EXAMEN EN COMMISSION

Au cours d'une réunion tenue le mercredi 15 janvier 2003 sous la présidence de M. Gérard Larcher , président , la commission des affaires économiques a examiné, sur le rapport de M. Gérard Le Cam , la proposition de loi n° 292 (2001-2002) de M. Gérard Le Cam et plusieurs de ses collègues tendant à préserver les services de proximité en zone rurale.

Rappelant que l'ambition des auteurs de la proposition de loi était de contribuer à préserver, voire à relancer, l'activité commerciale de proximité dans les zones rurales, M. Gérard Le Cam , rapporteur , a précisé que le texte visait à instituer un revenu minimum de maintien d'activité au profit des commerçants installés dans les communes de moins de mille habitants, leur permettant de percevoir une allocation différentielle si les revenus tirés de leur activité commerciale s'avéraient insuffisants. D'un montant maximum égal au revenu minimum d'insertion, cette allocation avait pour vocation de leur garantir la perception d'un revenu mensuel net de 1.016 €.

Avant de présenter le résultat de ses travaux et réflexions, M. Gérard Le Cam , rapporteur , a souhaité recadrer les termes du débat en ce qui concernait l'opportunité du texte et la prétendue originalité du principe de solidarité qu'il mettait en oeuvre.

S'agissant de l'opportunité, il a rappelé que de nombreuses mesures étaient déjà applicables ou envisagées (par exemple, dans le cadre des projets de loi préparés par le gouvernement) pour soutenir le commerce de proximité, soit de manière générale, soit dans le cadre spécifique des zones rurales, et que d'aucuns pouvaient estimer qu'elles étaient suffisantes. Tout en reconnaissant leur intérêt pratique et en assurant qu'il ne saurait être question de les supprimer ou de les remplacer, M. Gérard Le Cam , rapporteur , a relevé que ces dispositifs concernaient, pour l'essentiel, des aides à l'investissement ou des soutiens à la création et à la reprise d'entreprise. Il a souligné qu'ils prenaient la forme d'exonérations de charges fiscales et/ou sociales dont les effets étaient limités à quelques années seulement. Il a ajouté que le bénéfice de ces mécanismes était le plus souvent accompagné de conditions tenant à la viabilité économique de l'entreprise, ce paramètre étant exclusif de tout autre, notamment d'appréciations relatives à l'utilité sociale du maintien du commerce de proximité pour contribuer à l'animation de la vie locale.

M. Gérard Le Cam , rapporteur , a ainsi estimé que, si ces dispositifs avaient certainement aidé des commerçants, ils n'avaient en tout état de cause pas été en mesure de stopper la véritable hémorragie subie par le monde rural en matière de commerce de proximité ces vingt dernières années. A cet égard, il a rappelé que 18.000 communes n'avaient plus aujourd'hui aucun commerce, que plus de la moitié des communes comptant moins de 250 habitants et plus du tiers de celles de 250 à 500 habitants avaient perdu un commerce entre 1980 et 1998, et que la population française vivant dans des communes sans épicerie avait triplé sur la période, passant de 7 à 21,5 %. Considérant que ces quelques exemples tirés de l' Inventaire communal 1998 démontraient que les politiques traditionnelles ne semblaient pas à la mesure des enjeux de la « déprise commerciale », il a de plus observé que celle-ci affectait de manière principale les territoires ruraux, et dans ces territoires, les plus vulnérables et les moins mobiles de nos concitoyens, au premier chef les personnes âgées et les plus démunis.

Aussi, constatant que l'absence de commerce rompait le lien social, accélérait le phénomène de désertification dans certaines zones rurales, interdisait presque certainement tout espoir de « renaissance » ultérieure, portait atteinte à la communauté villageoise et n'était pas sans conséquence sur le maintien ou l'implantation d'autres activités économiques et de service, M. Gérard Le Cam , rapporteur , a estimé nécessaire de reconnaître et d'affirmer que la disparition progressive des commerces ruraux portait atteinte à l'intérêt général, et qu'une politique de solidarité nationale était nécessaire pour contrarier ce mouvement spontané.

