisi serait inscrit dans l'acte de naissance et que les enfants d'une même fratrie devraient porter le même nom, sans dérogation possible. Pour résoudre les cas de désaccord ou d'abstention des parents, elle a estimé indispensable que la loi prévoie une règle de dévolution par défaut, cette règle devant être celle de la dévolution des noms des deux parents, accolés dans l'ordre alphabétique. Elle a rejeté l'idée qui lui avait été soumise d'une dévolution du nom de la mère aux filles et du nom du père aux fils, conception sexiste qui, loin d'assurer la parité, consacrait la discrimination et la division.

Concernant le mode de transmission du nom à un enfant dont l'un ou les deux parents porteraient un nom double, Mme Marylise Lebranchu a indiqué qu'un seul des noms composant le nom double pourrait être transmis, le choix étant effectué d'un commun accord par les parents. Elle a rappelé qu'en cas de désaccord ou de refus de choix des parents, les règles automatiques de dévolution du nom fondées sur le critère de l'ordre alphabétique s'appliqueraient.

Considérant que les règles de dévolution du nom reposeraient désormais sur un mécanisme optionnel privilégiant la volonté des parents, elle a déclaré nécessaire, par cohérence, d'assouplir le régime juridique du changement de nom. Elle s'est en particulier interrogée sur la portée de la condition relative à la justification d'un intérêt légitime prévue par l'article 61 du code civil et sur la possibilité d'accorder à l'enfant une faculté de choix à sa majorité. Elle a précisé que les différentes administrations concernées avaient été saisies d'une demande d'expertise.

Concernant l'entrée en vigueur de la loi et la question de son application aux enfants déjà nés et, parfois, appelés à avoir des frères et soeurs, elle a souligné la nécessité de moduler l'effet rétroactif en fonction de l'âge des enfants et a estimé que la solution la moins génératrice de conflits serait celle tendant à accoler le nom qui n'aurait pas été transmis.

Après avoir rappelé l'adhésion de principe suscité dans tous les groupes politiques de l'Assemblée nationale par la proposition de loi, la prise de position du Président de la République, ainsi que l'existence d'une proposition de loi sénatoriale de 1999 portant diverses dispositions relatives au droit de la famille, préconisant une réforme de même inspiration que le dispositif récemment adopté, Mme Marylise Lebranchu a souhaité en conclusion que le débat au Sénat soit fructueux pour aboutir à une loi consensuelle.

Après avoir observé que la proposition de loi remettait en cause des pratiques solidement ancrées, M. Jacques Larché, président, a souligné la difficulté technique d'un tel dispositif. Il a relevé l'incohérence qu'il y avait à organiser la transmission des noms des deux parents par la dévolution du double nom à la première génération de descendants, dès lors qu'à la deuxième génération l'élimination de deux noms sur quatre dans le processus de dévolution serait inéluctable. Il a en outre jugé discutable le critère de l'ordre alphabétique pour procéder à l'élimination des noms superflus.

Après avoir fait valoir que la liberté de choix accordée aux parents risquait de susciter des conflits au sein des familles et dans les couples, M. Henri de Richemont, rapporteur, s'est interrogé sur les raisons de l'échec de la loi de 1985 relative au nom d'usage. Soulignant les inégalités actuelles dans les possibilités de changement de nom entre enfants légitimes et enfants naturels, il a estimé opportun d'ouvrir une faculté de choix à l'enfant lui-même à partir d'un âge à déterminer.

Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice, a souligné que la préoccupation centrale de la proposition de loi était d'afficher la double filiation de l'enfant, tout en préservant la fratrie. Elle a exprimé la crainte que la faculté de choix qui serait octroyée à l'enfant ne transforme le nom en un instrument de conflit familial à l'adolescence.

Après avoir exprimé son hostilité de principe à toute liberté de choix concernant les règles de dévolution du nom, M. Yves Fréville a estimé inopportun de livrer au regard de la société la nature des relations entre parents et enfants reflétée dans le nom porté par ces derniers.

Evoquant le rapport fusionnel existant entre la mère et l'enfant et le gage d'équilibre constitué par l'octroi du nom paternel, M. Henri de Richemont, rapporteur, a estimé qu'il était contradictoire d'affaiblir le lien d'identification au père par une modification des règles de dévolution du nom, au moment même où le Gouvernement proposait d'accorder à celui-ci un congé post-natal.

Après avoir rappelé que de plus en plus d'enfants issus de couples non mariés portaient le nom de leur mère, Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice, a observé que la proposition de loi, préconisant l'accolement des noms du père et de la mère, tendait à consacrer la double filiation, ce qui n'avait pas pour conséquence d'affaiblir la place du père. Du point de vue technique, elle a indiqué que les études effectuées avaient conclu à la faisabilité de l'institutionnalisation du double nom ; elle a cependant admis que les adaptations nécessaires auraient un coût évalué à quelque 6 millions de francs par l'INSEE. Elle est convenu que le choix de l'ordre alphabétique comme critère discriminant n'était pas idéal, tout en soulignant l'absence d'alternative.

En réponse à M. Henri de Richemont, rapporteur, elle a observé que dans 97 % des cas, proportion correspondant aux enfants naturels reconnus à la fois par leur père et leur mère, les enfants naturels porteraient un nom double et a estimé que le dispositif n'aboutirait pas à instaurer de discrimination entre enfants naturels et enfants légitimes dès lors que l'option permettrait à des couples de choisir un nom unique évitant ainsi la stigmatisation de l'enfant issu d'un foyer monoparental. Elle a en outre rappelé que la faculté de choix du nom offerte à l'enfant devrait se limiter à l'adjonction du nom de ses parents qu'il ne porterait pas déjà.

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