B. LE PROGRAMME « DETTE-TRÉSORERIE » CLARIFIE LA STRATÉGIE DE GESTION DE LA DETTE

Pour la troisième année, les crédits relatifs à la dette sont présentés par anticipation sous la forme d'un programme conforme aux dispositions de la LOLF. Une mise en oeuvre rapide de la LOLF était en effet rendue possible par les progrès qui avaient été réalisés dans la gestion de la dette depuis 1985 ; sous la contrainte de l'augmentation de l'endettement puis de la création d'un marché financier européen unifié.

1. L'agence France-Trésor

Confronté à l'augmentation de son endettement, l'Etat a été incité à mettre en place les outils les plus performants possibles de telle manière à être un émetteur de référence sur des marchés européens où il n'est plus en position dominante. La mise en oeuvre de cette politique est confiée à l'Agence France Trésor.

a) Un acteur unique gestionnaire de la dette et de la trésorerie de l'Etat : l'agence France-Trésor

La création de l'Agence France Trésor correspond à la volonté de disposer d'une entité dynamique au plus près des marchés : elle montre combien la gestion de la dette devient une des priorités de la politique des gouvernements, quels qu'ils soient.

Mise en place le 8 février 2001 par un décret de M. Laurent Fabius, alors ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, l'Agence France Trésor est un service à compétence nationale. Sa mission essentielle consiste à gérer la trésorerie de l'Etat ainsi que sa dette. Cette mission doit s'effectuer au mieux des intérêts du contribuable, c'est-à-dire en limitant autant qu'il se peut le service de la dette (versement des intérêts et remboursement d'emprunts venus à échéance) et en minimisant les besoins de trésorerie.

La gestion de la trésorerie s'effectue donc d'abord dans un souci de faire fructifier tout solde créditeur des opérations de l'Etat ; la gestion de la dette consistera ensuite à se servir de tous les instruments du marché et de toutes ses tendances pour placer au cours le plus favorable et racheter de même les divers véhicules de la dette souveraine : BTF à court terme (3 mois à un an) ; BTAN à moyen terme (2 à moins de 5 ans) et OAT à long terme (5 ans et plus).

L'agence France Trésor regroupe une trentaine de collaborateurs aujourd'hui et a repris l'ensemble des activités de l'ancien bureau A1 « Trésorerie et gestion de la dette » de la direction du Trésor. Elle est organisée autour de six cellules distinctes :

- deux cellules opérationnelles -Trésorerie et Dette- qui sont chargées du suivi et de la gestion quotidienne des flux financiers de l'Etat ;

- et quatre cellules d'appui -Contrôle des risques, Recherche opérationnelle, Macro-économie et Information- qui sont chargées des travaux de veille destinés à optimiser l'ensemble des mouvements financiers transitant par le compte de l'Etat.

b) Une agence soumise à un principe général de contrôle des risques

Pour faire face aux nombreux risques auxquels l'Etat est exposé -risques de marché, de contrepartie, de règlement, d'écart prévision/réalisation, risques opérationnels et informatiques -, l'agence France Trésor a été dotée d'un cahier des procédures approuvé par le directeur du Trésor et doit respecter une charte de déontologie, publiée par un arrêté du 18 septembre 2001. Une refonte en profondeur du « cahier interne des limites » et du « cahier interne des procédures » est actuellement en cours pour permettre à l'agence de disposer d'une approche cohérente du risque quel que soit le type d'opération négociée par l'agence qui est dotée d'une salle de marchés.

Par ailleurs votre rapporteur spécial a constaté avec satisfaction le développement d'un double contrôle externe, d'abord sous forme d'un audit contractuel portant sur le respect des procédures prudentielles au niveau du compte de commerce qui retrace les opérations de gestion active de la dette, que sous forme des observations présentées par la Cour des comptes 26 ( * ) sur la mise en oeuvre du programme « dette » et la réalisation par ladite Cour d'un audit comptable des opérations relatives à la dette, en anticipation sur sa mission de certification des comptes.

c) Une agence en relation constante avec un groupe sélectionné de « spécialistes en valeur du Trésor »

L'AFT est en relation constante avec l'ensemble des acteurs du marché, notamment par l'intermédiaire des spécialistes en valeur du Trésor. La mission de ces derniers a été redéfinie dans le cadre d'une charte publiée en février 2003 en substitution à l'ancien cahier des charges. De plus le classement des SVT ne tient plus uniquement compte de leur participation aux adjudications sur le marché primaire mais aussi de l'animation du marché secondaire.

d) La clarification des objectifs : le raccourcissement de la durée moyenne de la dette

Le programme « gestion de la dette et de la trésorerie de l'Etat » constitue le programme est sans doute le plus abouti de ceux en cours de construction pour l'application de la LOLF.