Puis M. Gérard Le Cam , rapporteur , a abordé la question du principe mis en oeuvre par la proposition de loi : l'allocation régulière de compléments publics de revenu à des professionnels indépendants. Il a rappelé que l'on pouvait penser que cette démarche s'opposait aux règles fondamentales qui organisent la liberté du commerce et de l'industrie en France, et qu'elle était contraire à l'orthodoxie de l'économie libérale, qui ne justifie l'existence d'une activité économique qu'au regard de sa capacité à affronter les lois du marché. Toutefois, il a cité trois exemples pratiques qui lui semblaient démontrer que, dès lors que des objectifs supérieurs d'intérêt général étaient reconnus pour les justifier, des dispositions compensatrices s'écartant de la stricte logique marchande d'une économie libérale avaient déjà dans le passé été instituées.

M. Gérard Le Cam , rapporteur , a ainsi mentionné certaines des mesures de soutien à l'activité agricole en zone de montagne constituant des compléments de revenu indépendants de la production mises en place dans le cadre de la politique agricole commune pour garantir l'occupation pérenne et l'entretien continu des zones de montagne (« prime à la vache tondeuse » créée en 1975 ou encore « prime à l'herbe » datant de 1993). Il a également cité l'article 55 de la « loi montagne » de janvier 1985, adopté à l'unanimité par le Parlement, qui autorise explicitement l'action publique à se substituer totalement à l'initiative privée pour maintenir en zone de montagne un équipement commercial et un artisanat de services répondant aux besoins courants des populations et contribuant à l'animation locale, cet objectif ayant été qualifié d'intérêt général. Il a enfin estimé qu'au plan intellectuel, il était difficile de contester que les exonérations totales puis partielles de charges sociales, impôt sur les bénéfices, taxe professionnelle et taxe sur le foncier non bâti, dont devraient bénéficier pendant quatorze ans les entreprises de moins de cinq salariés installées dans les zones franches urbaines (ZFU), pouvaient s'apparenter à une aide durable au revenu de l'exploitant visant à compenser, par des mécanismes correcteurs ayant pour objet de permettre de dégager un « reste à vivre » suffisant, des handicaps structurels qui interdiraient la viabilité économique du projet.

M. Gérard Le Cam , rapporteur , a alors conclu que, selon lui, ces exemples démontraient que les responsables politiques de tous bords avaient, depuis plusieurs années, tant au plan national qu'à l'échelon européen, fait preuve d'imagination sans parti pris idéologique pour parvenir à des objectifs d'aménagement du territoire, et déjà recouru à des dispositifs tout à fait comparables à ce que pourrait être un complément de revenu versé directement à un commerçant en zone rurale

Abordant ensuite le dispositif lui-même, M. Gérard Le Cam , rapporteur , a reconnu que, dans sa version initiale, il était trop général et imprécis pour être effectivement applicable, relevant qu'en particulier son champ d'application, les zones et les commerces éligibles, ou encore l'intervention de la commission départementale d'équipement commercial (CDEC) dans la procédure pouvaient donner matière à interrogations. C'est pourquoi il a indiqué avoir souhaité encadrer le texte de manière beaucoup plus précise, et le recentrer sur son objectif de manière plus claire et opérationnelle, dans une nouvelle version comportant neuf articles qu'il a ensuite présentée.

Il a ainsi indiqué que l'article 1 er , après avoir posé comme principe que l'existence dans les zones rurales d'un réseau commercial de proximité répondant aux besoins courants des populations et contribuant à l'animation de la vie locale était d'intérêt général, créait un revenu minimum de maintien d'activité afin de favoriser le maintien ou l'implantation des commerces de proximité en zone rurale.

Il a souligné que l'article 2 était essentiel puisqu'il définissait les conditions d'éligibilité au dispositif. S'agissant des commerces éligibles, afin de garantir qu'ils seraient bien des activités commerciales de proximité répondant à l'objectif d'animation locale prévu à l'article 1 er , il a ainsi précisé :

- que le bénéfice du revenu minimum de maintien d'activité serait ouvert aux commerçants et artisans inscrits au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers dont l'activité principale relèverait d'une classe de la nomenclature d'activités françaises figurant sur une liste fixée par décret ;

- que ne seraient éligibles que les entreprises ayant le droit de choisir le régime fiscal du micro-BIC, à savoir celles dont le chiffre d'affaires hors taxes annuel ne dépasse pas 76.300 € ;

- que le commerce devrait satisfaire à des conditions de durée minimale d'ouverture au public fixées par décret.

