II. COMPTE RENDU INTÉGRAL DES AUDITIONS
DES MERCREDIS 7 ET 28 AVRIL, 5, 12 ET 19 MAI 2004

Audition de M. Bertrand FRAGONARD,
président du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie
(mercredi 7 avril 2004)

M. Nicolas ABOUT, président - Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui Bertrand Fragonard, président du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, dont l'audition était attendue par nombre de nos collègues.

C'est la raison pour laquelle j'ai convié aussi à notre réunion les sénateurs membres d'autres commissions qui souhaiteraient vous entendre, monsieur le président.

Monsieur le président, si vous en êtes d'accord, vous allez nous présenter les conclusions du rapport du Haut conseil avant de répondre aux questions du rapporteur et des commissaires.

M. Bertrand FRAGONARD - Je vais essayer de présenter les travaux autour de quatre idées principales.

La première, qui a joué un rôle incontestable dans le consensus qui s'est fait au Haut conseil, est que les principes fondamentaux du système d'assurance maladie sont bons.

Deuxième idée : ce système ne fonctionne pas - et de loin - à l'optimum.

Troisième idée : si on veut pouvoir sauvegarder les principes fondamentaux écrits dans une période un peu difficile, et compte tenu de la croissance des dépenses de santé qui s'annonce, il faut remettre de l'ordre à tous égards dans la maison.

Quatrième idée : une des réformes qui semble nécessaire est d'améliorer la gouvernance du système.

Premier constat, qui a joué un rôle majeur, notamment pour les syndicats de salariés, mais le consensus a bien entendu débordé très au-delà : les principes de prise en charge par la sécurité sociale sont bons. Je dirai même qu'on a fait une description assez élogieuse de ce système.

Pourquoi ? Parce qu'au fond, s'agissant de la santé, qui est vécue comme un bien supérieur par tout le monde, notre système offre des caractéristiques remarquables.

1 - a) Première caractéristique - qui n'est pas aussi généralisée qu'on le pense, même dans les pays riches : notre système repose sur un principe d'universalité. La seule zone un peu conflictuelle qui reste dans ce système, c'est l'aide médicale d'État, dont je ne parlerai pas puisqu'elle n'est pas dans le système d'assurance maladie au sens juridique du terme.

b) Deuxième élément : nous avons une logique qui nous éloigne radicalement de la logique de l'assurance. Bien entendu, dans tout système, il y a une mutualisation, mais la caractéristique de notre système est qu'il tourne le dos à ce qui serait une tarification par une société d'assurance.

Nous prenons en charge sans tenir compte de l'âge ; or, l'âge est très lié à la consommation. Nous ne tenons pas compte du nombre de personnes abritées dans le foyer de l'assuré. Nous ne tenons pas compte de l'état de santé de l'intéressé, ce qui est un élément radical, et nous ne faisons pas varier le taux de prise en charge avec le revenu.

C'est donc un système qui, quelque part, exprime l'idée que, face à une dépense de soins, nous assurons quels que soient les heurs et malheurs de l'intéressé.

C'est un phénomène fondamental, surtout si l'on regarde ce que pourrait être le développement de la médecine prédictive. Si un jour on sait quels risques sont portés par un intéressé, il est évident que les compagnies d'assurance auront tendance à le rejeter. La sécurité sociale ne s'interroge même pas ; elle l'accepte, dès lors qu'il fait partie de la communauté nationale.

c) Inversement, pour financer ce grand système de solidarité, pour des raisons complexes, historiques pour l'essentiel, nous avons réussi à trouver un relatif consensus sur l'idée que l'essentiel du financement reposerait sur la richesse produite par chacun des salariés ; la cotisation est donc proportionnelle au revenu.

Une compagnie fera l'inverse : bien entendu, elle ne tiendra pas compte du revenu des intéressés et aura tendance à prendre en compte le nombre de personnes protégées, l'âge et l'état de santé.

A ce titre, nous avons marqué de façon très unanime qu'il y avait là quelque chose de radicalement original, fondamentalement positif.

d) Bien entendu, ce dispositif n'a de sens que parce que le taux de prise en charge est significatif. En fait, il prend en charge à des niveaux extrêmement élevés.

Contrairement à ce qui est dit, la sécurité sociale n'a pas tendance à se désengager. On rembourse toujours mieux. Le taux de prise en charge par le régime de base augmente tendanciellement. Les gens ne s'en rendent pas compte parce que leur expérience courante repose au fond sur l'ambulatoire courant. C'est sur ce segment que les gens ont le sentiment que les remboursements ont été écornés. Les gens savent par ailleurs que les prothèses dentaires et optiques ne sont pas bien remboursées.

En fait, la sécurité sociale n'arrête pas de se réengager, tout simplement parce que les soins qui vont le plus vite sont les soins exonérés du ticket modérateur, qui tirent le taux de remboursement global.

Dans la sphère de la dépense jugée légitime, c'est-à-dire le panier de biens, la sécurité sociale fait nettement plus de 80 % et ce taux a tendance à augmenter.

On a donc un système qui, dans ses grandes armatures, assure l'égalité d'accès aux soins.

Ajoutez à cela le fait qu'il y a des couvertures complémentaires largement aidées par les fonds publics lorsqu'il s'agit d'accords collectifs en entreprise.

On est dans la situation qui a été recherchée. Historiquement, tous les gouvernements ont concouru à rendre la sécurité sociale universelle. La loi sur l'assurance maladie universelle n'a fait que parachever une évolution de quarante ans et, dans l'ensemble, les gouvernements ont tenu à garder un très haut taux de prise en charge, tellement haut d'ailleurs qu'on peut s'interroger sur la pertinence de vouloir garder un taux de prise en charge aussi élevé.

Cela fait partie de notre acquis, dans un système où nous avons réussi à avoir une organisation des soins adossée à ce système de solvabilisation de bonne qualité, avec une médecine libérale à laquelle les Français croient, une armature hospitalière certes trop coûteuse à certains endroits, imparfaitement gérée, mais globalement de très bonne qualité.

Il ne faut donc pas avoir l'esprit chagrin. Nous avons un bon système de sécurité sociale. Il a d'ailleurs supporté une croissance très forte. Sur les quarante dernières années, la dépense de soins a crû chaque année de 2 à 2,5 points de plus que le PIB. Nous pensons, au sein du Haut conseil, comme tout le monde, que cette tendance va continuer. Elle pourra peut-être s'infléchir mais les éléments objectifs dont nous disposons nous amènent à penser que la dépense de soins va continuer à croître.

2 - On doit donc être en mesure d'assurer cette croissance, c'est-à-dire ne pas toucher aux principes fondamentaux, assurer l'ambition majeure de la sécurité sociale, suivre le progrès médical et accepter l'évolution des sciences et techniques, en admettant dans les biens remboursés tout ce que nous savons faire de mieux pour le soin des gens et en gardant le principe selon lequel tout le monde a accès à un système de droit commun, sans bouleverser le budget des ménages. Il faut donc être en mesure de répondre à ce défi.

Deuxième constat : il serait souhaitable qu'un système aussi ambitieux, aussi précieux, fonctionne bien. Nous avons dit de façon très nette qu'on était loin de l'optimum en termes de qualité - il y a des endroits où l'on est plus ou moins bien soigné, plus ou moins bien pris en charge, on déplore des excès, des gâchis - et de coût.

Nous n'avons pas voulu chiffrer ce que représente cette désoptimisation. C'est extrêmement difficile. Nous y aurions passé des semaines. Or, nous avions deux moi et demi pour boucler l'exercice, mais le consensus a été réel pour dire qu'on doit dégager des marges, à la fois pour la qualité et pour l'économie. Cela permettrait de pouvoir financer la croissance.

Je rappelle qu'aujourd'hui, si nous voulons garder le taux de remboursement actuel et si on est à peu près dans une zone moyenne, il faut trouver chaque année entre 2,5 milliards et 3 milliards d'euros de plus.

Il est donc absolument anormal, devant ce défi, qu'on ne sache pas gérer mieux le système.

Il y a eu des débats assez techniques sur ce qui fait que le système ne fonctionne pas à l'optimum, ni à l'hôpital, ni en ambulatoire. Le constat est bien là et on a été unanime pour dire que, puisqu'on voulait garder ce système dans la durée, il fallait l'améliorer. Il n'est pas normal qu'on demande aux gens de faire des efforts financiers pour porter cette croissance si, au demeurant, on ne leur garantit pas un bon rapport qualité/prix !

Nous sommes quelque part un assureur : un assureur doit rendre compte des cotisations qu'il prélève et doit dire garantir le résultat pour lequel on a payé. Aujourd'hui, sans être négatifs, nous ne pouvons garantir un excellent rapport qualité/prix. Il est bon, mais il n'est pas parfait, et il est trop coûteux.

3 - Or, il se trouve qu'accepter cette facilité est de plus en plus difficile tellement les contraintes financières sont élevées. Je ne parle pas de la situation du moment, toujours plus ou moins liée à la conjoncture. Ce que je constate, c'est que nous avons accumulé de la dette. Pendant longtemps, la sécurité sociale n'avait pas le droit d'être en déficit et n'était d'ailleurs pas en déficit ; elle équilibrait son budget.

C'est pour cela qu'on parle de façon très négative du « trou de la sécu » alors que, pour un agent aussi noble que l'État, on ne parle pas du « trou de l'État » mais du déficit, plus noble et beaucoup plus important que le « trou de la sécu ».

Mais la sécurité sociale vivait dans une discipline. Cela fait quelques années que, devant les difficultés à lever les recettes, la croissance, etc., nous avons accumulé un peu de dettes. Cela file vite, la dette ! Et puis, nous avons 10 à 12 milliards d'euros de déficit courant. Nous vivons un bon mois à crédit ; chaque minute, c'est 20.000 euros de déficit.

On ne peut donc pas garder une situation financière aussi dégradée. Pour boucler les comptes, il faut bien évidemment ajuster les recettes et les dépenses. Le consensus a été difficile à trouver. Très légitimement, le MEDEF vivait très mal l'idée qu'on doive encore lever des recettes alors que le système n'est pas à l'optimum et, très légitimement, les représentants des salariés affichaient qu'ils n'aimeraient pas voir diminuer le taux de prise en charge.

Le malheur, c'est que nous sommes avec 10 milliards d'euros de déficit bon poids, qui croît de 3 milliards d'euros chaque année et 40 milliards de dettes.

Le consensus s'est fait pour dire qu'il faudrait vraisemblablement remettre de l'ordre, ajuster les recettes et ajuster le taux de remboursement.

Sur les recettes, le débat a été assez vif, d'abord parce que le MEDEF feignait de penser qu'on puisse durablement tenir le système sans apporter de recettes, mais l'équation ne permet pas de souscrire à ce principe sans vouloir trop durcir les contraintes de notre système de sécurité sociale.

On a donc accepté, sur un mode consensuel, de dire qu'il faudrait au fur et à mesure qu'on nettoie le système, apporter si possible des recettes supplémentaires, sans toutefois rechercher un consensus sur la nature de la recette. Nous nous sommes juste bornés à constater que, jusqu'à présent, la CSG avait semblé plutôt un bon outil, avec une assiette large, proportionnelle. Elle est entrée dans notre paysage historique mais de nombreux partenaires - CGT, MEDEF, etc. - ont fait valoir qu'il faudrait peut-être réfléchir à d'autres systèmes d'assiette.

Quant au tarif de remboursement, le débat a été vif. Je rappelle que notre système est basé sur un très bon taux de remboursement, universel, qui ne tient pas compte du revenu. La première des questions, qui a été tranchée immédiatement, était de savoir s'il fallait tenir compte des revenus dans le taux de remboursement. Nous avons répondu non. La Confédération française de l'encadrement, soucieuse que ce ne soit pas simplement oral, a fait écrire de façon très précise qu'il n'en était pas question.

Nous sommes en effet dans un système de solidarité générale et il serait paradoxal d'expliquer à des gens qui cotisent proportionnellement à leurs revenus qu'ils sont trop riches pour qu'on les rembourse, même lorsqu'ils seront gravement malades. On peut peut-être demander un petit effort sur l'ambulatoire, mais mettre l'ALD sous conditions de ressources, comme cela a été proposé par certains, a été considéré par le Conseil comme totalement incrédible et en rupture avec notre acquis historique.

Deuxième question : doit-on absolument garder le taux actuel de prise en charge ? Notre cheminement a été de dire que l'on pouvait vraisemblablement l'ajuster. Dans l'esprit des rédacteurs et des lecteurs, ajuster, c'est ajuster à la baisse. Juridiquement, on pourrait très bien choisir de faire comme l'Alsace-Moselle, dont le régime de base bénéficie d'un taux de remboursement supérieur.

Le Conseil n'a pas du tout pris ce tournant, d'abord parce que tout le monde voit bien qu'il y a des contraintes de prélèvements obligatoires. On peut les regretter, mais elles sont là.

En second lieu, à chaque fois que l'on met un euro de prélèvements obligatoires sur l'assurance maladie, c'est un euro qu'on n'a pas ailleurs. Je rappelle que, pendant longtemps, l'assurance maladie a largement vécu en prélevant les excédents de la branche famille ! Si l'on peut parler de continuité historique d'un gouvernement à un autre, c'est bien sur ce sujet !

Dire qu'il faut tout rembourser à tout le monde parce que c'est l'assurance maladie et accepter qu'un ménage modeste ait un taux d'effort pour se loger après APL de 16 % de son revenu est peut-être discutable. Il faut, au bout d'un moment, faire état de ces chiffres ! C'est très bien de rêver à la gratuité pour tous, mais il faut pouvoir l'assumer. Lorsque la fonction croît à 2-3 % par an, c'est lourd et cela écrase tous les prélèvements obligatoires !

Au fond, on voit bien que ce qui compte, que nous avons défini comme étant un fondamental, c'est que lorsque quelque chose menace l'équilibre budgétaire, tout le monde doit être épargné. Mais après tout, très franchement, qu'on consacre quelques dizaines d'euros de plus, vu du côté des ménages, ne touche pas à la solidarité nationale.

Cela a été assez difficile à faire admettre car, bien entendu, c'est une question de dosage. Si on va trop loin, on risque de toucher à la solidarité. Qu'est-ce donc qu'un bon ajustement ? Nous avons dit, après avoir décrit le système, que « tout ajustement des taux de remboursement qui, premièrement, n'épargnerait pas les ménages qui exposent les dépenses les plus élevées et qui, deuxièmement, ne serait pas accompagné de mesures correctrices, destinées notamment à ceux qui ont les revenus les plus modestes, méconnaîtrait les principes de la solidarité nationale ».

Cela veut dire que tout ajustement qui respecte ces deux impératifs est possible. C'est ma conviction absolue. Comment ? Jusqu'où ? Avec quelles mesures correctrices ? C'est tout l'art de gouverner !

Les gens demandent ce qui serait de la nature de l'ajustement et ce qui ne le serait pas. Lorsque vous êtes à l'hôpital et que vous avez un acte supérieur à K 50, qui coûte environ 100 euros, vous ne payez plus de ticket modérateur. A l'hôpital, le ticket modérateur est plafonné à 19 euros. Je considère que passer K 50 à K 60 ou à K 70 ne toucherait pas à la solidarité nationale. Des exemples comme cela, nous en avons tous les uns et les autres.

Les ajustements sont possibles et ma conviction est que nous aurons besoin, si nous voulons assumer le progrès technique et garder les principes fondamentaux, de toutes les marges, qu'il s'agisse des recettes ou des dépenses. C'est bien sûr plus facile à écrire qu'à faire.

Si l'on choisit de porter l'assurance maladie, sur le long terme, avec ses valeurs, on doit faire le ménage et réaliser les ajustements de prise en charge. Il faut aussi améliorer le gouvernement du système.

Le Haut conseil a dit que ce n'était pas clair, que la loi de financement de la sécurité sociale, qui était pourtant un concept intéressant, a été pervertie, que la délégation de pouvoirs consentie aux organismes ex-paritaires n'avait jamais fonctionné. L'État interfère de façon trop constante à certains moments, pas assez à d'autres. On est dans la situation où tout le monde revendique des responsabilités, même ceux qui ne sont pas au conseil d'administration de la CNAM, mais personne n'a en fait à la fois le pouvoir juridiquement constitué, les moyens et l'obligation de résultat.

Quand on travaille sur 10 % de la richesse nationale, il ne suffit pas de demander du pouvoir : il faut accepter l'obligation de résultat ! Or, il n'y en a pas. On a dit que la loi de financement de la sécurité sociale était une loi sans grande signification. Les parlementaires présents ont apprécié l'idée qu'on votait un chiffre dont on savait très bien qu'il était irréaliste, qu'il ne serait pas tenu et qu'aucun mécanisme de redressement ne convergeait.

M. Nicolas ABOUT, président - Certains même étaient déjà transgressés - je l'ai signalé - avant de les soumettre au vote.

M. Bertrand FRAGONARD - Un système dans lequel on fait 10 % de la richesse nationale, avec 60 millions d'assurés, 2 millions d'actifs, et qui n'est pas géré de façon claire est un mauvais système.

C'est pour cela que le thème de la gouvernance apparaît aussi prégnant dans la réforme de l'assurance maladie.

Cela n'a rien à voir avec le régime des retraites. Réformer les retraites, c'est facile. Je ne dis pas que cela n'a pas été conflictuel, mais c'est facile. Une fois que vous avez décidé, vous mettez les paramètres dans un ordinateur, cela sort les liquidations et le débat est clos. Chacun juge, conteste, mais on liquide les retraites sur la base des décisions réglementaires et législatives.

Pour l'assurance maladie, ce n'est pas du tout pareil : on ne peut avoir qu'un cadre général ; après, cela relève de l'art de gouverner. Les deux millions d'actifs et leurs représentants ont des intérêts à faire valoir. Ces intérêts ne sont pas convergents, ni toujours cohérents avec le souci de rigueur.

Réformer, c'est l'art de faire dans la continuité. Certaines choses peuvent être décidées en juillet, mais la réforme intervient tous les jours, car tous les jours, le ministre, les partenaires sociaux, les partenaires médicaux signent des accords, font bouger les choses, essaient de faire évoluer leurs propres intérêts. Il faut donc être en mesure de traiter de façon cohérente l'ensemble des problèmes qui sont considérables, du fait des intérêts en jeu.

Notre constat a été sévère à cet égard : malgré les ordonnances de 1967, malgré celles de 1996, malgré la loi de 2002, on n'y arrive pas et les partenaires extérieurs jouent de façon admirable de l'absence de pilotage ! Ils ont parfaitement compris comment slalomer. Ils détiennent d'ailleurs largement l'information et sont souvent les mieux armés pour la discussion technique. A un certain moment, l'État se trouve donc piégé dans un conflit qu'il ne maîtrise pas, incapable d'affirmer telle ou telle évolution.

Deux remarques pour terminer : nous nous sommes sentis à court d'informations sur l'hôpital public. Cela a été pour le Haut conseil une source de frustration et d'irritation mais, sans certitudes quant aux éléments chiffrés, à la dispersion des coûts et aux raisons qui les expliquent, il est très difficile de parler de façon péremptoire.

C'est pourquoi nous avons dit que nous le mettrions dans l'ordre du jour de nos travaux. Nous avons commencé et ce sera certainement l'un de nos plus lourds chantiers.

Nous avons considéré que TAA était un bon instrument s'il était porté par une volonté politique et une vraie technique de direction des hôpitaux mais vouloir, à travers TAA, résorber des écarts de coûts dont on ne sait pas à combien ils s'élèvent, ni à quoi ils sont liés, posera vraisemblablement des problèmes de cheminement de la réforme considérables.

Deuxième thème que nous n'avons pas abordé alors que, pour beaucoup, ce pouvait être un élément de réflexion : la régionalisation de l'assurance maladie. Pourquoi ? Tout d'abord, nous avions deux mois et demi pour boucler le sujet. C'est un chantier considérable. Je n'ai vu nulle part un partenaire politique ou social porter un vrai projet de régionalisation. Ce serait un changement radical, certainement envisageable, mais nous n'étions pas prêts.

M. Nicolas ABOUT, président - Merci.

La parole est au rapporteur.

M. Alain VASSELLE, rapporteur - Merci.

Monsieur le président, comment percevez-vous l'articulation de tous les textes qui ont été votés ?

M. Bertrand FRAGONARD - J'ai déjà répondu concernant les lois de financement.

Certaines mesures qui y sont liées sont quelquefois positives et intéressantes, mais l'ambition globale - le vote d'enveloppes par le Parlement, qui contient la dépense dans ses limites, les processus d'ajustement - cette ambition globale qui était une des innovations fortes des ordonnances de 1996 n'a pas fonctionné. Aucun gouvernement n'a su faire fonctionner cette mécanique. Cela renvoie au fait que, lorsqu'on ne sait pas quel mécanisme est en oeuvre, le chiffre qu'on met est une espèce d'artefact. Personne ne se considère lié par ce chiffre.

En outre, on choisit des chiffres trop bas par rapport à la réalité. On sait tenir une enveloppe fermée : il n'y a qu'à geler les tarifs, voire les baisser, baisser la marge des pharmaciens ou le taux de remboursement.

Il me semble que le gouvernement précédent avait dit qu'il faudrait peut-être réfléchir à de nouvelles lois de financement de la sécurité sociale rectificatives.

M. Nicolas ABOUT, président - On l'a toujours présenté comme un objectif.

M. Bertrand FRAGONARD - Dans les ordonnances, ce n'était pas un objectif. S'agissant de l'ambulatoire, il existait des mécanismes de reversement. S'agissant de l'hospitalisation, l'État a seul la tarification. On avait potentiellement les moyens juridiques de tenir les enveloppes ; si on n'y arrive pas, à la limite, on peut baisser les valeurs-clés qui sont les paramètres du système.

Cela a volé en éclats pour des raisons politiques, techniques, etc. Les reversements ont sauté. A l'hôpital, cela tient, mais on voit bien qu'à certains endroits, il y a des manques parce qu'on n'a pas d'instruments de tarification. On ne peut dire qu'aucun effort n'a été fait, mais il n'y a pas eu d'effort suffisant. Très vite, le sentiment que l'on pouvait y aller s'est installé ; c'est un sentiment qui se répand très vite chez tous les professionnels. Dès lors, cela flambe. Le bilan n'est pas, à ce titre, positif.

Les autres lois ont des conséquences, mais indirectes. La loi sur la santé publique est fondamentale. Une bonne politique de santé publique est évidemment pertinente. Je considère que le thème de la santé au travail est un thème sur lequel nous sommes très en retard dans la réflexion.

De même, tout ce que l'on dit sur la prévention, qu'il s'agisse des grands appareils sur la PMI, la santé scolaire, la médecine, mériterait d'être activé.

L'assurance maladie réagit à d'autres évolutions, dont certaines sont législatives. Tout ce qu'il faut souhaiter, c'est que la cohérence soit plus ferme que par le passé.

M. Nicolas ABOUT, président - Souhaitez-vous vous exprimer sur les mesures alternatives concernant l'hôpital ou est-ce trop tôt ?

M. Bertrand FRAGONARD - C'est beaucoup trop tôt ! Nous avons dit que TAA était potentiellement un bon instrument. Pourquoi ? C'est le principe suivant lequel on dote de façon progressive les hôpitaux en fonction de leur activité. Cela signifie que, pour les hôpitaux qui manquent de moyens parce que leur activité s'est développée, et qui étaient contenus dans leurs enveloppes, on va devoir desserrer les contraintes. A l'inverse, ceux qui sont - et ils sont nombreux - très au-dessus de la dotation cohérente avec leur activité doivent se restreindre.

En soi, un instrument de tarification qui part de la réalité de l'activité est une bonne chose. D'ailleurs, je crois qu'il n'y a pas eu beaucoup de discussions sur le principe.

Il y a le souci de ne pas aller à marche trop forcée d'un côté et le souci d'aller un peu plus vite de l'autre. Tout l'échelonnement de la réforme est évidemment un problème central, qui suppose beaucoup de finesse dans l'approche et dans la tactique.

Le Haut conseil a également dit que cela ne marcherait pas si l'on ne réformait pas la gestion hospitalière. Il n'y a pas assez de gens, à l'hôpital, qui ont pour obsession d'améliorer la productivité.

Ce sont des mots qui, au départ, heurtent ; mais, au bout d'un temps, les syndicats ont accepté qu'on écrive qu'il n'y avait effectivement, aujourd'hui, ni connaissance suffisante de l'économie de l'hôpital, ni capacité, à l'intérieur de l'hôpital, de le faire bouger.

Quand on fait bouger, cela dégage des marges. On peut discuter. Peut-on par exemple en redéployer une partie ? Croire que la tarification a un mérite autonome radical est une erreur. La tarification est un outil s'il y a quelqu'un pour faire marcher le système. Or, on s'engage dans cette affaire avec encore beaucoup de malentendus ! Il n'est pas normal, qu'on puisse, de part et d'autre, échanger les chiffres sans que personne ne sache exactement ce qu'ils veulent dire.

On dit par exemple que le public coûte 60 % plus cher que le privé. On ergote, on discute, mais les chiffres sont sur la table. On ne sait pas ce qu'ils veulent dire. Si on tarifie à partir de ces sources, on va droit dans le mur.

Un chiffre nous a frappés : pour 10 % de la richesse nationale, l'investissement en termes de recherches, d'acquisition de connaissance, de statistiques, d'études économétriques, est dérisoire. C'est absurde !

S'agissant des indemnités journalières, pour prendre un autre sujet, on est aujourd'hui incapable de savoir combien de salariés sont remboursés dès le premier jour de leur arrêt, parce qu'il n'y a pas de statistiques sur les complémentaires ! Cela n'aide pas à la direction, ni à ce que les syndicats et le personnel adhèrent à une démarche.

