I. AUDITION DE M. JEAN-FRANÇOIS MATTEI, MINISTRE DE LA SANTÉ, DE LA FAMILLE ET DES PERSONNES HANDICAPÉES SUR LE PROJET DE LOI RELATIF À LA BIOÉTHIQUE (JEUDI 12 DÉCEMBRE 2002)

M. Nicolas ABOUT, président - Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir ce matin M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, à propos du délicat dossier de la bioéthique.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous faire part de vos réflexions sur ce projet de loi ? Vous avez la parole.

M. Jean-François MATTEI, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénateurs, je suis très heureux de la poursuite de l'oeuvre du législateur de 1994, tant il est vrai que nous n'en aurons probablement jamais fini de redéfinir le cadre juridique des sciences du vivant. Les sciences avançant au rythme que l'on sait, il est clair que nous sommes sans arrêt confrontés à de nouvelles questions.

Je voudrais diviser ma présentation en deux parties.

J'aimerais, dans un premier temps, vous faire part de quelques réflexions puis, dans un second temps, aborder les différents sujets qui constituent le corps du texte lui-même.

Je ferai dans un premier temps trois séries de réflexions.

Tout d'abord, les lois de 1994 ont été votées dans un contexte qu'il faut bien garder à l'esprit. Nous avons légiféré -certains s'en souviennent- habités par le doute, les mains tremblantes. A l'époque, la question qui était la suivante : « Légiférer est-il légitime ?» était sous-jacente à toutes les interrogations.

Le Comité d'éthique a été créé en 1983 ; le rapport de M. Braibant est venu en 1988 ; d'autres rapports ont suivi, qui montraient bien les hésitations, partagées d'ailleurs par les juristes, dont certains m'avaient dit à l'époque : « Laissez-nous faire ; la jurisprudence se dessinera peu à peu, avec le temps ».

« Est-il légitime », demandaient-ils, « de légiférer dans le domaine de la médecine de la reproduction ? Faire des enfants peut-il relever de la loi ? Faut-il légiférer à propos de la transplantation d'organe ? Ce n'est pas du commerce ! ».

Ils disaient encore : « Dans ce domaine de la génétique, qui représente le plus profond de l'intimité des êtres humains, que vient faire le législateur ? ».

Il y avait, à côté de ce doute des législateurs et des juristes, une sorte de méfiance des professionnels, à la fois des médecins et des scientifiques, les médecins se disant : « On va peut-être rencontrer des difficultés pour exercer et appliquer ce qui, pour nous, correspond à des progrès techniques », et les chercheurs craignant que l'on ne vienne délimiter par trop le champ de leurs recherches.

Un certain scepticisme général de la société conduisait par ailleurs les gens à craindre que l'on installe une morale commune qui, pour les uns, serait trop laxiste et, pour les autres, trop contraignante. Autrement dit, le doute et la perplexité prévalaient.

Or, aujourd'hui, il faut reconnaître que ces lois ont fait leurs preuves.

Les doutes, peu à peu, se sont taris. On a assisté à une pacification du débat. On n'a plus du tout les affrontements que l'on avait à l'époque, enflammés parfois.

On a assisté à une moralisation des pratiques. On a découvert le rôle capital que devait jouer le corps social en tant que partie prenante de l'évolution de la société.

Ce qui est assez significatif du succès de ces lois c'est que, la révision s'annonçant, les médecins comme les chercheurs sont demandeurs de précisions et réclament que l'on définisse mieux leur champ d'activités.

De fait, il faut bien reconnaître que ces lois de bioéthique ont en quelque sorte donné l'onction du droit à ces pratiques.

Elles ont par ailleurs accompagné l'acceptabilité sociale et, par ailleurs -ce qui n'est pas le moindre de leur succès- ont contribué à assumer une fonction éducative et à élever le niveau du débat en France.

Il y a quinze ans, quand on commençait à discuter de la bioéthique, les débats étaient véritablement dans les profondeurs de l'ignorance.

Or, aujourd'hui, grâce aux médias, grâce au débat, il est vrai que, d'une façon générale, la connaissance de ces progrès s'est élevée et que les gens y participent davantage, ce qui conduit d'ailleurs, parallèlement à la recherche elle-même, les gens remontant le fil de leurs interrogations, à en venir au coeur même du dispositif, à savoir l'embryon humain, le clonage, les frontières entre les fondements biologiques et sociaux du comportement humain.

Pourquoi le doute existait-il et pourquoi connaît-on aujourd'hui le succès?

Je vois deux raisons pour expliquer le succès de ces lois.

D'abord, elles ont fait selon moi émerger la conscience aiguë du fait que les sciences biomédicales nécessitent des limites.

On voit bien que toutes ces techniques nouvelles s'adressent à la personne et conduisent donc à mettre en cause la notion de personne, de corps, de respect, de don, de commerce, de contrat et, tout simplement, pose des questions de repères au-delà même de la biologie puisque, avec la possibilité éventuelle de transférer les embryons longtemps après la mort du père, c'est du temps dont on s'affranchit !

Autrement dit, il faut bien voir que le succès est dû au fait que la conscience est venue de ces problèmes. C'est d'ailleurs ce que j'appelle l'émergence de la conscience éthique dans notre société.

Le second facteur de ce succès réside dans la manière dont le législateur a conçu son rôle en matière de sciences du vivant.

Souvenez-vous : entre éthique de conviction et éthique de responsabilité, nous avons cherché les déséquilibres les moins mauvais.

En définitive, le législateur a choisi de ne prendre comme repère ni la morale, ni la philosophie, mais le droit, et cette juste conception de sa fonction est particulièrement manifeste dans la manière dont il parle de l'embryon humain.

Il a édicté un régime fondé sur le principe du respect dû à l'embryon et sur la définition des atteintes qui pouvaient lui être portées, mais il a renoncé à définir l'embryon.

Se faisant, le législateur s'est tenu à l'écart des querelles biologiques et philosophiques, car si l'on s'en tenait aux données biologiques, celles-ci nous montrent bien que l'embryon est humain dès le début, qu'il est un individu, c'est-à-dire un être organisé doué d'une unicité. Certains tâchent de trouver d'ailleurs un moment qui marquerait l'apparition de l'humain dans cet être-là.

Mais au plan philosophique, qui tend la biologie, on sait bien que la question ontologique du début de la personne fait l'objet de controverses, et il paraît donc impossible de résoudre par le seul droit la question de savoir si l'embryon est une personne !

Si nous ne pouvons pas trancher la question de la nature de l'embryon, en revanche, sur le plan pratique, nous pouvons et même devons définir quel doit être notre conduite à son égard.

Le législateur s'est donc situé sur le plan du devoir être à l'égard de l'embryon et non de son être.

Ce choix a été critiqué par certains au motif que c'est le statut qui doit imposer les limites et non le contraire. Je crois que ce choix, au contraire, est juste et efficace.

Il est juste parce que la loi n'a pas à qualifier les êtres humains, mais seulement à les constater et à les protéger.

A défaut, la qualité d'être humain, comme celle de personne, ne serait pas un droit, mais une concession !

Ce choix est efficace, parce qu'en ne déterminant pas ce qu'est l'embryon mais en disant comment on doit le traiter, l'éthique et le droit ont trouvé leur espace propre.

C'est à partir de ces acquis de fond et de forme, c'est-à-dire la nécessité de tracer des limites et de donner les repères d'une part, et la place du droit par rapport à la morale et à la biologie d'autre part, que j'entends continuer le travail entrepris.

Voilà ma première série de réflexions sur l'esprit et la méthode des lois de bioéthique.

Je voudrais aborder la seconde série de réflexions concernant le retard pris par le précédent Gouvernement.

Je vous rappelle que les lois de 1994 prévoyaient une révision à cinq ans.

Or, nous sommes à l'aube de 2003 et cette révision n'est pas achevée, la première lecture ayant eu lieu au mois de janvier 2002.

Certes, ce retard est dû à des difficultés dans la parution et la rédaction de certains décrets. Je ne fais pas partie de ceux qui se sont escrimés à démontrer la culpabilité du précédent Gouvernement dans le retard pris.

En revanche, quand on regarde les choses plus au fond, on se rend compte que ce retard a été en particulier dû à la difficulté qu'a éprouvé le Gouvernement de l'époque à assumer clairement certains de ses choix. L'exemple typique en est le clonage thérapeutique.

On voit bien qu'initialement l'option était prise d'aller vers le clonage thérapeutique. Après quelques hésitations, on y a renoncé. Quand on tente de comprendre les choses, on voit bien que toute la démarche a été d'avancer sans que cela soit dit vers un véritable bouleversement de l'équilibre entre le respect qui est dû à l'embryon, d'une part, et la confiance de la liberté du chercheur de l'autre.

Toute une série de dispositions, petit à petit, sont venues nous le montrer.

Je tire de cela deux enseignements. Tout d'abord, il faut poser clairement le débat, sans paravent sémantique, sans barrière langagière, et très clairement appeler les choses par leur nom. Par exemple, parlant de l'embryon pour la recherche, il ne faut pas confondre la recherche sur l'embryon et la recherche sur des cellules embryonnaires.

Il ne faut donc pas faire entrer de manière subreptice la conception de l'embryon pour la recherche au motif que l'on en a besoin pour évaluer de nouvelles techniques de procréation assistée. On est là typiquement dans la plus grande ambiguïté.

En second lieu -et je crois que je suis probablement l'un des mieux placés pour le dire- il nous faut clarifier la notion de bioéthique, sauf à entraîner son discrédit.

Je ne suis pas favorable à ce que, dans cette révision, on fixe à nouveau une clause de révision à cinq ans ! C'était nécessaire la première fois parce qu'on était dans le doute, mais je ne suis pas sûr qu'il faille à nouveau nous avancer vers une révision systématique, si ce n'est sur certains points précis, sauf à laisser croire que la biomédecine forgerait, au fil des années, sa propre éthique.

Vous avez, au Sénat, à l'Assemblée nationale, abordé le sujet de l'interruption volontaire de grossesse, ainsi que celui de la prolongation du délai et, chemin faisant, le problème de la stérilisation des femmes adultes handicapées. Personne ne peut nier qu'il y avait une dimension éthique dans ces textes-là ! Dans le texte sur le droit des malades, l'éthique était sous-jacente.

Le seul fait de dire que l'on va légiférer sur la bioéthique pourrait laisser penser qu'il n'y a pas d'éthique ailleurs. C'est un grave danger !

