C. L'ADAPTATION DU RÉGIME D'ASSURANCE-CHÔMAGE DES INTERMITTENTS DU SPECTACLE

Avec son régime d'indemnisation des professionnels du spectacle et de l'audiovisuel, la France constitue, une fois de plus, une exception. On peut sans doute s'en féliciter du point de vue de la diversité et donc de la vitalité de la création mais force est de constater que le régime en vigueur n'était plus tenable.

Il convient de rappeler que le régime d'assurance-chômage est déterminé par des accords négociés et conclus par les organisations patronales et syndicales représentatives sur le plan national et interprofessionnel. Le dispositif d'indemnisation des artistes et des techniciens du cinéma, de l'audiovisuel et du spectacle vivant, engagés sous contrat de travail à durée déterminée, qui s'attache à prendre en compte le caractère discontinu de l'activité salariée de ces secteurs ainsi que la multiplicité des employeurs, n'échappe pas à cette règle fondamentale de la négociation collective. L'article 15 du protocole d'accord du 20 décembre 2002 sur le retour à l'équilibre du régime d'assurance-chômage engageait les partenaires sociaux à négocier les annexes VIII et X au règlement d'assurance-chômage au cours du premier semestre 2003.

Le nouveau régime a le mérite de préserver l'essentiel et de comporter des avantages non négligeables, notamment après que le ministre de la culture ait réussi à faire prendre en compte par les partenaires sociaux certaines préoccupations complémentaires.

1. Une réforme inévitable

Au cours de ces dernières années, des réflexions ont été conduites et diverses mesures ont été prises, tantôt par les partenaires sociaux tantôt par l'Etat, en vue de réduire le coût croissant de l'assurance-chômage des professionnels intermittents du spectacle.

Malgré ces réformes, les effectifs indemnisés ont crû de manière quasi-ininterrompue, tandis que se poursuivait la dégradation du rapport entre cotisations et prestations. Cette dérive financière menaçait gravement l'existence même de ce dispositif d'indemnisation adaptée aux spécificités des professions artistiques.

Le déficit des annexes VIII et X concernant les intermittents en 2002 était de 828 millions d'euros soit plus de 2,5 fois son niveau de 1993. Le rapport prestations sur cotisations était alors de 8 .

En dix ans, la population indemnisée au titre de ces annexes a plus que doublé , passant de 49.201 en 1992 à 96.848 en 2001 . L'estimation pour 2002 est de 102.600 comme permet de le constater le tableau ci-dessous.

Nombre d'allocataires indemnisés

Source DES/UNEDIC

Déficit des annexes VIII et X du règlement général de l'assurance chômage

(en millions d'euros)

 

Cotisations encaissées

Prestations versées

Delta

2000

132

742

-610

2001

100

850

-750

2002 (estimation)

128

952

-824

Source : DES/UNEDIC

De plus, de nombreux abus ont été constatés, portant principalement sur :

- le recours à l'intermittence pour des activités connexes au spectacle, à l'audiovisuel ou au cinéma ;

- le recours à l'intermittence pour des emplois permanents : notamment les sociétés de diffusion, radios ou télévisions ;

- le recours à l'intermittence pour assurer des fonctions non directement liées à la production des oeuvres : postes d'accueil, de gardiennages, de secrétariat, de standardistes ;

- les comportements frauduleux pour l'ouverture des droits tels l'organisation de spectacles fictifs ou la production de fausses déclarations.

Face à une situation de blocage lors de l'été 2002, un accord autorisait le doublement les cotisations patronales et le syndicat patronal envisageait dans un second temps de transférer les allocataires des annexes VIII et X dans l'annexe IV (concernant les travailleurs intérimaires).

2. Les modalités de l'accord du 26 juin 2003 signé par les partenaires sociaux

Les partenaires sociaux ont préservé la spécificité et les principes du régime des intermittents. Pour la première fois depuis des années, le maintien des annexes ne résulte pas d'un simple report mais d'un véritable accord impliquant les employeurs au niveau confédéral.

La solidarité interprofessionnelle est préservée. En effet, certains principes fondamentaux du régime, dérogatoires aux règles du régime général, sont maintenus : exigence de 507 heures d'affiliation, système des cachets, prise en compte pour cette affiliation des périodes de maladie, maternité et formation reçue, recours possible au CDD d'usage pour les entreprises et les métiers concernés.

Seuls les paramètres du régime sont modifiés : période d'affiliation portée de 12 mois à 10 ou 10,5 mois - contre 8 mois envisagés au début des négociations ; durée d'indemnisation -en théorie- portée de 12 à 8 mois contre 6 mois envisagés initialement.

