EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est saisi en premier lieu d'un projet de loi relatif au divorce.

L'adaptation du droit de la famille aux évolutions sociologiques majeures de ces dernières décennies demeure aujourd'hui une nécessité.

Dès 1997 avait été annoncé cet objectif, préparé par des rapports tels que celui de Mme Irène Théry et celui du groupe de travail présidé par Mme Françoise Dekeuwer-Défossez 1 ( * ) .

Sont déjà intervenues la loi n° 2001-1135 du 3 décembre 2001 relative aux droits du conjoint survivant, puis en 2002, les deux lois du 4 mars 2002 réformant l'autorité parentale, ainsi que la dévolution du nom de famille. Par ailleurs, le régime applicable à la prestation compensatoire a été profondément réformé par la loi du 30 juin 2000.

Le présent projet de loi intervient deux ans après l'examen de la proposition de loi 2 ( * ) présentée par M. François Colcombet, examinée en première lecture le 10 octobre 2001 par l'Assemblée nationale 3 ( * ) et le 21 février 2002 par le Sénat, qui visait à supprimer le divorce pour faute et à faciliter le droit au divorce en prévoyant un délai inférieur à un an, même en cas d'opposition de l'autre conjoint, alors qu'est actuellement exigée une séparation préalable de six ans. De même, elle tendait à supprimer les conséquences spécifiques s'attachant actuellement aux divorces pour faute prononcés aux torts exclusifs d'un conjoint ou au divorce pour rupture de la vie commune.

Le Sénat avait profondément modifié ce texte en maintenant le divorce pour faute. Le changement de législature a rendu caduque cette proposition de loi, en instance à l'Assemblée nationale.

En octobre 2002, M. Christian Jacob, ministre délégué à la Famille, avait indiqué qu'une nouvelle réforme du divorce serait présentée sur la base des travaux du Sénat.

Le présent projet de loi constitue la première étape d'une réforme d'envergure du droit de la famille.

Le droit de la filiation, complexe et source d'insécurité pour l'enfant, ainsi que les dispositions relatives aux successions et libéralités, qui datent pour la plupart de 1804, seront prochainement adaptés. De même, la réforme des tutelles, indispensable au regard des évolutions démographiques et sociales, fait actuellement l'objet d'une réflexion concertée entre tous les ministères concernés en vue d'un texte qui pourrait être soumis au Parlement en 2004.

Le groupe de travail sur le divorce installé le 17 décembre 2002 sur l'initiative conjointe du Garde des Sceaux, M. Dominique Perben, et du ministre délégué à la Famille, M. Christian Jacob, et regroupant 22 parlementaires, universitaires et praticiens (dont votre rapporteur), a rendu ses conclusions en avril 2003.

L'idée d'une déjudiciarisation du divorce sur demande conjointe, celui-ci étant remplacé par une déclaration commune, soit devant l'officier d'état civil, soit devant le greffier, évoquée en 1997 par Mme Elisabeth Guigou, alors ministre de la Justice, et Mme Irène Théry, a été totalement écartée, ainsi que la suppression du divorce pour faute, disposition majeure de la proposition de loi présentée par M. François Colcombet.

Le présent projet de loi tend à modifier la récente loi n° 2000-596 du 30 juin 2000 relative à la prestation compensatoire, déjà modifiée par la loi du 3 décembre 2001 relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins. En revanche, les dispositions de la loi du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale ne sont pas remises en cause par le présent projet de loi 4 ( * ) . Les conséquences du divorce ou de la séparation à l'égard des enfants sont réglées selon les dispositions du chapitre relatif à l'autorité parentale.

La réforme du 11 juillet 1975, qui avait introduit le divorce pour rupture de la vie commune et pour altération des facultés mentales du conjoint, serait parachevée. Partant du principe qu'il n'est plus accepté d'imposer à un conjoint de rester marié contre son gré et qu'une telle situation est génératrice d'incertitudes juridiques, le projet instaure une véritable liberté de divorcer après une séparation de deux ans, contre six actuellement. De même, sont supprimées les conditions pénalisantes touchant ce type de divorce.

En outre, le projet de loi vise à apaiser et simplifier les procédures, à favoriser les accords entre époux et à mieux préparer et encadrer la liquidation du régime matrimonial. Il prévoit également de dissocier les effets du divorce de l'attribution des torts.

