B. DES ATTEINTES GRAVES ET RÉPÉTÉES

Les principes posés par les lois de décentralisation n'ont, en pratique, guère été respectés et l'autonomie financière des collectivités territoriales a fait l'objet d'atteintes graves et répétées. S'il lui a donné une consécration constitutionnelle, le Conseil constitutionnel s'est avéré incapable de la protéger.

1. Des transferts de charges non compensés

Le principe de la compensation financière intégrale et concomitante des transferts de compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales a connu des entorses répétées et cumulatives .

La mission d'information du Sénat chargée de dresser le bilan de la décentralisation soulignait ainsi, en 2000, que la part des dépenses liées aux transferts de compétences dans les dépenses totales des collectivités territoriales était passée, entre 1987 et 1996, de 13,5 % à 17,8 %, tandis que la part des ressources transférées à ce titre dans leurs ressources totales avait chuté de 9,5 % à 8,3 % 2 ( * ) .

Ce constat est partagé par le Conseil économique et social, dont un rapport publié en 2001 souligne que les collectivités locales ont dû faire face à des retards d'investissement importants, notamment en matière de lycées et de collèges, sans que les dotations afférentes tiennent compte de ces besoins 3 ( * ) .

Au-delà de l'insuffisante compensation des transferts de compétences, les collectivités territoriales ont dû supporter des charges nouvelles sur lesquelles elles n'ont aucune prise et sans aucune contrepartie financière .

La création de l' allocation personnalisée d'autonomie s'est ainsi apparentée à une extension, non compensée, des compétences dévolues aux départements lors de la création de la prestation spécifique dépendance. Le coût de ce dispositif institué par la loi n° 2001-647 du 20 juillet 2001 était initialement estimé à 2,53 milliards d'euros. L'Etat devait en assumer une partie - 930 millions d'euros - par le biais du Fonds de financement de l'allocation personnalisée d'autonomie. Les départements devaient financer le solde en réaffectant les sommes précédemment consacrées à la prestation spécifique dépendance, d'un montant de 1,1 milliard d'euros, et en dégageant des ressources nouvelles estimées à 500 millions d'euros. Le surcoût mis à leur charge s'est avéré bien plus lourd : les dépenses d'aide sociale inscrites aux budgets primitifs au titre de l'allocation personnalisée d'autonomie ont augmenté, en moyenne, de 10,5 % en 2002 puis de 90 % en 2003. La plupart des conseils généraux ont été contraints, en conséquence, d'augmenter significativement leurs taux d'imposition, après plusieurs années d'évolution très modérée de la fiscalité départementale.

Les charges induites par des réglementations toujours plus contraignantes grèvent également lourdement les budgets locaux, qu'il s'agisse des normes nouvelles imposées souvent par l'Union européenne, des revalorisations des traitements ou encore de la mise en place de l'aménagement et de la réduction du temps de travail dans la fonction publique, décidées sans concertation avec les employeurs locaux.

Une étude menée par le cabinet Arthur Andersen pour le compte de la Fédération des villes moyennes et le Crédit local de France a permis d'évaluer l'impact financier, pour les communes, de la mise aux normes dans les secteurs de l'environnement, de la voirie, des équipements sportifs, des bâtiments publics et de la restauration collective. En extrapolant ces résultats obtenus à partir de l'examen approfondi de 10 villes moyennes, l'étude fait apparaître un coût oscillant entre 19 et 22 milliards d'euros sur la période 1999-2005 (2013 pour les travaux liés à la teneur en plomb de l'eau).

Une étude de la direction générale des collectivités locales et du Centre national de la Fonction publique territoriale estime que seules 10 % des collectivités pratiquaient une durée hebdomadaire du travail inférieure à 39 heures au 31 décembre 1999. Ce chiffre illustre l'ampleur des réorganisations auxquelles les collectivités locales ont été contraintes de procéder pour se mettre en conformité avec la loi relative à l'aménagement et à la réduction du temps de travail. Ainsi, en 2003, les prévisions des départements et des régions font état d'une nouvelle hausse des charges de personnel, de l'ordre de 7,9 %, succédant à celle de 8,9 % en 2002.

L'examen prochain du projet de loi portant modernisation de la sécurité civile fournira l'occasion de rappeler le coût du financement des services d'incendie et de secours mis à la charge des départements, des communes et des établissements publics de coopération intercommunale.

Pour assumer ces charges croissantes et non compensées, les collectivités territoriales ont été contraintes de faire appel à la fiscalité. Or les potentialités de celle-ci se trouvent aujourd'hui compromises.

* 2 Rapport n° 447 (Sénat - 1999-2000) de M. Michel Mercier au nom de la mission commune d'information chargée de dresser le bilan de la décentralisation et de proposer des modifications de nature à faciliter l'exercice des compétences locales, présidée par M. Jean-Paul Delevoye, page 242.

* 3 Rapport de M. Jean-Pierre Brunel (Conseil économique et social - 2001) sur l'avenir de l'autonomie financière des collectivités locales - II-47.

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