ANNEXE
-
AVIS DU CONSEIL D'ÉTAT
-


AVIS DU CONSEIL D'ÉTAT N° 368-282
DU 26 SEPTEMBRE 2002

AVIS

Le Conseil d'Etat, saisi par le Premier ministre d'une demande d'avis sur la question de savoir si la transposition en droit français, par la voie législative, de la décision-cadre du Conseil de l'Union européenne du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre Etats membres est de nature à se heurter à des obstacles tirés de règles ou de principes de valeur constitutionnelle, notamment en ce que ladite décision-cadre exclut que l'Etat d'exécution du mandat d'arrêt européen puisse se fonder sur le motif tiré du caractère politique de l'infraction pour refuser la remise à l'Etat d'émission de la personne recherchée ;

Vu la Constitution ;

Vu le traité sur l'Union européenne, notamment ses articles 6, 31 et 34 ;

Vu la décision-cadre du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre Etats membres ;

EST D'AVIS de répondre dans le sens des observations qui suivent :

I. - La décision-cadre du 13 juin 2002 a pour objet de simplifier et d'accélérer les poursuites et de faciliter l'exécution des condamnations pénales à l'encontre d'une personne se trouvant sur le territoire d'un autre Etat de l'Union européenne. Elle prévoit de substituer à la procédure d'extradition, qui implique, en droit français, une décision du pouvoir exécutif, une procédure entièrement judiciaire, le rôle du pouvoir exécutif se limitant à « un appui pratique et administratif ». Elle remplacera, à compter du 1 er janvier 2004, les dispositions correspondantes de plusieurs conventions européennes en matière d'extradition.

A. La décision-cadre prévoit qu'un mandat d'arrêt européen peut être émis pour des faits punis par la loi de l'Etat membre d'émission d'une peine ou d'une mesure de sûreté privatives de liberté devant être interprétée comme « d'au moins douze mois » ou, lorsqu'une condamnation à une peine est intervenue ou qu'une mesure de sûreté a été infligée, pour des condamnations prononcées d'une durée d'au moins quatre mois.

B. Le mandat d'arrêt doit donner lieu à remise, sans contrôle de la double incrimination, dans le cas de l'une des trente-deux catégories d'infractions limitativement énumérées, qui tantôt correspondent, en l'état actuel du droit pénal français, à des infractions existantes, telles que, par exemple, la participation à une organisation criminelle, le viol ou l'escroquerie, tantôt correspondent à des infractions pour lesquelles des travaux d'harmonisation entre les législations des Etats membres sont en cours, telles que la cybercriminalité.

C. La décision-cadre énumère les motifs pour lesquels l'exécution du mandat d'arrêt européen doit ou peut, selon le cas, être refusée. Des dispositions particulières sont prévues, notamment lorsque le mandat vise une personne condamnée par défaut ou purgeant déjà une peine de prison ou faisant l'objet de plusieurs demandes concurrentes de remise et en ce qui concerne les délais et modalités d'exécution du mandat d'arrêt européen.

II. - Il résulte de l'article 3 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, des quatorzième et quinzième alinéas du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et des articles 3, 53 et 88-1 de la Constitution que le respect de la souveraineté nationale ne fait pas obstacle à ce que, sur le fondement des dispositions susmentionnées du Préambule de la Constitution de 1946, puisse être transposée en droit interne par voie législative une décision-cadre, prise sur le fondement de l'article 34 du traité sur l'Union européenne, qui a pour conséquence de substituer « aux relations de coopération classique... entre Etats membres... un système de libre circulation des décisions judiciaires en matière pénale... ».

Toutefois, une telle décision-cadre ne saurait, si elle comporte des dispositions contraires à la Constitution ou à des principes de valeur constitutionnelle, mettant en cause les droits et libertés constitutionnellement garantis ou portant atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale, être transposée dans l'ordre interne qu'après modification de la Constitution.

III. - A cet égard, il apparaît que si la transposition de la décision-cadre du 13 juin 2002 ne paraît pas se heurter à des obstacles d'ordre constitutionnel sur plusieurs points susceptibles a priori de susciter des interrogations, il en va différemment en ce qui concerne la prohibition de l'extradition à raison d'une infraction de nature politique.