Le régime du divorce ne peut être que le reflet d'une conception du mariage. Est-il possible de dissocier totalement les effets pécuniaires du divorce de la faute ?

La commission des Lois a mené une réflexion approfondie sur ces sujets. Elle a en effet organisé des auditions publiques à plusieurs reprises : en avril 1998 sur le droit de la famille 5 ( * ) , puis le 26 avril 2000 6 ( * ) , en janvier 2002 à l'occasion de l'examen de la proposition de loi de M. François Colcombet, puis de nouveau le 10 décembre dernier.

Elle a en outre souhaité recueillir l'avis de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.

I. LE CONTEXTE : DES PROCÉDURES DE DIVORCE DÉSORMAIS INADAPTÉES

La société a connu des évolutions importantes depuis 1975 et la perception du divorce a considérablement évolué, passant d'une stigmatisation sociale à la reconnaissance d'un échec et de la possibilité d'un nouveau départ.

Si les objectifs de la loi n° 75-617 du 11 juillet 1975 paraissent très proches de ceux recherchés encore aujourd'hui, l'application faite de la loi n'a pas eu les conséquences attendues.

A. DES PROCÉDURES DE DIVORCE REMANIÉES PAR LA LOI DU 11 JUILLET 1975 DANS UN BUT D'APAISEMENT

La réforme de 1975 poursuivait des objectifs qui demeurent pertinents.

1. Les objectifs poursuivis en 1975

La loi du 11 juillet 1975 a poursuivi l'évolution historique vers la liberté de divorcer et la moindre prise en considération de la faute.

Ainsi, alors que le divorce avait été banni pendant des siècles pour des raisons religieuses et admis très provisoirement sous la Révolution, la loi du 20 septembre 1792 admettant le principe de la dissolubilité du mariage, y compris pour incompatibilité d'humeur, le code civil de 1804 a restreint la possibilité de divorcer à la faute, le consentement mutuel étant néanmoins admis, à des conditions très pénalisantes pour les époux 7 ( * ) .

Si la Restauration a réaffirmé l'indissolubilité du mariage avec la loi Bonald du 8 mai 1816, le divorce a été rétabli par la loi Naquet du 27 juillet 1884 sur le seul fondement de fautes précises (adultère, condamnation à une peine afflictive et infamante, excès, sévices et injures graves) constituant un manquement aux obligations conjugales et rendant intolérable le maintien du lien conjugal. Des preuves de la faute devaient être produites, l'aveu n'étant pas reconnu.

La loi du 11 juillet 1975, adoptée à partir d'un avant projet rédigé par le doyen Jean Carbonnier, auquel votre rapporteur souhaite ici rendre hommage, a profondément modifié les conditions du divorce en substituant à un divorce fondé uniquement sur la faute une pluralité de cas de divorce, dont le divorce par consentement mutuel.

Elle a traduit le souci du législateur de dédramatiser le divorce et de régler définitivement ses conséquences lors de son prononcé.

Elle a également reconnu la possibilité de divorcer pour rupture de la vie commune après une séparation de fait d'une durée de six ans, amorçant la reconnaissance d'un droit au divorce unilatéral, à des conditions certes très dures pour le demandeur, avec notamment le maintien du devoir de secours, afin de récuser toute accusation de divorce-répudiation.

La France se singularise ainsi en Europe par le nombre de procédures de divorce. Dans les autres Etats, seules deux procédures sont normalement prévues, une procédure par consentement mutuel et une procédure pour cause d'échec du mariage. Cette exception française parait cependant particulièrement appréciée des justiciables.

2. Les procédures issues de la loi du 11 juillet 1975

L'article 229 du code civil prévoit trois cas de divorce :

- le divorce par consentement mutuel ;

- le divorce pour rupture de la vie commune ;

- le divorce pour faute.

a) Le divorce par consentement mutuel

Le divorce par consentement mutuel se divise en deux branches : une procédure gracieuse, le divorce par demande conjointe des époux et une procédure contentieuse, le divorce demandé par un époux et accepté par l'autre.