Le programme « gestion de la dette et de la trésorerie de l'Etat » offre une double présentation de la charge de la dette 2004 en comptabilité budgétaire et en droits constatés.

Il explicite les objectifs opérationnels de gestion de la dette : dans le cadre d'un « objectif général de minimisation de la charge de la dette pour le contribuable dans des conditions de sécurité absolues ». Cet objectif général est à juste titre un objectif à moyen terme ce qui exigera une évaluation également pluriannuelle de la performance ; mais il est abusif de se référer à des conditions de sécurité absolue car l'évolution future des taux d'intérêt est par nature incertaine et ne relève pas d'une simple analyse probabiliste en situation de risque. Au mieux, peut-on exiger un contrôle maximal des risques financiers et techniques encourus, ainsi que cela est d'ailleurs proposé.

Les deux objectifs opérationnels proposés sont d'une part la réduction de la durée moyenne de la dette, d'autre part une politique d'émission en adéquation avec la demande des investisseurs. Votre rapporteur spécial se bornera à évoquer le premier d'entre eux.

Jusqu'en 2001, la doctrine du Trésor consistait à n'emprunter à court terme que pour couvrir les charges infra-annuelles de trésorerie, les émissions d'OAT et de BTAN devant couvrir les besoins à plus long terme. Cette politique menée avec constance depuis 1985 a conduit à une dette de durée moyenne comprise entre six et sept ans. Depuis deux ans, le gouvernement se propose d'infléchir cette politique dans le sens d'un raccourcissement de la durée de la dette, soit lors de l'émission primaire de titres (en augmentant la proportion de titres courts, notamment de BTF), soit en intervenant sur le marché d'instruments dérivés (en « swapant » c'est-à-dire en échangeant des taux longs contre des taux courts). Cet infléchissement s'explique par la forme « classique » des taux d'intérêt.

Le taux auquel l'Etat peut s'endetter sur des maturités courtes (trois mois, un an...) est, en général, inférieur au taux qu'il lui faut payer en s'endettant à plus long terme. Une des hypothèses les plus robustes de la théorie financière est en effet que la courbe des taux est croissante avec la maturité, résultat qui repose sur l'existence de primes de risque. Il en résulte que les taux longs sont généralement supérieurs aux taux courts

Si l'on observe à différentes dates la forme de la courbe des taux, on constate que cette situation n'est pas systématique mais qu'historiquement, elle s'est réalisée beaucoup plus souvent. Ainsi, en France depuis 1990, la pente de la courbe a été positive dans 63 % du temps et cette pente (c'est à dire l'écart entre le taux dix ans et le taux trois mois) a été en moyenne sur la période de 50 points de base. Depuis 1994 (ce qui exclut les périodes de crises monétaires pendant lesquelles les taux courts français ont été particulièrement élevés pour défendre le franc), la pente a été positive dans 95 % des cas et sa valeur moyenne a été de l'ordre de 160 points de base. Le graphique ci-dessous illustre ce fait en retraçant l'évolution de l'écart entre les taux longs (représentés par le taux d'émission des OAT à 10 ans) et les taux courts (représentés par le taux d'émission des BTF à 3 mois)

Ecart de taux entre taux OAT 10 ans et taux BTF 3 mois

(en points de base)

Mais bien entendu, le risque d'inversion de la courbe des taux reste toujours présent en cas de crise monétaire , même si celles-ci sont devenues beaucoup moins probables depuis la création de l'euro qui a fait disparaître les crises de change à l'intérieur de l'Union européenne.

