3. Les failles de la couverture conventionnelle

Notre droit de la négociation collective apparaît enfin daté car il n'a pas intégré l'évolution de la structure de nos entreprises.

Fondé sur une logique calquée sur la société largement industrielle qui existait au moment de sa construction, il s'articule autour d'un paradigme aujourd'hui désuet. Censé s'appliquer dans un environnement constitué de branches structurées et d'entreprises de taille significative, il est désormais appelé à être mis en oeuvre dans un tissu économique marqué par des branches professionnelles ne reflétant plus qu'imparfaitement la réalité des métiers, l'émergence du niveau du groupe et la place considérable acquise par les petites entreprises.

a) La structuration inadaptée des branches professionnelles

Alors même que la branche a vocation à constituer le niveau structurant de la négociation collective, il est aujourd'hui pratiquement impossible de déterminer avec précision le nombre - il est vrai fluctuant - de branches existant en France.

De fait, la notion de branche professionnelle n'est pas légalement définie, ni a fortiori organisée par la loi. Elle relève de l'autonomie des partenaires sociaux et dépend, en pratique, essentiellement de la structuration patronale.

Historiquement, les métiers se sont organisés en branches et en fédérations, tant du côté des employeurs que des salariés. Dans ces conditions, la branche apparaissait comme le niveau approprié pour organiser les relations du travail communes à des entreprises exerçant leur activité dans des situations comparables.

Mais la structuration des branches a vieilli. Elles ne fédèrent plus nécessairement des entreprises de taille ou de métiers comparables. Dès lors, la capacité pour les conventions de branche de régir globalement et de manière prioritaire les relations du travail s'estompe du fait de la diversité de tailles et de métiers des entreprises auxquelles elles ont vocation à s'appliquer.

Certes, les branches ont cherché à s'adapter. Mais ces tentatives, qui ont d'ailleurs pris des formes contradictoires, n'ont qu'imparfaitement permis de leur redonner une cohérence.

D'une part, on a assisté à un mouvement de regroupement des branches. Certaines branches en déclin, qui ne pouvaient plus valablement exercer le rôle qui leur était assigné, sont venues fusionner avec les branches existantes. Mais alors, la cohérence de la branche ainsi fusionnée était réduite d'autant, surtout si la convention collective n'était pas adaptée en conséquence.

A l'inverse, on a également pu observer, parallèlement à l'apparition de nouveaux métiers, l'éclatement de certaines branches existantes de façon à permettre la constitution de nouvelles branches plus homogènes. C'est d'ailleurs aujourd'hui la tendance dominante. Cela permet certes d'assurer une certaine cohérence des entreprises qui les composent. Mais, dans ce cas, les branches n'atteignent souvent pas une taille suffisante leur permettant de jouer pleinement et efficacement le rôle conventionnel qui leur incombe. A titre d'exemple, on a pu récemment observer la création ex nihilo d'une branche constituée en tout et pour tout d'environ 400 salariés...

Ces mouvements somme toute contradictoires conduisent paradoxalement à un résultat similaire en matière de négociation collective : celui d'une homogénéisation du contenu de leur convention collective. En cela, ce résultat témoigne en définitive de leur inadaptation persistante.

b) L'émergence des groupes

Notre droit de la négociation collective ignore encore l'existence des groupes 8 ( * ) .

Or ceux-ci occupent une place considérable dans notre économie. Au 1 er janvier 2002, selon l'INSEE 9 ( * ) , les groupes d'entreprises employaient 8 millions de salariés, soit 55 % des effectifs de l'ensemble des entreprises, et regroupaient quelque 94.000 entreprises. Parmi eux, 84 groupes employaient près de 3,5 millions de salariés.

Dans ces conditions, le groupe apparaît bien souvent pour les entreprises et pour les salariés comme une réalité bien plus tangible que la branche, a fortiori si le groupe relève de plusieurs branches.

