C. LE PARCOURS HÉSITANT DE L'AMBITION EUROPÉENNE DE DÉFENSE

Les six dernières années ont incontestablement été marquées, en matière de défense européenne, par des avancées auxquelles la France a contribué et qui confortent sa volonté clairement affirmée d'inscrire sa politique de défense dans un cadre européen susceptible de lui donner plus de poids et d'efficacité.

Tout en reconnaissant qu'un projet tel que l'Europe de la défense implique nécessairement un long et patient cheminement, on doit constater cependant que ses bases demeurent fragiles. Les espoirs nés de la déclaration franco-britannique de Saint-Malo et du Conseil européen d'Helsinki ont du être réévalués à la lumière des réalités. Les différences de perception entre les Etats-membres, l'incidence de leur situation intérieure, politique ou économique, ou encore les conflits entre engagement européen et solidarité atlantique sont autant d'éléments qui ont perturbé la marche en avant de ce projet.

Les moyens considérables engagés par les Etats-Unis en vue du renforcement de leur leadership politique, militaire et industriel font ressortir, par contraste, tous les obstacles qui entravent aujourd'hui encore l'affirmation d'une ambition européenne de défense , qu'il s'agisse de la définition des objectifs européens ou de la volonté et de la capacité à les mettre en oeuvre. Ces hésitations se retrouvent dans la difficulté à faire émerger une politique européenne de l'armement.

1. La construction de l'Europe de la défense : quels moyens au service de quels objectifs ?

a) Les ambiguïtés originelles de la politique européenne de sécurité et de défense demeurent dans un contexte de renforcement du poids des Etats-Unis

Dans son discours sur l'Europe, prononcé à Marseille le 2 décembre 2002, le ministre des Affaires étrangères interrogeait : « qui pourrait comprendre qu'une puissance de près de 500 millions d'habitants ne se donne pas les moyens de défendre une vision propre de sa sécurité ? ».

Pourtant, l'Europe de la défense , telle qu'elle est aujourd'hui formulée dans les traités, n'est pas la défense du territoire européen , laquelle relève au premier chef des Etats et, le cas échéant, de l'Alliance atlantique. Elle ne traduit pas davantage l'ambition d'une « Europe puissance » , dont la politique étrangère et de sécurité permettrait l'existence de l'Union, en tant que telle, sur la scène internationale, de façon proportionnée à son poids démographique et économique.

Onze des quinze membres 3( * ) de l'Union sont en effet liés par l'engagement de sécurité collective de l'OTAN, dix 4( * ) d'entre eux ayant par surcroît souscrit, dans le cadre de l'Union de l'Europe occidentale, un engagement de même nature mais beaucoup moins concret, compte tenu de l'absence de moyens militaires de cette organisation.

L'OTAN demeure ainsi, pour la plupart de nos partenaires européens, le cadre privilégié de la coopération en matière de défense . L'évidente prééminence qu'y exercent les Etats-Unis n'est guère ressentie comme une gêne car toutes les apparences d'un mode de fonctionnement intergouvernemental sont maintenues, avec le double avantage d'éviter que n'émerge le leadership d'un des Etats européens et de pouvoir en partie se décharger sur le plus puissant des alliés du poids de la construction et de l'entretien d'un outil militaire performant.

A travers la « relation spéciale » qu'il entretient avec les Etats-Unis, le Royaume Uni semble vouloir trouver un démultiplicateur de puissance lui permettant de continuer à exister sur la scène internationale. La déclaration de Saint-Malo ne constitue pas un retournement britannique, mais plutôt le constat d'une place pour l'Union européenne en complément de l'OTAN.

Une telle analyse est largement partagée en Europe, en particulier chez les Etats concernés par l'élargissement à venir de l'Union européenne.

En dépit de la prise en compte de la politique européenne de sécurité et de défense par l'Alliance atlantique, lors du sommet de Washington en 1999, au cours duquel fut admise la complémentarité entre la démarche européenne et l'engagement au sein de l'OTAN, une forme d'ambiguïté perdure et pèse sur l'implication concrète de tous les Etats-membres de l'Union européenne dans la mise en oeuvre des décisions arrêtées par cette dernière.

Si certains commentateurs, soulignant le relatif effacement de l'OTAN lors des opérations d'Afghanistan, croyaient pouvoir déceler l'amorce d'un déclin de l'Alliance, l'administration américaine a rapidement cherché à effacer cette impression de « marginalisation », lui trouvant des vocations nouvelles dans une politique de sécurité largement orientée vers des menaces qui, aujourd'hui, préoccupent davantage les Etats-Unis que l'Europe.