En ce qui concerne par ailleurs les zones éligibles, M. Gérard Le Cam , rapporteur , a proposé de substituer à la notion de commune de moins de 1.000 habitants celle de zone de rénovation rurale (ZRR), instituée par la loi d'orientation d'aménagement et de développement du territoire de 1995, ce zonage lui paraissant bien davantage convenir à l'objectif de la proposition de loi : 12.000 communes potentiellement concernées, pour l'essentiel très petites, 40 % du territoire et 7 % de la population, soit 4,5 millions d'habitants.

A l'article 3, qui concerne les revenus à prendre en considération, M. Gérard Le Cam , rapporteur , a indiqué qu'après avoir sollicité de nombreux avis (services fiscaux, centres de gestion, Conseil national de la comptabilité, APCM, ACFCI), il lui était apparu que la notion la moins difficile à prendre en compte était la valeur ajoutée dégagée par l'activité commerciale, observant qu'elle était au demeurant définie par le code général des impôts. Il a ajouté qu'en cas d'emploi d'un ou de plusieurs salariés, cette valeur ajoutée serait diminuée d'un montant forfaitaire fixé par décret, cette méthode permettant d'éviter qu'un montant de salaire injustifié soit accordé par exemple au conjoint pour obtenir le droit à l'allocation ou maximiser son montant. Quant au plafond du dispositif, c'est à dire la somme des revenus d'activité et de l'allocation différentielle, et que les auteurs de la proposition de loi initiale avaient fixé à 1.016 €, il a indiqué qu'il serait lui aussi déterminé par décret, à la fois pour respecter la répartition constitutionnelle des pouvoirs et par souci pratique, puisque les évolutions sont plus facilement faites par voie réglementaire. Il a toutefois précisé que, de son point de vue, le plafond initial devrait « tourner » autour des 1.000 €. Il a enfin souligné que, l'allocation différentielle n'étant pas un revenu social, comme le RMI, mais un revenu économique, elle devrait être soumise à l'impôt.

Après avoir rappelé que la proposition de loi initiale envisageait de confier la procédure à la CDEC, et indiqué qu'en définitive ce choix ne lui paraissait pas opportun, M. Gérard Le Cam , rapporteur , a présenté le contenu des articles 4 et 5 consacrés à la procédure. S'agissant du pouvoir de décision, l'allocation étant versée par l'Etat, il lui a paru normal que l'autorité d'attribution soit, comme pour le RMI, le préfet. Soulignant avoir souhaité que la décision d'attribution soit précédée de l'avis préalable d'une commission réunissant élus locaux et représentants consulaires, il a relevé qu'une telle commission existait déjà et que sa mission, qui est de gérer les fonds départementaux d'adaptation du commerce rural, la rendait particulièrement bien adaptée pour jouer le rôle qu'il envisageait. C'est pourquoi il a proposé de confier ce rôle à la commission départementale d'adaptation du commerce rural, co-présidée par le préfet et le président du conseil général, et composée de trois maires, de quatre représentants du conseil général, de trois représentants de la CCI, d'un représentant de la chambre des métiers et de deux personnalités qualifiées désignées par les co-présidents. Dès lors, selon le texte qu'il présentait, l'instruction des dossiers aurait été conférée aux services du préfet tandis que le service de l'allocation l'aurait été à l'ORGANIC, qui connaît bien les procédures de versement d'allocations et la population des commerçants, puisqu'elle gère leur assurance vieillesse, et qui, d'ores et déjà, liquide les sommes à verser dans le cadre des procédures FISAC et de l'aide au départ des commerçants et artisans, qui étaient jusqu'à l'an dernier financées par la taxe d'aide au commerce et à l'artisanat (TACA).

