AUDITION DE MME MICHÈLE ALLIOT-MARIE,
MINISTRE DE LA DÉFENSE

Réunie sous la présidence de M. Jean Arthuis, président, la commission a procédé, le mercredi 12 novembre 2003, à l'audition de Mme Michèle Alliot Marie, ministre de la défense, sur les crédits de son ministère pour 2004 et sur les réformes administratives entreprises à l'occasion de la mise en oeuvre de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF).

M. Jean Arthuis, président , a tout d'abord souligné que la présente audition prenait place dans un cycle d'auditions mis en place à l'initiative du bureau de la commission, tendant à rompre avec les habitudes antérieures, pour porter, au travers de questions ciblées, plus sur les stratégies ministérielles de réforme, définies, notamment, dans la perspective de la LOLF, que sur les prévisions d'évolution des crédits inscrits en lois de finances initiales, souvent éloignées de la réalité. Dans ce cadre, il a indiqué que cet échange devrait être l'occasion d'évoquer, de façon « interactive », les problèmes concrets auxquels était confronté le ministère de la défense et la façon d'améliorer la transparence de son budget.

Pour introduire le débat, Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense , a brièvement présenté les grandes lignes du projet du budget de la défense pour 2004. Elle a souligné que celui-ci présentait deux caractéristiques :

- il respectait strictement les objectifs fixés par la loi de programmation militaire (2003-2008) dans ses diverses composantes : équipement, créations d'emplois, consolidation de la professionnalisation et renforcement des moyens d'entraînement et d'activité des forces ;

- il constituait une contribution appréciable à la réforme de l'Etat et à un meilleur contrôle de la dépense publique, ainsi qu'en témoignaient le non-remplacement d'un fonctionnaire civil sur deux et, d'une façon générale, le fait que la part du budget qui n'était pas couverte par la loi de programmation militaire -c'est-à-dire environ la moitié du total- régresse en euros constants.

Puis Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense , a insisté sur la signification, « triplement politique », d'un budget dont elle s'est plu à rappeler qu'il n'était pas un « budget comme les autres » :

- il était l'expression de la politique de sécurité de la France, ce qui se traduisait notamment par la présence de 15.000 militaires en dehors de nos frontières ;

- il jouait un rôle essentiel dans la politique économique, notamment par son poids dans les dépenses d'investissement de l'Etat -c'était le premier budget d'investissement de France-, par le nombre d'emplois qui en dépendait -soit 175.000 emplois directs et 37.000 embauches en 2004-, ainsi que par son rôle en matière de formation et de recherche ;

- il s'inscrivait dans notre politique extérieure, dont il renforçait la crédibilité et le poids sur le plan international.

Mme Michèle Alliot-Marie a ensuite présenté sa stratégie ministérielle de réforme pour 2004 en soulignant qu'il était de sa responsabilité d'utiliser au mieux les moyens financiers et humains mis à sa disposition par la Nation.

Cette stratégie de réforme, qui visait à compléter l'efficacité opérationnelle des armées, recherchée par la loi de programmation militaire, par l'efficacité administrative, faisait apparaître trois priorités :

- une meilleure identification des responsabilités, notamment dans la conduite des programmes d'armement, qui devait se traduire par le renforcement des pouvoirs d'arbitrage du chef d'état-major des armées, par la signature de contrats d'objectifs avec tous les établissements sous tutelle, ainsi que par la mise en oeuvre d'une rémunération au mérite, dès 2004, pour les civils comme pour les militaires ;

- une mutualisation des moyens qui devrait entraîner un certain nombre de restructurations : c'est ainsi que les 16 services d'archives devraient être fusionnés, tout comme les trois services constructeurs, qui constitueraient, sous la responsabilité du secrétaire général pour l'administration, un seul organe responsable de la politique immobilière. Un autre exemple pouvait être donné avec la mise en commun des moyens informatiques ;

- le recentrage du ministère sur son « coeur de métier » qui devrait le conduire à externaliser, dans une perspective pragmatique, certaines fonctions chaque fois que l'on avait des raisons de penser que les entreprises étaient plus efficaces que l'administration : tel est le cas des logements dans la gendarmerie -qui mobilisait actuellement 1.200 gendarmes- ou des véhicules non militaires au nombre d'environ 25.000, dont la gestion devrait être externalisée, certains cas, comme la formation des pilotes d'hélicoptères, donnant lieu à des formules intermédiaires ne comportant que l'achat d'heures de vol.

En conclusion de son propos introductif, Mme Michèle Alliot-Marie s'est déclarée favorable à un suivi de la consommation des crédits par les commissions du Parlement et, en particulier, par les membres des commissions des finances.

