2. Un démantèlement progressif de la fiscalité locale

Les défauts de la fiscalité locale sont unanimement dénoncés, qu'il s'agisse de l'obsolescence et de l'inégale répartition de leurs bases ou des inégalités de traitement entre contribuables. A titre d'exemple, 5 % des collectivités locales représentant environ 1.800 communes bénéficient de près de 80 % des bases de taxe professionnelle.

Reculant devant les conséquences d'une véritable réforme, qui se traduirait par de fortes variations entre contribuables et entre collectivités, l'Etat a multiplié, au fil des années, dégrèvements, exonérations et suppressions d'impôts, quitte à verser aux collectivités territoriales des compensations qui en font le premier contribuable local.

Sans doute les collectivités territoriales françaises ont-elles été placées, jusqu'à présent, dans une situation plus favorable que leurs homologues européennes.

Toutefois, alors que la part des recettes fiscales provenant des impôts dont les collectivités territoriales votent les taux représentait 54 % du montant de leurs recettes totales hors emprunt, cette proportion a notablement décru à partir de 1998 avec la disparition de pans entiers de la fiscalité locale .

Après la suppression , par l'article 53 de la loi de finances initiale pour 1993, des parts départementale et régionale de la taxe foncière sur les propriétés non bâties , furent en effet successivement décidées :

- la suppression de la taxe additionnelle régionale aux droits de mutation à titre onéreux , soit plus de 10 % des recettes fiscales totales des régions, et la réduction des droits de mutation à titre onéreux des départements (article 29 de la loi de finances pour 1999) ;

- la suppression de la fraction de l'assiette de la taxe professionnelle assise sur les salaires , soit près d'un tiers de l'assiette de cet impôt dont le produit représente près de la moitié du produit des quatre taxes directes locales (article 44 de la loi de finances pour 1999) ;

- l' unification des taux départementaux des droits de mutation à titre onéreux sur les locaux d'habitation (article 9 de la loi de finances pour 2000) ;

- la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation , soit près de 15 % des recettes fiscales totales des régions et 22 % du produit des quatre taxes (article 11 de la loi de finances rectificative pour 2000) ;

- la suppression de la taxe différentielle sur les véhicules à moteur pour les personnes physiques, les associations et les personnes morales pour les trois premiers véhicules (article 6 de la loi de finances pour 2001 et article 24 de la loi de finances pour 2002).

Au total, les recettes fiscales des collectivités territoriales ont été amputées de 15 milliards d'euros entre 1997 et 2002. Selon les dernières évaluations communiquées à votre rapporteur, reproduites en annexe, la part des recettes propres dans l'ensemble des ressources des collectivités territoriales est ainsi passée, entre 1998 et 2002, de 61,5 % à 56,6 % pour les communes et leurs groupements, de 67,2 % à 58,4 % pour les départements et de 59,9 % à 38,1 % pour les régions .

Comme le fait justement observer M. Guy Geoffroy, dans son rapport au nom de la commission des Lois de l'Assemblée nationale : « Pour les collectivités locales, ces réformes se traduisent ainsi très directement par l'affaiblissement de leurs marges de manoeuvre, mais également, de façon plus insidieuse, par une perte en termes financiers. En effet, l'Etat a cherché, dans un contexte de maîtrise des finances publiques, à compenser a minima ces réformes . Il a en premier lieu choisi, à chaque fois que cela lui était possible, la compensation d'exonérations plutôt que le dégrèvement 4 ( * ) . »

En effet, alors que les compensations sont calculées en fonction du produit des bases exonérées par le taux figé de l'année de référence, les dégrèvements constituent une compensation fiscale intégrale, sans amputation des bases, qui varie en fonction de l'assiette de la base dégrevée et du taux d'imposition en vigueur, de sorte que la contribution de l'Etat est dépendante à la fois de l'évolution des bases concernées et des décisions des collectivités locales.

M. Guy Geoffroy souligne ainsi : « Dès lors, compte tenu du dynamisme des impôts locaux, l'Etat a cherché à maîtriser ces dépenses en se dégageant de la logique des dégrèvements : il en a été ainsi du plafonnement de la taxe professionnelle par rapport à la valeur ajoutée, des dégrèvements totaux de taxe d'habitation, de la dotation de compensation de la taxe professionnelle, hors sa partie relative à la réduction pour embauche et investissements, ainsi que la compensation pour suppression de la part « salaires » des bases de taxe professionnelle . Ces compensations pénalisent financièrement les collectivités locales : lorsqu'elles évoluent en fonction des bases réelles et des taux de l'année d'entrée en vigueur de la mesure, les collectivités locales subissent une perte dès lors que les taux de l'année en cours sont supérieurs à ceux de l'année d'entrée en vigueur de la mesure ; lorsque les compensations sont indexées sur la dotation globale de fonctionnement, elles se révèlent défavorables aux collectivités locales dès lors que les bases ou le produit de l'impôt augmentent plus vite que le taux d'évolution de la dotation globale de fonctionnement . »

En prenant en charge une part croissante de la fiscalité locale par le biais de compensations et de dégrèvements, l' Etat est devenu le premier contribuable local .

Il supporterait ainsi à lui seul, selon le rapport publié en juin 2003 par notre excellent collègue M. Joël Bourdin au nom de l'Observatoire des finances locales, plus de 33 % du produit de la fiscalité locale, soit 20,7 milliards d'euros, pour une recette totale de 66,8 milliards. Ces sommes correspondent à une prise en charge de  33,2 % du produit de la taxe d'habitation, 4,9 % du produit des taxes foncières, 48,6 % du produit de la taxe professionnelle 5 ( * ) .

En mai 2000, notre excellent collègue M. Yves Fréville a montré que l'essentiel de la croissance des concours de l'Etat était imputable aux compensations d'exonérations et de dégrèvements. Elles étaient passées de 0,45 % du produit intérieur brut en 1982 à 1,5 % en 1998 alors que, dans le même temps, la part des dotations de l'Etat dans leur ensemble diminuait de 1,45 % à 1,35 %.

Il en résulte une plus grande rigidité dans la gestion des concours de l'Etat aux collectivités locales qui se transforment en substituts de fiscalité locale au détriment de la péréquation.

* 4 Rapport n° 1541 (Assemblée nationale - avril 2004), page 11.

* 5 « Les finances des collectivités locales en 2003 : état des lieux » - Rapport de M. Joël Bourdin au nom de l'Observatoire des finances locales - page 113.

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