Second danger : pendant les cinq années qui se sont écoulées, on a bien vu qu'il était nécessaire de prendre des décisions, parfois sans trop attendre. On nous disait pourtant de ne pas nous inquiéter, qu'on allait le traiter avec les lois de bioéthique.

On a donc pris du retard dans certaines dispositions qui auraient dû s'imposer plus tôt. Inversement, on nous demande de saisir l'occasion de prendre en compte des techniques dont on voit bien qu'elles ne sont pas encore suffisamment mâtures pour que l'on puisse, d'ores et déjà, en définir clairement les usages et les indications.

Je dois vous dire que je ne souhaite pas cette clause. Désormais, la bioéthique s'est installée dans notre paysage et, plutôt que d'être fragilisé sur cette durée provisoire, je souhaite que l'on consolide nos positions. Je vous le redis donc : l'inscription dans la loi du principe de sa révision m'apparaît comme un procédé ambigu et néfaste.

Il est ambigu désormais car, finalement, il est dépourvu de toute valeur normative. Il ne contraint en rien le législateur et ne modifie pas la faculté dont dispose celui-ci, à tout moment, de remettre la loi en chantier, si cela s'avère nécessaire.

On a fini par dire : « On verra dans cinq ans ». Non ! On verra quand le besoin s'en fera sentir et, parfois, sans attendre.

Probablement est-ce même néfaste, parce que le législateur n'a pas, en particulier lorsqu'il édicte des principes, vocation à faire une oeuvre dont la date de péremption est, par avance, annoncée. Comment ne pas voir que la solennité et la légitimité de la loi se trouveraient malmenées ?

Si l'on veut que les normes édictées aient toute leur valeur, il ne faut pas, dans une perspective instrumentale, qu'elles soient constamment remodelées.

Il est donc, à mon avis, essentiel qu'elles ne soient pas conçues d'emblée comme caduques. Autrement dit, nous avons pris le temps nécessaire pour fixer notre ensemble en deux étapes -l'adoption première et la révision.

Désormais, l'éthique étant introduite dans notre processus législatif et dans nos esprits, il faudra sans attendre aborder ces problèmes quand ils se poseront ici où là, et notamment sans donner l'impression que l'on édicte des valeurs provisoires.

La troisième réflexion que je voudrais faire concerne l'importance croissante de la biomédecine au plan international.

Cela ne vous aura pas échappé : la bioéthique devient un sujet de discussion dans les grands sommets et sera un des sujets majeurs du prochain G 8.

Il nous faut, là-dessus, une concertation internationale. Le Conseil de l'Europe et les 43 pays de la grande Europe qui composent cette assemblée ont tout de même écrit et fait voter en 1997 la fameuse Convention d'Oviedo, convention de la biomédecine et des droits de l'homme qui pose le canevas des valeurs communes à la grande Europe.

Evidemment, cette convention reste sur de très grands principes. Pour avoir siégé, de 1997 à 2002, à l'Assemblée du Conseil de l'Europe, et plus particulièrement au Comité directeur de bioéthique, et ayant participé à toutes les négociations internationales sur le protocole additionnel contre le clonage, pour la transplantation d'organes, etc., je vois bien les difficultés qui existent au plan international.

La France et l'Allemagne viennent de prendre une initiative commune, il y a quelques mois, à l'ONU, pour interdire au plan mondial le clonage reproductif mais, immédiatement, d'autres pays, menés par les Etats-Unis, se sont élevés pour en faire encore davantage, en disant : «Il faut interdire simultanément le clonage reproductif et le clonage thérapeutique». L'affrontement de deux textes a, ainsi, conduit à un échec.

Il faut véritablement que nous soyons très forts pour tenter d'entraîner les autres. C'est la raison pour laquelle il faut que nous allions beaucoup plus loin que ce qui a été fait jusqu'à présent sur le clonage reproductif.

C'étaient là mes trois réflexions préliminaires : premièrement, le climat a changé et, si l'on en fait une analyse, on voit bien les contours vers lesquels il faut s'avancer ; deuxièmement, il faut clarifier les choses et ne pas s'abriter derrière de faux-semblants ; troisièmement, il y a des conséquences internationales.

J'aborde maintenant la deuxième partie, c'est-à-dire les sujets plus spécifiques sur lesquels nous allons avoir à légiférer.

Je voudrais commencer par le moins difficile qui, d'ailleurs, dans le texte, apparaît, je crois, en premier : les organes et la transplantation.

En définitive, c'est un des sujets les plus anciens, vous le savez mieux que moi. Le sénateur Caillavet a longtemps siégé ici. C'est lui qui avait pris l'initiative, en 1976, de la première loi instituant le consentement présumé.

En 1994, nous avons essayé d'arranger les choses, de mieux les préciser. Nous pensions les faciliter. Or, quels que soient les efforts -et je dois souligner les efforts faits par l'Etablissement français des greffes à l'initiative de Didier Roussin avec le plan 15-20, qui avait pour ambition de passer de quinze prélèvements à vingt par million d'habitants- les choses sont encore loin d'être suffisantes.

Nous avons une carence d'organes à greffer. Evidemment, la facilité consiste -et c'est ce qui a été fait- à se tourner vers les vivants, vers les proches. C'est toute la question de l'extension du don d'organes au cercle des vivants.

Cela est-il satisfaisant et cela doit-il être voté devant le Sénat, comme cela l'a été en janvier par l'Assemblée nationale ? Personnellement, je ne le crois pas.

Je crois naturellement qu'il nous faut faire un effort pour élargir le cercle des vivants, mais nous devrons avoir un débat très large pour savoir quelles sont les définitions dans lesquelles on va faire entrer le cercle des donneurs potentiels, sauf à laisser prise à toutes les dérives perverses.

On voit bien aussi les pressions morales qui pourraient s'exercer au sein même des familles. A mon sens, il faut que nous ayons une réflexion plus élaborée pour savoir jusqu'où on peut éventuellement étendre le cercle des donneurs vivants.

Je suis favorable à l'extension, mais je suis encore plus favorable à ce que l'on délimite clairement les choses.

Autre aspect qui me paraît important : imaginez un homme de 28 ans, sollicité pour donner la moitié de son foie parce que son cousin germain est en insuffisance hépatique gravissime, qui apparaît comme le seul donneur potentiel alors qu'il a la charge de deux enfants.

Qu'il ait spontanément la générosité de donner pour sauver, j'entends bien, mais s'il mourait -ce qui arrive dans ce type d'intervention- ou s'il en était définitivement amoindri, qui assumerait les responsabilités au regard des deux enfants à élever ?

Autrement dit, on ne peut déconnecter l'acte de donner de la générosité spontanée mais, quelquefois, il me semble que la société a le devoir de protéger les gens contre leur propre générosité dans la mesure où ils sont, par ailleurs, déjà en charge de responsabilités.

Il faudra donc que nous nous interrogions, notamment pour les couples constitués avec charge de famille, pour savoir si celui qui donne ne doit pas le faire avec le consentement de celui qui partage avec lui l'autorité parentale, afin que ce soit une décision partagée.

Nous avons véritablement là toute une série de questions qui se posent sur l'élargissement aux donneurs vivants.

Mais -et c'est presque le plus important dans mon esprit- on ne peut pas non plus ne pas s'interroger sur le fait de savoir si notre système de prélèvement cadavérique est suffisamment performant.

Je ne le crois pas, car la mort un tabou. Sur le terrain, à l'hôpital, mes collègues, qui sont moins sous les feux des commissions ou sous les feux des médias, mais qui n'en sont pas moins des transplanteurs réguliers, me disent que la difficulté réside dans le fait que les morts ne peuvent s'exprimer. Les familles, dans le doute, refusent tout prélèvement, alors qu'on peut s'adresser aux vivants et, éventuellement, les convaincre.

« En définitive », me disent-ils avec une certaine naïveté, « il est aujourd'hui plus facile d'obtenir un donneur vivant que de franchir la barrière de la mort au travers de l'aval d'une famille ». On sait bien que, dans la loi, ce n'est pas l'autorisation des familles mais simplement un témoignage que l'on va chercher. Toutefois, lorsque le médecin demande à la famille si elle sait si le défunt était opposé ou non au prélèvement, si celle-ci n'est pas informée, elle demande de ne rien faire.

Cela signifie que le médecin ne fera rien, même si, sur le plan juridique, il en a le droit.

Je pense qu'il faut que nous étudions des mesures plus précises pour rassurer, en quelque sorte, les familles en deuil sur la connaissance qu'avait la personne disparue de la réalité de la transplantation. Ayant la certitude que l'information a bien été donnée, que la personne ne s'est pas inscrite sur le registre des refus, il y a, dès lors, tout lieu de penser qu'elle était tacitement consentante, comme le prévoit la loi.

Il faut avoir un vrai débat sur les transplantations d'organes pour trouver un certain équilibre. Je ne suis pas opposé à ce qu'on l'élargisse aux donneurs vivants. Ce serait inhumain que de s'opposer à cette envie d'aider l'autre. Je pense toutefois qu'il faut resituer cela dans un contexte de responsabilités partagées, sans risquer de s'exposer à des dérives dangereuses, financières ou morales.

D'autre part, s'agissant des prélèvements cadavériques, je crois qu'il faut que l'on fasse mieux ; d'autres pays, comme l'Espagne, font beaucoup mieux et satisfont les besoins de la transplantation avec leurs seuls prélèvements cadavériques.

C'était le premier sujet.

Le second thème concerne l'assistance médicale à la procréation.

L'assistance médicale à la procréation, en définitive, avait été -je crois- assez bien encadrée et discutée, à tel point que la plupart des décisions prises en 1994 sont conservées dans cette révision, même après première lecture à l'Assemblée nationale.

J'y vois néanmoins deux éléments dont il faut que nous discutions et, en premier lieu, le fait qu'à l'initiative d'un parlementaire, le rapporteur à l'Assemblée nationale, et non à la demande du Gouvernement, a été réintroduite la possibilité de transfert d'embryon post mortem .

On traîne toujours cette jurisprudence «Pires», du nom de ce couple toulousain qui, après dix ans de stérilité, décide de concevoir un enfant in vitro . Deux embryons sont alors transférés, les autres sont congelés.

Mme Pires fait une fausse couche, est hospitalisée et son mari se tue en voiture en venant lui rendre visite. Elle demande, à quelque temps de là, à ce que l'on transfère les embryons restants dans le congélateur.