Après que M. Jean Arthuis, président , se fut félicité de cette volonté de transparence ainsi mise en oeuvre, M. Philippe Marini, rapporteur général, est ensuite intervenu pour poser une série de questions tenant, d'une part, aux problèmes de gestion du ministère et, d'autre part, aux aspects de politique industrielle du budget de la défense.

En réponse au rapporteur général, Mme Michèle Alliot-Marie a tout d'abord souligné que, si les militaires étaient de plus en plus souvent remplacés par les civils, il fallait se garder de considérer que leurs missions spécifiques étaient nécessairement de nature opérationnelle, indiquant, à cet égard, que la gestion des programmes d'armement devait, en partie, être le fait de militaires.

Traitant de la question de l'externalisation, elle a fourni de nouveaux exemples et précisé qu'en 2003, l'on avait externalisé pour 650 millions d'euros d'activités, attirant l'attention de la commission sur le fait que cette externalisation impliquait le paiement de la TVA et donc des charges supplémentaires, ce qui, a-t-elle souligné, n'était pas le cas en Grande-Bretagne.

Au sujet de la réduction du temps de travail, elle a d'abord signalé que celle-ci avait un coût non financier lié à la démotivation des personnels. Elle a précisé que celle-ci s'était traduite par des coûts qui pouvaient être évalués à 206 millions d'euros pour le ministère de la défense : 27,5 millions d'euros, d'une part, pour le personnel civil, notamment au titre de la consolidation de l'indemnité horaire pour travaux supplémentaires, et 178,5 millions d'euros, d'autre part, pour les personnels militaires, ce qui comprenait l'indemnisation des journées de congé que les militaires ne pouvaient pas prendre.

Puis Mme Michèle Alliot-Marie a évoqué les questions de politique industrielle.

Elle a d'abord présenté son analyse des conditions dans lesquelles se présentait le choix d'un deuxième porte-avions tant du point de vue du mode de propulsion que des perspectives de coopération avec les Britanniques, précisant à cet égard que la décision sur le mode de propulsion -qui devait prendre en considération également les questions de disponibilité et de coûts d'entretien- devait être arrêtée pour la fin de l'année sur la base des trois études commandées à ce sujet, actuellement en cours d'expertise au sein de la Délégation générale pour l'armement. En tout état de cause, la fabrication devrait être lancée en 2005 pour une fin de construction vers 2012/2014, ce qui devrait permettre à ce second porte-avions d'être à peu près opérationnel au moment du grand carénage du Charles-de-Gaulle.

Mme Michèle Alliot-Marie a fait le point de la situation de DCN, qui a pris la suite de l'ancienne direction des constructions navales. Elle a rappelé que la répartition des actifs entre cette nouvelle société commerciale et la Marine avait pris du temps, que cette dernière avait récupéré des infrastructures et des équipements, dont la remise à niveau devrait coûter, en 2004, 79 millions d'euros et qu'il avait fallu intégrer des personnels de DCN, dont les avantages statutaires étaient à l'origine de surcoûts pour la marine que l'on pouvait évaluer à 58 millions d'euros dans le budget pour 2004. A cela, s'ajoutait un arriéré de créances d'un montant trop important pour être éliminé en une fois, et dont le règlement devrait donc être étalé sur trois années, 126 millions d'euros étant prévus à ce titre en 2004. Elle a signalé que le vrai problème, pour la Marine, était la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qu'elle devait supporter désormais sur les prestations de DCN, même si elle avait obtenu un arbitrage, mais jusqu'en 2006 seulement, compensant ce surcoût.

Enfin, après avoir exposé sa doctrine en matière « d'achats sur étagères », dont la pertinence ne lui semblait indiscutable que pour les matériels non sensibles sur le plan militaire, tels certains avions de transport ou des armes de poing, Mme Michèle Alliot-Marie a également évoqué la question du véhicule blindé de combat d'infanterie (VBCI), dont elle a signalé qu'il constituait un exemple typique de dysfonctionnement du processus de décision -s'agissant d'un matériel décidé pour assurer le plan de charge de Giat, sans correspondre à un besoin impératif de l'armée de terre- dont elle a précisé les conséquences : deux ans de retard dans la réalisation du programme, la première livraison devant intervenir seulement en 2008, et une augmentation du devis initial de 18 %.

En réponse aux questions de M. Maurice Blin, rapporteur spécial des crédits de la défense (titre V) , qui s'est interrogé sur l'intérêt de consacrer, dans le contexte géostratégique actuel, toujours autant de moyens au nucléaire et qui s'est également inquiété, notamment, du fléchissement de l'effort en faveur de la recherche en amont et en particulier des démonstrateurs technologiques, Mme Michèle Alliot-Marie a tout d'abord insisté sur le fait que la dissuasion nucléaire était un tout et que la France appliquait la doctrine définie par le président de la République en juin 2001 et confirmée par la loi de programmation militaire, qui tenait compte des risques accrus de prolifération. Elle a également indiqué que la baisse des moyens consacrés aux démonstrateurs s'expliquait également par le fait qu'un certain nombre de matériels en étaient arrivés au stade du développement, ce qui diminuait les besoins au niveau des démonstrateurs, replaçant cette évolution dans le contexte d'augmentation des moyens consacrés à la recherche en général -1,2 milliard d'euros- et aux drones en particulier.