C'est le sens qu'il faut donner aux décisions adoptées, sous l'impulsion des Etats-Unis, lors du sommet de l'Alliance à Prague , en novembre dernier, qui visent à « transformer » l'OTAN en l'axant vers la lutte contre le terrorisme et les armes de destruction massive. La réorientation de l'initiative sur les capacités de défense (DCI) autour de quelques domaines clés et le projet de création d'une force de réaction rapide traduisent cette évolution. La question de sa compatibilité avec les ambitions de la PESD se pose dans la mesure où il n'est pas garanti que les deux démarches, qui peuvent a priori paraître complémentaires, n'entreront pas en concurrence dès lors que des arbitrages concrets devront être rendus par les pays européens sur les domaines devant faire l'objet d'un renforcement prioritaire.

b) Des avancées institutionnelles notables autour d'objectifs limités

Au terme de l'article 17 du Traité d'Amsterdam, « la politique étrangère et de sécurité commune inclut l'ensemble des questions relatives à la sécurité de l'Union, y compris la définition progressive d'une politique de défense commune, qui pourrait conduire à une défense commune, si le Conseil européen en décide ainsi ».

La défense européenne doit-elle assurer la sécurité du territoire, la stabilité du voisinage immédiat de l'Europe, ou encore donner à l'Union européenne les moyens de porter une conception spécifique de l'ordre international avec une vocation universelle ?

A défaut de réponse claire à cette question, la politique européenne de sécurité et de défense se construit ainsi par étapes, en éludant quelque peu la question de ses fins ultimes. Un consensus a pu se dégager sur le fait que l'Europe ne pouvait se désintéresser de la gestion des crises qui se produisent dans son voisinage immédiat et dont la résolution n'intéresserait pas au premier chef les Etats-Unis et par conséquent l'OTAN. C'est donc autour d'un objectif limité -les missions de Petersberg- qu'ont été opérées les avancées institutionnelles aboutissant à la création des organes de la PESD.

LES ÉTAPES DE LA CONSTRUCTION DE L'EUROPE DE LA DÉFENSE

Le Traité de Maastricht (1993), institue la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), deuxième pilier de l'Union européenne : la PESC inclut l'ensemble des « questions relatives à la sécurité de l'Union européenne, y compris la définition à terme d'une politique de défense commune, qui pourrait conduire, le moment venu, à une défense commune ». Il s'agit d'une démarche intergouvernementale qui nécessite un accord consensuel des Etats membres. L'Union de l'Europe occidentale se voit confier le rôle de « bras armé » de l'Union européenne.

Le traité d'Amsterdam (1997) prévoit la formule « d'abstention constructive » qui permet à un Etat membre de ne pas appliquer une décision sans bloquer l'engagement de l'Union. Le protocole n° 5 offre au Danemark une dérogation pour toutes les questions de défense.

Les missions dévolues à L'UEO sont reprises dans le traité qui crée en outre la fonction de Haut représentant.

Le sommet franco-britannique de Saint-Malo (décembre 1998) est clôturé par une déclaration sur la défense européenne qui annonce que l'Union européenne doit pouvoir disposer d'une capacité autonome d'évaluation, de décision et d'action, en prenant en compte les moyens de l'UEO et de l'OTAN.

Le sommet de l'alliance atlantique de Washington (avril 1999), tire les conséquences de l'engagement franco-britannique en organisant l'articulation entre OTAN et Union européenne. Les arrangements dits de « Berlin + » prévoient l'accès de l'Union européenne aux capacités de planification militaire et aux moyens communs de l'Alliance atlantique, déjà ouvert au bénéfice de l'UEO lors de la réunion ministérielle de Berlin en 1996.

La crise du Kosovo ayant mis en évidence des lacunes dans les équipements de Européens, le conseil européen de Cologne (juin 1999) s'engage à améliorer les capacités militaires existantes. Le domaine d'action de l'Union européenne est limité aux missions de Petersberg (intervention humanitaire, évacuation de ressortissants, maintien de la paix, rétablissement de la paix).

Les conclusions du Conseil européen d'Helsinki (décembre 1999) fixent des objectifs précis.

Un objectif global ( headline goal ) prévoit, à l'échéance de 2003, la capacité de projeter dans un délai de 60 jours et pour au moins un an 50 à 60 000 hommes dans le cadre d'opérations dirigées par l'Union européenne pour effectuer l'ensemble des opérations de Petersberg.