Je crois à la pédagogie des chiffres. D'ailleurs, grâce aux chiffres, on ne peut plus dire que la sécurité sociale se désengage ou que les Français soient mal remboursés. A l'hôpital, où il y a des intérêts humains extrêmement importants, en dehors de l'intérêt des malades, on ne fera pas bouger les organisations syndicales, etc., s'il y a le sentiment que les chiffres sont manipulés ou ne sont pas appropriés de façon démocratique.

Sur l'hôpital, il y a un vrai problème. C'est la moitié de la dépense et il est paradoxal qu'on soit si mal armé pour piloter une réforme aussi difficile sur le plan social.

M. Nicolas ABOUT, président - Avez-vous eu le sentiment qu'il y avait des réticences de la part des partenaires sociaux sur la partie hospitalière ?

M. Bertrand FRAGONARD - J'en ai beaucoup discuté avec la CGT. Je me mets à leur place : ils vivent très mal le fait qu'on leur dise que l'hôpital public coûte plus cher, puisqu'ils entendent leur base leur dire qu'elle manque de moyens ! On fait le grand écart ! A droite, on dit que cela coûte trop cher et on a tendance à serrer et, à gauche, on dit qu'on manque de moyens. Il ne peut y avoir de consensus.

Il faut creuser, analyser. C'est l'intérêt de tout le monde. La probabilité qui serait la pire ne serait pas qu'on augmente les recettes ou qu'on baisse trop les remboursements, mais qu'on ne suive pas le progrès médical et qu'on laisse se dégrader l'outil.

Il serait fou de ne pas assumer le progrès médical, les nouvelles molécules, améliorer l'hôpital sous le prétexte qu'il n'y a pas d'argent. C'est ce qu'il y a de pire. Ce système n'a comme seule légitimité que de bien soigner. Si c'est le cas, il faut y aller ! Quand on dit aux syndicats qu'il y a de la productivité à faire dans les hôpitaux, ils commencent par dire non puis, en privé, ils disent oui.

Quand on discute avec la droite, le MEDEF est abasourdi d'entendre que pour un agrégat de 50 milliards d'euros, on ne sait pas très bien comment se forment les coûts ! Un chef d'entreprise, lui, connaît sa marge à un demi-point ! A l'hôpital, on voit bien qu'il y a des endroits où on manque de personnel et d'autres où il y en a trop. Pourquoi ne pas faire de transferts ? On évoque alors le tableau des emplois, la gestion, les commissions. En fait, il n'y a pas de gouvernance à l'hôpital !

M. Nicolas ABOUT, président - Doit-on considérer qu'il est nécessaire de procéder à une réforme de l'assurance maladie ou plutôt à une réforme du système de soins ?

M. Bertrand FRAGONARD - Il faut faire une réforme du système de soins et, dans la mesure du possible, les règles de l'assurance maladie doivent y contribuer.

L'installation des médecins, la diffusion des référentiels de bonne pratique, l'accréditation, la formation médicale continue peuvent être gérées en interne, de manière conventionnelle, avec l'assurance maladie.

Par contre, il y a des moments où les règles peuvent avoir une influence. L'exemple typique, qui surprend toujours les étrangers, c'est le déclassement des remboursements par le régime de base, si le service est insuffisant. Le malheur, c'est que les complémentaires font exactement l'inverse, pour des raisons complexes, de stratégie commerciale, etc. !

Nous considérons qu'il n'y a pas de raisons de rembourser à un taux élevé un acte qui n'est pas inscrit dans un processus de qualité. Il est évident que ce n'est pas l'assurance maladie qui va accréditer les médecins ou dire ce que doit être un référentiel. Par contre, l'assurance maladie est légitime à dire qu'elle ne prend en charge que si la discipline élaborée ailleurs, essentiellement avec les professionnels et sous l'autorité de l'État, est respectée.

M. Nicolas ABOUT, président - Sur l'articulation entre régime de base et régime complémentaire ?

M. Bertrand FRAGONARD - Actuellement, le régime de base pèse 6 ou 7 fois le complémentaire. C'est très inégal. A l'hôpital, il ne pèse pratiquement pas ; sur le dentaire, il est très majoritaire ; sur les indemnités journalières maladie, il faut 35-40 % et sur l'ambulatoire courant, 25-30 %.

On constate que le complémentaire se développe beaucoup plus lentement qu'on ne le dit. Sur trente ans, la part des complémentaires n'a augmenté que de deux points par rapport à la dépense. Cela fait beaucoup parce que le dénominateur a flambé, mais, en part relative, le complémentaire reste petit.

Ma conviction est qu'on ne peut ni ne doit basculer beaucoup de la base vers le complémentaire, pour une bonne raison : si vous allez trop loin, vous cassez l'égalité d'accès aux soins puisque, par définition, la cotisation complémentaire va monter pour abriter les coûts transférés. Or, le système de solidarité que j'ai indiqué n'existe pas. La personne modeste aura du mal à se payer une complémentaire ; celle qui est âgée et qui sort des systèmes collectifs d'entreprises va se voir facturer une cotisation très chère.

Les gens disent qu'il n'y aura qu'à aider les Français à acquérir une complémentaire : cela devient d'une sophistication impressionnante ! Je ne dis pas que ces concepts n'ont pas d'intérêt. Il faut les étudier, mais je ne crois pas qu'on puisse bousculer le système.

Devant le Haut conseil, les complémentaires n'ont pas dit qu'elles seraient prêtes à prendre plus. Elles ont souhaité être plus associées à la décision, à la gouvernance du système. Elles savent que tous les cinq-six ans, elles ont un petit ressaut parce que, en ambulatoire, la sécurité sociale prend un peu moins, mais je ne suis pas convaincu qu'elles le souhaitent.

Quant à basculer tout le dentaire vers les complémentaires, je suis sûr que cela poserait plus de problèmes que cela n'en règlerait. On fait remarquer que les Allemands ont externalisé les indemnités journalières à part. C'est concevable mais vouloir faire cette réforme sans l'adhésion des syndicats est ubuesque. Ils auront peur de la main mise du patronat - et je dois dire que l'histoire de la branche AT, à certains égards, leur donne raison.

Si on veut toucher au taux de prise en charge, on n'est pas obligé de faire du dogmatisme. Je ne crois pas, personnellement, à la théorie des grands blocs homogènes. On peut tout simplement dire aux gens qu'ils paieront un peu plus et vous vous mutualiserez, quitte à ce que, pour les plus modestes, on desserre les paramètres de la CMU.

La CMU a été une réforme remarquable, très positive. J'ai déploré, à l'époque, que les socialistes, l'ayant à peine votée, se soient mis à la critiquer en disant que c'était un peu restreint. La CMU n'a pas coûté un centime à l'assurance maladie. Elle a été payée d'une part par l'argent remonté de l'aide médicale et par le fait que Martine Aubry a réussi à convaincre les complémentaires que pour être associées à la gestion, le plus simple était qu'elles payent 1,75 % sur les cotisations.

Elle a un mérite : si, pour des raisons de portage à long terme, on est amené à faire glisser quelques milliards de la base vers les complémentaires, au bout d'un temps, il y a des gens à qui cela va faire mal : ce sont les gens très modestes. C'est pour cela qu'après tout, desserrer les paramètres de la CMU ne serait pas choquant. Par contre, pour aider tout le monde, il faut pouvoir payer l'aide à tout le monde.

M. Alain VASSELLE, rapporteur Avez-vous perçu dans les interventions des partenaires sociaux et des membres du Haut conseil que le fait de donner plus de poids aux recettes dans le financement de l'assurance maladie entraîne une redistribution des pouvoirs entre les différents décideurs ?

En second lieu, quelles sont les pistes de réformes qui pourraient être envisagées en ce qui concerne la loi de financement ?

Enfin, pensez-vous qu'il y a une évolution culturelle de la part des partenaires sociaux pour revenir à l'esprit et à la lettre des ordonnances et repartir sur de nouvelles bases de gouvernance, afin que le Parlement puisse intervenir en aval, lorsque le travail aura été effectué entre les partenaires sociaux et les professionnels de santé ?

M. Bertrand FRAGONARD - Je considère que la nature de la recette n'a pas une importance capitale dans la répartition du pouvoir de gestion.

C'est une thèse qui n'est pas majoritaire - et de loin. Les syndicats continuent à considérer qu'ils sont seuls légitimes à gérer, puisque c'est une cotisation assise sur le salarie patronal qui finance et le MEDEF a clairement dit que, dès lors que c'était de l'assurance universelle fiscalisée, ce n'était plus son affaire.

Ces deux principes étant posés, cela ne fait pas avancer les choses -au contraire. Peu importe la cotisation : la question est de savoir qui est capable de gérer le système : les partenaires sociaux ? L'État ? Aujourd'hui, on est dans un enchevêtrement de responsabilités.

Imaginez qu'on supprime la cotisation patronale, qu'on augmente le salaire et la CSG : cela ne va pas changer grand-chose sur le plan macro-économique, mais cela va modifier radicalement la nature du principe : on serait dans un système d'aléas.

Chaque système essaye de combiner la participation des partenaires sociaux et de l'État. Aucun ne peut éviter cette confrontation. Je ne crois pas que la clarification du financement - à supposer qu'elle intervienne - change réellement les termes du projet.

S'agissant de la loi de financement de la sécurité sociale, le Haut conseil n'a pas dit comment la réformer. D'abord, ce n'est pas son rôle. Ce qui est clair, c'est que si l'on vote un chiffre, il doit être crédible et respecté ; pour qu'il soit crédible, il faut qu'il soit préparé, étayé ; il faut qu'on sache ce que l'on va faire.

Cela renvoie au dernier élément de votre question. Depuis toujours, les ordonnances de 1967 expliquent comment rééquilibrer les comptes de la sécurité sociale : « Il appartient au conseil d'administration de la CNAM d'augmenter si nécessaire les recettes, de diminuer si nécessaire les taux de remboursement ». Aujourd'hui, l'État décide seul et personne ne prend ses responsabilités. Les conseils d'administration exigent toujours plus, mais demandent de ne pas augmenter les recettes afin de ne pas peser sur le pouvoir d'achat.

On est dans un jeu pervers, car ceux qui veulent vraiment s'engager sont les dindons de la farce. Qu'il s'agisse des partenaires sociaux ou de l'État, la facilité est plus commode. Mais quand on a 12 milliards d'euros derrière soi, la facilité pose problème !

M. Alain VASSELLE, rapporteur - Une remarque en ce qui concerne la loi de financement : il ne faut pas, à mon sens, réduire sa mauvaise image à la branche maladie. N'oublions pas qu'il y a trois autres branches ! On accepte de voter une loi de finances avec un déficit, alors que la loi de financement ne devait pas être votée en déficit. On fixait un objectif de dépenses et de recettes et on jouait simplement sur le déficit de la trésorerie.

Enfin, vous n'avez pas répondu à ma question concernant le périmètre des dépenses entre la sécurité sociale et le budget de l'État.

M. Bertrand FRAGONARD - Je crois qu'il y a quelques ajustements à la marge, mais qui ne sont pas d'importance macro-économique réelle.

Le ton a changé : il y a quinze-vingt ans, dès qu'on parlait financement, il y avait un conflit dur, notamment avec FO, sur les charges indues de la sécurité sociale : l'État pillait la sécurité sociale, ne remboursait pas ce qu'il devait, etc.

La loi de 1994 a beaucoup fait progresser la clarification des comptes. Même lorsqu'il y a eu le conflit avec le gouvernement précédent sur le FOREC, cela n'a pas entraîné de drames, parce qu'on a fait des choses pires. Ce n'est plus un sujet majeur.

Une vraie revendication portait sur les taxes sur le tabac et l'alcool. Nous avons montré qu'on a largement progressé. A l'origine, toutes les taxes sur l'alcool et le tabac allaient au budget de l'État. Le mouvement s'est ouvert. Pour ce qui est du tabac, les choses sont pratiquement faites. Cela ne se voit pas parce qu'une bonne partie va au BAPSA, qui est mal connu des syndicats de salariés. Il y a là un problème de lisibilité.

Quant à l'alcool, le débat n'a pas tellement porté sur la clarification, mais sur le fait de savoir s'il fallait augmenter les taxes. On a laissé le secrétaire du Haut conseil écrire que l'alcool était peu taxé dans ce pays. On n'a pas senti d'enthousiasme pour augmenter les taxes, même chez les gens très ardents à défendre la santé publique. M. Le Guen était le plus ouvert, mais reconnaissait qu'au sein même de son parti, il n'était pas toujours écouté.

M. Nicolas ABOUT, président - La parole est à M. Chabroux.

M. Gilbert CHABROUX - J'ai apprécié à ce sujet le consensus assez large. Je crois que le Sénat commence à faire preuve de sagesse sur le problème de l'alcool, comme sur celui du tabac.

J'ai été frappé, Monsieur le président, par la clarté de votre exposé. Je souhaiterais que l'on puisse y voir clair jusqu'au bout. Il s'agit là de la phase de diagnostic. C'est déjà une avancée considérable que d'avoir pu faire ce diagnostic partagé, comme le Conseil d'orientation des retraites avait fait un diagnostic sur les retraites.

Vous avez fort bien travaillé, mais ce qui nous emporte un peu plus, c'est de savoir ce qui va se passer. Vous dites que ce n'est pas votre rôle, mais tout de même : je voulais savoir ce qu'allait devenir ce Haut conseil. Allez-vous jouer un rôle actif ? Allez-vous pouvoir exercer une influence ? Ce que vous dites va dans le bon sens, mais pourrez-vous aller jusqu'au bout et faire prévaloir ces points de vue ? Je le souhaiterais.

Sur la phase de diagnostic, c'était quand même relativement plus facile, encore que tout ne soit pas aussi simple que ce que vous avez pu dire. Je crois que le système actuel se caractérise aussi par un certain nombre d'inégalités sociales, en termes d'espérance de vie, ou d'inégalités géographiques. Il y a des progrès considérables à faire. Il est vrai que le principe d'universalité est bon, ainsi que les fondamentaux du système, mais il y a tout de même des lacunes et il faudrait mettre à profit le progrès médical pour faire reculer les inégalités.

J'émets quelques réserves, qui ont d'ailleurs dû être exprimées.

Quelques questions rapides : jusqu'où le consensus va-t-il pouvoir aller ? C'est ce qui m'importe le plus. On nous dit qu'il faudrait un consensus à l'allemande. Peut-on vraiment faire la comparaison ? Les partenaires vont-ils être d'accord pour cheminer ensemble ? Vous avez évoqué un certain nombre de difficultés quant à l'assiette des recettes ou quant à l'ajustement du taux de remboursement. Cela va-t-il vraiment aller ?

On nous parle déjà de certaines dispositions, comme d'un forfait sur les boîtes de médicaments ou sur les actes médicaux. Va-t-on tous être d'accord pour l'accepter ?

Par ailleurs, vous avez évoqué le rôle de la CMU - et j'ai apprécié que vous ayez dit qu'il s'agissait d'une réforme remarquable et très positive. Tout le monde n'a pas dit cela. Il y en a même qui ont voté contre ! Je voudrais savoir ce que pourrait devenir la CMU dans ce nouveau système.

On peut en particulier se poser le problème du seuil. Peut-on amender l'effet de seuil ? On se rend compte que les mesures prises jusqu'à présent - en particulier dans le PLFSS pour 2004 - touchent les personnes les plus modestes : augmentation du forfait hospitalier, déremboursement de médicaments, etc.

Or, si ces personnes n'ont pas de complémentaire, elles se trouvent lourdement pénalisées. Ne pourrait-on revoir le seuil pour que les bénéficiaires du minimum vieillesse et de l'allocation pour adulte handicapé perçoivent la CMU complémentaire ? C'est une demande qui commence à recueillir une adhésion assez large.

M. Nicolas ABOUT, président - C'est la seule critique que nous avions formulée sur la CMU !

M. Gilbert CHABROUX - Absolument. La CMU a été cependant une bonne chose : ne peut-on maintenant améliorer le système ?

M. Guy FISCHER - Monsieur le président, vous attaquez très sévèrement la gestion de la CNAM : gouvernance chaotique, confusion des responsabilités, etc.

Le Haut conseil préconise-t-il un système plus étatisé ou un renouveau du paritarisme ? Se pose le problème des élections, mais c'est un détail.

Concernant le médicament, le rapport dit que l'assurance maladie ne doit rembourser que des biens et services efficaces. Si vous reconnaissez que c'est loin d'être le cas dans le domaine du médicament, pour autant, il ne semble pas que vous estimiez le problème du médicament à sa juste mesure.

Si le SMR d'un médicament est insuffisant ou faible, pourquoi dérembourser plutôt que l'exclure de la pharmacopée ? Le marché pharmaceutique est pourtant le seul où les prix de vente font l'objet de négociations avec les pouvoirs publics.

Enfin, vous avez dit que l'hôpital possédait une armature de très bonne qualité. Aujourd'hui, on est au début d'une réduction drastique des établissements. Dans l'Est lyonnais, si on suit le plan hôpital 2007, il ne resterait plus que trois établissements sur neuf. Pensez-vous que la réforme passe par une telle réduction ?

M. Bernard CAZEAU - Monsieur le président, l'état des lieux était connu, mais vous avez eu le mérite d'en faire la synthèse avec l'ensemble des partenaires sociaux, qui n'y sont pas habitués.

Je me pose un seul problème dans cette affaire. Je laisse l'hôpital de côté, car je pense que la gestion de l'hôpital est à part et qu'il doit y avoir deux types de gestion, l'une concernant les cadres hospitaliers, l'autre la médecine de ville et les médicaments. Comment gérer, donc équilibrer, un système mutualiste, borné dans ses limites, dans un domaine concurrentiel qui, lui, par définition, entre dans un encadrement des dépenses ? Si on ne résout pas ce problème, je ne vois pas comment on peut résoudre les autres !

M. Bertrand FRAGONARD - Tout d'abord, le Haut conseil continue à jouer son rôle. Il produit des analyses dont il espère qu'elles serviront à tout le monde, mais n'est pas partie prenante dans la phase actuelle de concertations, de discussions, de décisions, etc.

Cela avait été clairement entendu quand M. Raffarin a installé le Haut conseil. Il souhaitait que, le moment venu, les mêmes partenaires - ou une bonne partie d'entre eux -puissent s'adosser à un travail commun, chacun retrouvant son autonomie et sa liberté.

Le Haut conseil n'a donc pas actuellement de rôle dans la préparation de la réforme. C'est ce qui fait que lorsqu'un journaliste m'interroge en me demandant ce que je pense, je lui réponds que je ne pense rien ! Il va de soi que si on me demande un propos plus personnel, je le donne mais il n'y a pas besoin de passer par le Haut conseil pour avoir mon avis.

Le Haut conseil n'a donc pas de responsabilité institutionnelle. Faut-il lui en donner ? La composition de ce Haut conseil résulte d'arbitrages faits à l'époque dans un certain contexte. Par exemple, les syndicats hospitaliers avaient beaucoup protesté en disant qu'ils étaient insuffisamment représentés.

Tout ce que l'on peut dire, c'est que si le Gouvernement décide de saisir le Haut conseil pour avis, celui-ci donnera ses avis. Les textes n'ont pas été choisis au hasard : il s'agit d'aider les uns et les autres à travailler, notamment à clarifier le problème de l'hôpital, à y voir plus clair sur le problème des complémentaires mais, institutionnellement, nous ne sommes pas là pour « marquer à la culotte » le Gouvernement ni les partenaires sociaux. Nous sommes par contre à la disposition du Gouvernement ou des partenaires représentés au Haut conseil pour nous emparer de tel ou tel problème.

Le consensus peut-il perdurer ? Je serais tenté de dire oui. Le problème est de savoir comment on y va, qui y va, qui tire le premier. Cela me dépasse complètement.

Dans ce que nous avons écrit, il y a une large partie que l'on peut exploiter. A certains moments, il y aura des divergences d'opinions, mais on peut faire un bout de chemin significatif ensemble. Passé les deux ou trois premières réunions, les gens ont d'ailleurs participé assez librement au Haut conseil. Si on avait fait un verbatim , on aurait bien vu la logique des interventions de chacun.

Concernant la CMU, j'ai été stupéfait de voir qu'à peine celle-ci avait été faite, tout le monde l'a critiquée en disant que ce n'était pas assez ! Je vous rappelle qu'il y a eu un débat extrêmement vif ; l'opposition du moment, qui n'avait pas fait la CMU quand elle avait le pouvoir, a expliqué que le projet était quelque peu léger et qu'on aurait dû faire une APL de soins qui lisse l'effet de seuil. Du côté de la majorité du moment, les gens ont reproché à la ministre de n'avoir pas inclus les allocataires du minimum vieillesse. Elle en est convenue, mais a fait objecter qu'elle ne pouvait les payer !

Un certain nombre de parlementaires ont eu le sentiment de découvrir que les allocataires du minimum vieillesse n'étaient pas dans la CMU, mais je me dois de constater qu'on a fait la CMU !

Faut-il desserrer les paramètres ? C'est très simple : il faut trouver de l'argent. Ce n'est plus de mon ressort. Si je devais desserrer les paramètres de la CMU, je ne retiendrais pas le minimum vieillesse, pour une bonne raison : l'effet de seuil n'est pas au niveau du minimum vieillesse, mais au-dessus, pour des raisons très complexes.

Actuellement, le traitement de l'allocation logement et de l'APL fait que lorsque vous êtes au-dessus du minimum vieillesse, vous vivez moins bien qu'au minimum vieillesse en termes monétaires. Si vous accrochez la CMU au minimum vieillesse, vous allez accroître l'effet de seuil.

Pour le reste, vous en avez pour un milliard d'euros. Si on les trouve, on les retire évidemment à quelqu'un, mais ma conviction est que la CMU a été une bonne orientation. Si on doit augmenter les tickets modérateurs des populations, il faut épargner les plus modestes. Personnellement, je n'ai aucune gêne à militer en faveur du desserrement des paramètres de la CMU.

Je préférerais à la limite augmenter la valeur de l'enfant dans le calcul de la CMU, car je crois que les vrais pauvres, en France, sont les familles avec enfants. Vous vous souvenez du rapport du CERC sur le million d'enfants pauvres...

En termes de philosophie, je ne suis pas contre la CMU ; d'ailleurs, les mots « desserrement des paramètres de la CMU » figurent dans le rapport. On peut ajuster les tarifs, mais plus on sera dur, plus il faudra de mesures compensatoires.

M. Fischer estime que le système est mal gouverné. J'ai été tantôt du côté de l'État, tantôt du côté de la CNAM. C'était confus des deux côtés. J'ai donc autant péché que les autres. Etatiser l'assurance maladie serait une erreur, car nous vivons avec un acquis historique. Encore faut-il que ce soit cohérent. Aujourd'hui, le conseil d'administration de la CNAM pourrait modifier les tickets modérateurs. Il ne l'a jamais fait ! C'est une question de clarification politique.

Il y a des atouts dans la participation des partenaires sociaux. Le front syndical n'est pas uni, mais il décide. Pour la branche maladie, on finit par décider dans la facilité et, la plupart du temps, c'est l'État qui tranche. Si on veut renouveler le paritarisme, il faut assumer !

Concernant les médicaments SMR, je partage votre perplexité. Quant à l'hôpital, je ne crois pas qu'il faille lier son amélioration au problème des restructurations. Ce n'est pas une réflexion financière qui doit en guider l'examen, mais une réflexion sur la sécurité, la qualité des soins et leur organisation.

M. Cazeau a dit qu'il faudrait que les complémentaires soient associées aux décisions. Il y a maintenant un consensus pour dire qu'un système qui laisse mieux s'exprimer les différents acteurs serait une bonne chose.

M. Nicolas ABOUT, président - Monsieur le président, merci. Nous aurons grand plaisir à vous entendre encore sur ces sujets.

Table ronde réunissant M. Pascal BEAU,
président de l'Observatoire européen de la protection sociale,
Mme Martine DURAND, directrice adjointe à la Direction de l'emploi,
du travail et des affaires sociales de l'Organisation de coopération
et de développement économiques (OCDE) et
M. Claude LE PEN, professeur de sciences économiques
à l'Université Paris IX-Dauphine
(mercredi 28 avril 2004)

M. Nicolas ABOUT, président - Nous poursuivons ce matin notre travail de préparation de la réforme de l'assurance maladie. Après avoir entendu Bertrand Fragonard, venu présenter les conclusions du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie qu'il préside, nous assisterons à deux tables rondes : la première réunit, permettez-moi l'expression, des « personnalités qualifiées » qui nous indiqueront quel est leur sentiment sur les différentes pistes de réforme envisageables.

Madame, messieurs, merci de consacrer un peu de votre temps à l'information des sénateurs. Nous apprécions toujours ces échanges qui nous sont indispensables.

Avant de vous laisser vous présenter, je vous indique que la présente réunion est ouverte à la presse et que nos débats seront enregistrés pour retransmission sur la chaîne Public-Sénat.

M. Pascal BEAU - Je vous remercie de m'avoir invité. Je suis économiste de formation et directeur de l'hebdomadaire Espace social européen. Je préside l'Observatoire européen de la protection sociale. J'enseigne dans divers établissements. Je me déplace beaucoup en Europe. J'ai été membre de cabinet ministériel entre 1990 et 1993. J'ai également été directeur adjoint de la CNAM et le plus proche collaborateur du directeur et du président de cette entité durant huit ans.

Mme Martine DURAND - Merci, monsieur le président. Je suis directrice adjointe du département du travail et des affaires sociales de l'OCDE. Ce dernier est également chargé des affaires de santé et d'immigration.