Il y a deux façons d'aborder le sujet et je me souviens, déjà en 1994, que c'était au coeur de « l'affaire Pires ». Le débat avait été houleux et difficile, car la compassion conduit, bien entendu, spontanément à dire : « Qui d'autre que cette femme a l'autorité pour décider du devenir de ses propres embryons ? ».

Néanmoins, on est là devant des situations pleines de contradictions, pleines de dangers.

Tout d'abord, nous n'avons pas défini totalement l'embryon -on parlera tout à l'heure de la recherche sur l'embryon et sur les cellules embryonnaires. Alors que nous n'avons pas encore arrêté une définition précise du concept, subitement, on extrapolerait en disant : « Ce sont ses enfants ! Pourquoi ne les lui rendrait-on pas ? », au motif que la vie, d'un coup, doit être respectée absolument !

C'est un premier argument qui conduit immédiatement à se demander ce qui adviendrait dans le cas contraire. Si c'est la mère qui mourrait et que le père demande à récupérer ses embryons, est-ce que cela voudrait dire qu'il faut légitimer le recours exceptionnel, dans des cas particuliers comme ceux-là, aux mères porteuses, cet homme disant : « Ma femme n'est plus là, mais ces embryons sont à moi ! » ? Certes, la physiologie crée une sorte de disparité de la nature, mais tout de même !

Cela pose aussi une série de limites, car cette femme qui est en deuil, ses embryons étant là, va s'interroger. On va lui donner un délai : six mois, un an, deux ans, peu importe. Pendant tout ce temps, son travail de deuil ne se fait pas. Sa réflexion est fixée sur le fait de savoir si elle va le faire ou non, avec cette notion de trahison éventuelle, en disant : « On avait décidé... Il faut que je le fasse ».

Qu'adviendrait-il si elle tombait malade et prenait des médicaments -pour dépression nerveuse, par exemple- qui interdisent le transfert pour des raisons médicales ? On repousserait le délai, mais jusqu'à quand ?

Si elle avait des difficultés sociales et économiques, que se passerait-il ? Si entre temps elle avait noué une nouvelle union -pas nécessairement, d'ailleurs, par contrat de mariage- et qu'elle demande le transfert des embryons conçus avec un premier conjoint ou compagnon, on ne voit plus très bien comment les choses conserveraient un semblant de cohérence !

J'ajoute que le droit vient nous dire que cette situation ouvrirait la possibilité d'héritiers réservataires dans un congélateur, venant bouleverser de manière profonde tout le droit de la succession et le droit patrimonial. Nous serions là, au-delà de ces problèmes, dans la transgression du temps !

Je ne suis pas sûr, au-delà des questions que cela peut poser, qu'il nous faille au fond bouleverser notre droit au regard des quelques cas d'exception qui ont pu se présenter au fil du temps.

Il me semblerait beaucoup plus raisonnable d'informer impérativement le couple qu'en cas de dissociation de celui-ci, les embryons ne seront pas conservés, sinon, je ne vois pas comment, aux progrès biologiques, nous pourrions opposer l'affranchissement du temps.

En second lieu, l'Assemblée nationale s'est affranchie du délai de deux ans pour les couples non mariés.

Je crois que ce n'est pas une bonne chose, parce que l'assistance médicale à la procréation présente un inconvénient majeur. Tous ceux que vous rencontrez généralement au cours des auditions sont des obstétriciens, des gynécologues, des spécialistes de la stérilité qui veulent régler le problème des couples souffrant en face d'eux. Mais qui s'exprime au nom de l'enfant ? Qui s'exprime au nom des conditions dans lesquelles l'enfant pourrait être conçu, naître et être élevé ?

J'estime que tout doit être fait dans cette loi pour que la démarche faite pour pallier la stérilité du couple soit gouvernée par le désir d'accueillir l'enfant dans les meilleures conditions possibles. C'est, je crois, de la responsabilité du législateur. On pourra naturellement aller plus loin si vous le désirez tout à l'heure.

Le troisième sujet que je veux aborder est celui de l'embryon.

Il est exclu, dans mon esprit, que l'on revienne sur l'article 16 du code civil, qui dit bien que tout être doit être respecté dès le commencement de sa vie. C'est un fondement essentiel, et nous en sommes d'ailleurs tous d'accord.

Cela n'exclut pas la loi sur l'interruption de grossesse, qui est vécue comme une transgression dans un cas particulier. Chaque fois que nous allons également vers le diagnostic prénatal, nous voyons bien l'exception au principe qui doit rester fondateur : le respect de la vie dès son commencement.

A mon avis, ceci doit être rappelé, et c'est la raison pour laquelle je pense qu'il faut que nous rappelions que la recherche sur l'embryon doit être interdite parce que c'est l'interdit fondateur.

En revanche, je reviendrai, malgré certaines critiques émises ici où là, sur l'idée qu'il faut maintenir la possibilité de mener des études sur l'embryon dans la mesure où cela n'atteint pas son intégrité. Certains disent : «Cela n'a pas de sens ! Vous avez choisi le mot «études» : il fallait parler de «recherches» !».

Jusqu'à nouvel ordre, j'essaie d'utiliser les mots qui me paraissent les plus appropriés. Quand je dis qu'il faut autoriser les études sur l'embryon, études qui préservent son intégrité, j'entends, par exemple, ce que nous faisons au travers du diagnostic préimplantatoire. Nous prélevons une cellule, nous faisons un diagnostic, cela ne porte pas atteinte à l'intégrité de l'embryon. Il n'en demeure pas moins que ce diagnostic doit faire l'objet d'essais, de mises au point, et ce sera probablement la même chose le jour où nous essaierons une correction génétique.

Considérer donc l'embryon comme un objet d'études, en le respectant, me paraît un élément essentiel. Il serait d'ailleurs assez invraisemblable -et je rejoins là le problème plus spécifique de la recherche sur l'embryon- qu'au motif qu'il faut le respecter en tant que personne, on l'exclut du droit des personnes d'accéder à la médecine !

L'embryon doit rentrer dans le champ de la médecine. La médecine progresse. Elle s'est intéressée à l'enfant, puis au nourrisson, puis au nouveau-né, puis au prématuré, puis au grand prématuré. On en est à la médecine foetale. Nous en serons demain à la médecine embryonnaire. Il n'y a pas de médecine qui ne progresse sans recherches.

La recherche sur l'embryon, qui profite à l'embryon lui-même ou d'ailleurs à d'autres embryons, me paraît une ouverture indispensable, sauf à rester dans une espèce de statut assez invraisemblable où l'on dirait : «On le respecte tellement qu'on ne veut pas lui venir en aide le cas échéant !».

La recherche sur l'embryon, malgré la difficulté et malgré le fait que, dans un certain nombre de situations, cet embryon ne survivra probablement pas -mais d'autres pourront bénéficier de ces recherches- me paraît donc devoir être désormais ouverte, dans des conditions très strictes, très fermement encadrées, car la médecine en est arrivée à l'embryon, qu'elle considère comme accessible à son diagnostic et à son éventuelle thérapeutique.

La recherche sur l'embryon dans des conditions précises doit donc être à mon sens désormais autorisée. On passe insensiblement de l'étude à la recherche, et je ne vois pas comment nous pourrions l'éviter.

Se pose une autre question, beaucoup plus difficile, que vous avez abordée avec un certain nombre de spécialistes que vous avez rencontrés : celle des cellules souches.

Il faut essayer de prendre les choses simplement. L'idée est tellement simple : on s'est rendu compte que l'on pouvait remplacer les cellules vieilles ou malades par des cellules jeunes ou normales et qu'il y avait là un nouveau champ, que l'on appelle la thérapie cellulaire, absolument prodigieux, qui permettrait de guérir à terme des maladies aujourd'hui inaccessibles à tout traitement.

Naturellement, je n'accepte pas l'idée de dire que ce sont des recherches thérapeutiques, car permettez-moi de rappeler qu'à mon sens, en biologie et en médecine notamment, il n'y a pas de recherches qui ne soient faites dans le but de mieux soigner les gens un jour ou l'autre. Vouloir immédiatement les qualifier de «thérapeutiques» me paraît quelquefois mensonger.

Je voudrais rappeler que, même si nous aidons toujours ce que l'on appelle de fait la thérapie génique ou le génie génétique, cela fait quand même maintenant vingt ans que nous en parlons, et qu'à l'exception des quelques malades guéris dans le service d'Alain Fischer -et encore avec la complication récente que l'on sait- il n'y a pas de malades véritablement guéris ! Parler aujourd'hui d'espoir thérapeutique immédiat est donc un mensonge.

Je le dis d'autant plus fermement que je pense qu'il faut un début à toute recherche. Je ne vais pas m'opposer à ces recherches au motif que le traitement ne serait pas immédiat. Il faut bien commencer un jour mais, dans le discours, ne trompons pas les associations de malades, ne trompons pas les patients.

C'est une longue route qui, pour le moment, repose sur un concept tout à fait juste, tout à fait valide, mais qui n'a en réalité pas commencé à produire le premier début de la moindre preuve, même sur les modèles animaux, quand on regarde dans le temps.

Cela étant dit, le concept étant bon, cohérent, scientifique, logique et valable, il faut effectivement se mettre en ordre de marche.

Se pose donc la question de savoir où on va trouver ces cellules.

Naturellement, la première cellule qui vient à l'esprit, c'est la cellule embryonnaire. Je rappelle que nous sommes issus d'une cellule qui avait toutes les capacités pour donner de la peau, du foie, des os, des cellules nerveuses, des muscles et constituer un individu différencié.

Or, les cellules les plus jeunes et les plus capables de se différencier pour donner des cellules normales sont les cellules embryonnaires. Evidemment, on butte sur l'idée de l'embryon. On voit bien le danger qu'il y aurait à instrumentaliser l'embryon, à le considérer comme matière première alimentant la recherche scientifique. On est là sur des crêtes difficiles.

Il existe d'autres voies qui sont avancées, et notamment la présence de cellules souches trouvées dans les tissus adultes, qui pourraient, dans certains cas, avoir des effets semblables de production de cellules normales, y compris de transdifférenciation, c'est-à-dire, étant prélevées dans la moelle, de donner des cellules hépatiques ou de toute autre nature.