La négociation de groupe est donc appelée à prendre une place de plus en plus importante pour régir les sujets d'intérêt commun aux entreprises qui les composent, alors que le droit de la négociation de groupe n'en est encore qu'à ses premiers balbutiements.

c) La carence du dialogue social dans les petites entreprises

A l'heure actuelle, l'exercice de la négociation collective relève de la seule responsabilité des organisations syndicales, hormis certains cas particuliers 10 ( * ) .

Les délégués syndicaux sont donc en principe les interlocuteurs obligatoires de l'employeur dans la négociation d'entreprise.

Or, l'implantation des délégués syndicaux dans les petites entreprises reste très faible. En moyenne, seuls 20 % des établissements de dix salariés et plus sont effectivement couverts par un délégué syndical.

Part des établissements couverts par un délégué syndical selon la taille de l'établissement dans les établissements de dix salariés et plus

(en %)

10 à 19 salariés

20 à 49 salariés

50 à 99 salariés

100 à 249 salariés

250 à 499 salariés

500 salariés et plus

Toutes tailles

10 à 49 salariés

50 salariés et plus

5,6

18,0

55,1

74,0

89,1

95,5

20,2

10,5

67,0

Source : Enquête Acemo-IRP 1999

Cette situation entrave alors le développement de la négociation collective dans les petites entreprises.

Or, autant l'existence même et l'utilité d'un accord collectif peut apparaître illusoire dans une entreprise de quatre ou cinq salariés, autant elle apparaît légitime et souhaitable dans une entreprise d'une cinquantaine de salariés.

Cette faible possibilité de conclure des accords collectifs dans les petites entreprises est d'autant plus préoccupante que celles-ci constituent la cellule de base de notre tissu économique et que la tendance actuelle favorise plutôt l'essor des petites entreprises sous l'effet notamment de la place croissante du secteur tertiaire et du développement de l'externalisation.

Certes, pour remédier à cette carence, des dispositifs visant à développer le dialogue social dans les petites entreprises ont été mis en place.

Ainsi, la loi du 12 novembre 1996, transposant l'accord national interprofessionnel du 31 octobre 1995, a institué, à titre expérimental, la possibilité pour des accords de branche d'organiser, en l'absence de délégués syndicaux, des procédures de négociation dérogatoires au droit commun impliquant des représentants élus des salariés ou un salarié mandaté par une organisation syndicale représentative.

De même, les lois du 13 juin 1998 et du 17 janvier 2000 ont repris la procédure de mandatement ou de négociation avec les représentants du personnel pour conclure des accords de réduction du temps de travail. Une telle procédure était d'ailleurs inévitable dans la mesure où ces lois subordonnaient le bénéfice des aides liées à la réduction du temps de travail à la conclusion d'un accord collectif.

Mais ces deux dispositifs ne sont aujourd'hui plus applicables, empêchant alors le développement de la négociation collective dans les petites entreprises.

*

* *

Toutes ces évolutions soulignent, si besoin était, la nécessité de donner aujourd'hui un nouvel élan au dialogue social dans notre pays et de réformer en profondeur notre droit de la négociation collective.

Votre rapporteur souligne à ce propos que nos principaux partenaires européens, confrontés peu ou prou à des mutations comparables de l'environnement de leur négociation collective, ont pour la plupart d'ores et déjà engagé une réforme de leur droit de la négociation collective, la tendance étant partout - comme le montre l'étude de législation comparée annexée au présent rapport - à la décentralisation de la négociation collective au niveau de l'entreprise.

* 8 Même si celle-ci a été reconnue par la jurisprudence de la Cour de cassation.

* 9 Images économiques des entreprises et des groupes au 1 er janvier 2002.

* 10 Ainsi, en matière d'intéressement et de participation ou de prévoyance complémentaire, il est admis que les accords peuvent être négociés et conclus avec les représentants du personnel ou approuvés par la majorité des salariés, sans intervention syndicale.

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