B. ... DONT L'INSCRIPTION DANS NOTRE ORDRE JURIDIQUE PRÉSENTE DES INSUFFISANCES

La place des grands principes liés à l'environnement dans notre ordre juridique interne présente deux inconvénients majeurs : d'abord, ils n'occupent pas dans la hiérarchie des normes la place qui leur est désormais reconnue sur le plan politique ; ensuite, en raison même de cette lacune, la portée de ces normes repose sur des constructions principalement jurisprudentielles et leur interprétation apparaît très évolutive aux dépens, sans doute, de la sécurité juridique.

1. Une place seconde dans la hiérarchie des normes

L'assise juridique des principes du droit de l'environnement souffre de l'absence de reconnaissance constitutionnelle.

Si le Conseil constitutionnel a reconnu la protection de l'environnement comme un but d'intérêt général 8 ( * ) , il ne lui a jamais conféré une valeur constitutionnelle. Il n'existe, il est vrai, aucune disposition en ce sens dans notre texte fondamental. Néanmoins, certaines cours constitutionnelles étrangères ont dégagé un tel droit de textes qui ne le prévoyaient pas explicitement. Ainsi, la cour constitutionnelle italienne a interprété le droit à la santé comme un « droit à un environnement sain » (arrêt n° 5172 du 6 octobre 1979). Le droit à la santé affirmé à l'alinéa 11 du préambule de la Constitution de 1946 aurait ainsi pu présenter des potentialités comparables.

La valeur législative des grands principes de l'environnement comporte une double conséquence :

- une loi nouvelle peut toujours revenir, sous réserve du respect des normes internationales, sur l'un des principes énoncés par la loi Barnier de 1995 ;

- dans le cadre du contrôle de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel est conduit à minorer la prise en compte de ces principes par rapport aux droits de valeur constitutionnelle (droit de propriété, liberté de commerce et de l'industrie, égalité devant les charges publiques ou liberté de circulation).

2. Une construction principalement jurisprudentielle

En l'absence de normes constitutionnelles, les fondements des principes généraux du droit de l'environnement reposent sur les normes internationales ou communautaires ou sur les articles L. 110-1 et L. 110-2 du code de l'environnement.

Ces derniers renvoient néanmoins aux « lois qui en définissent la portée ». Or, le législateur n'est pas réellement intervenu pour préciser la mise en oeuvre de ces droits s'agissant notamment du principe de précaution. Dès lors, le juge a été conduit lui-même à travers sa jurisprudence à en cerner la portée, de manière parfois extensive. C'est ainsi que le Conseil d'Etat, se prononçant dans un sens contraire aux conclusions de son commissaire du Gouvernement selon lesquelles « le renvoi à des lois pour définir la portée des principes énoncés peut légitimement conduire à [leur] dénier tout caractère d'invocabilité directe », a estimé que le principe de précaution était directement invocable et juridiquement contraignant 9 ( * ) . Il en a en outre étendu l'application au domaine de la santé.

Les sources internationales des principes généraux de l'environnement laissent aussi quant à elles une large part d'interprétation au juge. En effet, exceptés les cas où des règles précises sont posées -et alors bornées à un champ d'application particulier (telle l'application du principe de précaution dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce)- elles présentent un caractère souvent très général. Leur valeur normative peut d'ailleurs elle-même soulever des interrogations.

Les juridictions internationales ont dès lors été conduites à développer une jurisprudence assez « créatrice ».

Ainsi, la Cour européenne des droits de l'homme a déduit de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme -respect de la vie privée et familiale- le droit de vivre dans un environnement sain 10 ( * ) .

Dans l'ordre communautaire et alors même que le principe de précaution figure seulement au rang d'objectif des politiques communes, le tribunal de première instance des Communautés européennes en a fait un « principe général du droit communautaire imposant aux autorités concernées de prendre, dans le cadre précis de l'exercice des compétences qui leur sont attribuées par la réglementation pertinente, des mesures appropriées en vue de prévenir certains risques potentiels pour la santé publique, la sécurité et l'environnement en faisant prévaloir les exigences liées à la protection de ces intérêts sur les intérêts économiques » 11 ( * ) .

D'une manière générale, il faut souligner que le juge administratif français applique le droit communautaire conformément à l'interprétation donnée par la Cour de justice 12 ( * ) .

* 8 Voir par exemple la décision n° 2002-464 du 27 décembre 2002.

* 9 Conseil d'Etat, 11 décembre 1998, Association Greenpeace France.

* 10 Arrêt Lopez Ostra du 9 décembre 1994 condamnant l'Espagne.

* 11 Tribunal de première instance des Communautés européennes, Solvay Pharmaceuticals B.V.C./Conseil de l'Union européenne, affaire T-392-02.

* 12 Ainsi, le Conseil d'Etat a écarté récemment l'application d'un article du code général des impôts contraire, selon une jurisprudence de la Cour, aux stipulations du traité. Cf. Conseil d'Etat, 30 décembre 2003, Coreal gestion, relatif à l'article 212 du code général des impôts faisant suite aux arrêts Lankhorst-Hohorst (C - 324/00) et Bosal Hoding BV (C - 168/01) de la Cour de justice des Communautés européennes.

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