III. L'HÔPITAL : INVESTIR ET MODERNISER

A. LA SITUATION TRÈS PRÉOCCUPANTE DES HÔPITAUX

1. Une situation financière très dégradée

Les établissements de santé publics connaissent des difficultés croissantes depuis quelques années. Ces difficultés se traduisent par une situation financière contrastée mais majoritairement déficitaire, comme en témoignent les enquêtes régulièrement menées par la Conférence nationale des directeurs de centre hospitalier (CNDCH).

La politique de réduction des inégalités apparaît trop lente pour être efficace et réduire de manière significative les écarts importants qui subsistent encore entre établissements et entre régions.

Le désengagement de l'Etat et des organismes d'assurance maladie dans l'aide aux investissements a entraîné une dégradation et un appauvrissement du patrimoine hospitalier et un accroissement des frais financiers à leur charge.

La qualité et la sincérité de la gestion sont aujourd'hui remises en cause : les situations de déficits chroniques auxquelles sont confrontés les établissements et l'obligation d'assurer la continuité de leur fonctionnement « coûte que coûte », les a contraints à s'éloigner de plus en plus souvent du respect de la réglementation financière et comptable. Les résultats des comptes administratifs ne reflètent plus la réalité des dépenses de l'année, dont une partie, croissante, est reportée sur l'année suivante, par manque de crédits. De l'avis même de la CNDCH, ce mécanisme de « reports de charges » a maintenant atteint une ampleur très préoccupante.

Dans ce contexte de « gestion de pénurie » et de non-respect des grands principes de gestion, il devient très difficile de motiver les acteurs hospitaliers à la mise en oeuvre, pourtant indispensable, des nouveaux outils de gestion sans lesquels l'amélioration de la gestion et de l'efficience des établissements ne pourra se faire.

Même si une minorité d'établissements conservent une situation financière encore saine, on semble s'acheminer vers un risque de « faillite généralisée » des établissements publics de santé. D'expédients en reports de charges, de cavalerie en décalages d'opérations, ils accumulent des déficits qui atteignent maintenant un niveau considérable.

Les origines de cette situation difficile sont clairement identifiées et connues de longue date.

Ainsi, les taux de progression budgétaire dits « restructurants » n'ont pas été accompagnés de redéploiements de crédits, maintenant les établissements dans des conditions d'équilibre précaires ; les taux de reconduction des moyens ont été systématiquement inférieurs à l'évolution des charges.

De même, les crédits de personnel ont été systématiquement sous-évalués : diverses mesures catégorielles ou générales, le GVT et la RTT n'ont pas été financés à hauteur de leur coût réel.

Le système dit des « enveloppes ciblées » a encore aggravé la situation en réduisant la part affectée aux moyens de reconduction. Ainsi, les missions de base de l'établissement ne sont plus financées alors que sont parallèlement lancées et financées des actions nouvelles, ne correspondant pas forcément aux priorités des établissements.

En outre, les normes de sécurité et de qualité, de plus en plus exigeantes, entraînent des surcoûts, rarement pris en compte, qui se cumulent année après année. L'innovation médicale, qu'elle concerne les médicaments, les technologies ou les nouvelles thérapies, s'impose aux établissements. Les hôpitaux se trouvent ainsi confrontés à une forte augmentation du poste des dépenses médicales (médicament, dispositifs médicaux et fournitures médicales), lequel devrait continuer à progresser sensiblement au cours des prochaines années en raison notamment de l'augmentation sensible des tarifs des produits sanguins labiles et de l'impact des innovations et de la généralisation des traitements et techniques coûteux.

De nombreuses études confirment le retard important des hôpitaux publics dans le domaine de l'investissement. Ces opérations de modernisation paraissent aujourd'hui prioritaires au regard notamment

- du retard de la France dans le domaine des équipements biomédicaux de pointe ;

- des exigences de sécurité et de qualité (vétusté des bâtiments, ...), parallèlement à la mise en conformité nécessaire des biens et équipements aux normes réglementaires.

Enfin, dans de nombreux domaines, qu'il s'agisse d'acquisitions, de recrutement de personnel, de travaux ou de partenariats, la lourdeur des procédures et des contraintes juridiques pèse sur la gestion hospitalière. Elle prive les établissements de la réactivité nécessaire pour s'adapter à un environnement très évolutif et se traduit fréquemment par des surcoûts

C'est dans ce contexte déjà particulièrement tendu qu'a été décidée, sans préparation ni concertation préalable, l'application de la réduction du temps de travail aux établissements publics de santé.

2. Des difficultés considérablement aggravées par la réduction du temps de travail : les conclusions du rapport Piquemal

Dans « un esprit de continuité républicaine » , le Gouvernement a indiqué qu'il assumerait les décisions prises par le précédent gouvernement et qu'il ne remettrait donc pas en cause la réduction du temps de travail (RTT) dans les hôpitaux.

Conscient cependant des difficultés que génère la RTT et se refusant à ce que ses conséquences puissent compromettre la sécurité des malades, M. Jean-François Mattei a constitué une mission nationale d'évaluation de la RTT dans les établissements de santé, présidée par M. Angel Piquemal, directeur du centre hospitalier de Bayonne.

Dans un rapport remis jeudi 7 novembre au ministre de la santé, la mission nationale d'évaluation constate que la RTT a accentué « la crise du système hospitalier et de ses missions » , confirmant en cela le diagnostic qu'avait posé votre rapporteur lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2002.

Après avoir visité 104 établissements de santé, dont 22 CHU, M. Piquemal estime que la réduction du temps de travail a servi de « révélateur d'une crise du fonctionnement interne des établissements ».