L'analyse qui précède justifie l'hypothèse d'une courbe des taux effectivement croissante avec la maturité. Sous cette hypothèse, il est possible de diminuer la charge d'intérêts en réduisant la durée de vie moyenne de la dette, et ainsi d'économiser une partie de la prime de risque demandée par des investisseurs pour détenir des titres longs. Cette moindre charge n'a pas de caractère systématique mais doit se concrétiser sur le long terme. En contrepartie, une réduction de la durée de vie moyenne de la dette et du taux auquel elle est rémunérée conduit au renouvellement annuel d'une part plus importante de celle-ci, ce qui accroît la variabilité de la charge d'intérêts .

En définissant un objectif de réduction de la durée de vie moyenne du stock de dette, il s'agit donc de trouver un compromis entre moindre charge d'intérêts et plus grande variabilité de celle-ci .

Cette stratégie n'est pas la conséquence d'anticipations particulières quant à l'évolution à court terme des taux. Une telle stratégie, si elle est mise en place progressivement et poursuivie pendant une durée au moins égale à un cycle économique (puisque le niveau des taux varie avec la situation conjoncturelle) doit en moyenne permettre de réduire la charge d'intérêts. La pertinence a posteriori d'une telle stratégie ne pourra être constatée qu'après plusieurs années. Elle a conduit pour le moment à des gains budgétaires en 2002 et 2003 .

Cette stratégie a été mise en oeuvre de deux manières, d'abord par la création d'un portefeuille de swaps de taux d'intérêt, ensuite par un recours plus intense aux émissions de bons du Trésor à moins d'un an.

Qu'est-ce qu'un swap ?

Un swap est un contrat d'échange de flux d'intérêt, les deux contre-parties contractant simultanément un prêt et un emprunt pour un même nominal, mais sur des références de taux différentes, l'un étant un taux fixe (appelé taux du swap) et l'autre un taux variable qui est en pratique l'euribor 6 mois (ou 3 mois éventuellement) pour les opérations mises en oeuvre par l'Agence France Trésor.

Un tel contrat est donc essentiellement caractérisé par :

- un montant nominal sur lequel s'appliquent les flux d'intérêt ;

- une durée ou maturité correspondant au nombre d'années pendant lesquels les flux d'intérêts seront échangés ;

- le taux fixe qui est lié à la maturité.

Une contrepartie s'engage à verser annuellement, à la date anniversaire de l'opération de swap, le taux qu'elle doit payer appliqué au nominal. Elle recevra de l'autre contrepartie les flux d'intérêts sur le même nominal liés au taux qui la caractérise.

A titre illustratif, on peut prendre une opération où une contrepartie A entre, avec une contrepartie B, dans un swap d'une durée de dix ans payeur du taux d'intérêt fixe au niveau 4,70 % et receveur du taux variable euribor six mois et ce pour un nominal de 100 M €. Chacune des dix prochaines années, la contrepartie A versera à B un montant de 4,7 M € (= 4,7 %*100 M €) et recevra le taux variable euribor six mois constaté l'année donnée appliqué à 100 M € (en pratique ce flux lié au taux variable se fera en deux versements espacés de six mois, et donc sur la base de deux valeurs différentes observées du taux variable).

L'opération de « contre swap » consiste après avoir effectué, un jour donné, une opération de swap, à entrer dans un autre swap pour un même nominal, mais pour une maturité différente, de façon à ce que les flux liés aux jambes variables se compensent (et donc d'être payeur de taux fixe pour l'un des swap et receveur de taux fixe, mais associé à une maturité différente, pour l'autre). La compensation des flux variables se réalise pendant un nombre d'années correspondant à la durée de vie du swap de plus faible maturité. Ceci permet d'avoir, pendant cette période, une connaissance a priori des flux qui se réaliseront et donc d'augmenter la durée de prévisibilité de ces flux qui passe ainsi de six mois à au moins un an.