Tout cela est vrai et a été observé de façon occasionnelle ici où là, comme les cellules du sang du cordon, qui ont fait l'objet d'études encourageantes. J'ai moi-même pensé, l'année dernière encore, que l'on pourrait faire l'économie de l'étape des cellules embryonnaires et, d'emblée, aller vers les cellules adultes.

Par honnêteté intellectuelle, je pense que, même si nous devons privilégier les recherches sur les cellules adultes, nous ne pourrons pas faire l'économie de recherches parallèles sur les cellules embryonnaires, ne serait-ce que pour éventuellement valider, le moment venu, le modèle des cellules adultes.

Nous sommes donc arrivés à un moment difficile où il nous faut savoir si c'est un refus définitif d'un progrès formidable, pour toute une série de maladies que je ne vais pas énoncer pour ne pas tomber dans une sensiblerie que je trouve dangereuse, sachant que, par ailleurs, dans bien d'autres pays, les choses avancent.

En toute honnêteté, si l'un de mes proches était atteint d'une de ces maladies et, après avoir dit non pour la France, si ces cellules étaient disponibles ailleurs, refuserais-je d'aller les chercher pour me conformer à mes propres interdits ? Je le dis très clairement : non, je me dépêcherais d'aller les chercher !

On est là devant un choix éthique qui montre le degré de tension morale sous-jacent mais, à mon sens -et c'est la solution que je vous proposerai- parce que j'ai rappelé l'interdit initial et que j'ai bien montré que l'embryon devait être respecté, j'estime que, dans certaines conditions très particulières, définies avec les précautions et l'encadrement utiles, pendant une période donnée qui pourrait être fixée à cinq ans par exemple, sur les seuls embryons conçus pour la fécondation in vitro qui n'auraient pas été transférés, dont les parents ne voudraient plus qu'ils soient transférés, et avec leur consentement, avec des protocoles clairement étudiés et validés, nous pourrions peut-être, à titre dérogatoire, faire ce que j'appelle dans mon langage une «exception législative» sur une période de temps donnée.

Croyez bien que j'ai beaucoup pesé mes propos avant de m'exprimer, car c'est un chemin qui n'était pas facile mais, comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, je ne crois pas que la médecine puisse progresser à des moments déterminants sans transgression, comme elle l'a fait pour l'autopsie, la transfusion sanguine ou les prélèvements d'organes.

Aujourd'hui, les conditions étant ce qu'elles sont, je ne vois pas comment proposer autre chose que d'autoriser, dans des conditions définies et pour une période déterminée, la recherche sur les cellules embryonnaires.

Evidemment, dans la même logique, je vous demanderai de revenir sur la disposition subreptice qui consiste à autoriser la création d'embryons pour la recherche.

Ceci n'est plus une transgression, mais la négation du principe que je rappelais tout à l'heure ! Autoriser la création d'embryons, fût-ce pour valider des techniques de fécondation in vitro , nous ferait franchir un pas essentiel, au sens d'« essence» : ce ne serait plus des essais sur l'homme mais des essais d'hommes ! Ce serait essayer de concevoir avec une certaine méthode un nouvel être humain et regarder comment cela marche.

Dites-vous bien que cette démarche-là commencerait par se faire in vitro, mais qu'à un moment où à un autre, il faudrait bien faire le transfert pour voir comment cela se développe in vivo !

Cette démarche-là, je ne la veux pas ! Autant je comprends les situations exceptionnelles que je viens d'exposer, autant je m'opposerai formellement à toute création d'embryons pour la recherche, pour quelque motif que ce soit !

D'ailleurs, cela nous mettrait en contradiction avec la convention d'Oviedo. Or, une de mes préoccupations est de faire en sorte que, sept ans, après, la France puisse ratifier enfin la convention d'Oviedo.

Dire que je ne veux pas de création d'embryons pour la recherche sous-tend naturellement que je ne veux pas de clonage thérapeutique, car peu importe que cette cellule soit appelée par les uns «embryon» ou par les autres «non-embryon». Ce que je sais simplement, c'est que le clonage thérapeutique nous expose à deux dangers majeurs.

Premièrement, pour réaliser un clonage thérapeutique, il vous faut disposer d'ovules en grand nombre. Cela suppose l'organisation d'un marché d'ovules.

Ceci est en contradiction avec la non-commercialisation du corps humain. Pour fabriquer un clone thérapeutique, il faut un ovule et, quand vous voulez vous lancer dans des essais multiples, il vous faut des dizaines et des centaines d'ovules !

Je viens de voir que même le professeur Frydman a annoncé qu'il renonçait au don d'ovules pour la fécondation in vitro , tout simplement parce que les femmes, en dehors d'argent, n'acceptent pas volontiers de donner des ovules, tout d'abord parce que c'est plus difficile que de donner du sperme et ensuite parce que c'est une partie d'elles-mêmes.

Il y a là une démarche conceptuelle que les femmes ont du mal à franchir et qu'elles ne franchiraient que, comme aux Etats-Unis, pour des raisons commerciales ou, comme dans les pays en voie de développement, pour des questions d'argent. On obtiendrait naturellement des ovules au terme de tractations financières, ce que je n'accepte pas.

La deuxième raison est que le clonage thérapeutique est la partie technique du clonage reproductif.

Lorsque vous avez transféré votre noyau dans un ovule, c'est potentiellement un clonage dit thérapeutique si vous le mettez en culture, mais si vous le transférez au moyen d'une pipette dans un utérus, vous avez un clonage reproductif !

Je m'oppose donc au clonage thérapeutique, car c'est la porte ouverte au clonage reproductif, dont je voudrais maintenant dire quelques mots.

Je crois, d'ailleurs, qu'il y a unanimité sur le sujet. Tout le monde est d'accord pour reconnaître que le clonage reproductif est une horreur, que c'est une atteinte à la dignité de la personne et qu'il faut donc le condamner.

En première lecture, à l'Assemblée nationale, j'ai fait valoir des arguments qui n'ont pas été retenus et que, naturellement, parce que j'ai une certaine constance, je vais vous proposer à nouveau.

Si l'on veut véritablement interdire le clonage reproductif, il faut que les sanctions qui accompagnent l'interdiction soient à la hauteur du délit.

Si c'est un simple délit de cinq ans de prison éventuels et d'une amende équivalente en euros à 200.000 francs, je crois que ce serait une interdiction tout à fait dérisoire.

Pour moi, le clonage reproductif est, au niveau de la personne, l'équivalent de ce qu'est le crime contre l'humanité au niveau collectif.

Le crime contre l'humanité est un crime contre l'espèce humaine en ce sens que, d'une façon massive et organisée, on vient porter atteinte à la dignité de la personne.

Concevoir quelqu'un en l'enfermant dans un destin génétiquement programmé, choisi et délibéré, c'est le priver de sa liberté et, le privant de sa liberté, c'est porter atteinte à sa dignité !

Je pense donc -et j'ai l'accord du garde des sceaux- vous proposer une nouvelle incrimination, basée par comparaison sur les peines les plus lourdes dans des champs voisins, en ayant d'une part, à partir de la majorité éventuelle de l'enfant cloné, une prescription trentenaire, ce qui équivaut quasiment à une imprescriptibilité, et en instituant, d'autre part, une extraterritorialité, car on peut être Français et aller se faire cloner dans des zones internationales, puis revenir en France.

Comme pour le tourisme sexuel -pardonnez-moi la comparaison, mais c'est comme cela et je peux justifier que ceci existe déjà- le clonage sera condamné en France pour des citoyens français vivants en France, quand bien même il aurait eu lieu à l'étranger !

C'est à mon avis la seule force que nous ayons pour continuer à mener notre croisade internationale et déboucher sur une interdiction formelle par les Nations-Unies.

Il me reste à aborder deux points. Je voudrais vous parler de l'Agence et de la brevetabilité des gènes.

Le projet de loi du Gouvernement précédent prévoyait l'idée d'organiser une nouvelle agence, appelée «Agence pour la procréation, l'embryologie et la génétique humaine», que j'ai immédiatement récusée, après un débat très courtois mais très ferme avec le rapporteur de l'époque.

Je trouve que la multiplication des agences finit par gêner la visibilité que l'on peut avoir dans nos politiques d'une façon générale. On en a déjà 8 ! A ce moment-là, je ne vois pas pourquoi on ne créerait pas une agence dès qu'une activité particulière apparaît !

En second lieu, cette agence me paraissait mal composée et un peu anormale quant aux compétences qu'on voulait lui attribuer. J'ai dans l'idée de vous proposer une architecture et des compétences différentes.

Pour tout dire, mon idéal -mais je ne pense pas que nous pourrons l'atteindre tout de suite- aurait été de regrouper l'AFSSAPS, l'Etablissement français des greffes et l'APEGH dans une grande agence de biomédecine et de produits de santé.

On aurait une grande cohérence avec cinq départements ayant une autonomie et une spécificité particulières : les trois départements de l'AFSSAPS -le médicament, les dispositifs et le sang- le département de transplantation des greffes et le département correspondant à l'embryon, à la reproduction et aux cellules, dont nous sommes en train de parler.

Cela aurait été, je crois, quelque chose d'assez extraordinaire, car l'on voit bien comment cette grande agence du vivant aurait pu donner une cohérence à notre système d'une façon générale, plutôt que de le morceler.

L'Etablissement français des greffes a une légitimité à s'occuper des cellules souches et du tissu hématopoïétique. Par ailleurs, l'AFSSAPS est aussi intéressée à la thérapie génique. On se trouve, je crois, dans une séparation totalement artificielle aujourd'hui !

Je pense que cette idée, pour autant que l'on veuille bien s'y pencher avec beaucoup d'objectivité, peut et doit séduire.

Néanmoins, même si mes services sont prêts -parce qu'ils sont assez séduits- à réaliser ce travail, je ne suis pas sûr d'avoir le temps de mener toute la concertation nécessaire sans déstabiliser une AFSSAPS déjà un peu fragile.

Je vais donc probablement vous proposer de faire les choses en deux temps avec, dans un premier temps, une agence qui rassemblerait l'Etablissement français des greffes et l'APEGH en gardant l'AFSSAPS en l'état, la mission de cette nouvelle agence se justifiant parce qu'il y a un continuum absolu entre organe, tissu, cellule, gène. Vouloir faire passer la barrière de façon artificielle n'est pas cohérent.

J'ajoute que, dans l'un comme dans l'autre, il y a la notion du don. J'ajoute que, dans l'un comme dans l'autre, il y a des problèmes éthiques profondément liés.