A propos du financement du dispositif, M. Gérard Le Cam , rapporteur , après avoir rappelé que l'article 3 de la proposition de loi initiale prévoyait l'institution d'une taxe additionnelle à la TACA, a indiqué qu'il ne lui semblait en définitive pas nécessaire de créer une imposition supplémentaire. Il a en effet relevé :

- que si la TACA avait été budgétisée par l'article 35 de la loi de finances pour 2003, tout comme l'ont été du contrecoup les actions qu'elle finance (le FISAC, l'aide au départ des artisans et commerçants et le comité professionnel de la distribution des carburants - CPDC), il n'en restait pas moins qu'il s'agissait toujours d'une taxe appelée sur les enseignes de la grande distribution pour des raisons de solidarité interprofessionnelle et que, cette procédure de budgétisation ayant suscité beaucoup d'émotion parmi les représentants des commerçants et artisans, il avait été plusieurs fois affirmé par le gouvernement, au cours des débats budgétaires, qu'elle ne remettrait pas en cause cette solidarité ni les actions que finance la taxe ;

- que la différence entre le produit de la TACA (223 M€ prévus en 2003) et le coût cumulé desdites actions (126 M€) devrait s'établir en 2003 à 97 M€, et qu'il était acquis que les dépenses exposées au titre de l'aide au départ (45 M€ en 2003) et du CPDC (10 M€) devraient fortement diminuer dans les prochaines années, tandis que le rendement de la TACA continuerait d'augmenter ;

- qu'une estimation extrêmement large du coût du dispositif de la proposition de loi permettait de l'évaluer à 24 M€ en année pleine : 8.000 allocataires pour une allocation mensuelle moyenne de 250 €. M. Gérard Le Cam , rapporteur , a ainsi relevé que cette somme représentait exactement un quart du solde « bénéficiaire » de la TACA prévu pour 2003, mais aussi à peine 18 % des sommes actuellement dépensées au titre du revenu minimum d'insertion (RMI) au bénéfice des 15.000 allocataires entrepreneurs et travailleurs indépendants, et qu'elle était enfin similaire au coût prévu pour 2005 des dispositions nouvelles envisagées au profit des entreprises de moins de cinq salariés installées dans les 44 ZFU actuelles (26 M€).

Après avoir estimé que si l'on excluait par principe que la création de nouveaux mécanismes de solidarité entre la grande distribution et le petit commerce de proximité puisse être financée par la TACA, alors cette taxe pourrait effectivement ne devenir, comme l'avaient expressément craint les professionnels de la grande distribution en octobre dernier, qu'une imposition supplémentaire acquittée par ce secteur sans aucune légitimité d'intérêt public, M. Gérard Le Cam , rapporteur , a conclu que, de son point de vue, l'argent nécessaire pour financer le dispositif qu'il proposait existait et qu'il n'était nul besoin de créer une taxe supplémentaire.

Enfin, abordant les articles 6 à 9 de ses propositions de conclusions, il a indiqué qu'ils traitaient respectivement des exceptions au service de l'allocation ou à la répétition des indus, des prescriptions, de la récupération des indus, ainsi que des sanctions, et que, tout comme les dispositions relatives aux pouvoirs des services instructeurs en matière de recueil de l'information ou aux obligations de confidentialité figurant à l'article 5, ils étaient similaires aux mesures législatives actuellement applicables au RMI.

En conclusion, M. Gérard Le Cam , rapporteur , a demandé à la commission d'adopter ses propositions qui, s'inscrivant dans une logique d'aménagement du territoire, lui semblaient bien prendre en compte :

- la gravité de la situation que connaissent nombre de cantons ruraux français en matière de tissu commercial de proximité, gravité qui, de son point de vue, paraissait légitimer la mise en place d'un dispositif nouveau lequel, loin de se substituer aux procédures existantes de soutien à l'investissement, à la modernisation, à la création ou à la reprise d'activité, viendrait au contraire les compléter et les conforter ;

- le fait que, dès lors qu'étaient précisément définis les objectifs poursuivis et affirmé leur caractère d'intérêt général, divers mécanismes avaient déjà dans le passé été institués pour soutenir une profession ou l'activité économique dans certaines zones en s'écartant de manière délibérée des règles habituelles de l'économie de marché et des principes d'une stricte concurrence ;

- par les précisions apportées à la proposition de loi initiale, la nécessité de garantir une cohérence et d'encadrer le dispositif de manière suffisante pour éviter toute dénaturation de son objet et toute dérive des finances publiques.