A. Sur de nombreux points, la décision-cadre, bien qu'elle comporte des innovations sensibles par rapport à l'état du droit, ne paraît pas contrevenir à des principes ou à des règles constitutionnelles.

I. En ce qui concerne la nationalité de la personne réclamée :

La décision-cadre exclut le droit de refuser sans conditions la remise, à l'Etat d'émission du mandat d'arrêt d'une personne au motif qu'elle aurait la nationalité de l'Etat d'exécution.

Néanmoins, ainsi que le Conseil d'Etat l'a relevé dans ses avis des 24 novembre 1994 et 4 juillet 1996, la pratique ancienne suivie par les autorités françaises de refuser dans tous les cas l'extradition de leurs nationaux ne trouve pas de fondement dans un principe de valeur constitutionnelle. Aucun des droits et libertés de l'individu, tels qu'ils ont été proclamés par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et par le Préambule de la Constitution, n'implique que les nationaux ne puissent être exradés.

2. En ce qui concerne la règle de la double incrimination :

a) Les infractions susceptibles de justifier la mise en oeuvre de la nouvelle procédure sont énumérées sous la forme de trente-deux catégories qui, pour certaines d'entre elles, sont formulées en termes très généraux de telle façon qu'à s'en tenir aux critères utilisés habituellement en droit extraditionnel, la décision-cadre ne satisfait pas à la règle dite de la double incrimination.

Si cette règle est appliquée couramment dans le droit de l'extradition en fonction de l'idée que l'Etat requérant doit justifier de la pertinence de sa demande et que l'Etat requis n'apporte son aide que parce que la répression d'infractions qui sont également punissables en vertu de sa législation concourt à la réalisation d'un intérêt commun aux deux Etats, ladite règle ne peut cependant être regardée comme l'expression d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République au sens où l'a entendu le Préambule de la Constitution de 1946.

En revanche, répond à des exigences d'ordre constitutionnel la nécessité pour l'Etat d'émission d'apporter la preuve que l'infraction pour laquelle un mandat d'arrêt est établi est punissable en vertu de sa loi nationale afin que puisse être démontré, au regard de l'article 66 de la Constitution de 1958, que la restriction individuelle impliquée par la mise en oeuvre du mandat d'arrêt ne revêt pas un caractère arbitraire.

Or la décision-cadre est conforme à cette dernière exigence en ce qu'elle permet à l'Etat d'exécution du mandat de s'assurer que l'infraction visée par l'Etat d'émission, non seulement figure dans l'une des catégories d'infractions susmentionnées, mais également se trouve punissable en vertu de la législation de cet Etat d'une peine ou d'une mesure de sûreté privatives de liberté respectant les seuils de gravité requis.

b) En outre, il résulte des dispositions du paragraphe 3 de l'article 2 de la décision-cadre que la liste limitative des catégories d'infractions pour lesquelles l'exigence de la double-incrimination et du contrôle de celles-ci est supprimée ne pourra faire l'objet d'une extension que par une décision du Conseil de l'Union statuant à l'unanimité. Dès lors, et ne tout état de cause, il n'est pas porté atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.

3. En ce qui concerne l'amnistie :

La décision-cadre prévoit en son article 3 le refus d'exécution du mandat d'arrêt européen par l'autorité judiciaire de l'Etat membre d'exécution... « 1) si l'infraction qui est à la base de mandat d'arrêt est couverte par l'amnistie dans l'Etat membre d'exécution lorsque celui-ci avait compétence pour poursuivre cette infraction selon sa propre loi pénale ».

Il suit de là que se trouve respectée la volonté du Parlement de la République lors de l'adoption d'une loi d'amnistie et qu'ainsi aucune atteinte ne se trouve portée aux « conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale ».

4. En ce qui concerne la prescription :

La décision-cadre énonce, dans son article 4, que « l'autorité judiciaire d'exécution peut refuser d'exécuter le mandat d'arrêt européen : « 4) lorsqu'il y a prescription de l'action pénale ou de la peine selon la législation de l'Etat membre d'exécution et que les faits relèvent de la compétence de cet Etat membre selon sa propre loi pénale ».

De telles dispositions sont à même d'assurer le respect des « conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale ».