Regrouper l'Etablissement français des greffes et l'APEGH me paraît donc être d'une logique imparable, étant entendu que l'idéal à deux ans serait de préparer le rapprochement de l'AFSSAPS et de cette nouvelle agence, que j'appellerais volontiers, après fusion, si vous en étiez d'accord, l'Agence de biomédecine car, en définitive, c'est bien de biomédecine qu'il s'agit.

Quand nous faisons de la transplantation d'organes, nous transmettons des organes vivants : c'est de la biomédecine. Quand nous faisons de la thérapie cellulaire, que nous donnons la vie in vitro , c'est aussi de la biomédecine. On aurait donc là une grande agence de médecine, qui pourrait ensuite, se mariant à l'AFSSAPS, devenir agence de biomédecine et des produits de santé.

Voilà l'évolution, étant entendu que je donne à cette agence beaucoup plus de pouvoirs qu'on ne lui en avait précédemment donnés. A mon avis, il faut qu'elle ait un pouvoir d'autorisation, de contrôle, d'inspection, mais je voudrais qu'elle soit constituée pour une bonne part de gens qui ne soient pas nécessairement des scientifiques et des médecins prêchant pour leur seule paroisse. Je souhaite aussi naturellement que le ministre ait un droit de veto et d'intervention à tout moment, si une décision ne lui convenait pas.

Je pense qu'il est temps que l'on prenne cette mesure !

Quant à la brevetabilité des gènes, vous en connaissez comme moi l'histoire. La France ne veut pas que les gènes humains puissent faire l'objet de brevets.

Il n'en demeure pas moins que le Parlement européen, après avoir rejeté un premier projet de directive en 1988, puis un second en 1995, a fini par voter une directive en 1998, laquelle, défendue à l'époque par M. Allègre, pour ne pas le nommer, possède une contradiction que vous pouvez vérifier les uns et les autres, si vous ne l'avez déjà fait, dans son article 5, entre l'alinéa 1 et l'alinéa 2.

L'alinéa 1 est empreint d'une éthique à laquelle nous ne pouvons qu'applaudir. L'être vivant, tout ou partie, y compris une séquence partielle ou totale d'un gène, ne peut faire l'objet d'une invention brevetable.

L'alinéa 2, par contre, dit que tout élément isolé du corps humain, même une séquence partielle ou totale d'un gène, peut être breveté. Permettez-moi de le dire : c'est prendre les gens pour des imbéciles car, dès lors que vous voulez identifier un gène, le reconnaître, il vous faut faire un prélèvement de sang, isoler le sang du corps humain, ainsi que les cellules et l'ADN qui, par le séquenceur, peuvent du coup vous donner une séquence génétique brevetable !

Cette transposition va nous poser énormément de problèmes.

Le Gouvernement précédent, en réalité -et j'en avais longuement discuté avec le ministre Schwarzenberg- avait compris que les choses étaient trop ambiguës et ne pouvaient passer. Je rappelle qu'en 1994, dans notre loi de bioéthique, nous avions déjà pris des dispositions, car je sentais venir les choses. Pierre Mazaud ne m'avait pas facilité la tâche à l'époque, mais avait fini par saisir la difficulté.

On avait introduit, au milieu d'un texte juridique qui traitait du code civil, une disposition portant sur la propriété intellectuelle qui disait qu'on ne pouvait breveter une séquence partielle ou totale d'un gène. Je regarde Jean Chérioux, qui opine du chef !

Nous venons de répéter la même au mois de janvier, en réaffirmant notre position. Je suis effectivement d'accord avec cette optique.

La seule chose sur laquelle j'attire votre attention porte sur le fait que, la directive européenne étant la directive européenne, il faut nous mettre dans la meilleure situation possible pour obtenir la renégociation de cet article.

Je vais donc vous demander, tout en réaffirmant la non-brevetabilité des gènes humains, de réécrire la chose pour amender la directive européenne.

Je crois que je peux être au-dessus de tout soupçon dans cette affaire, étant donné la pétition que j'avais lancée sur Internet à une époque, que les groupes et les partis politiques, de tous côtés, avaient unanimement signée, tant il est vrai que c'est un combat commun.

J'avoue ne pas comprendre la position européenne de ne pas vouloir revenir sur une mauvaise écriture. Seulement quatre pays ont aujourd'hui transposé la directive, mais nous allons recevoir prochainement un avis notifié.

Le Gouvernement précédent avait prévu une transposition partielle. Mon idée est qu'il faut effectivement aller vers une transposition partielle, à condition d'avoir prévu dans notre texte une disposition que nous pourrions faire accepter à la Commission comme notre interprétation du texte.

Voilà ce que je voulais dire à propos d'un texte dont je me réjouis de débattre avec vous.

M. Nicolas ABOUT, président - Merci.

Monsieur le Rapporteur...

M. Francis GIRAUD, rapporteur - Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le premier mot qui me vient à l'esprit est celui de perspicacité.

Vous nous avez démontré que ce problème, initié avec d'autres en 1994, ne peut être tranché de façon brutale, mais doit accompagner l'évolution des sciences, de la médecine et de notre société.

Vos propositions peuvent être qualifiées d'équilibrées et de sages.

En effet, dans une société démocratique, pluraliste, il est bien difficile d'amener à une prise de décision qui va être marquée dans la loi pour un certain nombre d'engagements de tous ordres des différents législateurs.

La commission proposera donc des amendements au texte qui a été voté en 2002.

Il n'est pas inutile de rappeler à nos collègues que le texte du précédent Gouvernement a été voté par une forte majorité, mais qu'il n'y a eu un nombre très faible -21- de votes contre, et un grand nombre d'abstentions.

Cela traduit bien l'évolution de la société et de la représentation nationale qui en est l'émanation.

Nous espérons que nous aboutirons à un texte qui ne pourra jamais satisfaire pleinement tout le monde, mais qui marquera un équilibre raisonnable à propos d'un problème de société très difficile.

D'autre part, pouvez-vous nous apporter quelques précisions, monsieur le ministre, sur la référence aux cellules souches adultes, le texte de loi parlant de «méthode alternative à visée médicale» ?

Par ailleurs, à propos de la multiplication des agences, je crois que ce Gouvernement a, d'une certaine façon, donné une réponse en créant un ministère de la santé qui a vocation à couvrir un certain nombre de problèmes.

Pouvez-vous d'autre part nous préciser la différence que vous faites, sur un plan technique, entre la recherche sur les cellules embryonnaires et la recherche sur l'embryon ? Dans l'esprit de beaucoup, ceci n'est pas tout à fait clair.

Enfin, en matière de bioéthique, par rapport au processus économique et industriel, comment la France peut-elle se situer dans la compétition internationale ?

En dernier lieu, je voudrais vous poser une question au nom de notre collègue Jean-Louis Lorrain qui siège ce matin même au Comité national d'éthique, où l'on discute d'ailleurs d'un problème qui est le problème de l'ICSI et de l'éthique.

Le DPI implique-t-il une ICSI ? Toute ICSI implique-t-elle dans le futur un DPI ? Le diagnostic préimplantatoire post-ICSI a-t-il une légitimité ? Faut-il modifier la loi en ce sens ? C'est assez technique, mais cela nécessite quelques éclaircissements.

M. Nicolas ABOUT, président - Monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission est très honorée de voir que la délégation aux droits des femmes a souhaité se saisir de ce sujet et a retenu comme rapporteur notre excellente collègue Mme Desmarescaux. C'est maintenant à elle que je vais passer la parole.

Mme Sylvie DESMARESCAUX, rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes - Monsieur le ministre, monsieur le président, mes chers collègues, comme vous l'avez précisé, la délégation aux droits des femmes a été saisie à sa demande du projet de loi sur la bioéthique dont j'ai l'honneur d'être rapporteur.

Je suis consciente que c'est un sujet difficile et délicat.

Il est vrai que les femmes se trouvent au coeur de ce sujet en ce qui concerne plus particulièrement l'assistance médicale à la procréation, dont les traitements médicaux sont particulièrement difficiles et lourds.

Suite aux auditions qui se sont tenues avec la commission des affaires sociales il y a quelques jours, plusieurs questions se posent encore à moi, comme celle de la pénurie de dons d'ovocytes dans le cadre de l'AMP avec tiers donneur. Il semblerait que certains centres favorisent les couples qui se font accompagner d'une donneuse. Ce point-là reste entier pour moi. Ne faudrait-il pas préciser dans la loi qu'il est interdit de favoriser de tels couples ?

Je m'interroge également sur l'accompagnement psychologique avant, au cours du processus, voire après, quand il y a échec, pour aider sur le long chemin qui mène à l'adoption si nécessaire.

Reste bien évidemment tout le problème délicat au regard du transfert post mortem . Les questions sont multiples et m'inquiètent.

La semaine prochaine, la délégation va auditionner différentes personnalités. J'ose croire que les interventions pourront nous éclairer, mais je reste convaincue que ce sujet ne peut se traiter comme d'autres projets de loi. L'affectif, le vécu, ont une importance considérable.

M. Jean CHÉRIOUX - Monsieur le ministre, j'admire la façon dont vous avez essayé de régler ce problème, ô combien délicat, sur lequel nous avions eu bien des difficultés en 1994.

Je suis d'accord avec ce que vous avez indiqué, mais je voudrais néanmoins insister sur une ou deux modalités.

Le problème éthique sur lequel nous avions buté, à l'époque, était celui de la réification de l'embryon, mais aussi celui de sa disparition éventuelle.

Ne serait-il pas plus simple, dans le cadre du texte lui-même, d'indiquer que l'embryon ne peut être conçu que dans le cadre d'un projet parental, en liant le sort de cet embryon à l'existence de ce projet et en inversant les choses par rapport à la formulation actuelle ?

Le projet parental prendrait fin au bout d'un certain nombre de mois ou d'années, quitte à ce que les parents puissent demander à ce qu'il soit prolongé.

L'embryon surnuméraire devient à ce moment-là, sur le plan du droit, un embryon en attente d'implantation ou de transfert. Le jour où le projet parental tombe, l'embryon disparaît de sa bonne fin, comme c'est le cas dans la nature lorsqu'il ne se nidifie pas.

Cela permet de bien circonscrire le problème, ainsi que vous l'avez souhaité : pas d'embryon en dehors du projet parental et de son transfert !