Certes, l'entrée dans le dispositif est rendue plus difficile pour ceux qui débutent leur carrière (pour un comédien, 43 dates de représentation à minima sur 10,5 mois), mais il faut relever que déjà dans l'ancien système les 507 heures étaient constituées sur une moyenne d'un peu plus de 11 mois (14,3 % de la durée d'affiliation faite sur le dernier mois).

Ce nouvel accord entre partenaires sociaux recèle plusieurs points positifs :

• Les 8 mois d'indemnisation constituent un capital reportable : le couperet de la date anniversaire est supprimé. Dans le précédent système, l'affilié devait reconstituer ces 507 heures (soit trois mois) dans la période de 12 mois (donc en réalité les droits à indemnisation acquis étaient au maximum de 9 mois). La durée moyenne d'indemnisation était de 7,5 mois. Aujourd'hui, le nouveau système de décalage donne droit à 8 mois d'indemnisation incompressible. Il ne s'agit plus d'une durée pendant laquelle on peut être indemnisé mais d'un droit à indemnisation que chaque nouvelle période travaillée, suspend et reporte ;

• La dégressivité de l'indemnisation est supprimée ;

• Le niveau d'indemnisation est amélioré : désormais le nombre d'heures travaillées a un impact sur le montant de l'indemnisation. En outre les règles de calcul de l'indemnisation sont plus favorables jusqu'à 110 euros de salaire journalier de référence, c'est à dire pour les bas et moyens salaires.

Ex : pour un niveau de salaire journalier de référence de 50 euros

 

Indemnité mensuelle Avant

Indemnité mensuelle

Après

% d'augmentation

507 h travaillées

767,70 euros

986,16 euros

+28,5%

550 h travaillées

767,70 euros

1019,70 euros

+32,8%

• La franchise est réduite à 30 jours entraînant un effet favorable sur le niveau d'indemnisation ;

• Les congés maladie, maternité et les heures de formation reçues sont pris en compte dans le calcul des heures : cette garantie est maintenue en dérogation aux règles du régime général ;

• Enfin, les heures de formation données , essentielles pour de très nombreux artistes n'entraîneront plus une exclusion du système, quelle que soit la nature du contrat de travail .

La mise en place progressive du nouveau dispositif et la modification substantielle de ses modalités, ne permet pas de déterminer précisément l'impact des nouvelles mesures sur le nombre d'allocataire.

La combinaison d'une meilleure déclaration des activités et d'une professionnalisation des annexes vise tout à la fois une diminution des prestations versées et une augmentation des cotisations perçues au titre de ces annexes.

3. L'avenant du 8 juillet

Les incompréhensions et les inquiétudes suscitées par l'accord du 26 juin 2003 au sein de la communauté artistique ont été entendues par le ministre de la culture et de la communication. A l'issue d'une semaine de discussions et de concertations intenses avec l'ensemble des syndicats de branche et des confédérations, les partenaires sociaux signataires ont accepté la demande du ministre de la culture et de la communication d'ouvrir une nouvelle négociation. Répondant de façon positive, un avenant signé le 8 juillet dernier a pris en compte les modifications demandées sur plusieurs points importants dans un sens favorable aux salariés :

• les dispositions des anciennes annexes ont été maintenues jusqu'au 30 décembre 2003 ;

• l'application de la réforme se fera de manière progressive : en 2004, les 507 heures devront être réalisées au cours des 11 derniers mois précédant la fin du contrat de travail. En 2005 cette période sera réduite à 10 mois pour les techniciens de l'annexe VIII qui couvrira l'ensemble des ouvriers et techniciens du cinéma, de l'audiovisuel et du spectacle vivant et de 10,5 mois pour les artistes ressortissants de l'annexe X ;

• concernant les artistes, de la possibilité de déclarer le travail en heures ou en cachets ; de la prise en compte dans les 507 heures de 55 heures d'enseignements dispensées par les intéressés, de la suppression de la limite hebdomadaire du nombre de cachets pour les artistes.

Par ailleurs, dès le 22 mai dernier, un plan de lutte contre le travail illégal et les fraudes qui fragilisent le régime spécifique d'assurance-chômage des artistes et des techniciens intermittents du spectacle, a été annoncé conjointement avec le ministre des affaires sociales, du travail et de l'emploi.

La délégation interministérielle à la lutte contre le travail illégal coordonne des actions de contrôle dans les entreprises de ces secteurs. Très prochainement, des instructions seront transmises aux préfets de région et de départements pour assurer une bonne coordination, en particulier au sein des commissions de lutte contre le travail illégal, de tous les corps de contrôle concernés, à savoir notamment l'inspection du travail et les organismes de recouvrement des cotisations sociales.