A l'issue de cette intervention, et après que M. Gérard Larcher , président , a félicité M. Gérard Le Cam , rapporteur , pour la qualité du travail effectué et la précision des conclusions qu'il soumettait, un débat s'est ouvert.

S'appuyant sur son expérience d'élu local, M. Christian Gaudin a souligné toute l'importance de la problématique posée par la proposition de loi au regard de la politique d'aménagement du territoire. A cet égard, il a estimé essentiel d'aider les collectivités territoriales à maintenir dans les zones rurales un réseau commercial de proximité. S'opposant toutefois à toute « fonctionnarisation » des commerçants des petites communes, il a considéré préférable de les soutenir en matière d'investissements et d'immobilier, le cas échéant en renforçant les procédures actuelles nationale (FISAC) ou européenne (FEDER). Il a estimé que la notion même de chef d'entreprise n'était pas conciliable avec le salariat et, rappelant que les opérations de soutien organisées par les collectivités locales ne connaissaient le succès que si elles accompagnaient une véritable démarche entrepreneuriale, il s'est déclaré opposé à l'extension aux activités privées de mécanismes qui ne peuvent, de son point de vue, être intéressants et efficaces que pour le maintien de services publics tels que La Poste.

Considérant que la proposition de loi initiale tout comme les suggestions du rapporteur apportaient une fausse réponse à un vrai problème, M. Gérard Cornu a rappelé que les difficultés du commerce rural tenaient à la faiblesse de la clientèle, qui imposait aux commerçants soucieux de la rentabilité de leur exploitation un véritable esprit d'entrepreneur et une capacité de travail ne lui paraissant pas conciliables avec le dispositif proposé. Observant en outre que le défi auquel était actuellement confronté le commerce rural était le remplacement des exploitants âgés prenant leur retraite, il a estimé que les projets de loi du gouvernement, et en particulier celui relative à l'initiative économique, étaient de nature à apporter des réponses plus efficaces, notamment en ce qui concerne les aides à la reprise et à la transmission des entreprises ainsi que celles à la modernisation et à la mise aux normes de l'outil de travail, qui exigent des investissements colossaux. C'est sur les investissements, a-t-il conclu, et non sur le fonctionnement, que devaient porter les financements publics destinés à aider les commerçants des zones rurales.

Saluant l'initiative des auteurs de la proposition de loi, M. Georges Gruillot a indiqué partager leur analyse sur la gravité de la situation du commerce rural et souligné son accord avec le rapporteur quant à ses conséquences dramatiques pour l'animation et la qualité de la vie locale. Il a toutefois considéré le problème était plus global et qu'il résultait du parti pris, exprimé notamment par la « loi Voyet », de privilégier une société urbaine au détriment de la société rurale. Aussi, estimant inopérant de procéder de manière parcellaire, fut-ce au profit d'un secteur essentiel pour la qualité de la vie, il a jugé impératif de modifier rapidement la politique d'aménagement du territoire dans son ensemble et d'aborder conjointement la problématique du commerce rural avec celles des infrastructures de transport, de l'urbanisme, du développement économique, etc.

Partageant tant le diagnostic que les conclusions du rapporteur, M. Jean-Pierre Bel a souligné que les résultats globaux du dernier recensement n'étaient pas si satisfaisants pour l'espace rural qu'une analyse succincte pourrait le laisser croire, la concentration des populations autour des axes de circulation et des pôles de services urbains et ruraux continuant de « saigner » d'importants territoires des départements ruraux. A cet égard, prenant pour exemple les conséquences pour le département de l'Ariège de la création d'une ZFU à Toulouse, il a souligné les dangers pour l'espace rural de la relance de cette politique et déploré la différence de traitement des problèmes d'emploi selon qu'étaient concernés une métropole ou un département rural. Aussi a-t-il exprimé son soutien aux propositions du rapporteur, dont il a estimé que si elles pouvaient paraître iconoclastes et rompant avec l'orthodoxie, elles méritaient de donner un signal fort invitant à cesser d'ignorer les problèmes rencontrés par les zones rurales.