Un objectif de recensement rapide des capacités collectives est fixé.

L'architecture des organes politiques et militaires nécessaires à la décision et à la conduite d'opérations est arrêtée. Les procédures de coopération, notamment avec l'OTAN, doivent être définies tandis que le périmètre d'action autonome de l'Union européenne par rapport à l'Alliance est précisé : « là où l'Alliance en tant que telle n'est pas engagée ».

Lors du conseil européen de Feira (juin 2000) les structures décidées à Helsinki sont mises en place à titre intérimaire. Les aspects civils de gestion des crises font l'objet d'un plan d'action dans quatre domaines prioritaires (police, renforcement de l'état de droit et de l'administration civile, protection civile). Un objectif en matière de capacité de police est fixé.

Les structures permanentes de la chaîne politico-militaire de l'UE sont créées par le conseil européen de Nice (décembre 2000) : le comité politique et de sécurité, le comité militaire et l'état-major de l'UE. Le conseil européen officialise les résultats de la Conférence d'engagement des capacités militaires et les documents qui en sont issus : le « catalogue » des capacités (HFC ou Helsinki Force Catalogue ) qui recense les contributions des Etats membres et le « catalogue » des besoins (HHC ou Helsinki headline Goal catalogue ) qui identifie les capacités que l'Union doit acquérir pour mener à bien l'ensemble des missions de Petersberg.

Les propositions relatives aux arrangements permanents avec l'OTAN et avec les pays tiers sont formalisées.

Un troisième catalogue, catalogue de progrès (HPC ou Headline goal progress catalogue ), est défini lors du Conseil européen de Göteborg (juin 2001) qui identifie 54 domaines capacitaires déficitaires.

Conformément aux engagements pris à Nice et à Göteborg, la PESD est déclarée opérationnelle par le conseil européen de Laeken (décembre 2001), c'est à dire capable de gérer une crise.

Le conseil européen de Séville (juin 2002) prend acte de la capacité opérationnelle en décidant le lancement d'une mission de police de l'Union européenne en Bosnie-Herzégovine en janvier 2003.

La création institutionnelle la plus importante est certainement le poste de haut représentant pour la PESC, combiné avec celui de secrétaire général du Conseil. Le Haut représentant est soutenu par l'UPPAR ou unité politique dont l'objectif est de fournir une analyse et une aide à la décision autonome dans l'appréciation de la situation internationale.

Sur la base des procédures et des institutions en place , la PESC a été déclarée opérationnelle mais en l'absence d'objectifs clairs et d'impulsion politique, elles offrent plutôt l'apparence de « coquilles vides ».

LES INSTITUTIONS DE L'EUROPE DE LA DÉFENSE

Le Comité politique et de sécurité (COPS), créé en janvier 2001, est le pivot de la politique étrangère et de sécurité commune. Il est composé de fonctionnaires nationaux ayant rang d'ambassadeur, ainsi qu'un représentant de la Commission. Il est chargé de surveiller la situation internationale, d'émettre des avis et de présenter des propositions au Conseil ainsi que de surveiller la mise en oeuvre des politiques. Sous la responsabilité du Conseil, il exerce le contrôle politique et la direction stratégique des opérations de gestion de crise. Il assure la coordination des instruments civils et militaires. Il est également un forum de dialogue sur la PESD avec d'autres partenaires européens ou de l'OTAN.

Le Comité militaire de l'Union européenne (CMUE) est composé des chefs d'états-majors des armées ou de leurs représentants permanents, il est chargé, sous la conduite du président permanent nommé par le Conseil, de donner des avis militaires et des recommandations au COPS et de diriger les travaux de l'état-major.

L'état-major de l'Union européenne (EMUE) est composé de 135 militaires des quinze Etats membres, il effectue, sous la direction du CMUE, la conduite stratégique des opérations militaires (alerte rapide, analyse de situations, planification stratégique, identification des forces engagées...) et des exercices.

c) Des capacités encore insuffisantes

. Le déficit capacitaire européen

Pleinement révélées lors des opérations dans les Balkans, notamment le conflit du Kosovo, les lacunes dans l'équipement militaire européen sont multiples et elles ont eu tendance à s'aggraver du fait de l'érosion des budgets de défense.