Elle a ensuite rappelé que la loi de programmation militaire avait, avec les satellites Helios II et Syracuse III, réservé une place substantielle à une politique spatiale, dont l'objectif était de garantir à notre pays l'autonomie de ses sources d'information.

Elle a fait savoir à cet égard que la France, contrairement aux Etats-Unis, continuait de privilégier le renseignement humain et que les moyens en avaient été augmentés dans le présent budget pour 2004, conformément aux orientations prévues par la loi de programmation militaire.

En ce qui concernait le marché des avions ravitailleurs, elle a indiqué qu'il s'agissait d'une affaire importante dont l'issue dépendait largement de la position des autorités britanniques, précisant qu'elle avait fait savoir aux autorités britanniques que le choix de la solution proposée par Airbus serait perçu par le gouvernement français comme une incitation à les accompagner.

En réponse aux questions de M. François Trucy, rapporteur spécial du budget de la défense (titre III) , Mme Michèle Alliot-Marie a indiqué que les recrutements s'effectuaient dans des conditions globalement satisfaisantes avec en moyenne deux candidats pour un poste, sauf dans certaines spécialités critiques comme les professions médicales ou les spécialistes de l'informatique ou de l'électronique. Elle a également fait savoir que si le redémarrage des taux d'activité des unités était plutôt lent en dépit de l'effort fait dans la loi de finances rectificative du 6 août 2002, c'est parce que, dans certains cas, le ministère avait éprouvé des difficutlés à se fournir en pièces de rechange que les entreprises ne savaient plus fabriquer, précisant à ce sujet qu'il faudrait sans doute trois ans pour atteindre les objectifs fixés par la loi de programmation militaire en matière d'activité des forces. Elle a signalé qu'elle avait lancé un audit pour évaluer le rapport qualité/prix des prestations des organismes chargés d'assurer la maintenance des matériels.

En réponse aux questions posées notamment par MM. Adrien Gouteyron et René Trégouët , Mme Michèle Alliot-Marie a fait savoir que devrait voir le jour, quel que soit le nom qui lui sera donné, une agence européenne de défense, chargée de la gestion de programmes en coopération, rappelant que toute une série de programmes de coopération venait d'aboutir, manifestant ainsi une volonté européenne de faire progresser « l'Europe de l'armement » : outre l'A 400 M, on pouvait mentionner le programme Galileo, ainsi que l'adhésion respective de l'Espagne et de la Grèce aux programmes d'hélicoptères, Tigre et NH 90, sans oublier les perspectives de création d'un « EADS naval », qui constituait la seule chance pour l'industrie navale militaire face à la concurrence internationale, notamment asiatique.

Par ailleurs, Mme Michèle Alliot-Marie a indiqué, d'une part, qu'elle n'était pas opposée au principe d'une mission interministérielle « recherche » pour la mise en oeuvre de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, dès lors qu'on en tirait les conséquence en matière de partage des responsabilités, et d'autre part, que les travaux sur la réforme du statut des militaires suite aux travaux menés par la commission présidée par M. Renaud Denoix de Saint-Marc devraient déboucher sur le dépôt d'un projet de loi pour la mi-2004.

Enfin, à la demande de M. Maurice Blin, rapporteur spécial des crédits de la défense (titre V) , et de M. Jean Arthuis, président , intervenus pour souligner la nécessité de mettre en oeuvre les principes de sincérité des documents budgétaires affirmés par la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, Mme Michèle Alliot-Marie s'est engagée à demander l'inscription en loi de finances initiale, dès le projet de loi de finances pour 2005, d'une part significative du montant des crédits destinés au financement des opérations militaires extérieures - dont les surcoûts étaient estimés pour 2003 à 629 millions d'euros- conformément aux recommandations de la mission conjointe de l'Inspection générale des finances et du contrôle général des armées.

Réunie le jeudi 13 novembre 2003, sous la présidence de M. Jean Arthuis, président, la commission des finances a procédé à l'examen des crédits du budget de la défense et de l'article 47 rattaché du projet de loi de finances pour 2004 , sur le rapport de M. Maurice Blin, rapporteur spécial .

La commission des finances a décidé de proposer au Sénat l'adoption des crédits de la défense, titres V et VI.

Au cours de sa séance du jeudi 20 novembre 2003, la commission a confirmé son adoption des crédits du budget de la défense , tels qu'amendés par l'Assemblée nationale.

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