Le divorce sur demande conjointe ( art. 231 du code civil ) exige l'accord des époux aussi bien sur le principe du divorce que sur ses conséquences. Les époux doivent établir une convention réglant toutes les conséquences du divorce tant patrimoniales, y compris la liquidation du régime matrimonial, qu'à l'égard des enfants. Cette convention est soumise à l'homologation du juge aux affaires familiales. Sont obligatoires deux comparutions devant le juge, séparées par un délai de réflexion minimal de trois mois. Le juge s'assure du consentement des époux et vérifie que leur convention préserve suffisamment les intérêts de chacun d'eux et des enfants. Le ministère d'avocat est obligatoire, mais les deux époux peuvent être représentés par le même avocat. La convention homologuée n'est pas susceptible d'appel.

- le divorce demandé par un époux et accepté par l'autre ( art. 233 du code civil ) implique l'accord des époux sur le principe du divorce, mais pas sur ses conséquences. La demande est unilatérale, l'époux demandeur établissant un mémoire faisant état de faits rendant intolérable le maintien de la vie commune. Si l'autre époux reconnaît les faits, le juge prononce le divorce qui aura les effets d'un divorce aux torts partagés. Les conséquences du divorce sont décidées par le juge et la liquidation du régime matrimonial intervient après le prononcé du divorce.

b) Le divorce pour faute

Le divorce pour faute ( art. 242 du code civil ) peut être demandé par un époux pour des faits imputables à l'autre lorsque des faits constituent une violation grave et renouvelée des obligations du mariage et rendent intolérable le maintien de la vie commune . Les époux peuvent demander que les torts et griefs ne figurent pas dans le jugement de divorce ( art. 248-1 du code civil ).

L'époux aux torts exclusifs duquel il est prononcé en subit les conséquences :

- impossibilité d'obtenir une prestation compensatoire ( art. 280-1 du code civil ) ;

- possibilité de condamnation à des dommages et intérêts en réparation du préjudice matériel ou moral que la dissolution du mariage fait subir à son conjoint ( art. 266 du code civil ) ;

- perte des donations et avantages matrimoniaux ( art. 267 du code civil ) ;

- perte des droits que la loi ou les conventions passées avec des tiers attribuent au conjoint divorcé - c'est-à-dire principalement les contrats d'assurance- ( art. 265 du code civil ) ;

- impossibilité de demander le report des effets du divorce entre les époux à la date où ils ont cessé de cohabiter et de collaborer ( art. 262-1 du code civil ).

c) Le divorce pour rupture de la vie commune

Le divorce pour rupture de la vie commune est la seule solution dont dispose actuellement un époux pour divorcer d'un conjoint non fautif qui ne le souhaite pas.

Il permet de demander le divorce de manière unilatérale après un délai de séparation de fait de six ans ( art. 237 du code civil ) ou en cas d'altération des facultés mentales depuis six ans rendant la communauté de vie inexistante ( art. 238 du code civil ).

Le juge peut refuser le divorce si l'autre époux établit que le divorce aurait pour lui ou pour les enfants des conséquences matérielles ou morales d'une exceptionnelle dureté.

Outre le fait qu'il a les conséquences d'un divorce aux torts exclusifs, ce type de divorce est très pénalisant pour le demandeur :

- il doit assumer toutes les charges du divorce ( art. 239 du code civil ) ;

- le devoir de secours persiste, c'est-à-dire que la pension alimentaire est révisable à la baisse, mais aussi à la hausse ( art. 281 du code civil ) ;

- le juge peut concéder à l'autre époux le bail forcé du logement appartenant au demandeur même en l'absence d'enfants mineurs ( art. 285-1 du code civil ).

- s'agissant d'un demandeur homme, il ne peut s'opposer à ce que sa femme conserve l'usage de son nom ( art. 264 du code civil ).

d) Le divorce par conversion de séparation de corps

A ces cas de prononcé direct du divorce par le juge s'ajoute la transformation d'une séparation de corps en divorce.

La séparation de corps est prononcée à la demande d'un époux dans les mêmes cas et aux mêmes conditions que le divorce ( art. 296 du code civil ). Elle ne dissout pas le mariage, mais met fin au devoir de cohabitation et entraîne la séparation de biens, en laissant subsister le devoir de secours.

La séparation de corps peut être convertie en divorce :

- de droit, à la demande de l'un des époux quand la séparation de corps a duré trois ans ( art. 306 du code civil ) ;

- à tout moment, sur requête conjointe des deux époux, si la séparation de corps a elle-même été prononcée sur requête conjointe (art. 307 du code civil ).