Une mission d'analyse des modes de recours à l'intermittence dans l'audiovisuel public à été confiée à Monsieur Bernard Gourinchas qui devra rendre son rapport définitif fin décembre 2003 .

Un effort accru de formation aux spécificités du contrôle des secteurs du spectacle vivant et enregistré sera engagé en faveur de ces agents.

La prochaine parution d'une ordonnance permettant la transmission entre services administratifs et organismes sociaux d'information relatives à l'intermittence devrait faciliter ces opérations de contrôle. Cette ordonnance qui prendra effet à compter du 1 er janvier 2004, rendra également obligatoire le recours au guichet unique du spectacle occasionnel pour le paiement de la totalité des cotisations et contributions sociale des artistes et techniciens rémunérés par l'ensemble des employeurs non professionnels du spectacle.

Ce guichet unique continuera d'être géré par l'Unédic, tandis que les URSSAF seront désormais chargés des actions de contrôle pour le compte des organismes de protection sociale parties prenantes à ce guichet.

Dans le même temps, une impulsion nouvelle sera donnée à la concertation avec les partenaires sociaux pour mettre sur pied ou réactiver les conventions partenariales de lutte contre le travail illégal.

Une attention particulière sera portée aux avis donnés par les commissions régionales d'attribution des licences d'entrepreneurs de spectacles vivants, ces licences ne pouvant être attribuées qu'aux entrepreneurs qui respectent le droit du travail, de la sécurité sociale ainsi que la propriété littéraire et artistique.

Les préfets ont reçu des instructions pour mobiliser les services de l'Etat et le service public de l'emploi pour conseiller les salariés concernés au moment où leur régime d'assurance-chômage sera modifié.

L'application progressive des nouvelles règles d'indemnisation chômage des artistes et techniciens du spectacle, à compter du 1er janvier 2004, nécessite une information claire et sincère sur les nouvelles règles ainsi que la mobilisation des efforts et des prestations du service public de l'emploi en faveur des salariés concernés. Les préfets devront prendre toutes les mesures appropriées pour établir les conditions d'une bonne coordination au plan local entre les Assédic et les services publics de l'emploi pour rechercher et mettre en oeuvre toutes les mesures appropriées afin de traiter au mieux cette situation de transition, qu'il s'agisse d'information, d'explication, de conseil ou d'orientation.

La préparation d'un débat national sur les politiques publiques en faveur du spectacle vivant se conclura par la tenue d'assises nationales au début de l'année prochaine. Ce débat devrait aboutir, d'une part, à la mise en oeuvre d'un plan en faveur de l'emploi et de l'activité dans le secteur du spectacle vivant et, d'autre part, à la rédaction d'une loi d'orientation sur le spectacle vivant.

Enfin, le gouvernement a manifesté son souhait d'éviter le dépôt de bilan des festivals annulés ou gravement perturbés du fait du conflit des intermittents, et pour assurer leur pérennité, grâce à l'élaboration d'un plan de financement d'urgence, en lien avec les collectivités territoriales.

A cet effet, le gouvernement a diligenté une mission d'expertise destinée à évaluer les besoins financiers des structures concernées. Cette mission conjointe est composée d'un inspecteur général de l'administration des affaires Culturelles, Monsieur Patrick Olivier, et d'une inspectrice générale des finances, Madame Anne Bolliet. Ils sont chargés d'examiner la situation financière des festivals menacés, de rencontrer les directeurs de ces festivals, les élus et les directeurs régionaux des affaires culturelles concernés, en liaison étroite avec les services du ministère de la culture et de la communication (DMDTS).

Cette cellule interministérielle doit rendre son rapport fin novembre, les aides spécifiques ayant déjà été partiellement engagées.

Une erreur matérielle a conduit à la nécessité de confirmer ce qui avait été acquis le 26 juin par les partenaires sociaux, amendé le 8 juillet et agréé par le ministre des affaires sociales au début du mois d'août . En effet, la suppression de la franchise, cette période de carence allant de la fin du contrat au début de l'indemnisation, n'avait pas été transcrite dans les textes signés, ce qui avait donné lieu à une régularisation ultérieure. C'est la menace d'une annulation devant les tribunaux administratifs qui a conduit les partenaires sociaux à se réunir à nouveau le 13 novembre pour validation.

Votre rapporteur spécial regrette qu'une erreur technique ait ajouté à la confusion et brouillé des cartes déjà passablement compliquées.

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