On rappellera ici simplement que d'après les statistiques de l'OTAN, outre la Grèce, seuls deux autres pays de l'Union européenne consacraient à leur défense plus de 2% de leur PIB en 2001, le Royaume-Uni (2,28%) et la Suède (2,1%). Les dépenses de défense de la France s'établissaient à 1,71% et se limitaient à 1,47% du PIB aux Pays-Bas, 1,36% au Danemark, 1,3% en Espagne, 1,12% en Allemagne et 1,01% en Italie.

Cette insuffisance de l'effort de défense européen est souvent mis en rapport avec celui des Etats-Unis. Les ordres de grandeur , qui sont suffisamment révélateurs, sont les suivants :

- les pays de l'Union européenne consacrent à leur défense des ressources totales inférieures à la moitié du budget de défense américain , et le budget de défense américain dépasse à lui seul celui des neuf autres puissances suivantes,

- les dépenses de défense par habitant sont trois fois plus élevées aux Etats-Unis qu'au sein de l'Union européenne ,

- les dépenses de défense rapportées aux effectifs militaires sont 2,5 fois plus élevées aux Etats-Unis qu'au sein de l'Union européenne , seul le Royaume-Uni s'approchant du niveau américain,

- si le rapport entre l'Europe et les Etats-Unis est de 1 à 2 pour l'ensemble du budget et pour les dépenses d'acquisitions, il est plutôt de 1 à 4 en matière de recherche et développement .

L'augmentation spectaculaire du budget de défense programmée par l'administration américaine actuelle (passage de 300 à 450 milliards de dollars entre 2001 et 2007, soit 50% d'augmentation en 6 ans) va bien entendu accroître cet écart déjà considérable.

Dans ce contexte, et à la suite de l'état des lieux dressé lors de la conférence d'engagement des capacités tenue à Bruxelles en novembre 2000, la mise en oeuvre du processus de comblement des lacunes prend toute son importance.

En novembre 2001, la conférence d'amélioration des capacités militaires a défini, dans la perspective de la réalisation du catalogue des forces d'Helsinki, un plan d'action européen sur les capacités (ECAP European capability action plan ) permettant d'identifier et de mobiliser toutes les initiatives, nationales et multinationales, qualitatives et quantitatives, susceptibles de combler les 45 lacunes résiduelles demeurant au HPC (dont 21 sont considérées comme dimensionnantes). Des groupes de travail ont été chargés de réfléchir aux problématiques d'acquisition et de financement des capacités déficitaires.

Parmi les lacunes qualifiées de critiques figurent : le système de commandement, de contrôle et de communication, le renseignement stratégique et la surveillance et protection des troupes engagées, le transport stratégique et la capacité d'engagement effectif.

La France s'est engagée à couvrir environ 20 % des besoins identifiés de façon à pouvoir remplir le rôle de nation-cadre. Le projet de loi de programmation militaire permet de traiter les lacunes suivantes : drones de surveillance, missiles de croisière et armements de précisions, ravitaillement en vol, transport stratégique, aviation embarquée, hélicoptères d'assaut et de manoeuvre, systèmes d'information et de commandement, renseignement et transmission satellitaires, drones tactiques, défense aérienne de théâtre, opérations spéciales et transport stratégique maritime.

. La reprise d'opérations dans les Balkans : première manifestation concrète de la PESD

Le blocage persistant sur la mise en oeuvre des arrangements dits « Berlin plus » permettant l'accès de l'Union européenne aux moyens de planification opérationnelle de l'OTAN, lié à un différend gréco-turc, a longtemps entravé la reprise par l'Union européenne de l'opération « Amber fox » conduite par l'OTAN en Macédoine.

La levée des réserves de la Turquie a permis de déboucher sur un accord lors du sommet de Copenhague, le 12 décembre 2002, qui ouvre la voie à des actions opérationnelles menées par l'Union européenne.

Les arrangements « Berlin plus » ne seront applicables qu'avec les membres de l'Union européenne élargie qui sont en même temps membres de l'OTAN ou parties au « partenariat pour la paix » et qui ont, à ce dernier titre, conclus des accords bilatéraux avec l'Alliance. Chypre et Malte ne participeront donc pas aux opérations militaires de l'Union européenne menées avec l'assistance des moyens de l'OTAN, ce qui n'exclut pas leur participation à l'ensemble des autres processus de l'Europe de la défense. La mise en place effective des arrangements concernant chacun des éléments de « Berlin plus » devrait intervenir au 1 er mars 2003, ce qui aura pour effet de rendre la force de réaction rapide de l'Union européenne opérationnelle à la mi-2003.