Le rapport souligne au premier chef que « face aux difficultés ressenties et aux doutes exprimés, il importe que les pouvoirs publics affichent leurs intentions de poursuivre la mise en place du dispositif pour l'ensemble des personnels » . La RTT apparaît ainsi, aux yeux des personnels, comme « un acquis sur lequel il ne saurait être question de revenir ». Ce sentiment est partagé aussi bien par le corps médical que par le secteur paramédical.

La RTT arrive cependant au pire moment : la majorité des responsables d'établissement dénoncent une situation budgétaire quasi « explosive » . Il a fallu, ces dernières années, appliquer les mesures réglementaires liées à la sécurité sanitaire et aux protocoles de revalorisation des carrières : les hôpitaux n'ont plus de marge de manoeuvre et leurs effectifs sont « nécessairement tendus ».

La RTT intervient de surcroît dans un contexte démographique défavorable. Les hôpitaux manquent de médecins, notamment dans les disciplines à gardes et astreintes (chirurgie, anesthésie, obstétrique, pédiatrie), et d'infirmières. Le gouvernement précédent avait certes prévu la création de 45.000 postes supplémentaires pour compenser la RTT. Cette création est supposée cependant s'étaler sur trois ans, alors que la RTT devait être effective dès le 1 er janvier 2002, et il faut, rappelons-le, plusieurs années pour former un professionnel de santé.

Le rapport de M. Piquemal constate que n'étant pas parvenus « à se réorganiser de manière efficace », les établissements ont dû « diminuer les plages d'ouverture » des blocs opératoires, des consultations externes et des secrétariats médicaux.

Le panorama du fonctionnement hospitalier dressé par le rapport est inquiétant : « repli sur soi des équipes, augmentation des "prescriptions-parapluie", du temps d'attente aux urgences, des délais pour les actes programmés et retards pour l'envoi des comptes rendus ». De plus, « les tensions à l'intérieur des équipes se sont accrues » . Les personnels se plaignent d'une « dégradation des soins » , qui retentit sur « leur propre reconnaissance professionnelle » , et s'interrogent sur « la transparence de la politique conduite » . Selon le rapport, ils craignent que la RTT « instrumentalise la diminution des ressources médicales et non médicales en vue de réaliser des réorganisations régionales de l'offre de soins » .

Le rapport souligne également que la RTT aurait accentué les clivages entre les différents métiers et contribué à développer « un cloisonnement déjà fort entre les établissements » , menant à des « fermetures d'unités réalisées sans concertation et à une absence d'inscription dans une organisation régionale ».

De même, toutes les personnes interrogées par la mission nationale d'évaluation demandent instamment que « la difficulté de mise en oeuvre de la RTT à court terme soit prise en compte afin d'éviter un risque de destruction de l'hôpital ». Le rapport s'interroge sur la situation des personnels non médicaux qui ne peuvent pas prendre leurs jours de RTT en raison des contraintes de service et qui refusent d'ouvrir un compte épargne-temps (CET) de peur de ne jamais pouvoir l'utiliser. S'agissant des personnels médicaux, il semble que le CET et la possibilité de cumuler la totalité des jours de RTT en fin de carrière rencontrent l'adhésion des praticiens mais que l'application des 48 heures hebdomadaires, gardes incluses, et de la directive européenne sur le repos de sécurité « soulève une forte inquiétude » .

Face à ce constat, la mission préconise de ne pas remettre en cause le principe de la RTT à l'hôpital mais d'en « clarifier le contexte » en « développant une politique de gestion prévisionnelle des emplois » et en « accroissant la visibilité financière » des hôpitaux.

Concernant les « ajustements » à apporter à la RTT, les propositions avancées sont « des mesures portant sur le court terme et sont destinées à gérer une période transitoire qui ne doit pas aller au-delà de 2004 ».

Pour les médecins, il s'agit avant tout « d'appliquer la directive européenne » qui limite la durée du travail à 48 heures hebdomadaires « dès le 1 er janvier 2003 », afin de ne pas créer un climat de « défiance envers l'action du Gouvernement » et de rendre « inéluctable un décloisonnement des établissements ».

A court terme, elle recommande pour le personnel non médical de « reporter les jours RTT non pris en 2002 sur 2003 » et de débloquer « une allocation supplémentaire de crédits aux établissements en 2003 » pour leur permettre de « remplacer les agents en repos RTT soit par le paiement d'heures supplémentaires, soit par le recrutement de personnel de remplacement ».

La pénurie de personnel, qui rend impossible pour le moment le recrutement des effectifs nécessaires à la mise en place effective des 35 heures, résulte en partie d'une gestion à court terme des besoins en formation. Aussi, la mission recommande-t-elle une évaluation prospective des besoins en personnels médicaux, soignants et médico-techniques sur les « dix prochaines années », tous secteurs confondus (public, privé et associatif) qui « fera l'objet d'un livre blanc à la fin 2003 ». Cette étude devra s'accompagner d'une meilleure promotion des métiers (bourses d'étude, attractivité avec création de crèches) et de l'instauration de « mécanismes d'intéressement salariaux et tarifaires sur critères géographiques et de spécialité ».

La mission préconise aussi de « généraliser pour tous les établissements des contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens avant 2005 » pour remédier au « manque de visibilité » et « réduire les tensions budgétaires ».

Ce rapport a été transmis aux syndicats, qui seront reçus, ainsi que les conférences de directeurs et de présidents de CME (comité médical d'établissement) et les fédérations d'établissements publics et privés, les 21 et 22 novembre par M. Jean-François Mattei.

Ces réunions seront l'occasion d'envisager des mesures d'accompagnement pour la mise en place de la RTT ainsi que le calendrier et la méthode du plan Hôpital 2007, qui fera l'objet d'une communication au conseil des ministres le 20 novembre.

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