L'OCDE a récemment réalisé un rapport comparatif des performances et des réformes des systèmes de santé menées dans les trente pays membres. Ce rapport sera soumis aux ministres de la santé des pays de l'OCDE en mai 2004. J'ai eu la chance et le privilège de diriger les travaux concernant ce sujet.

M. Nicolas ABOUT, président - Merci. Je crois que M. Scherer représente également l'OCDE.

Mme Martine DURAND - En effet. Il m'aidera à répondre aux questions qui pourraient être trop complexes.

M. Nicolas ABOUT, président - Claude Le Pen est une personnalité qui nous est connue puisqu'il agit en qualité d'expert auprès de l'OPEPS (Office parlementaire d'évaluation des politiques de santé). Monsieur Le Pen, pouvez-vous toutefois nous rappeler votre cursus ?

M. Claude LE PEN - Je suis professeur d'économie à l'Université de Paris-Dauphine. Je me suis spécialisé dans le domaine de la protection sociale et de la santé depuis environ vingt ans. Cela m'a conduit à occuper différents postes d'experts tant à la Commission européenne qu'à la Caisse nationale de l'assurance maladie. Je suis membre du conseil de surveillance de la CNAMTS. J'occupe différentes fonctions d'observation qui sont souvent fort utiles.

M. Nicolas ABOUT, président - Notre rapporteur général, Alain Vasselle, ouvrira le débat en présentant le premier sujet.

M. Alain VASSELLE, rapporteur - Mes chers collègues, mesdames et messieurs, merci d'avoir répondu à notre invitation. La présente table ronde sera organisée autour de deux sujets : celui de la gouvernance et celui de la responsabilisation des assurés et des professionnels de santé. Le sujet de la gouvernance serait utilement développé autour du diagnostic et des propositions. Le Haut conseil a d'ores et déjà réalisé un travail conséquent concernant le diagnostic. Ce dernier semble être actuellement partagé. Le Haut conseil a, en revanche, à peine esquissé des propositions. A cet égard, votre point de vue serait intéressant à connaître, notamment sur le rôle futur des différents acteurs : gestionnaires, tuteurs, assurés, cotisants ou prestataires pour la gestion du système de soin.

Concernant le deuxième thème, la responsabilisation est-elle un avatar de la maîtrise comptable, un enjeu de santé publique ou une révolution philosophique pour l'assurance maladie ? Il serait souhaitable que vous présentiez votre point de vue à cet égard. Chacun se plait à reconnaître que chaque acteur devra assumer davantage de responsabilités dans la gestion de l'assurance maladie, qu'il s'agisse des consommateurs de soins ou des prescripteurs. Cette responsabilisation doit certainement être envisagée à tous les niveaux.

Nous souhaitons entendre vos opinions afin d'enrichir nos réflexions et de nous permettre de formuler un avis pertinent le moment venu sur les propositions de réforme de l'assurance maladie que le Gouvernement nous présentera.

Mme Martine DURAND - Je souhaite considérer les deux sujets proposés par M. Vasselle dans une perspective internationale car le système de gouvernance diffère selon le pays concerné. Ma présentation visera notamment à montrer que la France n'est pas un cas unique en matière d'assurance maladie. Les questions qui y sont posées sont également traitées dans d'autres pays. Les pistes suivies quant à la maîtrise des dépenses - puisque tel est, finalement, le sujet de fond - seront présentées à la fois d'un point de vue macro-économique et micro-économique. Cette approche micro-économique semble avoir été adoptée dans la plupart des pays étudiés qui recherchent l'efficience à travers la gouvernance et la responsabilisation des acteurs.

Outre la France, tous les pays doivent faire face à un dérapage très important de leurs dépenses de santé. Ce problème politique est urgent et persistant. En effet, les dépenses de santé se sont accrues à un rythme rapide durant ces dernières années dans la plupart des pays. Ce rythme a été supérieur à celui de la croissance économique. Les dépenses de santé atteignent désormais en moyenne 8,5 % du PIB dans les pays de l'OCDE contre 7,3 % en 1990. Les dépenses de santé en France représentent environ 9,7 % du PIB en 2002, ce qui correspond au cinquième rang après les États-Unis, l'Allemagne, la Suisse et le Canada. La France se situe également dans le peloton de tête en matière de niveau de dépenses par habitant. Dans la plupart des pays de l'OCDE à l'exception des États-Unis, du Mexique et de la Corée, une part importante des dépenses de santé - environ trois quarts - est prise en charge par l'État. Cela soumet les budgets publics à une forte pression. Le déficit de l'assurance maladie représente par exemple environ 1,5 % du PIB en France.

Enfin, il convient de noter que les pressions haussières des dépenses continueront en France comme dans les autres pays du fait, d'une part, des progrès technologiques en général et médicaux en particulier et, d'autre part, du vieillissement de la population. Il est estimé que ce dernier paramètre pourrait augmenter de deux à trois points le niveau des dépenses de santé en pourcentage du PIB.

En outre, la demande accrue de personnel de santé pour s'occuper d'une population vieillissante alors que la croissance de la population active ralentira, voire diminuera, ajoutera à cette pression sur les coûts.

Face à ce constat, la France, comme beaucoup d'autres pays, devra réformer son système de santé si elle veut conserver certaines de ses caractéristiques unanimement reconnues comme extrêmement positives. Ce sont, en particulier, de bonnes performances mesurées par des indicateurs d'état de santé, de mortalité, d'espérance de vie ou encore un accès relativement équitable aux soins, indépendamment des revenus, même s'il est vrai qu'il existe encore des problèmes en termes d'équité territoriale. Ces bonnes performances se traduisent également par l'absence de délais d'attente pour la chirurgie non urgente qui constitue, peut-être le savez-vous, un problème très aigu dans un grand nombre de pays où il faut parfois attendre plus d'un an, voire dix-huit mois pour pouvoir être opéré.

L'enjeu des débats est donc de réussir à maîtriser les dépenses publiques.

Garantir la maîtrise des dépenses publiques tout en délivrant des soins de qualité accessibles à tous et répondant aux attentes des patients implique de difficiles arbitrages. Dans ce cadre il convient préalablement de définir précisément les objectifs recherchés. En effet, l'augmentation des dépenses de santé par rapport au PIB n'est pas nécessairement néfaste ou préoccupante. Des dépenses de santé induisant un bien-être social accru, une meilleure santé et une augmentation de la productivité sont probablement bénéfiques à l'ensemble de la société. En outre, les compensations et les conséquences volontaires ou non des mesures de maîtrise comptable sont bien connues. Le plafonnement des budgets incite, par exemple, à adopter des technologies économes au détriment de technologies qui, dans le futur, peuvent s'avérer bien plus efficaces en termes de coûts. De même, les prix administrés des consultations peuvent avoir des effets pervers à long terme, comme en France ou en Corée, du fait de l'accroissement du volume d'activité destiné à compenser la limitation des prix des consultations. Enfin, des plafonnements dans l'hôpital public découragent les recherches d'efficacité ou de productivité. Le cas du Royaume-Uni est patent à cet égard.

Si les mesures de restriction macro-économique ont été relativement efficaces dans le passé pour ralentir ou stabiliser la croissance des dépenses de santé surtout là où le financement dépend uniquement de l'État, comme dans les pays scandinaves ou au Royaume-Uni, elles n'ont été couronnées de succès qu'à court terme. Partout, les dépenses sont, en effet, reparties à la hausse. Ce dérapage a été particulièrement marqué dans les pays comme la France où le système est financé par la sécurité sociale ou comme les États-Unis où, a contrario , le financement est essentiellement privé. Le système de managed care a implosé aux États-Unis où les dépenses augmentent à un rythme très rapide. La maîtrise comptable semble donc avoir moins d'effet dans les pays où les systèmes sont financés de manière privée ou sociale que dans les pays dont le système de santé est géré par l'État.

Par ailleurs, de nombreux pays ont tenté de maîtriser leurs dépenses en recourant davantage aux assurances privées ou en augmentant la participation des patients aux frais, c'est-à-dire en transférant des dépenses publiques vers le secteur privé. Les mesures visant à accroître la participation des patients semblent bien avoir eu un impact sur la proportion des dépenses publiques dans les dépenses totales, mais cet impact demeure limité. Des mesures de protection en faveur des soins les plus onéreux et des populations à faible revenu ont, en effet, été instaurées dans la plupart des pays concernés, comme en Norvège.

Les effets d'un recours accru à l'assurance privée ont été variables en fonction du rôle de cette dernière dans le système de santé. Lorsque les habitants ont le choix entre l'assurance publique et l'assurance privée, cette dernière a, en effet, contribué à alléger les pressions financières pesant sur le système public. Cela a été le cas en Australie, en Irlande et au Royaume-Uni où l'assurance maladie privée a permis d'augmenter la capacité des hôpitaux privés et de prendre en charge des patients dépendant entièrement d'assurances privées. Toutefois, cette méthode a également généré des coûts supplémentaires comme en Nouvelle-Zélande où les patients couverts par des assurances privées se voient prescrire des analyses médicales ou des médicaments qui, eux, sont remboursés par le système public qui supporte ainsi des frais induits. Les résultats sont donc souvent mitigés.

Dans les pays restreignant l'accès de l'assurance publique à certaines populations (en fonction par exemple du revenu), la part de l'assurance privée n'a pas beaucoup crû. Cela n'a donc pas énormément contribué à diminuer les dépenses publiques. Les compagnies privées ayant tendance à couvrir des personnes relativement en bonne santé, à faible risque et à moyens élevés, le transfert des coûts est limité comme cela a été le cas aux Pays-Bas et en Allemagne.

Dans les pays où l'assurance maladie privée a un rôle complémentaire via , notamment, les mutuelles comme en France, il a été constaté que l'assurance privée engendrait, en fait, un accroissement des dépenses publiques. Ce paradoxe est dû à la couverture souvent élevée du ticket modérateur par le système public qui annule les signaux sur les prix et a peu d'effets sur la demande de soins.

En conséquence, l'étude comparative montre que le recours à l'assurance privée, utile, n'est pas suffisant pour réduire les dépenses publiques. Comment est-il donc possible de maîtriser ces dernières ?

Tous les pays s'engagent dans des réformes visant à améliorer l'efficience de leur système de santé. Ce sont sans doute les mesures micro-économiques qui permettront le mieux de réformer le système au lieu de tenter de réduire les dépenses across the board, c'est-à-dire de manière égale dans tous les domaines.

La recherche d'une plus grande efficience à travers des actions destinées à modifier les incitations et les comportements permet d'accroître la responsabilisation des acteurs de l'offre et de la demande. L'efficience permet d'obtenir plus pour un même coût ou la même chose à moindre coût ( value for money ). Les gains sont potentiellement importants et ont été mis en évidence dans le projet santé de l'OCDE qui a été conduit durant trois ans.

M. Nicolas ABOUT, président - Il me semble que nous sommes en train d'aborder le deuxième thème de la table ronde. Nous pourrons traiter de la responsabilisation des acteurs dans un deuxième temps. Il serait intéressant de revenir aux questions liées à la gouvernance que sont : qui assume la responsabilité de la gestion ? Quelle est la part respective de l'État et des partenaires sociaux ? Quelles propositions au regard de l'inefficacité du système français actuel ?

Mme Martine DURAND - L'étude n'analyse pas spécifiquement les modes de gouvernance car ils sont très divers selon les pays. Néanmoins, que ce soit dans les pays où l'État gère le système comme dans les pays scandinaves ou le Royaume-Uni, dans les pays où les partenaires sociaux ont un rôle important comme en Allemagne et en France ou dans les pays où le système est géré par le secteur privé comme aux États-Unis, en Suisse, au Mexique ou en Corée, l'enjeu n'est pas tant de savoir qui gère le système mais de garantir que les responsabilités sont bien définies et que l'instance gouvernante ait les moyens de mettre sa politique en oeuvre d'une manière totalement transparente. Il s'agit là d'une règle générale.

Le système français est tellement spécifique que je laisserai à mes collègues experts le soin d'émettre des propositions à cet égard.

M. Nicolas ABOUT, président - Merci. Vous interviendrez ultérieurement concernant la responsabilisation des acteurs.

M. Claude LE PEN - Je souhaite, en préambule, prolonger les propos de Mme Durand en indiquant qu'un des enjeux auxquels la France est confrontée est de changer de paradigme en matière de politique de santé. De 1945 à nos jours, la politique de santé a été fondée sur deux piliers. En premier lieu, sur la nécessité de favoriser l'accès : de 1945 à 1999, le nombre de bénéficiaires de l'assurance maladie publique n'a cessé d'augmenter, les couvertures ont été développées, la couverture complémentaire, devenue quasiment universelle, a été organisée et 92 % de la population est désormais couverte par une mutuelle ou une assurance privée. Ensuite, des outils de contrôle macro-économiques ont été développés en contrepartie. Il s'est agi de contrôler les prix et le budget national ou celui des établissements. Les modes de contrôle de ces budgets sont d'ailleurs relativement inefficaces. Les budgets sont, en effet, limités mais leurs dépassements sont toujours financés. Les gestionnaires ne sont que peu responsabilisés. En outre, les outils de récupération envisagés par le Gouvernement ont été invalidés par le Conseil constitutionnel et les Cours de justice.

Ce modèle doit, à mon sens, être remplacé par un système centré sur les objectifs principaux que sont la qualité des soins et l'efficience. La très grande démocratie sanitaire fait, en effet, l'impasse sur la qualité du soin. Tous ont accès au soin mais ce dernier n'est pas de même qualité pour tous. Une inégalité est en train de naître. Nous savons tous que nous pouvons bénéficier de délits d'initiés concernant les délais, l'information et l'accès à des soins efficaces. L'efficience, le rapport coût-bénéfice des interventions de santé n'ont été que peu considérés en France. Le rapport du Haut conseil met l'accent à juste titre sur cet objectif. Le large accès aux soins étant assuré, l'efficacité des outils macro-économiques étant décevante, il convient, me semble-t-il, d'organiser la réflexion autour de la qualité et de l'efficience.

Par ailleurs, mon intervention sera fondée sur le schéma de gouvernance qui a filtré dans la presse. Sans en assumer ouvertement la paternité du schéma, car il n'est pas officiel, le Gouvernement l'a tout de même laissé diffuser pour recueillir des avis.

Le mérite de la proposition implicite du Gouvernement est, en premier lieu, de mieux distinguer théoriquement les missions de l'État de celles des caisses d'assurance maladie en attribuant la primauté à l'État. Dans ce projet, l'État a la responsabilité de la politique économique et exerce une tutelle sur les caisses. Ces dernières sont d'ailleurs judicieusement regroupées au sein d'une Union des caisses publiques. Dans ce cadre, le sort du conseil d'administration et du paritarisme reste à définir. Je signale que la multiplicité des régimes en France constitue un artefact historique qui ne se justifie plus ni par les prestations ni par les cotisations.

En second lieu, ce schéma prévoit la création d'une Haute autorité avec des postes et des avantages spécifiques. Cette création sera certainement l'aspect le plus spectaculaire et politiquement porteur de la réforme. L'on s'interroge cependant sur le rôle et les missions de cette instance. Elle pourrait opportunément assurer la transition entre les caisses et l'État. Dans sa composante gouvernementale ou administrative, ce dernier peine, en effet, à suivre la gestion quotidienne de l'assurance maladie, la performance de cette dernière, la légitimité des décisions de tarification ou de remboursement, ou l'équité dans la négociation avec les professionnels. Une instance de régulation supervisant le fonctionnement de l'assurance maladie serait judicieuse en soi. Encore faut-il que son rôle soit bien défini - ce qui n'est pas encore le cas -. Il conviendra de déterminer si la Haute autorité disposera d'une capacité d'expertise et de recommandation au Gouvernement quant au taux de croissance idoine des dépenses de santé. La Haute autorité traquera-t-elle les sources d'efficience ? Le président de l'Union des caisses sera-t-il responsable devant cette instance ? Toutes ces questions sont encore sans réponses. Je pense que la Haute autorité mérite que l'on approfondisse la réflexion à son égard.

Ensuite, la généralisation de l'approche contractuelle avec les professionnels est prévue dans le schéma de gouvernance. La convention serait abandonnée. Les participants à la seconde table ronde diront peut-être que le terme de « convention » leur évoque de mauvais souvenirs. Il n'existe plus de convention pour les spécialistes, depuis 1994, me semble-t-il, et au moins depuis la dénonciation unilatérale par les caisses en 1996 de la convention avec les spécialistes. La politique conventionnelle a, d'un certain point de vue, vécu. Il convient de la remplacer par un système fondé sur des contrats négociés élargis aux questions tarifaires, aux bons usages des pratiques médicales et comprenant des contraintes en matière sinon d'accréditation, au moins d'évaluation des pratiques professionnelles et de formation continue. La piste consistant à renouveler l'approche conventionnelle autour de la notion de contrats me semble intéressante.

Outre la définition du rôle et des attributs de la Haute autorité, le rôle des régimes complémentaires me semble également obscur. Parallèlement à l'Union des caisses d'assurance maladie, le schéma prévoit une Union des complémentaires. Connaissant ce milieu, je ne peux encore imaginer cette Union car les philosophies, les intérêts et les modes de fonctionnement des trois composantes de l'assurance complémentaires sont très différents. Certaines assurances proposent des contrats collectifs, d'autres individuels ; certaines, comme les mutuelles de la fonction publique, ont des délégations de caisses publiques tandis que d'autres sont dans le secteur concurrentiel et privé. Il me semble, par conséquent, que de nombreuses incertitudes restent encore attachées à cette Union des caisses complémentaires. Je ne suis pas certain que ces dernières puissent s'accorder pour former une union qui, en tout état de cause, sera dominée par la Mutualité. Cela posera des problèmes de frontière et de susceptibilité. C'est d'ailleurs pour cette raison que la Mutualité est fortement partisane de cette Union.

Je précise qu'il convient de ne pas concevoir le système complémentaire sur le mode de l'assurance publique. Les régimes complémentaires par essence disposent de marges de liberté. Cette piste mérite d'être mieux détaillée.

Où se situent les représentants de la société civile, qu'il s'agisse des partenaires sociaux ou du secteur associatif dont il s'agit de préciser aussi les critères de sélection ? La société civile, héritière du mouvement paritaire des années 45, restera-t-elle présente dans le conseil d'administration des caisses ? Dans ce cas, ne recréerait-on pas deux lignes de légitimité parallèles et concurrentes ? Le maintien de la ligne de légitimité renforcée de l'État et de celle de la représentation élue, des assurés sociaux ne renfermerait-elle pas un conflit potentiel ? La société civile ne pourrait-elle être représentée au sein de la Haute autorité ? Conviendrait-il de faire des caisses d'assurance maladie un simple établissement public avec un président nommé par l'État ? A l'issue des travaux que nous avons menés à l'Institut Montaigne, je suis plutôt favorable à cette seconde solution qui consiste à clarifier radicalement les rapports en transformant les caisses en établissements publics d'État.

Enfin, autant que je le sache, le schéma de gouvernance ne concerne malheureusement que la médecine ambulatoire et non les hôpitaux. Ce facteur me semble fragiliser l'ensemble du système, d'une part parce que l'on ne peut comprendre pourquoi l'hôpital échapperait à la logique de gouvernance d'ensemble et, d'autre part, parce que les médecins libéraux, actuellement sensibles et sensibilisés vis-à-vis de ce type de questions, percevraient certainement mal un système qui semble accorder une relative liberté à l'hôpital tout en imposant des contraintes à la médecine ambulatoire. A mon sens, une des conditions de succès d'une réforme de la gouvernance serait pourtant d'intégrer l'hôpital en le considérant comme un agent sous la tutelle d'un établissement public des caisses. L'hôpital est, certes, porteur d'un enjeu politique local très sensible. L'hôpital représente près d'un million d'emplois. A l'instar de la sidérurgie des années 50, l'hôpital constitue un bassin d'emplois. Des collectivités vivent autour de l'hôpital. Le mouvement syndical est très organisé et parfois très revendicatif. Un syndicat comme Sud y trouve un vivier d'adhérents. Il est donc aisément compréhensible que le Gouvernement soit très prudent en la matière mais l'isolement de l'hôpital ne me semble pas être un élément de succès. En effet, de nombreux gains de productivité sont situés à l'articulation de la médecine de ville et de l'hôpital. Les gains de productivité ne se trouvent pas dans la médecine de ville ni dans l'hôpital mais dans la manière dont communiquent ces deux partenaires. Le fonctionnement des urgences en est une illustration spectaculaire. Seuls 1 % des patients aux urgences sont hospitalisés. 99 % des patients auraient donc pu ne pas mobiliser des moyens coûteux à l'hôpital. Ils n'arrivent à l'hôpital que par une sorte de défaillance de la permanence des soins ambulatoires.

La recréation du lien entre médecine ambulatoire et hospitalière me semble essentielle. La partition de la tutelle, des contrats et de l'organisation des soins prive l'État de ce qui constitue, à mes yeux, le principal gisement de productivité du système.

M. Nicolas ABOUT, président - Les notions d'universalité d'accès aux soins et aux prestations d'assurance maladie. Sont-elles réelles ? Le malade demande, le médecin prescrit, l'assurance maladie rembourse et l'État désespère. Que proposez-vous, monsieur Beau ?

M. Pascal BEAU - Mes propos compléteront les interventions de mes collègues. Je souhaite, au préalable, faire un peu de politique au sens noble du terme car je suis féru d'histoire de l'assurance maladie. Je vous invite à garder à l'esprit que la France est un des rares pays du monde développé dans lequel la notion d'assurance maladie n'a pas fait l'objet d'un consensus. Cela n'était pas un hasard. Je trouve assez admirable que l'on nous propose de revenir à 1945 alors que vous savez certainement qu'il n'y a pas eu de consensus à l'origine. Le travail du général de Gaulle a été défait en 1946. Il faut donc être réaliste.

J'ai revisité les systèmes belges et allemands dans l'optique de cette audition. La Belgique et l'Allemagne sont des pays voisins dont la nature du système de santé est relativement proche du nôtre ; ce qui n'est pas le cas de celle de nos partenaires britanniques, scandinaves ou d'Europe du Sud. Il existe en Allemagne et en Belgique une volonté de partager les responsabilités. Un consensus y existe même si des tensions persistent. Ce n'est pas le cas en France. Vous ne pouvez concevoir en 2004, et a fortiori pour les années qui viennent, un consensus qui n'a pu être instauré depuis quarante années. Vous ne pouvez demander à un syndicaliste, aussi légitime et sympathique soit-il, de porter la charge de la gestion de l'assurance maladie. Cette dernière a changé. J'interviens sous le contrôle de mes amis. Il ne s'agit plus de la mutualité de nos grands-parents des années 50. L'assurance maladie constitue un ensemble lourd et compliqué dans lequel s'imbriquent des facteurs fondamentaux ayant trait notamment à l'économie nationale, à l'emploi, à l'industrie, à la sécurité et aux échanges mondiaux. Ces enjeux ne sont pas du domaine associatif ou artisanal. Je crois qu'il convient d'être parfaitement conscient de l'enjeu de responsabilisation politique au sens le plus fort du terme.

Il convient de lire l'enjeu de la gouvernance à l'aune de cette histoire. Nous pouvons espérer la naissance d'un consensus quant aux fondamentaux dans l'avenir, mais l'histoire ne plaide pas en ce sens.

Ensuite, comme nous avons pu le lire, sept ou huit nouvelles superstructures nationales de gouvernance des soins de ville se superposeraient aux caisses nationales existantes. On multiplierait ainsi les unions : Union des caisses, Union des complémentaires, peut-être Union des professions de santé, une Haute autorité, un Établissement public des données de santé, puis un conseil de surveillance et un directoire. De grâce, de l'air ! Pour en revenir au général de Gaulle, il s'agit là de « machins ». Mon propos est peut-être caricatural mais ce système supposerait un délai de mise en route de trois ou quatre ans, afin notamment que chaque instance prenne ses marques avec efficacité.

Enfin, plus personne n'évoque les régions. Je regrette cet état de fait. La réforme de 1996 avait pourtant fait évoluer les mentalités et les méthodologies de travail. Le résultat n'est pas parfait. Le verre peut toujours être considéré comme étant à moitié vide ou à moitié plein. Je parle sous le contrôle de nos amis de l'OCDE, la plupart des pays voisins ont pourtant déconcentré et renvoyé un certain nombre d'arbitrages politiques, économiques et médicaux à un niveau intelligent de subsidiarité. Il me semble que les agences régionales d'hospitalisation ont permis de réaliser un progrès notable dans l'intelligence du pilotage médico-économique de l'hospitalisation. Il me semble qu'un certain travail réalisé par les URCAM, qui ne constitue certes pas un absolu de réussite, a permis un progrès sur l'appréhension de la problématique de la gestion du risque dans les soins de ville. Ces acteurs devraient davantage travailler conjointement plutôt que de renvoyer au niveau national l'ensemble de la problématique. Je souhaite vous faire part d'une anecdote à cet égard. En 1985, la France fêtait le jubilé des ordonnances de 1945. La CNAMTS avait donc organisé un immense événement réunissant 5.000 personnes. Les difficultés entre les caisses et les professions de santé existaient déjà depuis quarante ans. Le directeur de la CNAMTS de l'époque avait dit aux présidents et directeurs de caisses qu'en cas de problèmes au sein des comités médicaux paritaires locaux, il convenait de les lui adresser à Paris. Bien entendu, les chefs de station qui sont les directeurs de caisse ont renvoyé toutes leurs difficultés à Paris. Cela a créé un engorgement. Rien n'a finalement été réglé.