Bien entendu, se pose à ce moment le problème de la science.

La transgression, telle que vous l'avez envisagée, et qui me semble excellente, peut se penser de deux façons.

Le texte de 1994 parlait d'études. Vous y avez fait référence. Il suffit de remplacer, dans ce texte, le mot «études» par le mot «recherches» pour arriver à peu près à ce que vous souhaitez.

Autre point sur lequel mon attention a été attirée : la nécessité pour la recherche de se créer des lignées d'embryons, sans toutefois en avoir un besoin permanent. Ne pourrait-on utiliser en priorité le «stock» d'embryons existant -terme affreux- qui peut suffire pour répondre aux besoins impérieux de la science et dont il faut tenir compte, quels que soient les principes éthiques des uns et des autres ?

M. Nicolas ABOUT, président - Merci.

La parole est à M. Cazeau.

M. Bernard CAZEAU - Monsieur le ministre, merci de cet excellent exposé, qui a permis de faire le point avec clarté sur les principales dispositions de ce texte.

En ce qui me concerne, j'aurais deux questions, qui ne sont pas des questions de fond. Je vous ai trouvé prudent, et même parfois un peu frileux, sur le problème de la recherche sur les cellules souches embryonnaires.

Je crois que la recherche française souhaite pouvoir utiliser ce genre de matériel.

Il ne faudrait pas, à travers l'encadrement que vous souhaitez -qui, par certains aspects, doit être fait- mettre nos chercheurs en difficulté par rapport à la recherche internationale.

Vous avez dit qu'il fallait suivre l'évolution. Je pense que celle-ci doit se faire d'abord dans le cadre européen et international. L'évolution de notre législation doit suivre, au moins dans ce domaine de la recherche.

Deuxième remarque sur l'APEGH. Votre souhait de regrouper toutes ces agences est très certainement lié à votre formation, mais ne va-t-on pas faire là de grosses machines ? Les problèmes soulevés par l'embryon et la génétique ne sont pas tout à fait les mêmes, même s'ils sont voisins, des problèmes liés au don d'organes, du moins dans la pratique, et l'on risque de se retrouver peu à peu avec des sous-agences, chacune reprenant sa liberté, pour en revenir au même résultat !

C'est en tout cas ma crainte.

M. Nicolas ABOUT, président - La parole est à présent au président Lardeux.

M. André LARDEUX - Merci de votre exposé, monsieur le ministre. On se sent un peu plus intelligent après vous avoir entendu. Vous nous avez apporté des précisions très utiles.

Je partage tout à fait un certain nombre de vos remarques, en particulier sur le fait que la loi doit être votée une fois pour toutes. On ne peut vivre éternellement dans le provisoire.

Je suis également d'accord avec vous en ce qui concerne la brevetabilité du gène.

Pour ce qui est de l'Agence, je crois que vous avez raison de vouloir unifier les choses. Bernard Cazeau parle du risque que représentent les grosses machines, mais il ne faut pas penser que ce serait forcément un organe avec une seule tête. Je pense que c'est une bonne direction.

J'ai quelques questions ou remarques à formuler. Vous avez dit -je pense ne pas trahir votre pensée- que le droit s'affranchit de la philosophie et de la morale. Cela dit, les législateurs, les citoyens, eux, ne s'affranchissent pas de la morale, de la philosophie, de la religion, ou de toute autre conviction qu'ils peuvent avoir.

Il n'est pas question d'imposer son éthique aux autres. La loi doit aboutir à une solution qui empêche que nos concitoyens, quelles que soient leurs convictions, n'aient pas le sentiment de voir leur conscience violentée. C'est en ce sens que vous allez.

A propos des cellules souches, vous avez été très clair au sujet de l'importation éventuelle de produits issus de recherches qui ne seraient pas conformes à la loi française, mais que fera-t-on si un Français décide de recourir au produit d'un clonage thérapeutique à des fins éventuellement reproductives ?

J'ai bien compris la distinction que vous faisiez à propos de la recherche sur les embryons et sur les cellules souches embryonnaires, mais qu'arrivera-t-il des surnuméraires non utilisés quoi qu'il arrive ? Il en restera forcément.

Qu'en est-il par ailleurs de la consultation et de l'information des personnes qui sont à l'origine de ces embryons ?

Certaines personnes peuvent accepter la recherche ; d'autres peuvent refuser que l'on fasse des recherches sur l'embryon non utilisé pour la reproduction.

Autre remarque sur le transfert post mortem : à titre personnel, je n'y suis pas favorable, malgré le sentiment de compassion que l'on peut avoir vis-à-vis de telles situations. Que répondra-t-on à ceux qui n'ont pas eu besoin de la PMA et qui se trouvent dans une situation qui les empêche de procréer ? Certains de ces couples peuvent, à titre de précaution, décider de recourir au don de sperme ou d'ovocyte et créer un embryon ! Je crois qu'il y a là une limite qu'il faudra fixer.

Dernière remarque sur le don d'organes des personnes vivantes. Je crois qu'il faut veiller à ce que l'intérêt propre des donneurs et de leurs ayants droit soit garanti, car une transplantation d'une partie du foie, par exemple, peut mettre la vie du donneur en péril et placer les familles -ascendants et descendants- dans de grandes difficultés. Dans ce cas, je ne vois pas où est le progrès !

M. Nicolas ABOUT, président - La parole est à M. Fischer.

M. Guy FISCHER - Je crois qu'on ne peut que remercier M. Mattei pour cet exercice de vulgarisation de haut niveau.

Vous vous prononcez, monsieur le ministre, pour l'utilisation très encadrée des embryons surnuméraires. C'est en ce sens qu'il y a de votre part, à travers l'évolution de votre réflexion, un changement. Nous sommes soumis à une pression au niveau européen et mondial et un certain nombre de lobbies poussent la France à évoluer.

D'autre part, vous avez été clair quant à votre position sur le clonage reproductif.

Je voudrais en venir au génome humain.

Dans le projet de loi, l'amendement Lefort a été adopté à l'unanimité. Il conduit -et vous en faites un de vos objectifs- à une renégociation de la directive européenne. Je crois qu'il est inutile de préciser l'importance de cet acquis qui constitue un préalable qui dépasse la loi de bioéthique.

Le professeur Munnich, que nous avons entendu, s'est prononcé pour une certaine brevetabilité. Je voudrais que vous nous expliquiez ceci.

M. Nicolas ABOUT, président - Monsieur le ministre, vous avez la parole.

M. Jean-François MATTEI, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées - Merci.

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, madame, il se trouve que je siégeais à l'Assemblée nationale en 1992, quand nous avons voté les lois de bioéthique, en première lecture, sous le Gouvernement de M. Bérégovoy. Après les élections de 1993, sous une nouvelle majorité, j'ai été chargé d'un rapport par le Premier ministre, M. Edouard Balladur. La démarche a repris au Sénat, en première lecture, sur les textes précédemment votés.

J'y vois là une répétition qui montre bien que, sur ces sujets, il n'y a ni polémique, ni esprit partisan, ni volonté de marquer une différence politique.

Nous nous sommes, je crois, rejoints sur des valeurs essentielles et nous pouvons diverger sur des points qui ne constituent pas l'ossature principale des dispositions que nous entendons prendre.

C'est la première raison pour laquelle j'ai souhaité continuer plutôt que recommencer.

La deuxième raison, c'est que l'on a déjà perdu trop de temps. Je souhaite que tout soit bouclé avant l'été 2003 et que la loi puisse être enfin promulguée !

J'ajoute qu'avant la première lecture, beaucoup de travaux de réflexion avaient été menés au Comité d'éthique, à la commission consultative des droits de l'homme, par les uns et par les autres, et ce serait faire peu de cas de ces réflexions que de recommencer à zéro !

J'en ai tenu compte et je vous rappelle -le rapporteur l'a signalé tout à l'heure- qu'il y a eu, à l'Assemblée nationale, un nombre important de votes pour et d'abstentions qui signifient qu'il n'y a pas d'opposition formelle, le vote contre ayant été très limité.

C'est donc cette petite loi que nous reprenons, qui fera néanmoins l'objet d'un certain nombre d'amendements, dont certains sont importants, notamment sur la structure de l'Agence. Après tout, c'est la première fois que le Sénat se saisit de ce texte et il est fondé à dire, sans être limité, comment il voit les choses !

Monsieur le rapporteur, vous m'avez demandé de préciser un certain nombre de choses.

Je ne crois pas qu'il soit utile, dans le texte de loi, de mentionner les cellules souches adultes ; à ce moment, il faudrait mentionner aussi les cellules du cordon ombilical. Même si c'est difficile, je souhaite en rester au principe et ne pas prendre le travers du précis de thérapeutique ou de biologie.

Après tout, qui ne dit pas que, demain, nous ne trouverons pas un nouveau type de cellules qui auront certaines particularités !

En revanche, dans votre rapport, dans nos interventions aux uns et aux autres, que nous interpellions le ministère de la recherche pour demander que des efforts particuliers soit faits pour que la France soit dans le wagon de tête des recherches sur les cellules souches d'origine adulte, bien entendu !

Lorsque j'accepte un certain nombre de positions, qui ne me sont pas faciles, sur les cellules embryonnaires, c'est parce que j'espère qu'assez vite, dans cinq, dix ans peut-être, les cellules souches adultes ou d'autres types de cellules pourront s'y substituer !

Sur le plan des agences, Monsieur le rapporteur, vous avez raison : je ne souhaite pas les multiplier ! On a l'AFSSAPS, l'Etablissement français des greffes, l'ANAES, l'IMPES, l'AFSA, etc. Il y en a huit !

Lors du débat sur la sécurité sanitaire, je voulais une grande agence dans ce domaine. Je vois bien qu'il y a, malgré tout, des conflits de compétences entre les différents domaines.

En revanche, sur le plan de la sécurité sanitaire, ce sont les mêmes problèmes qui se posent pour les cellules souches ou pour le don de gamètes. Souvenez-vous de la séropositivité éventuelle des donneurs !

C'est d'ailleurs là un des obstacles au don d'ovules. Quand on prélève, on conserve le temps de vérifier que la femme n'était pas négative, mais en période de séroconversion. On est donc dans des priorités de sécurité sanitaire, et l'Etablissement français des greffes et la nouvelle APEGH ont les mêmes préoccupations et la même démarche.