En 2002, 56 opérations de swaps ont été effectuées entre fin février et début juillet. Le montant nominal total des opérations effectuées jusqu'à présent en 2002 est de 24 milliards d'euros. En 2002, l'agence France Trésor a ainsi conclu 12 milliards d'euros de swaps de maturité moyenne 3 ans payeurs de taux fixe et 12 milliards d'euros de swaps de maturité moyenne 7,7 ans receveurs de taux fixe. Le programme de swaps a été provisoirement suspendu en septembre 2002 par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en raison de conditions de marché défavorables, mais l'objectif de raccourcissement de la durée de la dette a été poursuivi grâce à l'accroissement du stock de BTF comme le montre le tableau suivant :

Durée moyenne de la dette de l'Etat

(en années)

 

2000

2001

2002

Fin 2003

LFI 2004

Durée moyenne de la dette de l'Etat avant swaps

6,2

6,14

5,94

5,8

sans objet

Durée moyenne de la dette de l'Etat après mise en place des swaps de taux

sans objet

6

5,73

5,65

5,3

2. La mesure de la performance dans le programme dette-trésorerie

La mise en oeuvre du programme dette-trésorerie témoigne enfin de la difficulté de définition d'indicateurs pertinents de la performance interne de gestion d'un programme. Car le recours à des indicateurs trop frustres comme l'évolution de la charge de la dette ou du coût moyen de celle-ci sont sans aucune signification en termes de qualité de gestion, puisqu'ils sont fonction du déficit budgétaire et de l'évolution européenne des taux d'intérêt. Le taux moyen des émissions de dette chaque année dépend évidemment d'autres facteurs que de la seule performance de l'agence France Trésor.

Un indicateur de résultat plus satisfaisant est fourni par une comparaison externe : le « spread » c'est à dire l'écart de taux entre les taux français et ceux des principales autres dettes souveraines au sein de l'euroland Il permet une appréciation nuancée des performances de la France par rapport aux autres pays européens.

L'indicateur synthétique de présentation des spreads

(en points de base)

Comme l'indique l'agence France - Trésor, « il existe une compétition implicite entre les Etats pour vendre la dette publique au meilleur prix et les analystes accordent en général une grande importance à l'évolution des écarts de taux d'intérêt (spreads) entre les différents émetteurs. Un indicateur de référence permettant de juger les performances intrinsèques des émetteurs souverains pourraient s'avérer très utile pour le marché des obligations, et singulièrement, celui des obligations dont les Etats sont émetteurs ».

Le graphique ci-dessus montre ainsi que si les performances en termes de spread sont meilleures en France qu'en Allemagne, elles sont aujourd'hui moindres que celles de l'Espagne.

Ce premier indicateur de performance s'appuyant sur une référence externe n'est pas totalement satisfaisant car il intègre non seulement la qualité des politiques d'émission des Etats mais aussi d'autres déterminants liés à la politique macroéconomique et structurelle menée par les gouvernements qui influent sur la qualité de la signature du pays émetteur. Aussi, en cohérence avec la logique de la LOLF, l'agence France - Trésor est en train de développer deux indicateurs s'appuyant sur des références internes et qui permettront de comparer les performances de l'agence avec celles d'automates agissant sans « discernement ».

Selon le programme dette-trésorerie, « l'objectif est de mesurer la pertinence des choix de l'émetteur en matière de mise en oeuvre de la stratégie de financement au cours d'une année, conformément aux engagements pris dans le programme de l'an dernier. Il s'agit d'évaluer la stratégie de financement effectivement réalisée soit par rapport à une stratégie "aveugle", autrement dit à une réalisation linéaire du programme d'emprunt de l'année, indépendamment de toute prise en compte des informations de marché reçues par l'AFT, soit par rapport à une stratégie normative qui aurait été définie en début d'année et qui aurait été appliquée sans dévier. Depuis le début 2003, ces automates enregistrent les données quotidiennes relatives aux obligations afin de juger a posteriori la pertinence des choix de l'AFT quant aux lignes obligataires (maturité et volume) présentées aux adjudications. Les résultats chiffrés seront donc présents dans le prochain programme dette et trésorerie. Il est à l'évidence trop tôt pour tenter de fonder des objectifs sur ces indicateurs ».

L'agence France Trésor a ainsi le grand mérite de s'attaquer à un tel projet, sans céder à la faciliter de proposer au Parlement des indicateurs biaisés confondant les résultats de sa propre performance avec ceux de la politique financière générale ou de l'environnement macroéconomique.

* 26 Cour des Comptes. « L'exécution des lois de finances pour 2002 » pages 145 et suivantes et pages 309 et suivantes.

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