3. L'évolution de la situation depuis 1975

Le nombre des divorces a considérablement augmenté durant les trente dernières années. De 30.000 dans les années 60, il est passé à 39.000 en 1970 et 60.000 en 1976. Il a dépassé 100.000 dans le milieu des années 1980 pour atteindre un pic de 120.000 en 1995, avant de diminuer légèrement depuis.

En 2001 8 ( * ) , ont été prononcés 113.618  divorces et 288.255 mariages. Le taux de divorcialité qui s'établissait à 11,3 divorces pour 100 mariages en 1970 a atteint 38 divorces pour 100 mariages en 2001.

En trente ans, les statistiques montrent le passage d'un divorce relativement rare touchant un couple sur dix à un divorce fréquent touchant trois couples sur dix, et un couple sur deux dans les grandes villes.

A l'heure actuelle, le risque de divorce est élevé au début du mariage , notamment entre cinq et dix ans de mariage. Un divorce sur trois intervient cependant après 15 ans de mariage.

L'initiative des divorces contentieux revient trois fois sur quatre à la femme . La prépondérance féminine est particulièrement marquée en matière de divorce pour faute (75 %). La part des demandes masculines est cependant légèrement supérieure à celle des demandes féminines en matière de divorce pour rupture de la vie commune, qui représente 1,3 % des divorces (54 %).

Le divorce pour faute demeure très important : les 43.462 divorces pour faute représentent 38,25 % des cas de divorce prononcés en 2001. La part des procédures gracieuses ou contentieuses de divorce par consentement mutuel s'établit cependant à 60,4 % de l'ensemble.

Près des deux tiers des divorces impliquent des enfants mineurs. Ainsi, en 2002, 141.148 enfants mineurs ont vu prononcer le divorce de leurs parents.

Les cas de divorce prononcés directement en 2001

Cas de divorce

Nombre

%

Demande conjointe

53.713

47,3 %

Demande acceptée

14.931

13,1 %

Rupture de la vie commune

1.512

1,3 %

Séparation de fait

1.472

1,2 %

Altération
des facultés mentales

40

Non significatif

Faute

43.462

38,2 %

Total

113.618

100 %

Source : annuaire statistique de la justice

Pourtant, la loi du 11 juillet 1975 ne répond plus complètement aux attentes. Plus de vingt-cinq ans après, la nécessité de sa réforme est très généralement admise.

* 1 « Couple, filiation et parenté aujourd'hui », rapport remis en mai 1998 à la ministre de l'emploi et de la solidarité et au garde des Sceaux ; « Rénover le droit de la famille », rapport remis en septembre 1999 au garde des Sceaux.

* 2 Proposition de loi n° 3189 (2000-2001) de M. François Colcombet et des membres du groupe socialiste et apparentés. Rapport de M. Patrice Gélard n°252 (2001-2002)

* 3 A cette occasion, le Sénat s'était également saisi d'une proposition de loi de M. Nicolas About et plusieurs de ses collègues visant à remplacer la procédure de divorce pour faute par une procédure de divorce pour cause objective (proposition n° 12(2001-2002)).

* 4 La loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 permet aux parents de faire homologuer une convention fixant les modalités d'exercice de l'autorité parentale. Le juge sera tenu d'homologuer les accords entre parents dès lors qu'il constatera que l'intérêt de l'enfant est suffisamment préservé et que les parents ont donné librement leur consentement. La séparation des parents est sans incidence sur les règles de dévolution de l'exercice de l'autorité parentale.

* 5 Voir le rapport : « Droit de la famille - ne pas se tromper de réforme, n° 481 (1997-1998).

* 6 Voir rapport de M. Jacques Larché, Actualité de la loi de 1975 sur le divorce, n° 460 (1999-2000).

* 7 Notamment, en cas de faute, impossibilité de se remarier avec le complice de l'adultère et en cas de consentement mutuel, obligation à chacun des époux de faire l'abandon de la moitié de sa fortune aux enfants.

* 8 Toutes les données relatives à l'année 2001 sont tirées de l'Annuaire statistique pour la Justice, édition 2003. Les données relatives aux divorces prononcés en 1996, plus précises, sont tirées de l'étude de 1999 de la Chancellerie : «Les divorces en 1996 : une analyse statistique des jugements prononcés ». Il n'existe pas de mise à jour de ces données.

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