Bien sûr, chacun a sa responsabilité propre, mais on est dans le cadre de structures qui montrent bien que c'est un même ensemble permettant de préparer la suite.

Vous m'avez encore demandé de préciser la différence entre la recherche sur les cellules embryonnaires et la recherche sur l'embryon. C'est très simple : j'ajouterai simplement à ce que j'ai dit tout à l'heure que la recherche sur l'embryon est destinée à profiter à l'embryon -peut-être pas celui sur lequel on fait la recherche, mais à un embryon en tant que tel.

Comment peut-il mieux se développer ? Comment peut-on faciliter son implantation ? Comment peut-on lutter contre l'apparition de telle ou telle anomalie ? La recherche sur l'embryon est destinée à l'embryon, tandis que dans la recherche sur les cellules embryonnaires, il s'agit éventuellement de guérir les Parkinson, les Alzheimer, les diabétiques, les myopathies. C'est une recherche tournée vers la médecine.

D'un côté, c'est l'embryon qui est au centre de la préoccupation alors que, pour les cellules embryonnaires, c'est une méthode, la thérapie cellulaire. La philosophie n'est donc pas tout à fait la même.

Vous avez également raison, Monsieur le rapporteur, d'évoquer le processus économique et industriel.

Je suis scandalisé ! La France fait une proposition conjointe avec l'Allemagne pour interdire le clonage reproductif à l'ONU et les Américains ouvrent un contre-texte disant qu'il ne faut pas seulement interdire le clonage reproductif, mais aussi le clonage thérapeutique. Ce faisant, les Etats-Unis sont appuyés par la plupart des pays d'influence catholique forte, parce qu'il faut tout interdire.

Permettez-moi de vous dire que c'est une erreur -et je le leur ai fait savoir- de ne pas considérer qu'il y a des priorités et que la première est d'interdire le clonage reproductif. Clonage reproductif et thérapeutique ne sont pas de même nature ! Avec ce contre-texte, de nouveaux bébés vont naître.

Je n'accepte pas l'hypocrisie américaine. Chacun sait qu'une déclaration fédérale n'a aucun effet sur le privé ! Une dépêche datant d'hier indique que «la prestigieuse université de Standford, en Californie, a annoncé mardi qu'elle allait cloner des embryons dans le cadre de recherches sur les cellules souches».

Les Américains, au motif de vouloir à la fois interdire le clonage reproductif et thérapeutique, ont fait capoter l'interdiction du clonage reproductif. Ils savent très bien qu'ils ne prennent aucun retard en matière de recherches en énonçant de grands principes de moralité et de vertu ! Je n'accepte pas cette hypocrisie, et je souhaite que nous menions un combat basé sur nos valeurs.

Je prendrai mon bâton de pèlerin, s'il le faut, pour aller là où il faut faire comprendre que ce genre de chose est inacceptable !

Vous avez parlé, en vous faisant porteur de la question du sénateur Lorrain, du diagnostic préimplantatoire -DPI- que l'on fait sur l'embryon conçu in vitro , et de l'injection cytoplasmique du sperme -ICSI. On prend un spermatozoïde dans une micro-pipette et on le pousse de force à l'intérieur d'un ovule. Axel Kahn avait même appelé cela le «viol de l'ovule»...

Il n'y a pas de lien entre le DPI et l'ICSI. On peut avoir un DPI après une fécondation in vitro traditionnelle.

En revanche, la question de la légitimité peut être discutée, mais je ne la retiens pas. Les seuls éléments qui pourraient éventuellement amener à se poser la question, c'est qu'il semblerait y avoir une légère augmentation d'anomalies chez les enfants nés par ICSI. Il ne faut pas non plus se précipiter sur une technique et la légitimer. On en vient quelquefois à se poser la question de savoir jusqu'où pousser la logique et la cohérence. En effet, si l'on veut garantir la bonne conformité génétique, il faut faire de la fécondation in vitro . On entre là dans la démarche eugénique que -Dieu merci- nous avons tous, les uns et les autres, fermement condamnée.

Madame Desmarescaux, vous avez évoqué le don d'ovocytes. Je comprends bien la chose. Cela s'est passé au début pour les dons de sperme. Les hommes n'avaient pas dans l'idée d'aller donner leur sperme. C'est quand même une démarche particulière. Ce n'était pas très simple. On a donc privilégié les couples qui amenaient avec eux un donneur sachant, pour qu'il n'y ait pas de confusion dans les esprits, que le donneur vient alimenter une banque, le sperme utilisé pour la fécondation étant le sperme d'un autre donneur. On garde l'anonymat, sinon il n'y a pas besoin de venir le faire in vitro : il suffit de le faire dans une chambre !

Pour le don d'ovocytes, c'est pareil. Quand une femme vient avec sa soeur qui accepte de donner des ovules, ces ovules ne vont pas être utilisés pour la soeur demandeuse, mais pour alimenter une sorte de réserve, ensuite utilisée dans l'anonymat le plus strict.

Il faut voir ce que représente le don d'ovocytes, quelles que soient la volonté des professionnels et la volonté des associations de couples stériles menées par une femme dynamique, Mme Chantal Ramogida, qui a fédéré des centaines, voire des milliers, de couples stériles et qui exigent le don d'ovocytes !

Ce sont quand même des inducteurs de l'ovulation. C'est un des sujets dont on ne va pas parler ce matin, mais que l'on abordera au cours des débats. Il faut également faire une coelioscopie et l'idée qu'un peu de soi est porté dans le ventre d'une autre, n'est pas très simple.

On peut banaliser les techniques dans leur réalisation sur paillasse, mais le faire accepter dans les esprits n'est pas aussi simple. Les médecins peuvent prétendre qu'il n'y a pas de problème et dire que l'on manque d'ovocytes : nous ne sommes heureusement pas dans la règle de l'offre et de la demande livrée au marché !

Je peux comprendre, et je ne suis donc pas favorable à ce que l'on pousse les femmes à donner des ovocytes. Qu'on les informe, oui, mais je ne suis pas favorable à ce qu'on les incite à donner, car c'est parfois faire violence à certains comportements, qui pourraient se trouver interpellés.

Je suis complètement d'accord avec vous en ce qui concerne l'accompagnement psychologique, mais nous nous heurtons à un problème que je connais bien.

Avec Francis Giraud, nous avons contribué à accompagner la création de CECOS avec nos centres de génétique. Nous recevions les donneurs de sperme et nous voyions les couples. Que demandent les couples qui veulent une insémination d'ovocytes ou un don de sperme ? Ils demandent à ce que l'enfant soit conçu et, très vite, à disparaître dans l'anonymat, en oublier qu'une seringue est intervenue là où la nature ne suffisait pas.

Certains, comme Georges David, demandent la PMA-vigilance pour savoir si, dans vingt ans, ceux qui ont été conçus en éprouvette auront un peu plus de leucémies, un QI à peu près correct, etc.

Bien entendu, c'est possible, mais je ne suis pas sûr que l'on puisse le faire, car l'homme n'est pas un animal. On ne peut toujours le considérer comme un sujet d'expériences, même quand la science y trouve un intérêt.

L'accompagnement psychiatrique de ces fécondations in vitro ou de ces inséminations finit à mon avis par marginaliser les gens ou, en tout cas, en les identifiant, à les faire entrer dans une démarche selon moi plus porteuse d'anomalies que d'autres choses !

En revanche, là où vous avez raison, c'est en matière d'adoption. Oui, ces couples-là doivent être accompagnés. Vous le savez, la logique de la PMA ou de l'AMP et la logique de l'adoption sont deux logiques totalement différentes. Pour le moment, on a tendance à dire aux gens: «Si cela ne marche pas, vous adopterez», laissant sous-entendre que c'est une alternative. Ce n'est pas le cas !

Dans la démarche de l'AMP, il s'agit bien de donner la vie à un enfant, alors que dans l'adoption, c'est se donner à la vie d'un enfant, ce qui est totalement différent !

Je ne crois donc pas que l'on puisse entrer dans l'adoption parce qu'on a échoué l'AMP. Il faut faire un travail du deuil de l'enfant biologique et se sentir totalement au clair au regard de sa propre infertilité pour pouvoir s'engager dans l'adoption. C'est pourquoi je suis tout à fait favorable à une mesure de cette nature, qui pourrait proposer un accompagnement psychologique des couples après échec de l'AMP.

J'ajoute un problème que vous n'avez évoqué ni les uns ni les autres et qui, pourtant, me préoccupe beaucoup. Pourquoi ne suis-je pas forcément très allant sur le développement de toutes ces techniques d'assistance médicale à la procréation ? ... Parce que l'on commence à en voir les aspects négatifs ! Vous avez vu le rapport sur l'augmentation quasiment parallèle de la prématurité et des enfants nés prématurément, avec petit poids de naissance, voire difficultés infirmes motrices cérébrales, etc. On sait que ces techniques conduisent à transférer deux ou trois embryons conçus in vitro . Le risque de prématurés est plus grand et les registres que l'on a le vérifient.

C'est la raison de ma prudence. Je remercie M. Fischer d'avoir souligné que j'avais évolué. Oui, j'avance tout doucement. Il nous faut du temps. Le problème est que la durée de vie de l'enfant est la même que celle du médecin qui l'observe. Ce n'est pas du tout pareil que de faire des expérimentations sur des drosophiles, des champignons ou des brebis, que vous pouvez recommencer.

C'est pour cela que je suis extrêmement prudent. Nous avons un facteur limitant majeur, qui est la durée d'observation. Ce n'est pas la peine d'attendre une génération pour recommencer l'expérience du Distilbène !

Oui, ces techniques existent et on doit pouvoir les utiliser, mais on ne doit jamais ni les généraliser, ni les banaliser, ni les exposer comme étant faciles ! Je crois donc que nous devons faire preuve de la plus extrême retenue.

M. Chérioux a rappelé notre démarche commune en 1994. Cela reste un moment fort.

Je suis d'accord avec vous sur la notion de projet parental. Bien entendu, lorsque le projet parental disparaît, l'embryon disparaît dans sa bonne fin. Dès lors, si les parents sont d'accord, on peut probablement en disposer dans des conditions très précises, de manière à encadrer les choses.

Je ne crois pas que l'on puisse parler de réification de l'embryon. Je crois qu'on peut parler de réification des cellules embryonnaires. Les cellules embryonnaires ne sont pas l'embryon. C'est la raison pour laquelle, pour ma part, je fais le distinguo entre la recherche sur l'embryon et la recherche sur les cellules embryonnaires.