En matière de gouvernance, il me semble qu'il faille véritablement muter. Il importe de ne pas faire d'une architecture nationale centrale qu'il convient de réformer l'alpha et l'oméga de la problématique. Il faut repenser la démarche de responsabilisation en termes de gouvernance et de pilotage. Plus complexe, le système nécessite un traitement des problèmes à la base, à un niveau pertinent afin qu'ils soient les moins ingérables possibles. Sinon, nous discuterons ici des mêmes questions dans quelques années. Je vous invite à consulter vos archives. Vous y trouverez les mêmes antiennes et les mêmes sujets.

Par ailleurs, je souscris, avec Claude Le Pen, à la nécessité de clarifier les logiques d'actions et de responsabilités. Je m'exprimerai franchement. Je ne suis pas spontanément très favorable à l'idée, mais la démarche la plus cohérente en matière de réforme de la gouvernance a été présentée par le MEDEF il y a quelques jours. Ce dernier propose de donner une fonction de résonance politique à l'ensemble des acteurs de la santé et de l'assurance maladie au sein d'un Conseil de surveillance national de l'assurance maladie. En Belgique, le Conseil général de l'assurance maladie réunit l'État, les partenaires sociaux, les professions de santé et les soins hospitaliers. Je souligne que le secteur des soins hospitaliers est également représenté.

En outre, le système a besoin d'un responsable. La direction peut être prise par l'État, c'est-à-dire le ministre entouré de ses équipes, ou via le paritarisme. Ce dernier n'étant plus de mise, la formule alternative est celle du directoire dirigé par un haut fonctionnaire qui pourrait être, ou non, issu du secteur privé et qui détiendrait une plénitude de compétences.

Ensuite, à l'instar de tous les observateurs en la matière, j'estime qu'il n'est plus concevable de distinguer les soins de ville des soins hospitaliers. Cette logique de conseil de surveillance et de directoire renforce d'ailleurs la pertinence d'une assurance maladie pilotée et appréhendant l'ensemble de la problématique du financement et des soins (y compris le champ de l'hospitalisation). Cela sera mis en oeuvre d'autant plus aisément qu'un faux-semblant entre l'État et les partenaires sociaux ne sera pas reconstitué. En conséquence, le directoire doit récupérer les compétences de financement pour l'instant tenues par le ministère des affaires sociales. Vous ne pouvez maintenir ou multiplier les instances de l'assurance maladie tout en maintenant les frontières juridico-administratives en matière de financement et en attribuant à la direction de la sécurité sociale ou à la direction des hôpitaux et de l'offre de soins la moitié du financement, tandis que le champ des soins de ville serait réduit aux acquêts.

Ni le paritarisme ni une étatisation totale ne sont crédibles. Nous proposons ainsi un schéma cohérent, piloté et dépouillé d'une multiplicité d'instances injustifiées et redondantes en termes administratifs et politiques. Ces instances induisent forcément des lourdeurs et des délais de réaction alors que le contexte impose l'urgence. Les agences régionales d'hospitalisation seraient rattachées au directoire de l'assurance maladie. Les URCAM et les agences régionales seraient invitées à travailler ensemble. Il ne s'agira pas d'emblée des agences régionales de santé. Il convient, en tout état de cause, de donner aux différents acteurs le temps de faire connaissance. Ces derniers se rencontrent. Ils contractent. La thématique du réseau ne peut malheureusement être abordée ici faute de temps. Je considère que le système pourra être amélioré de manière pragmatique. Il importe de ne pas focaliser le débat sur une architecture multipliant les organes dont l'articulation de long terme reste obscure.

M. Alain VASSELLE, rapporteur - Quelles sont les places respectives des partenaires sociaux et de la société civile dans la gouvernance du système de santé des pays où ce système est relativement comparable au nôtre ? Par ailleurs, de quels modèles étrangers pourrions-nous nous inspirer quant aux relations entre la médecine ambulatoire et hospitalière ? Vous avez tous souligné cet enjeu dont l'importance a d'ailleurs été reconnue par le Haut conseil. Je pense qu'un consensus national devrait se dégager à cet égard.

Mme Martine DURAND - Concernant le rôle des partenaires sociaux dans la gouvernance, les exemples belges et allemands illustrent la recherche constante du consensus. Dans les pays scandinaves où le système est financé par les impôts et non par un système de cotisations sociales, les partenaires sociaux ne sont pas directement impliqués dans le financement. Le consensus est néanmoins également recherché à travers, par exemple, la décentralisation. En effet, les municipalités sont chargées des soins de longue durée et font intervenir la société civile et les partenaires sociaux pour consultation et non pour contribuer à la gestion. Il existe peu de modèles de gestion directe par la société civile ou les partenaires sociaux. Ce que la France mettrait en place constituerait un cas d'étude pour les autres pays.

De très nombreux pays cherchent à réformer le lien entre les soins ambulatoires et l'hôpital pour améliorer le système de soins. Certaines expériences ont été intéressantes et se sont révélées probantes. Le Royaume-Uni fait face à de nombreuses difficultés dans le cadre de la réforme de son système de santé, mais les soins ambulatoires ont pu être groupés et le lien direct de ces derniers avec l'hôpital a été établi avec succès.

M. Gilbert CHABROUX - J'ai suivi les exposés avec beaucoup d'intérêt. Par ailleurs, je m'interroge sur l'importance que l'on souhaite attribuer à la gouvernance. Ne sommes-nous pas en train de reprendre ce que le Gouvernement souhaite faire ? Ce sujet est peu polémique et permet de gagner du temps. S'agit-il de débattre essentiellement de la gouvernance pour faire diversion et ne pas aborder les autres problèmes ? L'enjeu de la gouvernance n'intéresse pas le plus directement l'opinion.

Pourquoi adoptons-nous cette démarche centrée sur l'architecture ? Il semble que les propositions que le ministre présentera mardi devant la mission d'information de l'Assemblée nationale concerneront essentiellement l'architecture. Ce schéma est présenté comme étant la panacée. Quid des problèmes de financement, d'égalité d'accès, de qualité et d'efficience ? Le thème de la gouvernance est certes important, mais s'agit-il d'une priorité ?

M. Nicolas ABOUT, président - J'ignore par quel thème il convient de commencer. La question est de définir le résultat global souhaité. On a peut-être un peu tendance à considérer que tout se décide en haut alors que ce n'est pas le cas. C'est le consommateur qui est actuellement responsable du montant de la dépense. L'État ne maîtrise rien. M. Spaeth affirmait devant l'Assemblée nationale que l'enjeu du système de santé différait de celui de la retraite en ce sens que, pour cette dernière, des droits sont payés. Dans le cas des soins, l'on pourrait simplifier en disant que le malade demande, le médecin prescrit et les autres font avec les moyens dont ils disposent. Il ne me semble pas incongru de débattre en premier lieu des modalités d'organisation souhaitées et de la manière de responsabiliser les décideurs. Il conviendra ensuite d'évoquer la responsabilisation des professionnels et des patients. Nous verrons lors de la seconde table ronde si cette responsabilisation est envisageable.

M. Claude LE PEN - Il est vrai qu'au regard des 14 milliards d'euros de déficit, du futur endettement et du remboursement de 5 milliards d'euros au titre des dépenses des années 90, l'enjeu de la gouvernance peut sembler incongru ou abstrait. Le thème de la gouvernance est cependant important pour les professionnels de santé. Ces derniers négocient quotidiennement leur sort avec différents acteurs et ont le sentiment que le mécanisme est grippé. Ils constatent une crise de légitimité et notent que, comme l'a montré dernièrement la négociation de la convention avec les spécialistes, des accords sanctionnés par un échec avec les caisses sont renégociés avec le ministre. Les professionnels de santé déplorent l'imprécision des règles du jeu, la défaillance des institutions et plaident pour un éclaircissement.

En revanche, M. Chabroux a raison dans le sens où tous les schémas de gouvernance proposés sont au service d'une politique et ne distinguent pas les institutions à créer des mesures financières nécessaires. Il serait, en effet, dangereux de réformer l'architecture tout en conservant les flux financiers traditionnels. Je suis embarrassé non par le débat sur la gouvernance, mais par l'éventuelle dissociation entre ce débat et celui qui concerne la régulation.

M. Pascal BEAU - J'admire la subtilité sémantique de M. Le Pen lorsqu'il évoquait les contrats et les conventions. L'histoire du système conventionnel est relativement tumultueuse. Il s'agit d'un dérivé du contrat collectif de la loi de 1951. La création d'une mosaïque nationale très lourde à gérer avec des délais de réaction très importants, associée à une distanciation entre les professions de santé et le système d'assurance maladie qui a pour vocation de partager les coûts, constitue un facteur objectif de fracturation. Il est impossible d'aller vers un modèle de gouvernance plus efficient et en même temps distendre, découper les relations entre les professionnels de santé, l'ensemble des prestataires de soins et les financeurs. Quelle est la nature du contrat liant les financeurs et l'ensemble des prestataires de soins ? Pour l'instant, ce lien est formalisé par une accumulation de feuilles de papier. L'enjeu est de déterminer si nous devons concevoir un contrat global intégrant la totalité des activités des prestataires ou si nous devons différencier notre réflexion. Il est regrettable que cette question ne soit pas traitée car elle a des conséquences sur la gouvernance, le financement et la politique des soins.

M. André LARDEUX - Ce schéma, pour autant qu'il ait une valeur, montre que l'imagination n'a, en effet, pas de limite dans la création d'usines à gaz. En tout cas, ce n'est pas le problème essentiel pour l'instant.

Les dépenses de santé ne pourront qu'augmenter dans les pays développés, eu égard à l'évolution de la population. Pouvez-vous nous présenter des éléments de comparaison internationale concernant les différents modes de financement ? En effet, la question de la maîtrise des dépenses de santé ne se pose à nous qu'à propos du mode de financement collectif. Les deux autres cas de financement (individualisé et complémentaire) relèvent du choix individuel.

Par ailleurs, la responsabilisation des décideurs est souvent évoquée. Quid des agents de la sécurité sociale ? Les coûts de gestion sont souvent mis en avant. J'ai l'impression que le management de la sécurité sociale ressemble à celui de l'Armée rouge des années 50. Je crois que d'importants efforts sont à réaliser pour responsabiliser ces agents. Quelques exemples m'ont démontré que les relations entre les agents de base et les usagers ou les professionnels de santé ne vont pas dans le sens de l'efficience.

Mme Martine DURAND - En moyenne, trois quarts des dépenses de santé dans les pays de l'OCDE sont financés par le secteur public. La part du financement public français est dans la moyenne. La France se caractérise, en revanche, par le fait que le montant qui reste à la charge du patient est nettement plus faible que la moyenne dans les pays de l'OCDE. La prise en charge du ticket modérateur par l'assurance complémentaire est plus importante en France.

Contrairement à vous, j'estime que le champ de préoccupation de l'État ou de l'autorité qui sera mise en place ne doit pas se réduire au financement public. Des interactions très fortes existent, en effet, entre le public et le privé. En France comme dans d'autres pays, le recours à une assurance privée complémentaire a des conséquences en matière de dépenses publiques. Une forte demande de soins onéreux comme l'IRM nécessite, par exemple, un investissement public important pour acquérir le matériel même si l'assurance privée remboursera ensuite les soins. Il convient donc de tenir compte de cela. La régulation des mutuelles et de l'assurance privée doit être débattue conjointement avec la question du financement public.

M. Alain VASSELLE, rapporteur - Il est difficile de distinguer complètement la notion de gouvernance de celle de la responsabilisation des gestionnaires, des professionnels de santé ou des patients. Durant les discussions menées au sein du Haut conseil, j'ai été frappé par le rappel historique démontrant que les ordonnances des années 60 n'avaient été respectées par aucun gouvernement. Ces ordonnances attribuaient aux partenaires sociaux la responsabilité de prévoir l'équilibre des dépenses et des recettes. Tous les gouvernements, sans exception, se sont pourtant mêlés en amont de cette question sans laisser aux partenaires sociaux l'opportunité de s'en charger. L'État devait pourtant intervenir uniquement en aval des discussions. Est-il illusoire de penser que ce type de gouvernance et de responsabilisation est possible ? Ce paritarisme mort-né qui n'a pas eu le temps de démontrer ses potentialités serait-il absurde ?

M. Nicolas ABOUT, président - La question est pertinente. Cependant, les partenaires sociaux souhaitaient-ils ce type de gouvernance dès l'origine ?

M. Claude LE PEN - L'esprit de la séparation des risques des ordonnances de 1967 n'a effectivement jamais été respecté. La création des grandes caisses nationales, destinée à éviter la confusion des financements entre différents risques et à prévoir la responsabilisation des gestionnaires des caisses, a été tenue en échec en particulier car les partenaires sociaux ont refusé de prendre la responsabilité de décisions impopulaires. Il était plus simple de laisser la responsabilité à l'État et de s'insurger contre l'augmentation des cotisations par exemple. Contrairement au syndicalisme allemand, le syndicalisme français n'a pas de tradition de gestionnaire. Il est éminemment respectable mais, nous le constatons encore aujourd'hui, il peine à tenir le rôle de contributeur positif à la politique publique. Finalement, le système arrangeait tout le monde puisque l'État ne faisait pas confiance aux partenaires sociaux tandis que ces derniers préféraient laisser à l'État la responsabilité des décisions impopulaires.

M. Nicolas ABOUT, président - Monsieur Beau, les propos du président Spaeth semblent pourtant indiquer qu'il souhaite ardemment assumer ces responsabilités.

M. Alain VASSELLE, rapporteur - Si vous le voulez bien, je souhaite préciser que M. Spaeth avait affirmé que ces ordonnances n'avaient pas été respectées car on ne leur avait pas permis de les appliquer. Les représentants des syndicats soutiennent cette explication. Ce n'est pas ce que rapportait M. Le Pen.

M. Pascal BEAU - J'accompagnai le président de la CNAM en 1983 lors de l'instauration de la dotation globale hospitalière sur laquelle la CNAM avait demandé un droit de regard. Le ministre de l'époque a ainsi demandé au président de la CNAM, M. Maurice Derlin, s'il était prêt à assumer la responsabilité économique des hôpitaux. M.Maurice Derlin a répondu par la négative. Un syndicaliste ne peut être le tuteur des hôpitaux, être juge et partie à la fois.

Tout le monde est prêt à accroître les avantages sociaux dans le cadre d'une économie florissante. Mais peu de personnes sont, en revanche, prêtes à gérer le système lorsque la conjoncture est difficile. Je crois que M. Spaeth est extrêmement courageux mais j'ignore la position de François Chérèque, secrétaire général de la CFDT...

Mme Gisèle PRINTZ - Je me demande si l'origine du déficit de la sécurité sociale a réellement été recherchée. En effet, tous se rejettent la responsabilité : les médecins sur l'hôpital, ce dernier sur les pharmaciens et les pharmaciens sur les malades. Les patients doivent aussi se demander qui est réellement responsable.

Je rappelle, par ailleurs, que le régime du droit local en Alsace-Moselle n'est pas déficitaire. Y aurait-il là une piste ?

M. Nicolas ABOUT, président - Cette situation est probablement due à la résistance des habitants de cette région !

Mme Martine DURAND - En préambule, je signale que les indicateurs de santé montrent des gains potentiels d'efficience extraordinaires. Le taux d'angioplastie coronaire varie, par exemple dans les pays de l'OCDE, d'un facteur de 1 à 10. Cet écart ne se retrouve pourtant pas dans l'incidence des maladies cardiaques. Il est donc évident que le taux d'angioplastie coronaire dans certains pays n'est pas optimal même si j'ignore quel serait ce taux optimal. Les ressources sont certainement gaspillées en certains endroits. En multipliant les indicateurs analysés, l'on peut trouver des gains de productivité potentiels. Aux États-Unis, les dépenses sont énormes pour des performances somme toute moyennes, tandis que d'autres pays dépensent moins de manière efficace.

Pour inciter les patients à être plus économes, certains pays de l'OCDE ont décidé d'augmenter leur part de financement des dépenses de santé. J'ai certes émis des réserves quant à cette piste mais ce « co-paiement » a augmenté dans quasiment tous les pays, sauf en France où l'évolution est inverse. La contribution des patients aux dépenses de santé représente environ 10 % en France contre 20 % en moyenne dans les pays de l'OCDE. Ce taux en France est dû au rôle des mutuelles. Ces compléments représentent 1,8 % de la consommation des ménages français contre 2,8 % dans les autres pays.

L'effet de l'augmentation de la contribution des patients ne peut être très élevé dans la mesure où il faut notamment prendre en charge les maladies lourdes ou les patients à faible revenu. Néanmoins, il est notable que la transparence des coûts ait été appliquée dans de nombreux pays.

Certains pays, comme les États-Unis, ont même envisagé de pousser la politique de sensibilisation à l'extrême en remplaçant la couverture au premier euro par une assurance ne couvrant que les risques catastrophiques. Un panier optimal des soins à prendre en charge a donc été défini.

D'autres pays ont élaboré un système de communication permettant de mieux faire connaître les pratiques exemplaires aux patients grâce, par exemple, à des sites Internet dédiés. Il y a, en effet, été estimé qu'un patient mieux informé était un meilleur consommateur de soins.

Ensuite, le recours à un médecin référent a été envisagé et instauré dans de nombreux pays même si cela n'a pas été un succès en France. Le médecin référent doit ainsi conseiller les patients avant de les diriger vers l'hôpital ou les spécialistes. Des pays ont par ailleurs instauré des call centers , des services téléphoniques travaillant un peu à l'instar des urgences pour diriger les patients. Le recours à ces services ou au médecin référent permet d'éviter le regrettable nomadisme médical.

Enfin, la promotion de médicaments génériques peut être un moyen de responsabiliser les patients. Vous le savez, la France est parmi les pays dont la consommation de médicaments est la plus importante. Les dépenses liées aux médicaments constituent une part croissante et très importante des dépenses de santé. Un débat concernant les médicaments est donc essentiel dans le cadre de la réforme de l'assurance maladie.

Les pistes de réforme destinées à responsabiliser les prestataires sont sans doute les plus prometteuses en volume et en impact.

Dans les pays où le système de santé est géré par l'État, certains ont tenté de renforcer la distinction entre les fonctions d'achats et les prestations de soins. Cette réforme a généralement été probante.

Dans de nombreux autres pays, l'organisation des soins a été revue en mettant en place des systèmes plus intégrés des soins ambulatoires et hospitaliers afin d'éviter redondances et gaspillages. La réforme en ce sens d'une partie publique du système de santé américain traitant des anciens combattants est exemplaire. En effet, le déficit du Veterans' Health Administration a imposé une réorganisation majeure visant à intégrer les systèmes ambulatoire et hospitalier. Cette réforme a concerné 8 millions d'américains, ce qui correspond peu ou prou à la population belge. Des réseaux de services intégrés ont été créés au niveau régional : le patient est d'abord pris en charge par un médecin généraliste pour être ensuite dirigé vers l'hôpital ou un spécialiste. La gestion du système est fondée sur l'analyse des performances. Un important investissement a été réalisé afin que toutes les données cliniques soient enregistrées sur un dossier informatique qui suit le patient. Des directives cliniques ont également été utilisées. Les meilleurs traitements par type de pathologie ont ainsi été définis. En conséquence, la mortalité chirurgicale a diminué de 9 % et les soins préventifs sont passés de 34 à 81 %. Après une opération, l'hôpital se charge, en effet, de contacter et, le cas échéant, de relancer le malade pour qu'il se soumette à un suivi post opératoire. En cinq ans, les coûts ont diminué de 25 %. Cet exemple montre que ce type de réorganisation visant à l'efficience permet de réduire drastiquement les coûts. La création d'une filière de soins est fondamentale. Elle a été créée dans plusieurs pays.

De nombreux pays ont également évalué les rémunérations des prestataires, médecins ambulatoires et des hôpitaux. Il est notoire qu'une rémunération à l'acte, comme pratiquée France, a un effet sur le volume des soins. Au Royaume-Uni par exemple où les médecins sont salariés, il n'existe aucune incitation à améliorer la qualité ou la performance des soins. Il convient, par conséquent, de trouver un équilibre entre les deux types de rémunération. Au Royaume-Uni, la réforme en cours vise à instaurer une rémunération fondée sur des éléments fixes et variables liés à la qualité des soins et à des performances convenues. Par ailleurs, vous savez probablement que la rémunération dans le secteur hospitalier est également considérée comme un levier d'amélioration. Les budgets globaux peuvent être remplacés par le financement par pathologie ou par activité. Cette piste est suivie partout dans la mesure où les budgets globaux semblent avoir montré leurs limites en matière d'efficience.

Ensuite, certaines réformes visent à responsabiliser à la fois les acteurs de l'offre et de la demande de soins. En particulier, l'investissement dans les systèmes de gestion informatisée permettrait aux gestionnaires de réduire les coûts. Le coût initial est certes important puisqu'il faut installer un système informatisé à l'hôpital et pour les médecins ambulatoires, mais une technologie de l'information pertinente permet réellement de diminuer les gaspillages. La question du respect de la confidentialité du dossier médical a été problématique en France. Toutefois, les pays qui ont réformé en ce sens ont réalisé des gains d'efficience considérables.

Enfin, il est crucial que des indicateurs valables de performance reconnus par les pairs, ainsi que des systèmes d'évaluation, soient prévus pour réformer, par exemple, la rémunération des médecins. Il me semble que la France manque de cette culture d'évaluation alors qu'elle est très ancrée dans d'autres pays. L'introduction des nouvelles technologies nécessite notamment un système d'évaluation du coût par rapport au bénéfice attendu.

En conclusion, je souligne que de nombreuses pistes existent pour responsabiliser les patients, les prestataires et les gestionnaires. Ces derniers ont d'ailleurs peut-être été relativement oubliés.

M. Pascal BEAU - La « boîte à outils » a été présentée par Mme Durand. M. Le Pen l'évoquera certainement. Je ne développerai donc pas ce sujet. Je signale toutefois que tous ces outils sont connus. Il convient de se demander pourquoi « nous ne passons pas à l'acte ».

Claude Le Pen et moi-même sommes des militants des réseaux. Très peu de réseaux d'expérimentations des soins, dits Soubie et issus des ordonnances de 1996 ont fonctionné. Il faut s'interroger sur les raisons de cet échec. Nous ne manquons pas d'idées et nous n'avons pas d'idées miracles.

Les dépenses de l'assurance maladie - notamment de la CNAM - se sont fortement accrues depuis quatre ans pour plusieurs raisons.

Les 35 heures à l'hôpital et les protocoles hospitaliers ont accéléré l'accroissement des coûts d'hospitalisation publique et privée d'un montant estimé entre 3 et 4 milliards d'euros. Je vous invite à lire le récent rapport Ollier à cet égard.

La réforme des affections de longue durée (ALD) en 1999 et la création d'une visite médicale majorée pour les personnes âgées de plus de 75 ans ont augmenté, entre 1999 et fin 2003, le nombre de patients souffrant d'ALD de 4,7 millions à 6,1 millions. Les flux d'entrées et de sorties existent parallèlement. Notre système d'assurance maladie fonctionne à deux vitesses : d'une part, une assurance maladie couvrant les patients de droit commun bénéficiant du ticket modérateur. Cette dernière progresse de trois points par an et les dépenses pharmaceutiques restent quasiment stables ; d'autre part, une assurance maladie à 100 % qui progresse annuellement de 10 à 14 % et qui concerne un nombre plus réduit de personnes (souvent des personnes âgées). Je crois qu'il faut avoir le courage de reconnaître cela. Ce système est, par conséquent, complètement désarticulé. Je vous signale que la franchise de remboursement, qui est évoquée de temps en temps, est une idée dangereuse. Elle consiste à ne pas rembourser jusqu'à un seuil de 100 à 150 euros par an ceux qui ont recours aux prestataires de soins. Cela aurait un effet extraordinairement pervers puisque cela recasserait l'accès aux soins de ville - ce qui est loin de constituer un progrès social - et ferait porter la charge sur les actifs et les biens portants sur qui pèse la variable d'ajustement du refinancement du système. Je ne présente pas tous les effets pervers de ce système. Il convient de garder à l'esprit que le système fonctionne à différentes vitesses en fonction de la posture, de l'âge ou de la pathologie de l'intéressé.

Je prône une « liquidation médicalisée » des prestations de l'assurance maladie. Nous connaissons tous le potentiel des systèmes d'information. Nous pouvons progresser en ce sens. Il n'est, en revanche, pas souhaitable de multiplier les référentiels des pratiques médicales. Je m'étonne d'ailleurs qu'on conseille de les négocier et de rémunérer de bonnes pratiques. Ce serait un non-sens. Un pilote d'avion peut-il se permettre de ne pas être accrédité ni certifié ? Je ne crois pas que l'on puisse pratiquer de la mauvaise médecine. En conséquence, il convient de s'orienter vers une liquidation médicalisée, au moins sur les pathologies susceptibles d'être médico-économiquement protocolisées.

Les responsables de caisses indiquent qu'ils ne peuvent que constater la situation sans pouvoir intervenir. Toute réaction suppose en effet des mécanismes de contentieux de très long terme avec de très faibles chances de réussite. Il faut prendre position au regard de cette situation. Je souhaite que l'on ne laisse pas cette situation perdurer. On ne peut à la fois parler de maîtrise des dépenses de santé (par opposition à la maîtrise comptable) et ne pas fournir la boîte à outils nécessaire. Je signale que le potentiel de fonctionnement attribué aux directeurs de caisse maladie est de 20 à 30 %. Les assureurs privés ne sont pas plus compétents que les assureurs publics. Ces derniers sont cependant empêchés de travailler efficacement, y compris au niveau central.