Le Haut représentant a par ailleurs indiqué que la relève de l'opération en Macédoine, rebaptisée « Harmonie alliée » à l'occasion de sa diminution de format à 450 personnes, pourrait être effective fin février. L'Union européenne et l'OTAN analysent les possibilités d'une reprise par l'Union de la mission de la SFOR menée par l'OTAN en Bosnie-Herzégovine en sus de la reprise, prévue en janvier 2003, de l'opération de police.

Les missions définies, les procédures et les institutions en place, il reste à l'Union européenne à faire la démonstration de l'effectivité de ses capacités opérationnelles, ce dont l'opération en Macédoine, de relativement faible ampleur, offre une première opportunité. L'occasion est importante et peut permettre de faire avancer le processus de façon déterminante pour conférer à la politique de défense européenne ce qui lui fait le plus défaut : la volonté politique.

d) Les perspectives : la défense européenne dans le débat sur l'avenir de l'Europe

Présentées le 20 décembre 2002 à la Convention sur l'avenir de l'Europe, les conclusions du groupe de travail sur la défense ont fait émerger certains points de consensus qui pourraient déboucher sur des avancées nouvelles lors de la Conférence intergouvernementale de 2004.

Elles mettent tout d'abord en avant une conception élargie de la politique européenne de sécurité et de défense, ensemble des « instruments nécessaires à l'Union européenne pour défendre ses objectifs et ses valeurs ».

Le groupe de travail recommande la modernisation des missions de Petersberg , sans aller toutefois jusqu'à permettre une intervention au sein même de l'Europe qui, avec les élargissements successifs, va s'ouvrir à des zones plus pauvres et plus instables.

Il préconise une accélération des procédures qui passerait par la dévolution au Haut représentant d'un droit d'initiative en matière de gestion de crise et de la responsabilité de la coordination en prévoyant un accès rapide au financement.

Une approche plus flexible de l'Europe de la défense peut être envisagée avec une organisation en différents périmètres, comme c'est le cas pour l'Europe sociale, la monnaie unique ou l'espace Schengen. Le groupe de travail préconise à cet égard la création d'une « Euro-zone de la défense » où la règle de l'unanimité ne prévaudrait pas systématiquement à toutes les étapes d'une opération et au sein de laquelle pourraient s'exercer des coopérations renforcées.

Une clause de sécurité collective, proposée par la contribution franco-allemande à la Convention ne figure pas en l'état dans les propositions du groupe de travail mais une clause de « solidarité » est proposée face à des menaces non-étatiques.

Enfin, le groupe de travail reprend la proposition de création, sur une base intergouvernementale, d'une agence européenne d'armement et de recherche stratégique par laquelle l'Union européenne reprendrait les éléments appropriés de la coopération développée au sein du GAEO (groupe armement de l'Europe occidentale).

2. La coopération européenne en matière d'armement : des résultats encore décevants

Le renforcement de la coopération européenne en matière d'armement constitue un objectif majeur de notre politique de défense et répond à une double nécessité : assurer le développement puis la fabrication d'équipements dont le coût ne pourrait être supporté par les seuls budgets nationaux et offrir des débouchés à nos industries de défense, confrontées à l'étroitesse des marchés nationaux. Il est par ailleurs évident qu'une coopération accrue sur les programmes d'armement constitue un atout pour le développement de la politique européenne de sécurité et de défense.

La loi de programmation 1997-2002 réservait une part importante aux programmes d'équipement conduits en coopération, mais les résultats ont été plutôt décevants , affectés par des différés de commandes, voire le retrait de certains partenaires et, en tout état de cause, des surcoûts tout à fait contraires à l'objectif recherché.

Parmi les échecs ou les difficultés rencontrées sur les programmes en coopération , on peut citer : l'échec de la coopération franco-allemande sur les programmes satellitaires d'observation (Horus et Hélios II), l'abandon du projet de satellite de télécommunications commun à la France, à l'Allemagne et au Royaume-Uni (projet Trimilsatcom), en dépit de besoins opérationnels convergents, le retrait britannique du programme de frégates Horizon à un stade très avancé du programme ou encore l'absence de coopération sur les futurs véhicules blindés de combat d'infanterie. Enfin, bien que les programmes aient été finalement sauvegardés, on ne peut qu'être inquiets, compte tenu des enjeux en cause, des aléas qui ont pesé jusqu'à ces dernières semaines sur l'avion de transport A 400 M et le missile air-air Meteor, en raison du contexte politique et financier allemand.

