N° 26

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2002-2003

Annexe au procès-verbal de la séance du 17 octobre 2002

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, relatif aux salaires , au temps de travail et au développement de l' emploi ,

Par M. Louis SOUVET,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Nicolas About, président ; MM. Alain Gournac, Louis Souvet, Gilbert Chabroux, Jean-Louis Lorrain, Roland Muzeau, Georges Mouly, vice-présidents ; M. Paul Blanc, Mmes Annick Bocandé, Claire-Lise Campion, M. Jean-Marc Juilhard, secrétaires ; MM. Henri d'Attilio, Gilbert Barbier, Christian Bergelin, Joël Billard, Mme Brigitte Bout, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Jean Chérioux, Mme Michelle Demessine, M. Gérard Dériot, Mme Sylvie Desmarescaux, MM. Claude Domeizel, Michel Esneu, Jean-Claude Étienne, Guy Fischer, Jean-Pierre Fourcade, Serge Franchis, André Geoffroy, Francis Giraud, Jean-Pierre Godefroy, Mme Françoise Henneron, MM. Philippe Labeyrie, Roger Lagorsse, André Lardeux, Dominique Larifla, Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Mmes Valérie Létard, Nelly Olin, Anne-Marie Payet, M. André Pourny, Mme Gisèle Printz, MM. Henri de Raincourt, Gérard Roujas, Mmes Janine Rozier, Michèle San Vicente, MM. Bernard Seillier, André Vantomme, Alain Vasselle, Paul Vergès, André Vézinhet.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 12 ème législ.) : 190, 231 et T.A. 34

Sénat : 21 (2002-2003)

Travail.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Lors des débats précédant l'adoption des lois du 13 juin 1998 et du 19 janvier 2000, votre commission avait fait part de sa triple inquiétude au regard de la politique de réduction du temps de travail voulue par le précédent gouvernement.

Ainsi, dès 1998, elle avait exprimé la crainte que les incidences de l'abaissement de la durée légale du temps de travail sur les rémunérations mensuelles minima n'aient pas été suffisamment prises en compte, provoquant de facto un éclatement du SMIC et une augmentation du coût du travail lourde de conséquences.

Elle avait également regretté que la logique retenue soit celle d'une réduction autoritaire du temps de travail, risquant alors de réduire la place du dialogue social à la portion congrue et de complexifier à l'extrême un droit du travail déjà singulièrement illisible.

Elle avait enfin observé que le dispositif d'aide financière et d'allégement de charges lié à ces deux lois était un modèle de complexité dont les conditions de financement pérennes n'étaient, à l'évidence, pas maîtrisées.

La réalité n'a hélas pas démenti ces trois inquiétudes.

L'éclatement des salaires minima, lié à l'apparition annuelle de « garanties mensuelles de rémunération », a introduit d'intolérables inégalités entre salariés, touchant de surcroît principalement les plus modestes. Le principe, pourtant fondamental, « à travail égal, salaire égal » n'est plus respecté.

Le caractère autoritaire des 35 heures s'est ensuite heurté aux réalités et aux contraintes des entreprises, pour ne pas parler du secteur public. De fait, au 31 mars 2002, seules 13 % des entreprises sont effectivement « passées aux 35 heures ». Encore faudrait-il observer que la réduction du temps de travail introduit de nouvelles inégalités entre salariés et entreprises. Ainsi, à cette date du 31 mars, 45 % des entreprises de plus de 20 salariés sont aux 35 heures contre 10 % pour celles de 20 salariés et moins. Et les évolutions restent très fortes et très hétérogènes selon les secteurs et les régions.

Enfin, le détournement systématique des recettes des régimes sociaux pour alimenter le déficit chronique du FOREC a, malheureusement, donné raison à votre commission.

C'est à ce triple échec, c'est aux trois inquiétudes qu'avait exprimées votre commission que le présent projet de loi cherche à apporter une réponse. Cette réponse est nécessairement pragmatique, puisque, conformément aux engagements du Président de la République, la durée légale du temps de travail reste fixée à 35 heures.

Pour ce faire, le projet de loi ouvre trois chantiers, en apparence parallèles, mais dont la conjonction constitue une réponse globale aux défauts originels des lois précédentes :

- il prévoit un schéma de convergence des différents salaires minima à l'horizon 2005 (titre Ier) ;

- il introduit certains assouplissements aux 35 heures en renvoyant très largement à la négociation de branche (titre II) ;

- il réforme nos dispositifs d'allégements de charges pour mettre en place un nouveau système unifié et simplifié visant à favoriser l'emploi en réduisant le coût du travail, notamment pour les salariés les moins qualifiés (titre III) .

I. METTRE FIN À L'ÉCLATEMENT DES SALAIRES MENSUELS MINIMA PAR LEUR CONVERGENCE « PAR LE HAUT » EN TROIS ANS

A. L'IMPASSE DES « MULTI-SMIC »

1. Une « bombe à retardement »

Début 1998, dès l'examen du projet de loi d'orientation et d'incitation relatif à la réduction du temps de travail, la question du SMIC s'est trouvée placée au coeur des débats sur la réduction du temps de travail avant d'en être en définitive la grande absente.

Dès lors que la durée légale hebdomadaire du travail est ramenée de 39 à 35 heures, se posait en effet la question de la rémunération du salarié payé au SMIC, ce dernier étant une garantie de salaire horaire.

Soit le SMIC horaire reste inchangé et le SMIC mensuel diminuait de 11,4 %.