La liquidation médicalisée consiste donc à mettre en place progressivement un système de protocole de soins, notamment pour les ALD. A cet égard, le médecin conseil de la CNAM a déjà réalisé une étude. Il serait intéressant de l'entendre. Cette liquidation médicalisée aurait pour objectif de réaliser des gains de productivité médicale sans modifier le droit aux soins et à l'exonération. Elle permettra de réaliser des économies réelles et de mieux faire fonctionner la chaîne de responsabilisation.

M. Nicolas ABOUT, président - Avant que Claude Le Pen ne conclue, j'invite mon confrère Jean-Pierre Lorrain à poser sa question.

M. Jean-Louis LORRAIN - Je crois que nous vivons une situation d'urgence. Les constats ont été formulés depuis longtemps. Nous avons besoin de réalisations concrètes pour faire face aux trois milliards de dépenses annuelles. Il convient de renverser la tendance.

Des mesures ont certes été prises pour responsabiliser les acteurs. Les mesures concernant les médicaments génériques sont intéressantes, mais elles sont très insuffisantes par rapport à ce qui a été réalisé dans d'autres pays. Par ailleurs, quid de l'efficacité de la campagne sur les antibiotiques ? De telles opérations sont certes nécessaires pour corriger l'excès de consommation de médicaments, mais les consultations ne seront-elles pas ensuite multipliées du fait des échecs de traitement ? Nous devrons certainement assumer un certain nombre d'effets pervers.

Le problème est que le périmètre de soins n'est ni opposable ni respecté. Les prescriptions bizones relatives aux ALD sont perverties. Des mesures sont, par ailleurs, indispensables en matière de transport car les dérives dans ce domaine sont impressionnantes. Concernant la biologie en revanche, la profession a réalisé un effort important.

Par ailleurs, il est impossible de ne pas tenir compte de la problématique de la consommation de médicaments à l'hôpital. Lors d'un entretien avec M. Spaeth avant la présente réunion, il a été dit que les consommations de médicaments à l'hôpital n'étaient pas maîtrisées.

Des mesures liées aux comportements doivent également être prises. Tous évoquent l'efficience et la régulation, mais quid du contrôle médical ? Ce dernier constitue une nébuleuse avec des caisses locales rapportant au niveau national. Des constats sont faits mais rien n'est mis en oeuvre. Des coronarographies et des bilans sont prescrits dans certains établissements. 50 % des examens réalisés s'avèrent ainsi normaux alors que les bonnes pratiques recommandent un taux de 20 à 30 %. Des actions en matière de planification, de contrôle, voire de suppression de certains centres qui ne remplissent pas leurs fonctions sont nécessaires.

Tous semblent connaître la situation et les mesures correctives. Il est temps que l'on prenne le taureau par les cornes. Nous ne pouvons nous permettre de continuer ainsi ou d'augmenter la CSG tous les deux ou trois ans. La gouvernance est liée non seulement aux structures, mais aussi à la détermination du rôle des acteurs.

Mme Martine DURAND - Le constat est unanime, en France comme ailleurs. Comme M. Beau, je suis économiste. J'estime que sans incitations économiques appropriées, la réforme ne fonctionnera pas. C'est la raison pour laquelle j'ai mis l'accent sur la rémunération des médecins ou le ticket modérateur. Toutes les réformes consistant à introduire des incitations économiques ont eu des résultats probants.

M. Claude LE PEN - Je conteste votre observation monsieur le sénateur, la politique du générique en France est un succès. Le retard y a été assez rapidement rattrapé car des incitations ont été proposées aussi bien au bénéfice des pharmaciens en 1999 que des médecins de ville en 2002. L'utilisation du générique n'a pas été imposée, mais elle a été développée car les individus y ont trouvé un intérêt.

Le thème de la responsabilisation a un succès limité notamment parce que son évocation place d'emblée l'intervenant dans le camp des libéraux ou des ultra-libéraux. Ce dernier est ainsi accusé de vouloir faire payer tout le monde et d'être un agent de l'impérialisme mondial. Ce thème s'oppose à celui de la solidarité. Cette opposition n'a pourtant pas lieu d'être. Elle est, en outre, fatale car elle renvoie à un discours rhétorique et qualitatif. A la réflexion, il est pourtant évident qu'il ne peut exister de responsabilité sans solidarité. La solidarité suppose que vous payez pour moi parce que je n'ai pas les moyens d'assumer un traitement très coûteux. Ce faisant, j'ai un devoir de responsabilité dans ma consommation de médicaments vis-à-vis de la communauté qui m'aide.

Je constate que, très attachés à la solidarité et au système par répartition, les Français semblent agir individuellement comme s'ils avaient réalisé une capitalisation. Leur comportement individuel s'oppose ainsi tout à fait à leur opinion en matière collective. Ils refuseraient, à juste titre, des comportements de capitalisation mais estiment avoir un droit de tirage dans la mesure où ils ont payé. En réalité, leur attitude est relativement consumériste. La différence entre gratuité et solidarité a été quelque peu oubliée. La gratuité ne donne pas le droit à disposer de soins ou des médicaments. La gratuité est due au fait que d'autres, les collègues de travail ou les compatriotes ont payé pour moi. En conséquence, le patient a un fort devoir de responsabilité qui est indiscutablement lié au devoir de solidarité. Je souhaitais souligner cet aspect afin d'élargir la perspective vis-à-vis du schéma rhétorique usuel.

Les outils de responsabilisation ne sont pas uniquement tarifaires. Néanmoins, il ne me semble pas pertinent d'évacuer complètement la réflexion sur le ticket modérateur. Il me semble que la gratuité a un effet pervers. Je ne suis pas certain que la gratuité soit réellement sociale. Si la gratuité aboutit à des comportements consuméristes fragilisant le système de solidarité, elle ne peut pas être considérée comme une avancée sociale. Cela peut paraître paradoxal mais je le maintiens. Il est frappant de constater que les contrats d'assurance complémentaires les plus luxueux et les contrats collectifs permettent à des cadres très aisés de bénéficier de la gratuité totale de leurs consommations pharmaceutiques. La gratuité n'est actuellement plus liée au statut ou au niveau de vie. Elle est surtout liée à la nature de votre contrat complémentaire. Si vous bénéficiez d'un contrat de groupe remboursant cinq ou six fois le tarif de responsabilité, vous jouirez du tiers payant intégral pour vos consommations pharmaceutiques alors que vos revenus vous situent dans les meilleurs déciles de la population. Il convient donc de réévaluer ces questions. Le rapport du Haut conseil a montré la manière dont la politique de remboursement devait être restructurante. Il s'agit, à mon sens, d'une piste fondamentale qu'il faut considérer avec sérieux.

La politique de réseau a été citée par M. Pascal Beau comme un moyen non tarifaire de responsabilisation. J'ai été impliqué dans ces expériences de fonctionnement coopératif du système de santé en réseau dès leur constitution. Le bilan de ces expériences n'a pas été tiré alors qu'il est positif pour certaines d'entre elles. La célèbre expérience du réseau Groupama est probante à cet égard. Ce réseau est constitué d'un cercle de qualité de médecins généralistes dont le fonctionnement a permis de réduire les coûts sans modifier, voire en améliorant la qualité de la prise en charge. Le fonctionnement coopératif est un des moyens de la responsabilisation. Il est tout à fait possible d'inciter les intéressés à intégrer les réseaux via , notamment, une politique de remboursement adaptée. Je considère que le remboursement doit être un outil pour encourager les comportements vertueux. La couverture du ticket modérateur ne doit donc pas être uniforme. Le Haut conseil estime qu'il convient de récompenser les comportements vertueux. Il ne faut donc pas que, dans ce cadre, le remboursement complémentaire rembourse les comportements qui ne le sont pas. Il convient donc d'adopter une approche sélective vis-à-vis des complémentaires.

Pour conclure, je souligne que la responsabilisation est une affaire collective. Etant dans une enceinte parlementaire, je souligne que la responsabilité est également du ressort des responsables politiques. Ne faut-il pas s'interroger sur la responsabilité de certains élus qui défendent à tout prix une implantation hospitalière qui n'est pas toujours justifiée ? Je m'adresse à vous, mesdames et messieurs les sénateurs, faut-il aussi voter systématiquement des ONDAM que l'on sait être irréalistes ?

M. Nicolas ABOUT, président - Surtout lorsque les ministres attaquent immédiatement les ONDAM comme cela s'est déjà produit.

Nous sommes tous très attachés à l'Alsace-Moselle. J'invite donc Mme Printz à intervenir très brièvement.

Mme Gisèle PRINTZ - Je rappelle que c'est, en principe, le médecin qui prescrit les médicaments. Le patient prend les médicaments prescrits. Il ne peut choisir les médicaments.

M. Claude LE PEN - Toutes les études montrent qu'un échange a lieu entre le médecin et le malade. Le patient a donc une capacité d'influence sur le médecin, notamment à travers le choix de ce dernier. La Caisse primaire d'Alsace a réalisé une étude célèbre qui a montré que les médicaments hypnotiques pour dormir sont très majoritairement notés en fin d'ordonnance. Une fois que le médecin a rédigé l'ordonnance, le patient demande en effet souvent un médicament par exemple pour son conjoint qui dort mal. Je pense que l'influence du patient sur le médecin est assez forte.

Mme Gisèle PRINTZ - Je n'en suis pas convaincue.

M. Nicolas ABOUT, président - Les médecins qui interviendront lors de la seconde table ronde pourront répondre à vos interrogations.

M. Alain VASSELLE, rapporteur - J'ai été frappé par le consensus parmi les intervenants. La boîte à outils présentée par Mme Durand est unanimement considérée comme étant efficace. Je m'étonne donc qu'elle n'ait pas été déjà utilisée. Monsieur Beau, puisque vous avez occupé des responsabilités importantes auprès du Gouvernement et au sein de la CNAM, savez-vous pourquoi cette boîte n'a pas été utilisée plus tôt ? La responsabilité en revient-elle uniquement aux politiques ou également aux partenaires sociaux et aux professionnels de santé ?

M. Nicolas ABOUT, président - Il serait souhaitable que vous puissiez répondre brièvement, quitte à apporter un complément par écrit.

M. Pascal BEAU - Je pense que nous avons déjà répondu. Il n'existe pas de volonté politique. Raymond Soubie pourrait poser la question. Historiquement, personne n'a voulu réformer l'assurance maladie. Tous les ministres reçoivent des interlocuteurs dont le principal objectif est d'obtenir un financement. Le conseil d'administration de la CNAM n'est pas unanime lorsqu'il convient d'agir. Ses interventions sont, en outre, décriées. L'engagement des professions de santé dans le processus de réforme est très mitigé, même si nous pouvons certes espérer un changement. Les assurés sociaux estiment, eux, qu'ils disposent d'un droit de tirage que les générations futures sont chargées d'assumer.

Table ronde réunissant MM. Jean-Gabriel BRUN,
vice-président d'Alliance,
Dinorino CABRERA, président du Syndicat des médecins libéraux (SML),
Michel CHASSANG, président de la Confédération des syndicats
des médecins de France (CSMF),
Pierre COSTES, président de MG-France
et Jean-Claude RÉGI, président de la Fédération
des médecins de France (FMF)
(mercredi 28 avril 2004)

M. Nicolas ABOUT, président - Monsieur le rapporteur, quel thème souhaitez-vous que nous abordions en premier lieu ?

M. Alain VASSELLE, rapporteur - Je rappelle simplement - même si tous nos invités le savent puisqu'ils sont des membres éminents du Haut conseil de l'assurance maladie - que les travaux du HCAAM ont permis d'établir une évaluation consensuelle du fonctionnement de notre système d'assurance maladie. Ces travaux ont été prolongés dans le cadre de huit groupes de travail technique, auxquels ont été associés les représentants des médecins. Cette phase de réflexion et de concertation a-t-elle permis de dégager des pistes de consensus sur les questions qui concernent directement les médecins libéraux ?

J'avais entendu Bertrand Fragonard indiquer que le Haut conseil n'avait été missionné que pour poser le diagnostic. Ce dernier a été considéré comme étant partagé. J'imagine que c'est à travers les groupes de travail que les propositions ont été amorcées. Nous aimerions savoir si des pistes ont été esquissées. Quel est votre sentiment sur celles-ci ?

M. Nicolas ABOUT, président - Je rappelle aux intervenants que la table ronde est enregistrée et sera diffusée sur la chaîne Public-Sénat. Je vous invite à réaliser des interventions concises plutôt que de longs discours qui pourraient être difficilement suivis par tous les spectateurs. Nous serons en revanche très heureux d'accueillir tout document complétant vos interventions.

M. Jean-Gabriel BRUN - Je me permets de commencer car je souhaite modérer les propos du sénateur Vasselle qui a présenté le diagnostic comme étant consensuel. Selon M. Fragonard avec qui j'ai pu converser longuement, les membres du Haut conseil ne représentent pourtant pas tous les corps concernés. En particulier, sont absents les médecins hospitaliers privés et publics ainsi que les professionnels du médicament. Ces derniers s'en sont d'ailleurs plaints. Ce qui a permis d'organiser une réunion complémentaire qui nous a permis de rencontrer l'éminente personnalité qu'est M. Fragonard. Ce dernier nous a précisé que les personnes écartées des réunions du Haut conseil l'avaient été par les services du ministre, M. Jean-François Mattei.

Une deuxième conférence a ainsi été organisée avec M. Fragonard. Le président du Conseil national de l'Ordre s'y est d'ailleurs également plaint d'avoir été écarté.

En outre, M. Fragonard nous a également avoué que l'hôpital public était absent. Aux quatre questions qu'il avait posées à l'hôpital public, quatre réponses fausses ont été données. Ce qui lui a permis de reprendre ce dossier.

Les acteurs précités n'ont donc pas pu faire partie des premières réunions. Cela nous a incité à ignorer les huit groupes de travail.

M. Jean-Claude REGI - A la suite du rapport du Haut conseil sur l'avenir de l'assurance maladie, notre fédération a participé à tous les groupes de travail. Ces derniers ont d'abord réuni de nombreuses personnes dont la participation s'est au fur et à mesure considérablement réduite. Cette concertation a permis de dégager quelques pistes consensuelles dans des domaines essentiellement relatifs à l'amélioration de la qualité des soins.

En offrant un très large et égal accès aux soins, la sécurité sociale a joué une importante fonction de cohésion sociale. Au-delà de nos débats sur les causes conjoncturelles ou structurelles du déficit, nous devons tous avoir à l'esprit qu'un million de chômeurs représente environ 6 milliards de recettes en moins et que 5 % des personnes couvertes par l'assurance maladie mobilisent 60 % des dépenses annuelles.

Les points positifs sur lesquels la Fédération des médecins de France participera de manière efficiente concernent :

une meilleure coordination des soins par la mise en commun des différentes compétences s'articulant autour du patient pour lui faire bénéficier du meilleur soin possible ;

un dossier médical partagé entre les professionnels avec les réserves de confidentialité et de respect du secret professionnel ;

une formation professionnelle pluridisciplinaire réunissant outre les médecins des différentes spécialités, les autres intervenants autour du patient ;

l'amélioration de la qualité des soins par une formation médicale continue efficace ;

la mise en place de référentiels par l'ANAES ;

une évaluation des pratiques professionnelles.

L'information du patient, propriétaire du dossier médical partagé lui permettra de mieux maîtriser les soins qui lui sont proposés.

Des points de divergence subsistent cependant concernant :

la répartition géographique ;

la lutte contre les abus ;

la rémunération des médecins.

La FMF reste attachée à la liberté d'installation. Une meilleure répartition des professionnels sur le territoire national ne doit se faire que par des mesures incitatives et par une politique adaptée d'aménagement du territoire. La FMF reste attachée au paiement à l'acte qui est un des fondements du caractère libéral de l'exercice médical même si l'on doit envisager une rémunération complémentaire au paiement à l'acte par les tâches de coordination ou de prévention.

Par ailleurs, la définition des abus et des gaspillages n'a pas pu être précisée. Il nous paraît donc difficile de lutter contre lesdits abus et gaspillages sans identification et recensement préalable.

M. Pierre COSTES - Le sujet de la réforme de l'assurance maladie m'interpelle énormément car les sénateurs et les députés, tous les représentants élus nous interrogent comme si les experts ou les acteurs étaient les décisionnaires politiques. Je rappelle que tous (experts, techniciens, membres des associations familiales) étaient impliqués pendant des années dans la réflexion concernant la prévention routière pour éviter l'hécatombe sur nos routes. Finalement, sans que nous sachions pourquoi, les outils définis ont pu être utilisés. La source se trouve probablement dans une décision politique entendue par les acteurs.

La dernière question lors de la table ronde précédente était de savoir quels étaient les obstacles à la mise en oeuvre des outils définis. M. Beau a répondu que le ministre recevait des plaignants et des demandes de budget sans, en réalité, parvenir à arbitrer. Nous allons présenter des propositions techniques mais elles sont déjà toutes connues notamment grâce au rapport du Haut conseil. Comme citoyen, patient et soignant, j'attends que les élus assument les responsabilités dont ils ont hérité depuis les ordonnances de 1995 et 1996. Il ne s'agit pas de la sécurité routière mais de la sécurité sociale. La boîte à outils est disponible. Mesdames et messieurs les sénateurs, quand passerez-vous à l'acte en assumant votre responsabilité politique et démocratique ?

Le Haut conseil a posé des règles de base consensuelles. Il a constaté l'anarchie et l'indifférenciation du système de santé français. La gouvernance et les parcours de soins doivent être améliorés notamment grâce à des protocoles. Il convient probablement d'indiquer aux usagers et aux malades que le mode d'emploi médicalisé est mieux remboursé.

Toutes les pistes simples et de bon sens ont été présentées mais le Haut conseil ne s'est pas prononcé sur les remèdes puisque, pas plus que les catégories ou les ateliers, ses membres n'ont à assumer la responsabilité politique de décider ou d'édicter des mesures. Il ne s'agit pas de légiférer sur tout mais de montrer que le pays souhaite fonder un système de soin solidaire garantissant l'accès de tous aux soins via un protocole médicalisé. Nous souhaitons que vous instauriez cela. Nous pouvons vous en donner les moyens. L'un d'eux est d'établir une cohérence entre la médecine de ville et l'hôpital. Le champ de compétences des acteurs conventionnels ne s'étend cependant pas à l'hôpital. Il convient de faire un choix. La loi ou le système de gouvernance doivent instituer cette cohérence ainsi qu'une responsabilité unique. Sans cela, vous ne pouvez demander aux différents acteurs de trouver une solution à un système bancal.

Des remarques ont par ailleurs été émises quant au coût des médicaments. Je souligne que c'est l'État qui négocie avec les firmes pharmaceutiques et qui fixe les prix des médicaments. L'assurance maladie et les acteurs sont considérés comme les boucs émissaires et les responsables de trop nombreuses prescriptions. Les médecins ne prescrivent pourtant pas plus de médicaments qu'il y a dix ans. En réalité, les médicaments coûtent simplement plus chers. Il est ainsi demandé aux médecins de faire face au marketing de l'industrie pharmaceutique. Mais quelle alternative, quels outils leur sont proposés ? En outre, les médecins s'engagent avec les médicaments génériques en DCI (dénominations communes internationales) alors qu'il n'existe pas une base référentielle de médicaments qui ne soit pas commerciale. Depuis deux ans, les médecins réclament une base publique pour pouvoir assumer cette responsabilité vis-à-vis des génériques.

Comme pour la sécurité routière, le système doit basculer à un moment donné. Je pense que le moment est peut-être venu pour vous de prendre vos responsabilités. Quelqu'un vient d'évoquer la rue. Je crois que les professionnels, les usagers et la population sont prêts pour ces modes d'emploi médicalisés. A titre d'exemple, je vous rappelle que la visite à domicile dont le remboursement est médicalisé avec un déremboursement de la visite traditionnelle était considérée comme vouée à l'échec du fait d'une probable réaction de l'ensemble des patients du Nord. Ces derniers bénéficient en effet surtout d'une consommation à domicile. Le Nord ne s'est pourtant pas insurgé contre cette mesure. Les élus n'ont pas eu à assumer le déremboursement de certains soins à domicile. Des manifestations auraient peut-être eu lieu s'ils avaient eu à le faire. Vous nous avez autorisé à instaurer cette mesure de manière conventionnelle. Il est donc possible de mettre en place des mesures adaptées concernant les médicaments, la cohérence entre la ville et l'hôpital si nous disposons des outils opérationnels et de gouvernance idoines. Tant que l'État ne nous permet pas de disposer par exemple d'une base publique en matière de médicaments, nous pouvons nous dire que la volonté de maîtriser les dépenses liées aux médicaments n'est pas si forte.

Je crois que le moment est venu. De nombreux outils sont disponibles. Leur mise en oeuvre dépend de l'impulsion politique qu'il vous revient de donner.

M. Michel CHASSANG - Je vous remercie de nous accueillir. En préambule, je souhaite faire remarquer que de nombreux ateliers ont déjà été organisés. Depuis mon entrée en fonction en 1993, j'ai participé à de nombreuses commissions. Je pense que nous avons abordé tous les aspects du sujet.

Néanmoins, c'est avec beaucoup de plaisir que j'ai participé aux travaux du Haut conseil dont je partage le diagnostic. Le Haut conseil a noté que le système était mal géré. Ce constat est important à connaître mais il ne constitue pas une surprise. Il a également mis en lumière un élément qui n'a pas été suffisamment rapporté : la très grande insatisfaction des professionnels de santé et en particulier des médecins. Vous pouvez observer ici ou là divers mouvements de contestation qui émaillent la vie conventionnelle. Les relations entre l'assurance maladie et les professionnels de santé sont, c'est le moins que l'on puisse dire, relativement houleuses. Cela a été le cas en 2002 lors du conflit des médecins généralistes et aujourd'hui avec les médecins spécialistes. Le système est non seulement mal géré et critiqué par de nombreux acteurs mais il entraîne en outre un gouffre financier sans précédent puisque le déficit avoisinerait 14 milliards d'euros selon le ministre.

En outre, nous nous réjouissons que ce diagnostic ait été posé car nous reprenons à notre compte le fait qu'il faille agir à plusieurs niveaux et non plus se contenter, comme jusqu'à présent, d'alimenter un bateau qui prend l'eau de toutes parts ou d'y poser des rustines successives. Il convient de restructurer, de revoir le périmètre de prise en charge et évidemment d'introduire des mesures financières non seulement pour éponger le déficit passé mais aussi pour pérenniser le dispositif. Il ne m'appartient pas de me prononcer à cet égard. Vous en êtes les responsables.

Ensuite, nous saluons le fait que le rapport du Haut conseil ait tourné le dos à la maîtrise comptable en faveur de la maîtrise médicalisée. Nous luttons contre le principe de maîtrise comptable depuis 1995. Nous ne refusons pas de prendre nos responsabilités. Nous ne nous opposons pas à cette forme de maîtrise par dédain de l'économique mais parce que la méthode ne nous convient pas.

Enfin, nous sommes heureux que la prise en compte de ce rapport puisse permettre de mettre fin à la culpabilisation permanente des professionnels. Ces derniers ont certes une part de responsabilité mais ils ne sauraient endosser seuls tous les maux du système.

Notre insatisfaction majeure est fondée sur le fait que les mesures proposées dans le rapport concernent presque exclusivement la médecine libérale et très peu la médecine hospitalière. Nous n'avons aucune critique particulière à formuler vis-à-vis de nos collègues hospitaliers. Nous n'avons pas non plus de critique ou d'opposition particulière vis-à-vis du système hospitalier. Ce dernier nous rend les plus grands services. Toutefois, le poste hospitalier représentant plus de la moitié des dépenses, ne pas en tenir compte serait totalement improductif et constituerait pour nous une provocation. Nous ne pensons pas que ce soit la bonne méthode. Je répète que la médecine libérale ne saurait être la variable ajustable de l'hôpital. Au risque d'aller vers un échec certain, il ne faut pas commencer par évaluer les besoins de l'hôpital avant d'attribuer le reste à la médecine de ville.

Nous pensons en effet qu'une réforme est nécessaire. Les médecins sont prêts à s'y engager pour peu qu'ils disposent d'une certaine visibilité. Je me souviens avoir été auditionné ici l'année dernière sur le même sujet. J'ai l'impression de me répéter par rapport à cette première audition mais rien n'a toujours été fait entre temps à l'exception du rapport du Haut conseil. Le temps presse. Il faut absolument réformer. Nous y sommes prêts si nous pouvons disposer d'une certaine visibilité quant à l'avenir mais cela ne semble pas être le cas actuellement. Peut-être est-ce une erreur de perception des médecins. En tout cas, ils ignorent en particulier la place que l'on entend donner à la médecine libérale en France. Cette question est fondamentale.

M. Dinorino CABRERA - Au risque d'être provocateur, je signale que les médecins sont en effet prêts à s'engager dans la réforme mais il est illusoire de penser pouvoir réaliser 14 milliards d'euros d'économies. Cela doit être clairement établi. En tout état de cause, le système doit être amélioré. Diverses propositions ont été faites. Nos propositions d'axes pour la réforme ont d'ailleurs été adressées ce jour aux sénateurs par courrier électronique.