Ces exemples démontrent la difficulté des européens à réduire leurs divergences résultant naturellement des contraintes budgétaires nationales, des considérations industrielles, des différences dans l'appréciation des besoins opérationnels ou dans les calendriers de renouvellement des équipements.

Dans ce contexte, la création en 1996 par l'Allemagne, l'Italie, le Royaume-Uni et la France de l' Organisme conjoint de coopération en matière d'armement (OCCAR) est apparue comme un progrès important.

Face à l'absence de résultats concrets du GAEO, créé dans le cadre de l'UEO, et à la perspective encore lointaine de la création d'une agence européenne de l'armement prévue par le traité de Maastricht, l'OCCAR présente un double intérêt : d'une part elle regroupe les quatre principaux pays européens en matière de défense et d'autre part, elle entend innover totalement par rapport aux pratiques traditionnelles de la coopération en appliquant les règles et les procédures inspirées des meilleures pratiques en vigueur au sein de ses membres (mise en concurrence systématique dans tous les pays européens, abandon du juste retour industriel programme par programme).

L'OCCAR possède depuis 2001 la personnalité juridique lui permettant de mettre en oeuvre ses principes d'acquisition, mais elle n'a toujours pas eu l'occasion de les concrétiser, faute de se voir confier des programmes nouveaux. En effet, l'OCCAR n'est aujourd'hui gestionnaire que de six programmes 5( * ) , principalement franco-allemands, qui lui ont été confiés alors que leur développement était déjà très avancé. Le programme d'avion de transport A 400 M, qui doit désormais aboutir au printemps 2003, doit être confié à l'OCCAR. Il s'agira de la première occasion de vérifier si cet organisme apporte les gains d'efficacité qui en sont attendus et s'il peut en résulter une dynamique nouvelle pour la coopération européenne en matière d'armement, alors que les Pays-Bas, l'Espagne, la Belgique ont sollicité leur adhésion à l'organisme et que la Suède se montre intéressée.

Seule tentative réelle d'intégration européenne dans le domaine de l'armement, dotée en théorie d'une large capacité de contractualisation, l'OCCAR n'a pas encore pu donner la mesure de sa capacité à atteindre les objectifs ambitieux qui lui ont été fixés, comme l'établissement de spécifications conjointes pour le développement et l'acquisition d'équipements définis en commun et la coordination des investissements et de l'utilisation des centres d'essais.

Parallèlement, dans le prolongement de la lettre d'intention (LoI, letter of intent ) sur l'accompagnement des restructurations industrielles dans le domaine de la défense signée en 1998 par six pays européens (Allemagne, Espagne, France, Royaume-Uni, Italie, Suède), un traité a été signé en juillet 2000 pour mettre en place un environnement favorable à l'édification d'une industrie européenne plus compétitive et d'un marché européen plus intégré. Si certains domaines retenus portent sur des points techniques (sécurité des approvisionnements, sécurité de l'information), d'autres présentent un caractère politique plus fort, notamment la coordination des procédures d'exportation , l' harmonisation des besoins opérationnels et la coopération en matière de recherche et technologie . Dans ces trois points clés réside la réalisation d'un indispensable changement d'échelle dans la coopération européenne en matière d'armement, mais pour l'heure, les objectifs définis dans la LoI en la matière n'ont donné lieu à aucune avancée concrète.

Ainsi, l'émergence d'une politique européenne d'armement peine aujourd'hui à s'affirmer.

Le ralliement de quatre pays européens , le Royaume-uni, l'Italie, le Danemark et les Pays-Bas, au projet d'avion de combat américain F 35 ( JSF - Joint strike fighter ) en a fourni l'illustration la plus frappante. Ces pays participent de manière très substantielle, et sans garantie assurée de retour industriel au coût de développement de cet avion prévu pour un horizon lointain (2015), venant directement concurrencer les appareils produits par l'industrie aéronautique européenne et compromettant sa capacité à mettre au point une future génération d'avions de combat.

C'est aux Etats-Unis qu'il revient d'avoir su fédérer plusieurs pays européens et d'être parvenus à leur faire surmonter toutes les réticences que pouvaient légitimement susciter le coût du programme, son horizon incertain et son adéquation hypothétique au besoin opérationnel des armées concernées.

Il s'agit là d'un signal très inquiétant pour l'avenir de la politique européenne de l'armement.

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