Observant que le débat posé par la proposition de loi pourrait donner lieu à de très longs et intéressants développements, M. Pierre-Yvon Trémel a souligné l'importance du chemin parcouru entre le texte initial et les propositions du rapporteur. Après s'être interrogé sur le nombre des dispositions dont la mise en oeuvre pratique était renvoyée au pouvoir réglementaire, il a ensuite demandé au rapporteur combien de communes de moins de 1.000 habitants étaient situées dans les ZRR, si les commerçants qui s'installaient étaient éligibles dès la première année, et comment le dispositif de soutien était reconduit d'année en année. Il a par ailleurs estimé que la politique de prise en charge des investissements n'était, à elle seule, pas suffisante lorsque la viabilité économique d'un commerce n'était pas envisageable en raison de la faiblesse de la clientèle dans la zone de chalandise. A cet égard, il a considéré qu'à l'approche strictement économique de la dimension commerciale pouvait être ajoutée une approche sociale reconnaissant qu'en zone rurale, le commerce était un outil de renforcement du lien social qui méritait d'être encouragé. Il a ainsi conclu qu'une réponse, même imparfaite, à un problème aussi vital que celui du commerce rural valait mieux que pas de réponse du tout.

Faisant part, tout en en soulignant le coût très important, du succès rencontré par les initiatives prises depuis six ans par la chambre des métiers et le conseil général de la Savoie en faveur de la revitalisation du commerce de proximité dans les bourgs-centres de plus de 1.000 habitants, M. Jean-Pierre Vial a indiqué qu'en revanche, l'équipement commercial des communes de moins de 1.000 habitants de son département était extrêmement dégradé. Il a relevé que les raisons de cette situation préoccupante tenaient pour l'essentiel à l'absence de repreneur pour les commerces dont les exploitants partaient à la retraite, en particulier du fait des coûts générés par les nécessaires modernisation et mise aux normes de l'outil de travail. A cet égard, et exprimant son scepticisme quant aux effets d'une aide au revenu, il a considéré que les communes pouvaient être aidées à prendre davantage en charge ces coûts, tout comme elles le font pour maintenir sur leur territoire certains services publics, telle La Poste, et à favoriser un regroupement des moyens dans une optique de multi-services.

Observant que les caractéristiques profondément rurales de son département d'élection le rendaient particulièrement attentif à la problématique du tissu commercial, M. Bruno Sido a estimé que les obligations de mise aux normes avaient fait s'effondrer des pans entiers du petit commerce et de l'hôtellerie ruraux, tout comme de l'agriculture au demeurant. Puis, après avoir contesté la pertinence des exemples de l'agriculture de montagne et des ZFU retenus par le rapporteur pour souligner leur analogie avec le dispositif de la proposition de loi, il a estimé que la renaissance du commerce rural devait s'appuyer sur les services qu'il était susceptible de rendre et qui le distingueraient de la grande distribution (par exemple en matière d'horaires d'ouverture). Enfin, il a considéré que seul pouvait être justifié un soutien à l'investissement des commerces dont le compte d'exploitation était équilibré, et qu'en cas inverse, si la viabilité commerciale n'était pas assurée, le RMI avait précisément été institué pour garantir des ressources minimales.

Craignant un double effet pervers de la proposition de loi, M. Charles Guéné a estimé qu'elle risquait de porter atteinte, en altérant le jeu normal de la concurrence, aux efforts de développement local engagés par les collectivités territoriales en rompant les équilibres déjà précaires pour les commerces existants, et qu'elle allait à l'encontre des regroupements d'activités, que celles-ci relèvent du secteur public ou du secteur privé, que les pouvoirs publics essayent d'encourager sur tout le territoire comme en témoignent les récents décrets parus en la matière. Plutôt qu'un tel « combat d'arrière-garde », il a indiqué qu'une réflexion dans le cadre global d'une remise à plat de l'aménagement du territoire lui semblerait plus indiquée, de même peut-être qu'un examen des conditions d'accès des commerçants ruraux au RMI.