Pourquoi rien n'a-t-il été fait pendant des années ? Cela est peut-être dû au fait que le système n'est pas si mauvais, que les assurés sociaux et les patients y trouvent avantage et peut-être aussi parce que les recettes ont été mal adaptées aux dépenses. Décider d'augmenter indéfiniment les dépenses constitue un autre débat. Je pense qu'il convient de les maintenir ou de les maîtriser. L'impression de gratuité augmente en effet le consumérisme. Je crois qu'il est temps de clarifier la situation et de demander à chacun de soigner et de consommer à bon escient. Nous verrons ultérieurement comment. En tout cas, le manque de recettes des dernières années est évident. Il a été dit lors de la précédente table ronde que des ONDAM avaient été votés tout en sachant qu'ils n'allaient pas être respectés. L'on savait pertinemment que des ONDAM de + 2 ou + 2,5 étaient impossibles à atteindre. Les déficits se sont accumulés. J'insiste à cet égard car les déficits étaient tels que tous s'interrogeaient sur la manière de les combler. Une économie de un ou deux milliards était peut-être possible en restreignant les patients et les médecins mais cela reste insuffisant. Le constat de tels déficits est relativement démobilisateur. Il faut adapter les recettes aux dépenses et réfléchir à la justification ainsi qu'à la prise en charge collective (ou non) de ces dernières. Le débat doit être approfondi à cet égard. Chacun doit se sentir concerné : les responsables syndicaux, les médecins et les assurés sociaux dont l'attitude consumériste doit être limitée.

Je regrette le manque de mobilisation des responsables des caisses d'assurance maladie durant ces derniers mois. J'ai déjà eu l'occasion de le dire et je souhaite le souligner. Je trouve condamnable que dans notre pays, alors que les déficits sont si importants, les intéressés ne se soient pas réunis 24 heures sur 24 pour aboutir, comme pour l'UNEDIC, à un minimum de résultat. Ce manque de négociation doit être dénoncé. Il faudra par conséquent que la prochaine gouvernance prévoie une pression tant sur les professionnels de santé que sur les caisses d'assurance maladie. Nous ne voulons plus être les seuls à supporter le poids de la responsabilité en cas d'échec.

Lorsque les honoraires sont bloqués, les médecins répondent à la demande ne serait-ce que pour équilibrer leur entreprise médicale. Le mode de fixation des honoraires des médecins doit être revu. La complémentarité entre les différents acteurs et domaines (généralistes et spécialistes, ville et hôpital) doit être favorisée. Un malade n'appartient ni au généraliste ni au spécialiste ni à l'hôpital. La complémentarité est nécessaire entre ces acteurs. Elle peut être instaurée via le dossier médical informatisé. Je rappelle que l'expérience du carnet de santé a été malheureuse. Le recours à l'électronique constituera un progrès. Dans ce cadre, la confidentialité des informations est très importante, non parce que nous avons des choses à cacher mais parce que nous ne souhaitons pas que tout soit connu du malade. Certains diagnostics peuvent faire peur. Le dossier médical partagé est nécessaire. En outre, nous réclamons en vain depuis une dizaine d'années une véritable politique de standardisation des logiciels. Sans compatibilité entre tous les logiciels, le dossier médical partagé sera un échec. Le partage d'information entre les médecins de ville et de l'hôpital peut pourtant très facilement se faire notamment via une clé USB contenant un dossier crypté propre à chaque malade.

Pour conclure, le diagnostic est en effet consensuel. Il convient maintenant de déterminer le chemin à suivre. Je crois que chacun doit prendre sa part de responsabilité :

les élus en définissant des recettes adaptées aux dépenses (en essayant de bien définir les dépenses qui doivent relever de la solidarité collective) ;

les professionnels en recherchant constamment l'efficience (notamment grâce à la coordination des soins, au dossier médical partagé) ;

les assurés sociaux en se responsabilisant et non par la culpabilisation même si en France, responsabilisation et culpabilisation sont souvent enchevêtrées.

Les patients ne doivent pas recourir aux médecins sans raison valable. Les prescriptions et les non-prescriptions doivent leur être expliquées. Habituellement en effet, une non-prescription est interprétée comme un manque d'attention du médecin. Il est indispensable de valoriser le conseil et la non-prescription.

Enfin, je considère que la recherche d'efficience est la seule contribution possible des professionnels de santé. Il est hors de question d'imposer aux médecins de s'installer en un endroit. Toutefois, il convient de faire comprendre aux jeunes bacheliers qu'ils ne pourront pas s'installer indéfiniment à leur gré où ils le souhaitent parce qu'une harmonisation est nécessaire. L'accroissement du nombre de médecins en formation, leur concentration augmentera les dépenses de santé de manière exorbitante en une région tandis que d'autres manqueront de médecins. Des mesures incitatives, une régulation et l'information des étudiants sont nécessaires à cet égard. Je pense que la profession porterait une lourde responsabilité si elle fuyait l'information aux bacheliers.

M. Nicolas ABOUT, président - La responsabilisation est certainement nécessaire. Vous plaidez également pour la liberté d'installation. Vous invitez par ailleurs les politiques à prendre leurs responsabilités. Vous conseillez d'avertir les jeunes qu'ils ne pourront s'installer là où ils le souhaitent. Vous prônez des mesures d'incitation. Tout cela est-il cohérent ? Faut-il que certains prennent des décisions tandis que vous continuez à agir à votre gré ? L'incitation devra certainement être très puissante pour persuader quelqu'un de s'installer dans un endroit qu'il n'aime pas. Il me semble qu'un numerus clausus d'installation pourrait être utile.

M. Dinorino CABRERA - En disant cela, une organisation professionnelle prend des risques. Il est évident qu'il faut dans un premier temps des mesures incitatives. Les mesures restrictives sont évidemment ensuite indispensables.

M. Nicolas ABOUT, président - Je m'adressai également au docteur Régi qui déclarait vouloir maintenir la liberté d'installation.

M. Alain VASSELLE, rapporteur - Je rappelle à chaque occasion que le déficit est réel mais qu'il convient de relativiser nos observations et ne pas faire de la sécurité sociale l'origine de tous les maux financiers du pays. Le déficit du système de santé est qualifié d'abyssal et d'exceptionnel. Comment qualifieriez-vous le déficit du budget de l'État qui s'élève à 60 milliards d'euros ?

J'ai cru comprendre à travers les cinq interventions précédentes que les solutions avaient été avancées depuis des années lors de différents groupes de travail mais que leur mise en oeuvre a été empêchée par l'absence de volonté politique. L'ensemble des personnels de santé s'accorde-t-il sur la pertinence et le mode d'utilisation de la boîte à outils ? Les partenaires sociaux et les gestionnaires de l'assurance maladie (représentants des syndicats et du patronat) sont-ils également unanimes à cet égard ? Il serait d'autant plus facile pour les politiques de prendre l'initiative de la réforme si la réponse à ces deux questions était positive. Ma préoccupation, qui semble aussi être le souci du gouvernement, est de recueillir un consensus aussi large que possible en amont avant de s'engager dans la réforme. Cette dernière ne peut en effet réussir que si l'ensemble des acteurs adhère au moins aux grands principes fondamentaux.

M. Pierre COSTES - J'ai perçu une contre provocation à ma provocation. J'ai exhorté les politiques à prendre leurs responsabilités et ces derniers demandent l'unanimité préalable des professionnels de la santé avant d'engager une réforme. C'est une juste démarche en démocratie.

Au-delà de la boutade, je crois qu'un consensus existe en effet dans tout le pays comme le montrent le rapport du Haut conseil et le comportement de la population. Si le déficit de la sécurité sociale n'a jamais été un moteur de la réforme, l'appropriation générale du fait qu'il existe un moteur économique et un moteur qualitatif de progrès impliquant chacun dans une responsabilité partagée grâce notamment à un mode d'emploi médicalisé, un référentiel conditionnant les niveaux de remboursement des patients et opposant les professionnels dans des critères de qualité constitue une voie de réforme apaisée. Cela concernerait également les partenaires sociaux. A la limite, les professionnels de santé auraient la même valeur d'honoraires quel que soit le niveau de remboursement du patient. Jusqu'à aujourd'hui, la sécurité sociale garantissait absolument tout à la population. La sécurité sociale gérée par les partenaires sociaux décide actuellement de ne plus agir ainsi sans pour autant instaurer le déremboursement ni un recul. La sécurité sociale a réalisé le premier pas dans ce sens concernant la visite à domicile. Cette mesure est certes microéconomique mais elle reste un modèle. Concernant le principe que sur une base médicale, le ticket modérateur doit varier selon l'existence ou non d'un référent médical, l'obstacle principal était non les professionnels mais les partenaires sociaux qui craignaient de retirer des droits aux patients. L'élément moteur pour le Haut conseil, les professionnels, les partenaires sociaux et probablement pour les élus n'est pas de réaliser des économies du fait du déficit mais de faire progresser la garantie de qualité pour les usagers. C'est ce moteur de progrès de la garantie qui a constitué le moteur des partenaires sociaux. Pour les médecins, l'assurance maladie est la garantie de qualité. Vous serez soutenus par la population si vous initiez une réforme destinée à faire progresser la garantie.

La circulation de l'information doit être garantie. Tous les Français savent que les dossiers sont disséminés. Il ne s'agit pas uniquement du dossier médical partagé. Actuellement, personne n'a de dossier médical en France. Un dossier médical suit pourtant chaque patient dans certains pays. En France, des fragments de dossier médical sont éparpillés selon les épisodes de soins. J'ai 54 ans, des informations médicales ont été enregistrées dans la clinique dans laquelle j'ai été opéré d'une hernie à six ans, d'autres dans l'hôpital de la région où j'ai passé des vacances... En plusieurs décennies de vie, un individu a eu l'occasion de fréquenter de nombreux lieux et d'y laisser des morceaux de dossier médical. Il convient de garantir la circulation de l'information avant de décider du choix du support du dossier.

Les délais de prise en charge peuvent également être améliorés et garantis. Ni les soignants ni les patients ne sont satisfaits à cet égard qu'il s'agisse de l'attente au service d'urgences (tellement médiatisée par les porte-parole que tous connaissent), pour pouvoir réaliser un examen ou pour accéder secondairement à un médecin spécialiste. Vous savez qu'aucune garantie n'existe en la matière et qu'il vaut mieux connaître le secrétaire d'un professeur pour avoir un rendez-vous plutôt que d'avoir un rendez-vous par l'intermédiaire du médecin traitant.

Ensuite, une garantie sur les tarifs est nécessaire. Elle paraît en effet moindre par rapport à celle qui prévalait il y a quelques années. Des progrès sur les tarifs non dépassés peuvent être faits avec de meilleures valeurs pour les professionnels dans le cadre d'un cahier de charges équitable. La qualité du système de soins peut être garantie en l'organisant. L'offre multiple est inorganisée et ne dispose pas de mode d'emploi ni de lisibilité. Toutes ces mesures valent pour la médecine ambulatoire comme pour la médecine de ville.

Vous nous provoquez sur la liberté d'installation mais vous ne pouvez réguler ce domaine sans un certain nombre de préalables. Si vous distinguez les soins primaires des soins secondaires, si vous intégrez l'offre libérale et l'offre publique, l'offre hospitalière et l'offre privée, si vous avez une vision globale d'un système organisé avec des soins primaires identifiés, des protocoles et des références d'accès aux soins encadrés avec des garanties nouvelles, la population vous soutiendra. Je crois que c'est ce qui est espéré. Concernant le déficit, il est tout de même incroyable d'investir de telles sommes dans un système commun qui ne satisfait ni les professionnels ni les services publics ni les patients ni les politiques.

M. Michel CHASSANG - J'ai bien entendu la remarque et la question d'Alain Vasselle. Vous savez bien que nous sommes prêts à nous engager dans une démarche responsable. Entre 1993 et 1995, deux intervenants présents ici l'ont d'ailleurs prouvé. Comme plus personne ne s'en souvient, j'ai plaisir à rappeler que la première maîtrise médicalisée fondée sur les références médicales opposables tirait parti d'un dossier médicalisé unique tenu par le médecin généraliste. Ce dispositif était assorti de pénalités à l'encontre des médecins contrevenants. Tout cela a été envoyé aux orties en 1995 mais ce système a fonctionné entre 1993 et 1995. Lorsque nous sommes arrivés aux affaires en 1992 et 1993, les dépenses d'assurance maladie croissaient comme actuellement. Le docteur Cabrera et notre organisation avaient à l'époque signé une maîtrise médicalisée assortie d'un objectif de dépenses de 3,4 % pour l'année 1994. Les dépenses ont augmenté de 1,9 % pour le régime général et 1,6 % pour tous les régimes. Ce n'était sûrement pas un échec. En 1995, les dépenses ont progressé d'environ 4 %. Nous n'avions pas souhaité attendre ces résultats encourageants pour mettre en place la maîtrise médicalisée. Nous avons d'ailleurs l'un et l'autre durement payé cette mesure. Nous avons en effet été lourdement sanctionnés durant les élections par les médecins qui n'ont commencé à admettre ce dispositif qu'en 1994. Il est dommage que ce système ait été arrêté en 1995 alors que les progrès auraient pu être étendus.

Je pense que nous avons perdu neuf années. Pour rattraper ces années, outre la bonne volonté des dirigeants syndicaux, il faut également non seulement que les organisations syndicales (et particulièrement les organisations majoritaires) suivent mais aussi les médecins sur le terrain. Il n'est peut-être pas trop tard pour réagir aujourd'hui mais il faut faire vite. Les médecins de base ne font plus confiance au système conventionnel qu'ils vivent comme un fardeau. Cela ne devrait pourtant pas être le cas. Le sens originel du système conventionnel était d'instaurer une médecine libérale et sociale permettant aux patients d'avoir accès à des soins de qualité et aux médecins d'être correctement rémunérés. Ceux qui ont contracté à ce système 33 ans auparavant, chiffre symbolique en médecine, pensent avoir été trompés. Mon syndicat qui, contre vents et marées, a soutenu le système conventionnel au prix d'un schisme, a l'impression d'avoir été volé car le système ne donne pas satisfaction. Nous sommes tous responsables de cette évolution mais je pense que les dirigeants de l'assurance maladie portent une très lourde responsabilité en particulier en 1995 où les relations se sont considérablement tendues. Vous en avez la preuve lorsque vous rencontrez les médecins dans vos circonscriptions. Je considère que cette tendance n'est pas irréversible mais il convient d'agir rapidement, de nous faire confiance et de nous donner des gages pour que nous puissions avancer.

Trouvez-vous normal que la valeur individuelle des actes des médecins en secteur 1 soit la même en 2004 qu'en 1995 ou en 1993 notamment pour les chirurgiens ? Trouvez-vous normal que dans un contrat conventionnel censé être équilibré, si la partie médicale ne signe pas le contrat proposé, tous les médecins se trouvent pénalisés par l'instauration du règlement conventionnel minimal qui introduit une moindre prise en charge des cotisations sociales ? Cela signifie qu'un des partenaires est automatiquement pénalisé s'il n'existe pas d'accord entre les deux parties. Cela peut même encourager les caisses d'assurance maladie à ne pas signer le contrat puisqu'elles réalisent ainsi des économies. En réalité, elles croient réaliser des économies à court terme. Non seulement elles ne revalorisent pas les honoraires comme elles devraient le faire régulièrement mais en outre, elles prennent moins en charge les cotisations sociales des médecins de secteur 1. Ces derniers sont pourtant ceux qui respectent le plus le contrat conventionnel social et libéral. Je peux citer d'autres exemples. Il convient de prendre une autre direction. Vous ne ferez pas de médecine sans médecins. Vous ne ferez pas de maîtrise médicalisée sans médecins. Ces derniers peuvent encore être impliqués mais il faut agir vite et leur faire des propositions adéquates.

M. André VANTOMME - Je suis reconnaissant à M. Cabrera d'avoir rappelé que le déficit est la contraction des recettes et des dépenses. Même si nous étudions spécifiquement les dépenses actuellement, nous devons savoir qu'une réflexion sur les recettes est également nécessaire. Il n'y a pas si longtemps, lorsqu'une politique de l'emploi différente était menée, les comptes de la sécurité sociale étaient équilibrés.

M. Nicolas ABOUT, président - Vous avez fait plaisir à M. Chabroux. Je vous invite maintenant à poser votre question.

M. André VANTOMME - Les docteurs Costes et Chassang ont abordé le thème des rapports entre ville et hôpital et ont soulevé la question de la place de la médecine libérale dans le pays. Dans ma ville de 10.000 habitants dont je présidais le conseil d'administration de l'hôpital, le directeur de l'hôpital devait user de ruses de sioux pour intéresser les médecins de ville au fonctionnement de son établissement. J'ai le sentiment que nos concitoyens considèrent l'hôpital comme un refuge face à une médecine libérale qui semble avoir été très influencée par l'adoption de la loi sur les 35 heures et qui donne à la limitation du temps de travail une place particulière. Nos concitoyens vont chercher à l'hôpital les réponses urgentes qu'ils ne trouvent plus auprès des médecins de ville.

M. Nicolas ABOUT, président - La question n'est peut-être pas de savoir si le médecin de ville travaille 35 heures mais de constater qu'il n'accepte plus de travailler 60 ou 70 heures.

M. André VANTOMME - Monsieur le président, je n'ai pas porté de jugement de valeur. J'ai simplement constaté une évolution.

Hormis le dossier médical électronique partagé, quelles sont les autres pistes susceptibles d'améliorer les liens entre les médecins de ville et ceux des hôpitaux ?

M. Gilbert BARBIER - Comment M. Cabrera peut-il dire que les recettes doivent être adaptées aux dépenses ? Cette réflexion est-elle celle d'un représentant d'un syndicat médical ou celle d'un citoyen notant que la compétitivité du pays est mise en jeu par les dépenses sociales ou publiques ? Je considère que ce n'est pas en augmentant les recettes à l'infini, c'est-à-dire les cotisations, que nous pourrons faire face aux dépenses.

Il ne s'agit pas de restreindre les dépenses de santé en tant que telles mais de circonscrire le remboursement public des dépenses de santé dans la limite de prise en charge notamment des personnes les plus défavorisées. Aucun d'entre vous n'a évoqué cet aspect. Je crois que les dépenses publiques de remboursement doivent être contrôlées.

Ma question vous fera certainement sourire mais je la poserai tout de même. Les médecins libéraux peuvent-ils présenter aux pouvoirs publics un document unique ? Je suis moi-même médecin. Nous avons l'impression de nous trouver face à des organisations syndicales qui surenchérissent. Seul M. Chassang a précisé avoir perdu beaucoup d'adhérents à la suite de son engagement en 1993. Un certain nombre de documents que les syndicats diffusent illustrent notamment cette surenchère. Peut-être auriez-vous intérêt à présenter une plate-forme revendicative unique ?

M. Nicolas ABOUT, président - Les thèmes de discussion sont : « l'hôpital refuge », les recettes et les dépenses ainsi que la position syndicale commune.

M. Dinorino CABRERA - J'ai indiqué que l'importance des déficits était due à la mauvaise adaptation des recettes. Je l'ai évoqué, l'enjeu est de déterminer ce qu'il faut ou non prendre en charge. Je ne préconise pas d'augmenter les recettes à l'infini mais de les adapter aux dépenses et ainsi de préciser ce qui doit, ou non, être couvert.

Je ne développerai pas de réponse quant à la plate-forme syndicale commune car il serait facile de rétorquer que les politiques devraient également s'entendre entre eux sur l'assurance maladie.

Par ailleurs, nous demandons l'application de nombreuses mesures prévues dans la boîte à outils. Michel Chassang a rappelé la maîtrise médicalisée instaurée en 1993 et le respect durant deux années successives des objectifs et ce, de manière totalement hasardeuse. Actuellement, nous ignorons ce que nous prenons en charge. Le niveau de prise en charge doit pourtant être différencié. Je pense en effet que la prise en charge du patient gravement malade et du patient souffrant d'une maladie plus courante doit être différente.

Les médecins sont prêts à oeuvrer pour l'efficience, pour la coordination des soins. Notre organisation professionnelle a même fait part de sa réflexion sur la modération - et non la baisse - des activités. Pour qu'un médecin puisse aujourd'hui s'en sortir, il faut qu'il réponde à toutes les demandes. Monsieur Vantomme, nous ne sommes pas aux 35 heures. Le syndrome des 35 heures nous a certes alerté. Il faut rappeler que le financement des 35 heures nous a été opposé concernant l'augmentation de nos honoraires. Cela a été insupportable. Pour gagner normalement leur vie, les médecins doivent ainsi réaliser un nombre d'actes quotidiens indécent. Ils ont donc du mal à répondre à certaines demandes. En conséquence, les malades dont le consumérisme se développe, se tournent vers celui qui est ouvert 24 heures sur 24 et sans aucun contrôle. La médecine de ville doit certes être régulée mais rien ne sera réglé si l'hôpital n'est pas non plus responsabilisé. Nous voulons bien coordonner le système, lutter contre les visites non justifiées, éviter que des actes nocturnes ou de week-end soient réalisés mais les dépenses ne seront pas régulées si le patient se rend à l'hôpital. Il convient d'instaurer cette responsabilisation sans culpabiliser qui que ce soit afin que la consommation soit la meilleure. Il nous appartiendra de définir ce qui peut être pris en charge par la collectivité. Ce qui ne le sera pas sera assumé par l'individu ou les régimes complémentaires. Mes propos ne visent absolument pas à culpabiliser qui que ce soit.

M. Michel CHASSANG - L'hôpital et la ville qui cohabitent sans se connaître doivent en effet apprendre à travailler ensemble. Je rappelle qu'on a tout fait pour diviser ces deux mondes. Tout a été fait pour mettre dehors les praticiens de ville exerçant à l'hôpital au nom du sacro-saint temps plein hospitalier. Je pense que c'était une grande erreur. Il aurait fallu maintenir les temps partiels qui, d'ailleurs, reviennent car ils permettent d'avoir une interface entre médecine de ville et médecine hospitalière. Il est vrai que ces deux mondes évoluent parallèlement sans presque jamais se rencontrer sauf à l'occasion de quelques épisodes de soin.

Nous savons en outre combien il est difficile pour les médecins de terrain de réussir à contacter un médecin hospitalier au téléphone, d'obtenir des renseignements sur un malade et d'avoir un rapport de sortie. C'est la raison pour laquelle nous militons pour la création du dossier médical. Je suis syndicaliste depuis 17 ans, cela fait 17 ans que l'on parle de ce dernier. La loi de janvier 1994 avait institué un dossier médical pour tous fondé sur les informations fournies par l'ensemble des intervenants, y compris l'hôpital. Le secret médical était en l'occurrence garanti puisque de lourdes peines d'amendes et d'emprisonnement étaient prévues à l'encontre des contrevenants. Ce dispositif qui ne demandait qu'à vivre a été abandonné en 1995 pour être remplacé par le carnet de santé dont vous connaissez le devenir quand les Français ne l'ont pas confondu avec un objet publicitaire et jeté. Il s'agit-là d'un autre problème.

Il faut créer un dossier médical moderne non pour surveiller quiconque mais pour garantir une traçabilité des patients dans le système de soins. Les transferts entre la médecine de ville et l'hôpital sont en effet très nombreux et se développent de plus en plus. Alors que les durées de séjour ne cessent de diminuer, alors que l'on parle de plus en plus d'alternatives à l'hospitalisation, alors que les gens restent chez eux pour mourir, alors que la chirurgie ambulatoire se développe, il me semble incongru que l'on n'évalue pas la part de l'hôpital dans l'ensemble du système de santé. Je trouve cet état de fait indécent.

Originaire du Cantal qui est une région rurale, je trouve par ailleurs que le débat est complètement surréaliste concernant les hôpitaux de proximité. J'approuve ce qu'a écrit Bernard Debré ce jour dans Le Figaro. Je trouve anormal que les hôpitaux de proximité soient maintenus alors qu'ils sont situés à 20 minutes d'un grand centre hospitalier. A Paris, plus d'une demi-heure est nécessaire pour se rendre dans n'importe quel hôpital. Il faut peut-être améliorer les délais d'attente dans les grands centres. En tout état de cause, maintenir des systèmes artificiels pour des raisons extra médicales me paraît improductif et dangereux. En outre, aucun d'entre nous n'irait pas se faire soigner dans ces hôpitaux. Comment voulez-vous maintenir une maternité qui ne pratique que trois accouchements par semaine ?

Ensuite, je m'oppose à votre observation concernant les écarts de temps de travail entre les médecins hospitaliers et les médecins libéraux. Je vous rappelle que le temps de travail des médecins libéraux a constamment augmenté d'une demi-heure par semaine durant ces huit dernières années alors que la population française travaille quatre ou cinq heures de moins. Alors que le temps de travail de cette dernière s'est réduit de 39 à 35 heures, celui des médecins a augmenté de quatre heures par semaine durant les huit dernières années. Les médecins observent leur environnement et, la féminisation aidant, il est vrai qu'ils ne veulent plus travailler autant. Il est vrai qu'ils rechignent aujourd'hui à remplir des tâches qui, jusque-là, leur paraissaient évidentes. La permanence des soins en est une illustration.

Par ailleurs, le résultat de la comparaison des revenus des médecins hospitaliers et des médecins libéraux n'est pas si évident.

Enfin, concernant la plate-forme syndicale, je me garderai bien de donner des leçons. Le monde politique ne constitue pas un modèle en la matière mais il est vrai que ce n'est pas une raison pour ne pas adopter une attitude modèle. Cela étant, je rappelle que certains syndicats sont majoritaires. Or, pratiquement tous les accords passés depuis 1995 ont été conclus avec des syndicats minoritaires. On ne peut pas accuser de division syndicale ceux qui passent des accords avec uniquement des syndicats minoritaires et s'étonnent ensuite de l'échec dans l'application de ces accords. En outre, lorsque l'on ne trouve pas de signataire parmi ceux qui négocient, un nouveau syndicat est déclaré comme étant représentatif, quelle que soit sa taille. C'est ainsi que les accords sont concrètement négociés. Certains syndicats représentent à la fois les spécialistes et les généralistes, certains représentent uniquement les généralistes tandis que d'autres ne représentent que les spécialistes tout en comptant en leur sein à la fois des généralistes et des spécialistes. Tout cela est absurde. Il serait judicieux de revenir à une représentativité unique des médecins avec des accords interprofessionnels solides. Il faut en revenir aux accords majoritaires. Un certain nombre de facteurs font que nous n'avons pas l'entière responsabilité d'une certaine division syndicale.