Je n'accepterai pas l'idée que l'on puisse fabriquer des embryons pour ensuite en émietter les cellules et les utiliser !

La question du devenir de ces embryons a déjà été posée il y a quinze ans. Je pense que la réflexion devait avoir lieu. Les choses devaient mûrir. Je suis maintenant convaincu que nous pouvons nous aventurer avec sagesse et prudence sur les voies que j'ai définies tout à l'heure, à une exception près.

Je suis, en effet, scandalisé quand j'entends certains chercheurs me dire : «Nous recherchons sur l'homme, et non sur le primate, parce que c'est beaucoup plus facile d'avoir des spermatozoïdes, des ovules et des embryons humains que de primates» ! Je pense que nous mettons là sur le même pied des choses que l'on ne peut mettre sur le même pied ! Il faut que la recherche fasse des efforts pour développer les modèles animaux.

Je souhaite que l'on aille vers la vérification et la mise au point de techniques nouvelles de reproduction et que l'on fasse d'abord tous ces clonages et ces transferts nucléaires sur l'animal, avant de se poser la question du transfert à l'homme !

Monsieur Cazeau, j'ai apprécié votre intervention. Vous m'avez posé quelques questions que j'ai notées et sur lesquelles on reviendra en séance.

Le travail sur les cellules souches embryonnaires ne signifie pas la réification de l'embryon, mais je ne crois pas non plus qu'il s'agisse d'une matière première banale, comme les tissus ou le sang humain.

On peut utiliser ces cellules embryonnaires dans des conditions très particulières, mais il ne faut pas pour autant les considérer comme une matière première banale. C'est la raison pour laquelle il nous faut absolument un cadre très strict et très précis.

Refuser de mener des recherches sur des cellules souches embryonnaires dans des conditions éthiquement définies mais accepter d'importer des cellules embryonnaires dont on ne pourrait garantir la façon dont elles ont été conçues serait une véritable hypocrisie !

Je ne sais si on pourrait garantir les principes éthiques et assurer qu'au bout de la chaîne, une femme n'a pas été payée à Singapour, en Corée ou ailleurs. Je préfère donc fixer des principes vrais, stricts, à la française, pour être à l'abri de ces dérives.

Sur le plan international, vous êtes à la fois utopique et volontaire. C'est bien. Je ne crois pas que nous puissions nous contenter de suivre. D'ailleurs, je ne suis pas certain que nous puissions nous entendre sur certains sujets.

Sur le clonage reproductif, je pense que c'est le cas. En deux ans de travaux au Comité de bioéthique européen, nous avons adopté un protocole additionnel sur les transplantations d'organes, qui est maintenant accroché à la convention d'Oviedo, mais nous avons dû constater, en dehors de principes communs de fond importants, comme la non-commercialisation du corps figurant, un désaccord absolu sur la notion de la mort.

Les pays européens n'ont pas la même définition de la mort. Nous, nous parlons de « mort cérébrale », et nous l'avons acté ; d'autres pays disent qu'à partir du moment où on qualifie la mort de «cérébrale», ce n'est pas la mort tout court !

On a donc un vrai débat là-dessus, que l'on a dû renvoyer à la décision des pays.

Deuxièmement, nous sommes sur la voie du consentement présumé en France, mais la moitié des pays européens le refusent ! Ils veulent un consentement explicite. Vous ne pouvez, par présomption, ouvrir le corps d'un mort et prélever un organe.

Nous n'avons pas pu nous mettre d'accord là-dessus, pas plus que sur l'élargissement des donneurs vivants.

Vous voyez donc que même sur des activités qui ne sont pas aussi difficiles que le début de la vie, on a, au plan international, des repères difficiles.

Je crois qu'il faut plutôt être meneurs. La France a une vocation des droits de l'homme. C'est pour cela que je voudrais, dans toute la mesure du possible, que nous adoptions ce texte à la plus large majorité possible, sinon à l'unanimité. Cela nous donnerait un poids formidable dans les discussions européennes et internationales.

Bien sûr, nos chercheurs sont toujours en compétition. Certes, si l'on va vers les cellules embryonnaires, nos chercheurs s'y mettront. Ils monteront dans le train, mais ne seront pas dans les premiers wagons.

En revanche, si on lance très vite la recherche sur les cellules souches adultes, ils pourraient être dans le wagon de tête. Un pays comme la France ne peut être compétitif dans tous les domaines. Choisissons les créneaux français qui correspondent à nos valeurs et dans lesquels nous pouvons espérer ! On passe son tour sur une technique, et on est en tête dans la technique suivante. C'est en ce sens que je pense qu'il faut vraiment encourager nos chercheurs.

Enfin, j'ai, en partie, répondu dans ma réponse au rapporteur sur l'APEGH et l'EFG : il faut l'autonomie des départements, mais ce sont les mêmes principes sous-jacents -éthique, sécurité sanitaire. Je vous demande de considérer cela avec un oeil attentif, car si c'était la première marche vers la grande agence, je crois que nous aurions fait une belle oeuvre !

Monsieur le Sénateur Lardeux, merci d'abord de vos propos très aimables à mon endroit.

Je me suis mal fait comprendre : il est clair que le droit ne peut s'affranchir de la morale, mais nous sommes aujourd'hui dans la situation d'Antigone et de Créon. On n'invente rien ! Créon défend le droit de la cité en refusant la sépulture au frère d'Antigone, parce qu'il s'est retourné contre la cité. Antigone défend le droit moral, parce que c'est son frère, et parce que c'est son frère, elle veut qu'il soit enterré !

Nous posons le problème aujourd'hui très exactement dans des termes antiques ! Nous les abordons avec d'autres arguments, mais nous ne pourrons jamais concilier l'éthique de responsabilité et l'éthique de conviction, le droit moral et le droit civil. Antigone et Créon sont éternels !

Naturellement, je vous rejoins sur la finalité de la recherche. Très souvent, on ne sait pas ce que l'on va trouver, mais on sait quelle est la thématique sur laquelle on démarre. Je crois qu'il faut clairement que le ministère de la recherche et le ministère de la santé indiquent là où l'on veut aller, d'abord et avant tout dans l'intérêt de la médecine, et dans le respect de nos principes éthiques.

S'agissant des surnuméraires, en réalité une lettre est envoyée tous les ans aux couples pour leur demander leur position.

Je dois dire, là aussi, que le temps m'a beaucoup appris. La démarche des couples qui veulent un enfant est orientée vers une grossesse, un enfant -parfois deux, mais surtout un. S'ils ont six embryons au congélateur, ils n'ont pas du tout le sentiment d'avoir six enfants potentiels. Qu'on ait conçu six embryons, à la limite, cela leur est égal. Ils ont eu leur enfant : le reste ne les intéresse plus !

Certains nous disent presque : « Pour le reste, faites ce que vous voulez ». Nous ne voulons bien évidemment pas les déresponsabiliser à ce point. Il faut retourner vers eux, leur rappeler que, malgré tout, ce n'est pas rien.

C'est tout l'intérêt qu'il y a à redéfinir les conditions de la consultation préalable. C'est dans cette consultation préalable, à mon avis, qu'on devrait clairement dire aux couples, par avance, qu'en cas de décès ou de rupture du couple, on ne garde pas les embryons, car on parle de l'embryon post mortem , mais dans les couples qui se séparent ou qui divorcent et qui ont des embryons, qui va avoir l'autorité parentale, l'autorité partagée ? Ces gens ne veulent souvent plus se parler, n'ont plus rien en commun ! Je crois que ceci doit être clairement défini si l'on ne veut pas se trouver devant des situations abominables.

Monsieur le président Fischer, je crois qu'au fil du temps, j'ai répondu à toutes vos questions, sauf à celle de l'amendement Lefort.

Pourquoi vais-je vous demander de revenir sur l'écriture de l'amendement Lefort, même si je l'ai voté et qu'il exprime, de manière frontale et directe, la volonté de ne pas voir une séquence génétique brevetée ?

Je voudrais que nous réécrivions cela pour ne pas être accusés d'être anti-progrès et anti-biotechnologies.

Pour être le plus clair possible, je veux que l'on puisse breveter la technologie et non le bio. Je veux que l'on considère que le gène, qui est la matière première vivante, n'est pas brevetable. Je m'en rends compte aujourd'hui quand je suis confronté à la mise au point du dépistage du cancer du sein familial d'origine génétique et à l'obligation de myriades, que nous allons transgresser par le biais de licences, etc.

Croyez bien que, dans le texte, sera bien spécifié ce qu'a souhaité l'Assemblée Nationale et que j'avais moi-même appelé de mes voeux en 1996, dans le rapport que j'avais fait pour l'office interparlementaire, qui avait débouché sur le vote à l'unanimité d'une proposition de résolution condamnant les brevets sur le vivant.

Si nous ne voulons pas rompre le dialogue et passer pour des gens opposés aux biotechnologies, il nous faut préciser dans un amendement que nous sommes contre le brevet de la séquence, mais pour que cette séquence soit utilisée dans une méthode qui, elle, peut faire l'objet d'un brevet. Il faut donc que nous explicitions bien ce qui, pour nous, est sanctuarisé et ce qui est, au contraire, ouvert à la commercialisation, le brevet et la libre-concurrence, pour le mieux-être des malades.

Je suis consterné de l'évolution qu'ont prises les choses -mais ce sont des responsabilités politiques partagées. Les politiques, y compris les parlementaires européens de tous bords -qu'il s'agisse du PC, du PS ou de la droite- ont voté cette directive des deux mains. Il faut dire qu'ils n'étaient pas très nombreux en fin de mandature et en fin de session, début juillet !

Le fait est que, lorsque je défends ce texte en disant qu'il est ambigu, on me répond : « Les députés l'ont voté, les commissions l'ont adopté, la commission et le conseil des ministres aussi : vous venez un peu tard ! ».

Mon souci, aujourd'hui, est que l'on puisse transposer la directive « biotechnologies » parce qu'on en a besoin, et je veux très clairement préciser notre vision de l'article 5 dans l'alinéa 2.

M. Nicolas ABOUT, président - Merci beaucoup, monsieur le ministre.

Nous sommes ravis d'avoir pu débattre avec vous de tous ces points si sensibles, et en particulier du dernier, la brevetabilité, qui est effectivement une difficulté que nous devons régler.

Merci à vous tous.

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