Relevant que les aides à l'investissement ou à la création et à la reprise d'entreprises ne garantissaient aucune pérennité de l'activité commerciale dans les zones où la densité de population est faible, Mme Marie-France Beaufils a contesté que la proposition de loi conduise à la fonctionnarisation des commerçants et souligné que le complément de revenu n'avait d'autre objet que de permettre aux commerçants ruraux de vivre décemment et de se voir reconnaître le service social qu'ils rendent à la collectivité, qu'elle a jugé tout aussi important que les produits vendus. A cet égard, elle a estimé que les espaces multiservices étaient essentiels et que le texte examiné permettait de poser une base pour leur développement. Enfin, elle s'est étonnée des arguments appelant à attendre l'examen d'une loi générale sur l'aménagement du territoire pour répondre aux difficultés du commerce rural de proximité, observant que le Sénat n'avait pas adopté, il y a quelques mois, une telle démarche pour modifier, de toute urgence mais de manière partielle, la loi de solidarité et de renouvellement urbains.

Après avoir considéré que le système proposé serait difficilement gérable, M. Alain Fouché a souligné la responsabilité des CDEC dans la situation actuelle, ces commissions ayant dans certains départements accordé trop d'autorisations d'ouverture ou d'extension à la grande distribution. Il a jugé nécessaire de procéder à un toilettage des dispositions les concernant, relevant notamment les conséquences perverses de leur fonctionnement par arrondissement et non par département. Il a par ailleurs estimé qu'il convenait avant toute chose de porter les efforts sur les investissements des commerces de proximité, pour la modernisation de l'outil de travail et la mise aux normes, et dans une optique de soutien à la reprise et à la transmission des entreprises. Dans cette perspective, il a préconisé un relèvement des plafonds et une extension du champ d'application des procédures de soutien public existantes, et estimé que de telles améliorations devraient pouvoir prendre place dans le cadre du projet de loi pour l'initiative économique. Il a enfin conclu que la problématique du multi-commerce de proximité en zone rurale était intimement liée à celle du maintien des services publics, comme par exemple les services postaux.

Soulignant l'extrême utilité sociale du maintien d'au moins un commerce pour éviter la « mort » des villages, M. Yves Coquelle a fait part de son interrogation sur l'intérêt de soutenir l'investissement de commerçants installés dans des zones de chalandise dont chacun s'accorde à reconnaître qu'elles n'autorisent plus la viabilité économique de leur exploitation si une aide au fonctionnement n'était pas également assurée. A l'appui du dispositif de la proposition de loi, il a relevé que des conseils régionaux de toute majorité politique soutenaient financièrement des lignes d'autocar ou de chemins de fer qui n'étaient plus rentables dans le seul but d'intérêt public de garantir une desserte aux populations rurales.

Elu d'un département rural dont plus des trois-quarts des communes ne possèdent plus aucun commerce, M. Hilaire Flandre a estimé que la proposition de loi avait pour objet de demander au citoyen contribuable de réparer les erreurs du citoyen consommateur et que le problème culturel, qui est aussi un phénomène de génération, qu'elle soulevait était celui du positionnement face au travail, l'exercice d'une activité commerciale exigeant d'accepter de travailler beaucoup plus de 35 heures par semaine, surtout en milieu rural. Quant au dispositif proposé par le rapporteur, il a estimé qu'il soulevait plusieurs difficultés tenant notamment à la définition de la cible (en particulier en ce qui concerne l'emploi d'un ou de plusieurs salariés), à la nature de l'activité (comment les multiservices seraient-ils pris en compte ?), au zonage géographique (les ZRR ne seraient-elles pas dans certains cas trop limitatives ?), aux interdictions légales de soutenir la vente d'alcool (alors que les bistros de campagne sont, qu'on le déplore ou non, des lieux essentiels d'animation locale), ou encore à l'exercice de la concurrence (quelles limites seraient définies dans les communes qui comptent plusieurs commerces ?). Puis il a indiqué que le RMI constituait déjà un mécanisme de complément du revenu qui pouvait être utilisé par les commerçants ruraux en difficulté, avant d'appeler également à l'examen de la question des réseaux commerciaux de proximité dans les zones rurales dans le cadre plus vaste de la politique d'aménagement du territoire.