M. Nicolas ABOUT, président - Nous devons impérativement terminer nos débats à 12 heures 45.

M. le RAPPORTEUR - La deuxième question complémentaire concerne la gouvernance de l'assurance maladie. Parmi les pistes évoquées figure la création d'une structure regroupant l'ensemble des acteurs du système de santé. Considérez-vous et pouvons-nous considérer que les professionnels de santé ont vocation à participer à la gouvernance du système ? Le cas échéant, quelles seraient vos attentes et vos propositions en la matière ?

La dernière question concerne la responsabilisation des assurés. Comment les professionnels de santé pensent-ils pouvoir accompagner la responsabilisation des assurés ? Quelles mesures pourraient être envisagées pour associer les professions de santé à une politique de responsabilisation qui engloberait les assurés et les soignants ?

M. Dominique LECLERC - Je souhaite poser une question concernant la maîtrise médicalisée à la suite des réflexions de MM. Régi et Chassang. Concernant l'hôpital public, il me semble qu'on oublie que les compétences telles que les patients sont en droit de les exiger ne se trouvent pas tous les 50 kilomètres. En médecine, et plus que dans l'éducation nationale, il est impossible de travailler autrement qu'en réseau de compétences. Je pense qu'il est important de redéfinir la vocation des hôpitaux de proximité. On ne peut laisser réaliser des appendicites ou un accueil sans filtres. Je déplore que, comme je l'ai constaté aux urgences où j'intervenais comme pharmacien, l'on vienne à l'accueil d'un CHU un dimanche après-midi pour une constipation. On ne peut se rendre à l'accueil d'urgence d'un CHU pour une coupure au doigt. Il faut par conséquent redéfinir les fonctions et instaurer des filtres.

Ensuite, des transferts énormes ont eu lieu entre la médecine de ville et la médecine hospitalière. Si ces transferts n'étaient que financiers, nous pourrions les identifier mais vous oubliez un élément fantastique dans la société française actuelle : la responsabilité médicale. Je ferme la parenthèse à cet égard car elle est effrayante.

Par ailleurs, M. Chassang plaide pour que l'abandon de la maîtrise financière soit affirmé. Je crois que la maîtrise des dépenses est obligatoirement financière et médicalisée. Je pensais qu'au-delà du dossier médical fragmenté, vous nous auriez suggéré d'autres pistes. Quid notamment du médecin référent et de la filière organisée ? Quid des médecins des contrôles médicaux des caisses locales ?

M. Jean-Pierre GODEFROY - Je représente le département de la Manche où nous rencontrons d'importants problèmes. A mon sens, le problème de la démographie médicale ne pourra être résolu que grâce à des mesures fortes et quasi obligatoires d'orientation. Il ne s'agit pas de pénaliser les régions qui sont déjà amplement couvertes par les médecins. Il convient en revanche, tout en maintenant le volume de médecins dans les zones où leur concentration est supérieure à la moyenne nationale, de les orienter vers les zones rurales. L'absence des médecins libéraux en milieu rural entraîne en effet une suractivité des hôpitaux. Vous regrettiez l'absence de relations entre la médecine libérale et les hôpitaux. J'ai présidé le conseil d'administration de l'hôpital de Cherbourg pendant plus de vingt ans. Ce dernier comprend une commission de la médecine libérale. L'enjeu est d'en connaître l'objectif, de savoir s'il existe de bons rapports et si les principaux acteurs le souhaitent. Tout cela dépend du président du conseil d'administration et des administrateurs. Des outils existent d'ores et déjà pour constituer des réseaux entre médecins libéraux et hospitaliers. Point n'est besoin de créer des outils supplémentaires. Les médecins libéraux sont présents au conseil d'administration et le dialogue peut être entamé.

Par ailleurs, comme élu local, j'ai eu à fusionner deux hôpitaux. Cette expérience a été très difficile vis-à-vis des médecins hospitaliers qui devaient changer de service. Je n'ai pas non plus bénéficié de l'aide des médecins libéraux présents. Pour le secteur de l'hôpital à réformer, ces derniers étaient partisans de défendre l'hôpital du canton plutôt que d'adopter une structure globale. Les reproches peuvent ainsi être réciproquement adressés.

Un maire rencontre en outre de nombreuses difficultés à organiser la garde le week-end. Je n'ai jamais réussi à réunir tous vos représentants afin de discuter des moyens de garantir la garde le week-end. Les patients ont donc recours à SOS médecins qui, par précaution et en l'absence de dossiers, adressent vers l'hôpital. J'ai vécu cela très souvent. Je conçois que les médecins libéraux souhaitent travailler moins. Il n'y a pas de raison que vous travailliez 70 heures alors que les 35 heures ont été imposées à l'hôpital mais même la médecine libérale doit respecter le service public de garde. Le problème de la garde doit être réglé pour décharger l'hôpital. Mon propos n'est pas d'accuser qui que ce soit. Je souligne comme élu local ce que je considère comme un dysfonctionnement et un manque d'harmonisation.

M. Jean-Claude REGI - Monsieur Barbier, nous avons toujours dit qu'il convenait de dissocier les honoraires des médecins des possibilités financières des caisses. Nous l'avons toujours revendiqué car l'on ne peut se satisfaire éternellement de bloquer des honoraires depuis une dizaine d'années et de constater que la chirurgie française se vide. Comment les chirurgiens pourraient-ils compenser ce blocage des honoraires ? Doivent-ils aussi multiplier les actes et opérer dix fois la même appendicite ? Cet enjeu est fondamental. Il convient de trouver une réponse à ce problème.

Concernant la gouvernance du système, Le Figaro du 24 avril rapporte les propos du ministre Douste-Blazy, médecin cardiologue. Ce dernier indiquait que le système souffrait non d'une mauvaise gestion mais d'une absence totale de gestion. Personne n'est responsabilisé. Nous partageons ce constat. Le ministre ajoute que : « la gestion de l'assurance maladie ressemble à un bateau ivre où personne ne prend de décisions et où tous souhaitent accaparer les pouvoirs. Les relations avec les professionnels de santé sont devenues léonines. Les conventions sont arrachées au prix de compromissions et refusées par la profession d'une façon forte. Les contrats de pratique professionnelle ne sont pas négociés. Les sanctions viennent des caisses selon leur bon vouloir ou à un moment jugé le plus opportun . On le voit actuellement avec les sanctions s'appliquant aux médecins en rébellion. La situation est quasi insurrectionnelle. Des procès ont lieu dans toute la France. Dans les hôpitaux, personne ne sait ce qui revient à la production des soins et ce qui est consommé par la structure . Il faudra aussi que cela soit réglé un jour . Il faut que cesse la dichotomie ville-hôpital et que ce dernier présente une comptabilité claire. »

Quoi qu'il en soit, nous n'imaginons pas un nouveau système dans lequel tous les professionnels de santé seraient exclus de la gouvernance. Le problème pour les professionnels n'est pas tant de savoir s'il faut y participer ou non mais de trouver leur juste place dans un système devenu démocratique. Pour nous, la future gouvernance de l'assurance maladie ne peut se concevoir que dans le cadre d'une sécurité sociale solidaire. Elle ne saura se résumer à la gestion d'un budget et devra intégrer toutes les dimensions de la santé publique.

La gouvernance comporte au moins deux volets. Le premier volet est opérationnel et concerne la politique de santé, ses objectifs, ses priorités et l'organisation du système. Au plan opérationnel, les professionnels de santé sont déjà investis dans le système. En effet, les Unions régionales des médecins libéraux sont désormais les acteurs incontournables de la politique sanitaire à l'échelon régional. Il convient de renforcer leur rôle concernant notamment la permanence des soins et la reconstruction d'une médecine de qualité de premier recours. A l'échelon national, l'élaboration de la classification commune des actes médicaux, techniques et récemment cliniques a largement démontré que l'implication des médecins, quel que soit le mode d'exercice, libéral ou privé, pouvait être réel pour autant que le climat s'y prête. Pour l'avenir, notre centrale souhaite que la politique de santé publique soit discutée et construite avec les professionnels au sein de nouvelles structures (Haute autorité de la santé ou autre) en amont des décisions budgétaires. Elle demandera aussi à participer à toutes les démarches d'évaluation et de qualité des politiques et des actions engagées.

Le second volet est économique et financier et renvoie à un objectif qui nous semble strictement politique. Tous les politiques doivent reprendre la main. Notre centrale revendique la reconnaissance de la santé comme une fonction régalienne prioritaire. Le choix en matière de priorité et d'objectifs de santé publique doit revenir aux politiques, une fois discuté au sein des instances déjà citées. La FMF est convaincue que les professionnels ne peuvent être juges et parties, sauf à courir le risque d'un conflit d'intérêt évident. Ils peuvent cependant avoir un rôle d'expert dans la définition du coût réel de la pratique pour donner sa pleine efficacité au plan de financement de la sécurité sociale. Ce dernier doit sans doute être réaménage car on ne peut éternellement le fixer en se disant qu'on verrait bien plus tard. La gestion financière devra passer sous le contrôle de la représentation nationale.

Finalement, nous revendiquons une redéfinition des rôles de chacun et une implication forte des professionnels de santé dans tout ce qui concerne l'organisation des soins et tous les aspects opérationnels du système, les caisses n'intervenant pas du tout à cet égard à l'exclusion des procédures de contrôle.

Ces dernières observations me font penser que la situation est suffisamment grave pour que nous devions nous investir. Les professions de santé peuvent offrir des compétences, l'évaluation des pratiques, l'amélioration de la qualité des soins mais elles ne peuvent certainement pas intervenir dans le financement.

A notre sens, la responsabilisation des assurés passe par une sensibilisation sur leur comportement dans le système de soins. Il faut les éclairer sur les coûts. Le député Savy avait réussi à établir la « feuille de soins vérité ». Il faut que les assurés soient informés des coûts. La santé n'étant pas un bien de consommation, les assurés doivent devenir des acteurs responsables de leur santé. Cette sensibilisation peut consister en des campagnes d'information pédagogique indépendantes et consensuelles via différents médias et relayées par les soignants.

Il convient aussi de réaliser une sensibilisation financière collective. Notre centrale est favorable au maintien du ticket modérateur (aussi bien sur les actes que sur les médicaments) partiellement pris en charge par les mutuelles complémentaires. Il faut éviter que la mutuelle déresponsabilise totalement les patients. La FMF est attachée au paiement à l'acte et propose la création d'un secteur unique d'activités assorti d'honoraires librement modulables qui participera également à la responsabilisation de l'assuré.

Enfin, pour faciliter la coordination des soins et donc l'optimisation du circuit du patient dans le système de santé, nous proposons la constitution d'un réseau de soins organisé par les professionnels eux-mêmes autour du patient tout en nous opposant au système actuel de filière de soins. Les explications de Michel Chassang sont, me semble-t-il, suffisantes à cet égard. En revanche, au cours de l'acte de consultation, nous refusons un système de responsabilisation individuelle et normative imposée aux assurés par le soignant car cela entraînera certainement une crise de confiance entre médecins et patients.

M. Pierre COSTES - Je vous exhorte à sortir du modèle. Le modèle d'excès de l'offre hospitalière, publique, privée, pharmaceutique, des médecins généralistes, des spécialités... sans aucun mode d'emploi pour les usagers qui a caractérisé le système français a garanti l'accès et le développement des soins. Nous devons actuellement gérer une diminution de l'offre concernant les médecins et les infirmiers. Nous ne pouvons plus fonder la garantie d'accès ou de qualité sur l'excès de l'offre.

Il ne semble pas que l'État ait décidé de réinjecter des moyens pour retrouver un excès d'offres. Il faut donc optimiser les ressources. Nous disposons de marges de manoeuvre à cet égard car malgré l'évolution de la démographie médicale, l'offre de soins reste très importante en France par rapport à son niveau dans d'autres pays. Nous devons garantir un accès aux soins dans tous les cas de figure. Les modes d'emploi le permettraient.

En outre, il convient d'abandonner l'antienne consistant à dire que tous se rendent aux urgences par manque d'accès aux médecins libéraux. Treize millions de patients se rendent annuellement aux urgences. Onze millions de patients s'y rendent aux heures ouvrables lorsque toute l'offre est disponible. Il n'est donc pas vrai que les urgences pallient un manque.

En nocturne, la sécurité sociale rembourse une demi-majoration d'honoraires par 100.000 habitants. Faut-il garantir toute l'offre disponible pour un demi-acte ou faut-il optimiser nos ressources ? Nous devons progresser en abandonnant le modèle de la pléthore d'offres au profit du mode d'emploi. Je crois que les différents acteurs partagent cette piste. Sinon en effet, des moyens complémentaires seront nécessaires.

L'ensemble des professionnels de santé de ville se demandent comment ils seront représentés en matière de gouvernance. Le schéma de maîtrise de l'ordonnance Juppé faisait porter essentiellement sur les médecins la mise en oeuvre des modes d'emploi et ce, au détriment des prescrits. Cette approche n'a pas fonctionné. Nous en avons également subi les conséquences lors des élections. Nous savons d'ailleurs qu'il est impossible d'instaurer un système fondé uniquement sur les médecins au détriment des pharmaciens. Le générique et la politique de DCI ne peuvent se concevoir sans les pharmaciens. Le meilleur usage de la biologie nécessite l'implication des biologistes. Le meilleur usage du transport sanitaire nécessite la participation des ambulanciers. Le meilleur usage des soins infirmiers nécessite les infirmiers. Je n'ai pris que des binômes pour exemple. Imaginez les sujets transversaux impliquant trois ou quatre professions.

Nous savons que le niveau interprofessionnel sur les modes d'emploi médicalisés est un enjeu important. Le CNPS (Centre national des professions de santé) étudie cet enjeu. Puisqu'il n'est pas allé aux termes de l'accord-cadre interprofessionnel, le CNPS s'interroge sur les modes de reconfiguration vis-à-vis de l'Union des caisses ou des complémentaires. Il se réunira de nouveau à la mi-juin pour analyser le moyen de se rénover. Pour répondre à Alain Vasselle, outre les médecins, il convient de rassembler en une instance l'ensemble des professionnels de la médecine de ville afin qu'ils puissent coordonner leurs actions. Cela est en discussion.

Enfin, le dispositif de médecin référent est né en 1997 ou en 1998 dans un contexte d'offres médicales encore pléthoriques pour filtrer l'accès aux spécialistes. Sur un marché limité, il était normal que les acteurs rechignent à instaurer un ordre car ce dernier aurait restreint l'activité. Aujourd'hui, il est évident qu'il faut coordonner les soins autour d'un médecin librement choisi par le patient, que ce médecin soit qualifié de référent, traitant ou généraliste. Le médecin référent est un modèle qualitatif. Il est économique. Le plus grand réseau de médecins de France implique 8.000 médecins et 30.000 à 40.000 malades tous les mois. Le médecin référent coûte 1.500 euros mensuels de médicaments en moins non parce qu'il est meilleur mais parce qu'il participe à des groupes de pratique et modifie des comportements. Ce dispositif fonctionne et changera peut-être de nom.

Des soins coordonnés avec une circulation des informations et une médecine hiérarchisée dans les recours et garantie par la société nous paraissent une voie consensuelle. Les professionnels seront représentés pour une part en dehors du syndicat catégoriel dans des entités intercatégorielles fondées sur des instances rénovées. Nous nous posons les mêmes questions que vous en matière de participation à la gouvernance.

M. Michel CHASSANG - Le schéma de gouvernance du Gouvernement mérite d'être étudié car il est intéressant à maints égards. Cela ne constitue pas une surprise puisque ce schéma a été discuté en amont. En tout cas, il faut éviter de reproduire ce qui existe. Contrairement à ce que disent certains dirigeants de l'assurance maladie, le pilotage du système actuel tient une part de responsabilité dans notre situation. Le paritarisme prévu en 1945 est certes louable mais je doute qu'il ait donné tous ses effets. Je pense qu'il n'a probablement pas apporté satisfaction en particulier depuis les quinze dernières années et encore moins depuis le départ du MEDEF. Il faut s'interroger à cet égard.

Ensuite, je considère que c'est une erreur de ne pas avoir maintenu les représentants des usagers. Les syndicats de salariés revendiquent le droit et la légitimité de représenter l'ensemble des assurés mais ce n'est pas le cas. Tous ne sont pas salariés ou patrons. Certains sont tout simplement usagers du système de santé. Je pense que leur exclusion constitue d'autant plus une erreur que leurs apports dans les instances auxquelles ils ont participé (dont le Haut conseil) ont été intéressants.

En outre, il est fait allusion à une Union des caisses d'assurance maladie obligatoire. Cette dernière existe déjà de fait puisque nous négocions toujours avec les trois caisses d'assurance maladie. Pour être validé, un accord doit de surcroît être signé par au moins deux caisses dont la CNAM.

Par ailleurs, je suis favorable à l'élaboration de contrats avec les mutuelles complémentaires, à leur meilleure implication dans la gestion du système, à l'amélioration de la coordination entre régimes obligatoires et complémentaires. Cependant, la création d'une Union des complémentaires me semble difficile car leurs intérêts ne convergent pas réellement.

Enfin, concernant l'Union des professionnels de santé, il convient d'en connaître l'objectif et le contenu. S'agit-il de laisser de côté le niveau interprofessionnel ? Le projet est-il de créer un étage supra catégoriel réunissant l'ensemble des professionnels de santé et les accords individuels ? Nous sommes résolument hostiles à cette dernière option. L'ensemble des professionnels a certes un rôle à jouer mais les médecins ont un rôle majeur du fait à la fois de leur nombre et de leur caractère de principaux ordonnateurs des dépenses. Les médecins sont des piliers fondamentaux du système de santé. Il ne me semble pas judicieux de vouloir les noyer dans une structure.

Nous proposons en premier lieu le dossier médical opposable en subordonnant le remboursement de certains soins à l'utilisation du dossier. Faut-il un médecin référent ou pas ? Le médecin de famille me paraît bien. Je précise que le médecin référent fait partie d'un dispositif comprenant un abonnement annuel, un paiement par capitation minoritaire et, surtout, des engagements financiers du médecin. Je pense qu'il s'agit d'une mauvaise réponse à une vraie question dans la mesure où le patient reste libre de consulter un médecin comme bon lui semble sans en informer le médecin dit référent.

En second lieu, la responsabilisation des patients peut passer par les références médicales qui doivent être opposables non seulement aux médecins mais aussi aux patients. La mise en place de la maîtrise médicalisée entre 1993 et 1995 a été très mal vécue par les médecins car ces références médicales n'étaient opposables ni aux patients ni aux médecins hospitaliers, ce qui était le comble. Outre les trois échographies réglementaires remboursées au cours d'une grossesse normale, une patiente pouvait donc par exemple les multiplier dans les hôpitaux ou auprès d'interlocuteurs différents en ville tout en étant remboursée sans difficulté par les caisses. Les références doivent donc être opposables aux patients.

En troisième lieu, le périmètre de prise en charge doit être réévalué. Il convient de cesser de tout rembourser de manière incontrôlée. La voie a été ouverte avec les visites à domicile en 2003. Il convient d'aller plus loin dans cette direction concernant par exemple les échographies. Il n'y a en effet aucune raison de rembourser la cinquième ou la sixième échographie d'une grossesse normale en connaissant son inutilité. Il n'y a pas non plus lieu de rembourser le cinquième avis dans la mesure où cela procède d'une démarche personnelle du patient. Il ne revient pas à la collectivité de le prendre en charge.

Je ne dispose pas de suffisamment de temps pour parler de démographie médicale. Je signale simplement aux adeptes d'un Gosplan que les interdictions et les obligations de s'installer paraissent extrêmement séduisantes théoriquement mais le SROS instauré pour les équipements lourds n'est par exemple pas adapté. Par rapport à ce qui existe dans d'autres pays, l'équipement technologique français est plutôt insuffisant. Rien n'a été fait dans ce domaine. Développer les mesures incitatives serait déjà un progrès et ce, d'autant plus que le Gouvernement précédent avait déjà mis en place des pistes positives comme les collaborateurs ou les cabinets secondaires. Cela n'a pas été suffisamment souligné, des pistes positives ont été lancées.

M. Jean-Gabriel BRUN - Concernant le schéma de gouvernance, nous avons bien compris qu'il y avait un intérêt pour les professionnels de santé à harmoniser nos positions et nos revendications. C'est la raison pour laquelle, depuis plusieurs mois, l'organisation que je représente cosigne avec celle du Dr Chassang des communiqués consensuels. Le Dr Cabrera a quitté la table ronde mais il suffirait qu'il nous rejoigne pour constituer la revendication unique d'un secteur qui a violemment manifesté mardi comme vous l'avez constaté dans la presse.

Par ailleurs, la création d'un Institut national des données de santé me paraît être une excellente initiative qui s'inscrit dans la gouvernance. Les problèmes sont en effet partiellement nés parce que le système est figé. La CNAM n'a jamais été capable de prendre une décision positive par incapacité à anticiper la dépense à réaliser. La CNAM a très prudemment commencé à réformer en matière de médecins référents. Le système a été figé pour les autres domaines par incapacité statistique et technique à chiffrer les surcoûts. Les décisions ne sont prises qu'en extrême urgence et lorsqu'elles sont imposées par les revendications des professionnels. La CNAM est loin de maîtriser la gestion prospective des dépenses et la répartition du financement.

M. Nicolas ABOUT, président - Messieurs les présidents, chers collègues, je vous remercie de vous être prêtés à cet exercice dont nous essayerons de tirer le meilleur profit.

Audition de Mme Danièle KARNIEWICZ,
secrétaire nationale du pôle protection sociale
de la Confédération française de l'encadrement-Confédération
générale des cadres (CFE-CGC)
(mercredi 5 mai 2004)

M. Nicolas ABOUT, président - Je suis heureux d'accueillir une nouvelle fois en votre nom Danièle Karniewicz, qui inaugure la série d'auditions de ce jour. Madame, voulez-vous s'il vous plaît nous faire part de vos observations, sur les pistes et les éléments du débat connus à ce jour ? Le rapporteur et le commissaire vous interrogeront ensuite.

Mme Danièle KARNIEWICZ - Nous avons partagé le diagnostic du Haut conseil sur l'assurance maladie. Ce dernier, pour une fois, ne mettait pas uniquement l'accent sur le problème comptable de l'assurance maladie, mais aussi sur l'ensemble du problème de l'organisation du système de santé. Il faut agir sur cette organisation, pour rendre le système mieux coordonné et plus efficace. De plus, il faut agir sur tous les paramètres, c'est-à-dire à la fois réduire les dépenses et augmenter les recettes.

Dans l'organisation du système, une part importante du déficit est aujourd'hui causée par l'absence de coordination suffisante entre tous les acteurs, notamment entre l'hôpital et la médecine libérale. Le dossier médical partagé est l'une des mesures phares de la réforme envisagée. Notre position est que cette mesure présente beaucoup d'avantages pour aider le patient dans son parcours de santé, qui se trouve ainsi mieux coordonné, plus efficace.

Un bémol est toutefois à apporter : le dossier médical partagé utilise des données statistiques fondamentales (nombre d'actes, de radios, de visites chez les médecins) dont il est indispensable de garder une trace, pour le suivi de la gestion de l'assurance maladie. Nous sommes d'accord pour que ces données soient utilisées. En revanche, le dossier comporte aussi une part beaucoup plus personnelle, le commentaire du médecin sur l'état général du patient, qui ne doit pas, selon nous, être accessible en dehors du champ médical.

En d'autres termes, nous acceptons que le spécialiste ou le généraliste remplisse le dossier sans l'avis du patient, mais il faut avoir l'assurance absolue que cela reste du domaine de la vie privée du patient, et que les informations ne peuvent pas être consultées par quelqu'un d'autre qu'un médecin ou un professionnel de santé.

Or, aujourd'hui, nous n'avons pas cette assurance : les dossiers médicaux, s'ils sont mis sous forme électronique, seront peut-être aussi accessibles par des personnels administratifs, par la CRAM ou les mutuelles complémentaires, voire par l'employeur de la personne, ce qui pose un problème de fond, celui de la sélection du risque. Il faudra des garanties à ce sujet, et faire preuve d'une vigilance absolue.

Concernant la qualité des soins, nous sommes favorables à la formation continue des professionnels de santé. Nous souhaitons que des mesures incitatives leur soient proposées pour cela. De même, nous voulons une information mieux ciblée sur les médicaments. La France a des progrès à faire, par rapport aux pratiques que l'on constate dans d'autres pays. Il est important d'avoir une information claire sur les médicaments.

Concernant l'offre de soins, qu'il s'agit de mieux coordonner, nous sommes favorables aux médecins coordonnateurs. Ce rôle peut être dévolu au médecin de famille, qui peut guider le patient dans tout le système de soins. Le médecin de famille n'est pas forcément le généraliste. Ce peut être le pédiatre, le gynécologue... Il faut qu'un médecin coordonnateur pilote la démarche du patient. C'est fondamental pour arriver à mieux coordonner les opérations.

De plus, nous soutenons des mesures incitatives pour l'installation du médecin (problème de l'offre de soins sur le territoire), dans les secteurs où certaines spécialités sont en sous-effectifs. Une mesure incitative doit intervenir pour l'installation des jeunes médecins dans ces régions. De plus, la création de maisons de santé favorise l'accès aux médecins, et assure la continuité des soins sur le territoire. En province, trouver un généraliste le week-end au dernier moment relève de la gageure. Il nous paraît fondamental que le patient bénéficie d'une continuité des soins. Dans certains secteurs géographiques du pays, il faudra adapter cette approche, du fait du petit nombre de médecins installés. Nous sommes aussi favorables à la normalisation des pratiques professionnelles. Cela suppose des contrôles, des évaluations, et éventuellement des sanctions, quand les engagements ne sont pas respectés.