5. En ce qui concerne le droit d'asile :

Le droit d'asile garanti par la Constitution a pour corollaire de faire obstacle à ce que le bénéficiaire de ce droit puisse être remis à un Etat où il pourrait craindre avec raison d'être persécuté du fait notamment de ses opinions politiques.

A supposer même qu'une telle éventualité puisse se présenter dans les relations entre Etats membres de l'Union européenne, la décision-cadre satisfait aux exigences constitutionnelles en matière d'asile dans la mesure où son article 1er paragraphe 3, énonce qu'elle « ne saurait avoir pour effet de modifier l'obligation de respecter les droits fondamentaux et les principes juridiques fondamentaux tels qu'ils sont consacrés par l'article 6 du traité de l'Union européenne ». Ces dispositions suffisent à garantir le respect du droit d'asile, alors surtout que le considérant 12 de la décision-cadre énonce que « rien dans la présente décision-cadre ne peut être interprété comme une interdiction de refuser la remise d'une personne qui fait l'objet d'un mandat d'arrêt européen s'il y a des raisons de croire, sur la base d'éléments objectifs, que ledit mandat a été émis dans le but de poursuivre ou de punir une personne en raison de son sexe, de sa race, de sa religion, de son origine ethnique, de sa nationalité, de la langue, de ses opinions politiques... ou qu'il peut être porté atteinte à la situation de cette personne pour l'une de ces raisons ».

6. En ce qui concerne le but politique d'une demande de remise :

Le principe selon lequel l'Etat doit refuser l'extradition lorsqu'elle est demandée dans un but politique constitue également un principe fondamental reconnu par les lois de la République.

Il résulte clairement des dispositions précitées de l'article 1er de la décision-cadre et du considérant 12) qui reprend en substance les stipulations de l'article 3, point 2 de la Convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957 que l'Etat d'exécution a le droit de refuser la remise d'une personne s'il a des raisons de croire que la demande de remise a été émise dans un but politique. Par conséquent, il incombera à la loi de transposition de prévoir, comme dans le cas précédent, que l'autorité judiciaire française devra refuser la remise d'une personne si la demande est présentée dans un but politique.

B. En revanche, la décision-cadre ne paraît pas assurer le respect du principe rappelé par le Conseil d'Etat dans son avis du 9 novembre 1995 « selon lequel l'Etat doit se réserver le droit de refuser l'extradition pour les infractions qu'il considère comme des infractions à caractère politique », qu constitue un principe fondamental reconnu par les lois de la République, ayant à ce titre valeur constitutionnelle en vertu du Préambule de la Constitution de 1946.

En effet, ses articles 3 et 4, qui dressent des listes précises de motifs de non-exécution obligatoire ou facultative du mandat d'arrêt européen, ne comprennent pas la nature politique des infractions.

Sans doute résulte-t-il des dispositions de l'article 1er, paragraphe 3 de la décision-cadre, rapprochées des stipulations de l'article 6 du traité sur l'Union européenne, que la décision-cadre ne peut être regardée comme affectant les droits fondamentaux « tels qu'ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales... et tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux Etats membres, en tant que principes généraux du droit communautaire ».

A ce titre, il y a lieu de relever qu'en dehors du cas de la France, la prohibition de l'extradition pour délits politiques est prévue par la Constitution italienne et par la Constitution espagnole, que d'autres Etats membres comme l'Allemagne, le Portugal, la Grèce ou la Finlande reconnaissent le droit d'asile ou prohibent l'extradition lorsque l'impartialité de la répression n'est pas assurée dans l'Etat requérant et qu'enfin, la prohibition de l'extradition pour une infraction politique est stipulée par la Convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957.

Toutefois, ces différents éléments ne permettent pas, en l'absence de jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes sur ce point, d'inférer qu'il existerait en la matière un principe général de l'ordre juridique communautaire ayant la même force juridique que le traité sur l'Union européenne et s'imposant par là même comme une règle d'interprétation de la décision-cadre dans un sens garantissant le respect du principe constitutionnel mentionné ci-dessus.

IV. - Il résulte de ce qui précède que la transposition en droit français de la décision-cadre du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre Etats membres nécessite, au préalable, une modification de la Constitution.

Cet avis a été délibéré et adopté par le Conseil d'Etat dans sa séance du jeudi 26 septembre 2002.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page