En réponse à ces intervenants, M. Gérard Le Cam , rapporteur , a tout d'abord rejeté toute idée de « fonctionnarisation » en soulignant que la proposition de loi ne visait qu'à soutenir, par un revenu différentiel, les commerçants installés dans des communes où l'activité économique n'était pas viable, en rétribuant le service collectif qu'ils rendaient, par leur présence même, à la population, et leur contribution décisive à l'animation de la vie locale. Il a estimé que, dans les zones rurales concernées, il était souvent vain et dispendieux de soutenir des investissements si aucune aide au fonctionnement ne permettait aux exploitants de continuer leur activité.

Après avoir confirmé que son dispositif ne pouvait bénéficier avant un an aux nouveaux commerçants récemment installés, il a, en reconnaissant que la question de la transmission des entreprises en milieu rural posait un problème spécifique, émis l'hypothèse qu'une réfaction de la valeur du fonds de commerce puisse être instituée si le commerçant cédant avait bénéficié d'un revenu minimum de maintien d'activité. Puis, après avoir estimé que les ZFU n'étaient pas sans effets pervers sur leur environnement rural, il a considéré que les risques de rupture d'un équilibre précaire en matière de concurrence étaient limités dans la mesure où, la plupart du temps, la concurrence ne venait pas d'autres commerces de proximité mais de la grande distribution. Il a en revanche reconnu que la question du zonage pouvait faire l'objet d'un débat, même si les ZRR lui semblaient, en l'état, la définition la plus appropriée.

Enfin, observant que les interventions de certains de ses collègues avaient révélé des inquiétudes, mais convaincu que la situation dramatique du commerce rural exigeait de mettre en oeuvre des solutions nouvelles, M. Gérard Le Cam , rapporteur , a proposé d'ajouter à ses propositions de conclusions un article final conférant un caractère expérimental au dispositif du revenu minimum de maintien d'activité. Soulignant que cette suggestion s'inscrivait parfaitement dans la démarche générale du Premier ministre, qui prône et trouve intérêt à l'expérimentation dans tous les domaines, notamment en matière de décentralisation, et qu'en tout état de cause, le coût de cette expérimentation devrait être limité, il a ainsi proposé que les dispositions ne soient applicables que pour une durée de six ans à compter de la promulgation de la loi et que, dans la perspective d'une éventuelle pérennisation du revenu minimum de maintien d'activité, un rapport du gouvernement soit remis au Parlement avant la fin de la cinquième année d'expérimentation afin d'évaluer, notamment, les effets de la loi sur l'offre commerciale dans les zones de revitalisation rurale et sur le respect des règles d'une concurrence loyale en matière commerciale en zone rurale.

En conclusion de ce débat, dont il s'est félicité de la richesse et de la profondeur, M. Gérard Larcher , président , a rappelé que la proposition de loi était inscrite à l'ordre du jour du Sénat du jeudi 23 janvier 2003 et informé ses collègues du déroulement de la procédure dans l'hypothèse d'un rejet des conclusions du rapporteur. Puis, après avoir souligné, comme certains de ses collègues, la connexion entre la problématique soulevée par ce texte et celle de la présence des services publics, notamment postaux, en milieu rural dans une perspective de développement des multiservices, susceptibles de développer une attractivité supplémentaire et d'apporter aux commerçants un utile complément de revenu, il a conclu que s'esquissait en filigrane de ces échanges l'intéressant débat entre revenu minimum d'activité et revenu minimum d'insertion.

Mises au vote, les propositions de conclusions présentées par M. Gérard Le Cam , rapporteur , ont été repoussées à la majorité des voix. En conséquence, les conclusions négatives de la commission des affaires économiques seront soumises à l'approbation du Sénat en application de l'article 42 (6, c) du règlement.

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