Soit il n'apparaissait pas souhaitable que le passage à 35 heures se traduise par une baisse de la rémunération mensuelle et le SMIC horaire devait alors être revalorisé de 11,4 %.

Dans un premier temps, le précédent gouvernement a choisi... de ne pas choisir, la loi du 13 juin 1998 ne comportant aucune disposition sur ce point.

Dans un second temps, et alors même que la durée légale du travail était passée à 35 heures, le même gouvernement a alors choisi... de ne toujours pas choisir.

Certes, l'article 32 de la loi du 19 janvier 2000 abordait cette question du SMIC, mais en repoussait explicitement la résolution à 2005.

Afin d'éviter que la réduction du temps de travail ne se traduise, pour les salariés au SMIC, par une baisse de leur rémunération mensuelle, cet article 32 avait posé le principe d'une garantie mensuelle de rémunération (GMR) lors du passage aux 35 heures. Puis, en instituant des modalités différentes de revalorisation annuelle de ces GMR et du SMIC, il postulait leur convergence à terme.

Ce principe semblait, en apparence, simple, mais s'est révélé être une véritable « bombe à retardement ».

Le « cercle vertueux » attendu ne s'est pourtant pas produit et ne pouvait d'ailleurs pas se réaliser. Car, du fait de la création d'une nouvelle garantie mensuelle chaque année, l'écart entre la dernière GMR et le SMIC mensuel base 35 heures restait constant à 11,4 %.

2. Des conséquences inacceptables

La « convergence introuvable » des salaires minima est pourtant lourde de conséquences.

Elle introduit d'abord de graves inégalités entre salariés, brouillant la fonction première du SMIC : celle de référent salarial minimum.

A l'heure actuelle, environ 2,7 millions de salariés relèvent du SMIC ou d'une garantie mensuelle 1 ( * ) . Pour s'en tenir aux seuls salariés des entreprises non agricoles, 13,7 % d'entre eux en bénéficiaient au 1 er juillet 2001.

Proportion et nombre de salariés ayant bénéficié d'une garantie légale
d'évolution de leur rémunération au 1 er juillet 2001

Garantie mensuelle de rémunération

4,2 %

598.000

dont GMR 1 (RTT entre le 15.06.98 et le 30.06.99)

0,3 %

38.000

dont GMR 2 (RTT entre le 1.07.99 et le 30.06.00)

2,8 %

400.000

dont GMR 3 (RTT entre le 1.07.00 et le 30.06.01)

1,1 %

160.000

Smic horaire

9,5 %

1.346.000

dont entreprises ayant réduit la durée du travail

1,0 %

137.000

TOTAL

13,7 %

1.944.000

Source : Dares - enquêtes ACEMO.

Ces inégalités sont de deux ordres :

- « à travail égal, salaire inégal »

Ainsi, au 1 er juillet 2002, et pour une durée de travail identique de 35 heures par semaine, un salarié relevant d'un minimum peut percevoir entre 1.154 euros par mois (s'il relève de la GMR 5) et 1.035 euros par mois (s'il travaille dans une entreprise nouvellement créée et donc non couverte par la garantie mensuelle).

- « à travail inégal, salaire égal »

De même, au 1 er juillet 2002, pour un salaire mensuel identique de 1.154 euros, un salarié rémunéré au SMIC pouvait travailler 39 heures par semaine 2 ( * ) dans une entreprise non encore passée aux 35 heures, alors que le salarié travaillant 35 heures dans une entreprise venant juste de passer aux 35 heures percevait lui la GMR 5, soit un salaire identique pour une durée de travail hebdomadaire inférieure de 4 heures.

Les salaires minima depuis le 1 er juillet 2002

Salariés à 35 heures non couverts par une garantie

RTT
avant le 30/06/1999

RTT
entre le 01/07/1999 et le 30/06/2000

RTT
entre le 01/07/2000 et le 30/06/2001

RTT
entre le 01/07/2001 et le 30/06/2002

RTT
après le 01/07/2002

RTT
après le 01/07/2002

151,7
SMIC

GMR1

GMR2

GMR3

GMR4

GMR5

169
SMIC*

Valeur en euros

1.035,9

1.100,7

1.114,3

1.133,5

1.147,5

1.154,3

1.154,3

Ecart à la garantie la plus élevée
(en %)

11,4

4,9

3,6

1,8

0,6

0,0

(*) Hors majoration pour heures supplémentaires.
Source : Ministère des affaires sociales, du travail et de la solidarité, septembre 2002.

Mais cette « convergence introuvable » est également lourde de conséquences pour les entreprises, du fait de son impact sur le coût du travail.

Le coût du travail est d'abord affecté par l'impact des compensations salariales accordées par les employeurs lors de la réduction du temps de travail. De fait, rares sont les entreprises qui ont réduit les salaires mensuels lors du passage aux 35 heures. Dès lors, le coût salarial horaire augmente mécaniquement de 11,4 % alors même que les salaires mensuels restent stables. Quand bien même la réduction du temps de travail s'accompagne d'incitations financières et de modération salariale ultérieure, son coût pour l'entreprise reste élevé.

Mais le coût du travail sera surtout augmenté, à terme, par l'inéluctable augmentation de 11,4 % du SMIC horaire et son effet de diffusion dans l'ensemble de la pyramide des salaires (sans doute au moins jusqu'à 1,5 SMIC).

* 1 DARES, « Premières informations, premières synthèses », juillet 2002.

* 2 En application de la loi du 19 janvier 2000, les quatre premières heures supplémentaires sont en effet « bonifiées » en repos compensateur.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page