Par ailleurs, l'éducation du patient nous semble un aspect fondamental, qui est souvent sous-estimé. Il ne s'agit pas de chercher à culpabiliser le patient, mais bien de l'éduquer. Il est important d'expliquer aux assurés, à commencer par les enfants, ce qu'est un comportement à risque, et à l'inverse, quel est le bon comportement pour la santé. Cela semble préférable à une culpabilisation du patient. Nous avons trop mis l'accent sur la culpabilisation, y compris au niveau du Haut conseil. Nous voulons une responsabilisation qui concerne tous les acteurs. Elle requiert des explications, mais aussi de connaître le coût des médicaments.

Aujourd'hui, il est anormal de sortir d'une pharmacie sans savoir combien coûtent les médicaments que l'on a achetés. En revanche, nous ne pensons pas qu'il soit nécessaire de payer pour être responsabilisé. En réalité, les soins ne sont pas gratuits actuellement. L'ensemble des cotisations de protection sociale est même relativement lourd. On ne peut pas prendre le prétexte d'un sentiment de gratuité pour demander une responsabilisation par une augmentation du prix pour le patient. Il nous semble préférable de suivre une démarche d'organisation et d'aide au parcours du patient dans le système, que de lui expliquer qu'il doit payer une partie du prix, pour se sentir responsabilisé.

Une grande partie des « dérapages » est liée au manque d'organisation du système, et non à une volonté délibérée d'abus de la part des patients, bien qu'il soit certain que quelques-uns sont dans ce cas. Il ne faut pas stigmatiser ces comportements. En revanche, nous sommes tout à fait favorables aux contrôles et aux sanctions. Quand on fait appel à la population pour qu'elle se responsabilise par rapport à son assurance maladie, on ne peut pas accepter les dérapages, car il faut défendre le système de solidarité.

Concernant les recettes, deux constats s'imposent : le vieillissement de la population, et l'aspiration à être bien soigné, qui s'exprime avec force, en raison des progrès que permet la technologie en matière de soins. Les dépenses d'assurance maladie, selon nous, n'ont pas vocation à baisser. En revanche, les recettes devraient changer. Elles sont aujourd'hui, en grande majorité, assises sur les salaires. Cela nous semble insuffisant pour l'avenir, au regard des exigences des Français.

Nous préconisons, depuis une dizaine d'années, un élargissement de l'assiette des recettes. Il faut créer une cotisation sociale sur la consommation. Nous imaginons aussi de basculer une partie des charges dites « patronales », qui entrent en fait dans le prix de revient, sur une ligne de cotisation sociale, ce qui permettrait d'alléger le prix de revient, et donc de favoriser l'exportation des produits, et surtout de taxer, au titre de la protection sociale, à leur retour en France, les produits fabriqués dans des zones où la main-d'oeuvre est moins chère. Il nous semble fondamental d'élargir l'assiette de cotisation. Nous ne voulons pas que cette taxe supplémentaire soit la TVA, car il s'agit d'une cotisation qui est affectée de façon précise à l'assurance maladie. Cette proposition nous tient à coeur. Il faut du temps pour la mettre en oeuvre. Un changement de la base des recettes ne peut se faire en quelques jours. Il ne peut aboutir avant le 20 mai.

En attendant, nous soutenons une augmentation de la CSG. L'augmentation des recettes est aujourd'hui indispensable à la pérennité du système. Dans la configuration actuelle, la CSG est proportionnelle aux revenus. Notre confédération refuse toute idée de contribution dont les taux augmentent en fonction des tranches de revenu. Nous sommes favorables à la redistribution en France. En tant que représentants des cadres et des agents de maîtrise, nous sommes légitimement favorables à la solidarité, car nous sommes fournisseurs de solidarité. Cependant, il y a une limite. Si l'assurance maladie coûte plus cher et rembourse moins, à un moment donné, la solidarité ne veut plus rien dire. Ce n'est pas seulement de la provocation : si l'on dépasse les bornes, une partie de la population (classe moyenne) aura intérêt à faire appel directement à l'assurance privée. Ce n'est pas ce que nous souhaitons. En effet, cela signifierait la fin du système de solidarité collective pour tout le monde. Nous sommes très attachés à la sécurité sociale, à ses valeurs d'universalité et d'égal accès aux soins pour tous. Pour les défendre, il faut que toute la population s'y retrouve. À ce titre, nous sommes complètement opposés à ce que le « reste à charge » soit aussi fonction des revenus de l'assuré. Ce serait difficile à mettre en route et une partie de la population n'est pas favorable à une telle redistribution. Il faut trouver le bon équilibre pour défendre le système ensemble et éviter la progression de l'assurance privée.

Ceci permet de faire la transition avec le lien entre le régime obligatoire et les régimes complémentaires.

On dit aujourd'hui qu'il n'y a ni étatisation, ni privatisation dans les objectifs de réforme de l'assurance maladie. Nous partageons cette position. Néanmoins, j'estime qu'il y a un risque sévère au fil des années : dérembourser la partie obligatoire et transférer les dépenses sur les complémentaires. Sans le dire, petit à petit, cela changerait complètement le système. En effet, les complémentaires augmentent ensuite leurs taux. Ceci aboutit à un système où les options de protection sont des options privées. Les assurés devront choisir dans leur complémentaire, par exemple, s'ils privilégient les soins pour les dents. Le système se composera de tarifs différents et d'options différentes, qui deviennent privées au fur et à mesure. Aujourd'hui, il est faux de dire qu'un partenariat entre régime obligatoire et mutuelles empêcherait de faire entrer l'assurance privée dans le système. Il suffit de constater l'ensemble des dépenses des mutuelles et des complémentaires. Un jour ou l'autre, l'assurance privée fera son entrée dans le système. Il s'agit alors d'un autre système. Ce n'est plus le système de sécurité sociale et ses valeurs fondatrices.

Concernant l'accès à des contrats de régimes complémentaires, nous estimons qu'il faut favoriser l'accès aux régimes complémentaires pour tous les Français à titre individuel. Aujourd'hui, des personnes ne sont pas assez couvertes par les complémentaires. Nous sommes d'accord pour une mesure leur permettant d'y accéder. En revanche, le financement de cette mesure ne saurait impliquer que l'on dégage une enveloppe sur les contrats collectifs, c'est-à-dire de supprimer la défiscalisation des contrats collectifs pour financer les contrats individuels. Aujourd'hui, le contrat collectif d'entreprise offre la meilleure protection aux salariés. Il est le contrat négocié au moindre coût, et qui assure la meilleure couverture. Il faut donc défendre ce contrat collectif, en permettant au plus grand nombre de salariés d'y accéder. Si, à la marge, il est nécessaire de développer des contrats individuels, nous n'y sommes pas opposés, tant que ce n'est pas au détriment des contrats collectifs. Nous savons tous que la négociation collective, conduite par les partenaires sociaux, est la meilleure garantie pour les salariés aujourd'hui, même s'il est vrai que cela ne fournit pas le meilleur rendement pour les complémentaires. Ce n'est pas notre objectif. Notre objectif est de défendre un meilleur accès aux soins pour les salariés.

Pour conclure, j'évoquerai la notion de gouvernance, souvent évoquée dans le débat sur l'assurance maladie. Cela ne nous paraît pas être le fond du problème. Comme nous l'avons indiqué dans le rapport du Haut conseil, il nous semble essentiel de clarifier les responsabilités dans la gestion du système. Aujourd'hui, la confusion est absolue. Le rôle de l'État et du gestionnaire de l'assurance maladie est pris dans un enchevêtrement de responsabilités complètement illisible, si bien qu'il n'y a pas de pilotage sérieux, ni de bonne gestion.

Il faut clarifier le rôle de l'État : son rôle est de définir la politique de santé publique. De même, il faut préciser ce que l'on demande aux partenaires sociaux dans l'assurance maladie (fixation d'un budget annuel via des responsabilités bien libellées). Ensuite, une fois que la délégation est effective, l'État arrête d'intervenir pour changer les paramètres en cours d'année de façon incompréhensible. Si l'on obtient cela, le pilotage de l'assurance maladie sera déjà amélioré. Faire entrer de nouveaux acteurs n'est pas une méthode qui permet d'améliorer la gestion. Cela peut, au contraire, accroître la confusion des rôles et aggraver le manque de lisibilité.

Nous voulons renforcer la légitimité des partenaires sociaux à gérer l'assurance maladie. En effet, aujourd'hui le système des recettes est assis sur les salaires. Cela ne signifie pas qu'il doit en être ainsi éternellement. Quand nous serons capables d'élargir l'assiette des recettes, par une cotisation sociale à la consommation, il nous faudra nous interroger sur la présence d'autres acteurs que les salariés dans la gestion de l'assurance maladie. Nous n'en sommes pas capables aujourd'hui.

M. Nicolas ABOUT, président - Le rapporteur souhaite-t-il demander des précisions ? Pour ma part, je souhaite revenir sur un point. Madame Karniewicz, vous dites que l'État doit arrêter de se mêler du système. Cela signifie-t-il que vous allez aussi vous charger d'équilibrer vos comptes ? Il vous faut vous doter des moyens qui permettent de respecter le contrat que vous avez signé avec l'État.

M. Alain VASSELLE, rapporteur - Je voulais vous interpeller sur trois questions, mais vous y avez répondu par avance. Concernant la gouvernance, vous venez de répondre à ma question. Sur la responsabilisation des acteurs, vous avez expliqué quelle est votre philosophie pour le patient et pour le professionnel de santé. Vous avez présenté des éléments de réponse. Enfin, en ce qui concerne les recettes, vous avez également fait part de vos vues.

Avez-vous le sentiment que votre approche est aussi partagée que celle du diagnostic du Haut conseil ? A mon sens, au niveau des partenaires sociaux, une ligne de consensus pourrait se dessiner sur vos propositions. Dans le cas contraire, le consensus existe-t-il au moins pour une partie d'entre elles ? Les conditions sont-elles réunies pour cela ? Nous ne réussirons la « réforme » que si nous pouvons dégager un consensus entre partenaires sociaux et partenaires politiques, au moins sur les lignes directrices de la réforme, de façon incontestable. Même s'il n'y a pas d'adhésion spontanée, il faut éviter de rencontrer une opposition formelle. Cela relève plus de la forme, de la méthode et de la procédure que du fond. Sur le fond, vos propositions sont tout à fait constructives pour ouvrir le débat, et doivent permettre d'avancer de façon constructive sur la voie de la réforme.

Mme Danièle KARNIEWICZ - Concernant l'organisation du système, et l'amélioration de la coordination, tous les partenaires sociaux vont aujourd'hui pratiquement dans le même sens. Ils sont favorables au dossier médical partagé, sous la réserve de l'accès aux données personnelles. Le panier de soins est un sujet un peu plus délicat. Chacun dit : « Il faut définir le périmètre remboursable au niveau des médicaments et des soins. » Or le périmètre n'est pas le même pour tout le monde. Il reste beaucoup à faire pour fédérer les partenaires à ce sujet.

Notre définition du panier de soins est quelque peu différente de celle des autres. En effet, nous pensons qu'il faut définir ce qui n'entre pas dans le panier de soins (ce qui est remboursable par la sécurité sociale), plutôt que l'inverse.

M. Nicolas ABOUT, président - Ce serait plus rapide.

Mme Danièle KARNIEWICZ - Oui. Ce serait aussi plus clair. Si le niveau de qualité des soins n'est pas suffisant pour entrer dans le panier, ce n'est même pas la peine de se demander si l'on rembourse à 60 % ou à 70 %... Si ce n'est pas efficace, il n'y a pas de raison que ce soit remboursé, ni par l'obligatoire, ni par le complémentaire. Il nous semble donc préférable de définir ce qui n'entre pas dans l'obligatoire.

Concernant les recettes, il y a aussi des différences. Je défends la position des classes moyennes, qui estiment qu'il faut arrêter de faire payer uniquement ceux qui gagnent un peu plus dans le pays, car ils n'auront bientôt plus intérêt à gagner un peu plus s'ils doivent tout donner à la collectivité. De nombreuses divergences de vues existent sur le sujet. Néanmoins, le fait de reconnaître que l'assiette des salaires ne sera plus suffisante à terme commence à fédérer davantage de partenaires. Là encore, il y a des différences de modalités ; certains sont favorables à un recours à la TVA. Il est urgent que le Gouvernement mène une étude sur l'élargissement de l'assiette, notamment en ce qui concerne l'impact macro-économique des différentes propositions.

Par ailleurs, concernant la gouvernance, il y a deux clans. Pour les uns, il faut intégrer au système de gestion de l'assurance maladie les complémentaires et la mutualité, y compris les professionnels de santé et les assurés. Cela correspond à un « paritarisme rénové ». D'autres, comme moi, veulent renforcer la légitimité des partenaires sociaux, qui sont aujourd'hui les plus à même de sauvegarder les éléments fondateurs du système. Si l'on fait entrer d'autres acteurs, il est à craindre que l'on dévie vers le corporatisme. L'idée d'une représentation des assurés peut sembler séduisante. Cependant, comment savoir lesquelles (quelles associations ? quelles valeurs ?) ? Il y a un vrai débat autour de ce sujet.

De même, nous ne sommes pas en phase avec la mutualité, qui veut gérer à hauteur équivalente le remboursement obligatoire et le complémentaire. Selon nous, il ne faut pas que quelqu'un puisse accéder à un remboursement au premier euro sur une complémentaire. Nous défendons les valeurs de la sécurité sociale : le socle est commun pour tous, la complémentaire n'intervient qu'en second lieu. La complémentaire ne doit pas gérer le système à hauteur de l'obligatoire. Certaines organisations syndicales, autour de la mutualité, pensent que ce sera plus facile de trouver une majorité de gestion en cas d'entrée d'autres acteurs. Or nous ne sommes pas là pour régler les problèmes d'équilibre de rapports de forces et de légitimité, mais pour régler le problème de la sauvegarde de notre système d'assurance maladie, ce qui est un sujet beaucoup plus important.

M. Alain VASSELLE, rapporteur - Une fois le périmètre défini, entre les dépenses de l'État et celles de la sécurité sociale, les partenaires sociaux sont-ils prêts à assumer leurs responsabilités, comme le prévoyaient déjà les ordonnances de 1967 (qui n'ont jamais été appliquées) ? Les gouvernements quels qu'ils soient, se sont toujours mêlés de ce dont ils n'auraient pas du se mêler. Les partenaires sociaux n'avaient pas la volonté d'assurer l'équilibre et de faire des propositions en ce sens. Ils étaient contents de pouvoir se reposer sur l'État pour ne pas avoir à assumer la responsabilité de l'équilibre des comptes.

En étant provocateur, est-il réaliste de vouloir créer des cloisons étanches entre les dépenses qui seraient à la charge de l'État et celles à la charge exclusive de la sécurité sociale. Je n'ai pas le sentiment qu'une telle volonté existe réellement chez les membres du Gouvernement et les parlementaires, de même que chez les partenaires sociaux. Ayant un esprit cartésien, je suis à titre personnel plutôt favorable à cette solution. Il faut que nous ne retombions pas dans la situation que nous avons vécue les années antérieures. Encore faut-il qu'une volonté commune existe d'avancer dans ce sens.

Mme Danièle KARNIEWICZ - Pour sa part, la CFE-CGC est tout à fait désireuse de gérer et d'assumer ses responsabilités. Quand les partenaires sociaux gèrent seuls les systèmes, ils assument toujours leurs responsabilités (par exemple, pour les systèmes de retraite complémentaire AGIRC-ARRCO), avec des mesures qui n'ont jamais été faciles à prendre par rapport à l'ensemble des Français. Les mesures qui ont été prises dans les régimes de retraite complémentaire étaient difficiles à prendre, mais elles ont bien été prises. Quand la responsabilité est clairement définie, les partenaires sociaux sont capables de gérer le système. Le soutien de l'État leur est nécessaire. Si chacun respecte son camp, j'estime que les partenaires sociaux sont capables de gérer. C'est la position de la CFE-CGC.

M. André LARDEUX - Il y aurait beaucoup de questions à poser. Il me semble que l'exposé de Mme Karniewicz vise à faire porter davantage l'effort sur l'offre que sur la demande. Il a notamment été dit qu'il faut « que les gens aient une idée de ce que cela coûte » . Madame Karniewicz, dans votre esprit, cela signifie-t-il la suppression du tiers payant dans un certain nombre de cas ? Par ailleurs, vous avez évoqué l'élargissement des recettes. En attendant, vous vous êtes déclarée favorable à une augmentation de la CSG. Seriez-vous favorable à un alignement, une uniformisation de la CSG, qui actuellement ne pèse pas de la même façon sur tous les revenus ?

M. Guy FISCHER - S'agissant de la définition du panier de soins, les partenaires (notamment l'assurance maladie) souhaitent vivement que le périmètre des soins remboursables puisse être élaboré, et que les parlementaires donnent des outils à l'assurance maladie pour cela. Dans les trois objectifs principaux qui ont été cités, cela correspond à celui de baisse des dépenses, par la détermination de nouveaux périmètres. La responsabilisation que seraient prêts à assumer les partenaires sociaux signifie-t-elle que le PNFSS a toujours sa légitimité ?

M. Gilbert BARBIER - Madame Karniewicz, pensez-vous que la responsabilisation, qui serait, selon vous, morale, puisse être efficace, par rapport à une responsabilisation financière, qui est la seule à pouvoir toucher les utilisateurs ?

Par ailleurs, concernant l'effort de restructuration de la demande, notamment pour les partenaires sociaux, quelle estimation faites-vous de la part de l'hôpital et de celle de la médecine ambulatoire ? Pensez-vous qu'il faut répartir l'effort ? Les gestionnaires peuvent-ils intervenir dans le secteur de l'hospitalisation, qui est difficile à gérer ?

Mme Gisèle PRINTZ - L'éducation et la responsabilisation du patient sont certes à envisager, mais il faut aussi éduquer les médecins. La prescription de médicaments génériques doit être privilégiée. On ne parle jamais du lobby des laboratoires dans le monde médical.

Mme Danièle KARNIEWICZ - Plusieurs questions concernent la responsabilité du patient (M. Lardeux a parlé d'« agir sur l'offre », d'autres ont demandé comment l'on agit sur les dépenses, et quels sont les outils par rapport au patient, d'autres enfin ont évoqué le « tiers payant »...). Je n'ai pas dit qu'il faut uniquement jouer sur l'offre. Au contraire, il faut jouer sur tous les paramètres du système.

Cependant, il est clair que l'on ne peut pas jouer sur la demande uniquement en laissant un montant financier à la charge de l'assuré. Il faut fournir une meilleure éducation, en expliquant au patient ce que coûte le système, quelles sont les valeurs du système et comment il a intérêt à les défendre. Accéder à cette information pour le patient, c'est savoir, au fur et à mesure de son parcours santé, combien cela coûte. Chacun a, dans son entourage, quelqu'un qui a subi une opération. En apprenant le coût de leur opération, les patients sont généralement surpris. Il faut que la personne se rende compte du coût qu'elle génère, quand elle va à la pharmacie, qu'elle bénéficie de soins spécifiques (scanners, radios). Il s'agit d'une démarche pédagogique fondamentale.

En revanche, je suis favorable à une action sur la demande pour ce qui concerne les abus. Des contrôles et des sanctions doivent être appliqués. Il est inacceptable que des gens s'inscrivent en absence de longue durée parce qu'ils n'ont pas pu partir en préretraite. C'est un outrage pour l'ensemble du système de sécurité sociale. L'assurance maladie a besoin de solidarité. De telles pratiques sont totalement anormales. Il faut prendre des mesures contre de tels agissements. De même, des abus sont parfois repérés sur les cartes vitales. Il y a dix millions de cartes vitales en surnombre. Cela ne correspond en rien au nombre réel des abus, et ce n'est pas une piste pour obtenir sept milliards d'euros d'économies sur l'assurance maladie. Cependant, il est inadmissible que des gens, à partir d'une carte vitale, abusent du système pour que d'autres y accèdent.

Pour agir sur cette demande, j'estime que les structures existent, notamment un syndicat des médecins conseils de l'assurance maladie, qui représente la majorité des salariés et médecins conseils de l'assurance maladie. Comme on le sait, il y a beaucoup de choses à faire dans le domaine des contrôles de l'assurance maladie, qui ne sont pas faites, en raison d'un déficit de volonté politique. Or nous disposons des outils nécessaires pour mettre en oeuvre des cadrages de dépenses.

Concernant le périmètre des soins remboursables, la question de M. Fischer suggère que l'on donne des outils à l'assurance maladie. Je pense qu'il faut effectivement définir une politique de santé publique, définir les grandes valeurs de cette politique. Ensuite, l'assurance maladie gère cela. Plusieurs critères sont à prendre en compte, le plus important étant l'efficacité des soins ou des médicaments. En France, les scientifiques savent déterminer si un traitement est efficace ou pas. La collectivité a un rôle à jouer, par ailleurs, sur le critère d'efficience. Il ne s'agit plus de mesurer l'efficacité d'un soin pour un individu, mais de savoir s'il est « rentable » pour la société. En la matière, le dépistage du cancer du sein est un exemple classique. A cinquante ans, il est remboursé, mais pas à quarante, car la population concernée est moindre dans ce second cas.

Les critères d'efficience sont dangereux à manipuler. La sélection du risque est l'idée sous-jacente. Il y a de quoi être interpellé, en tant que syndicat et en tant que citoyen. Néanmoins, le rôle de la collectivité est aussi de définir les bases sur lesquelles se concilient l'efficacité individuelle et l'efficience collective. Les partenaires sociaux sont prêts à le faire. Il est toutefois aussi de la responsabilité de l'État de participer au débat sur ces valeurs. Par ailleurs, le PLFSS est bien sûr un cadrage budgétaire indispensable. Il serait souhaitable qu'il devienne pluriannuel.

Concernant l'hôpital et la médecine ambulatoire, il y a quelques mois, avec le précédent ministre de la santé, les partenaires sociaux et le Haut conseil avaient demandé que l'hôpital fasse partie de la réforme de l'assurance maladie. Or ce n'était pas du tout envisagé, il n'y avait aucune volonté politique de le faire. Nous avions souligné que l'hôpital représente la moitié des dépenses de l'assurance maladie, ce qui constitue un enjeu fondamental, qui doit faire partie de la réforme. De plus, il est également fondamental qu'existe au sein de l'hôpital une démarche de gestion des dépenses. C'est le cas dans certains hôpitaux, mais pas partout. La problématique de l'hôpital a de quoi laisser songeur... Le MEDEF a d'ailleurs remarqué récemment que, si une entreprise était gérée comme l'hôpital, elle coulerait immédiatement. Il nous faut adopter des critères de gestion. Cela fait partie intégrante de la réforme.

Enfin, Mme Printz a évoqué l'éducation du patient et du médecin. Je suis entièrement d'accord avec le besoin d'une démarche d'éducation sur l'assurance maladie avec les professionnels de santé. Notre organisation considère que, pendant trop longtemps, on a voulu réformer l'assurance maladie contre les professionnels, en leur imposant des quotas, des normes qu'ils ne partageaient pas. Nous ne pouvons pas réformer le système contre les professionnels, mais seulement avec eux. Il sera aussi possible de faire évoluer l'assurance maladie en travaillant avec les patients. Placer une photo d'identité sur la carte vitale est une mesure ponctuelle qui me semble assez dangereuse.

M. Nicolas ABOUT, président - Madame la secrétaire nationale, je vous remercie d'avoir répondu très directement et précisément aux questions des commissaires. Nous vous ferons parvenir les autres questions du rapporteur si nécessaire.

Audition de MM. Claude MAFFIOLI, président,
et Olivier AYNAUD, secrétaire général,
de l'Union nationale des professions libérales (UNAPL)
(mercredi 5 mai 2004)

M. Nicolas ABOUT, président - Nous accueillons maintenant Claude Maffioli et Olivier Aynaud, de l'UNAPL. Monsieur le président, quelle est votre réaction sur la réforme ?

M. Claude MAFFIOLI - Monsieur le président, je vous remercie de permettre à l'UNAPL de s'exprimer sur le problème de la réforme de l'assurance maladie et du système de santé. Quelques points préliminaires sont à rappeler.

Tout d'abord, la réforme de l'assurance maladie est effectivement nécessaire. Le rapport du Haut conseil est clair à ce sujet. Il ne faut pas oublier pour autant que, conceptuellement, le système français est bon. En France, les patients sont bien soignés. L'accès aux soins est tout à fait correct. La réforme est nécessaire, mais il faut savoir ce que l'on veut faire exactement et comment. Nous ne sommes pas favorables à une réforme qui serait une véritable révolution remettant en cause les valeurs fondamentales. Nous considérons que la réforme ne doit pas avoir pour but de faire des économies, mais que notre système s'adapte aux défis à venir (technologie, nouveaux risques), en préservant ses valeurs fondamentales : la solidarité, la liberté de choix du patient et l'indépendance des praticiens, la qualité du service rendu, et la responsabilité (individuelle et collective) des acteurs. La réforme, si elle est mise en place, doit à la fois préserver ces valeurs fondamentales et s'adapter au XXI e siècle. Elle ne peut pas suivre seulement une logique économique.

Concernant le rapport du Haut conseil, on admet, enfin, que les dépenses de santé augmentent chaque année et que leur augmentation est pratiquement inéluctable. De plus, pour envisager la réforme, il faut agir sur plusieurs leviers. Il n'y a pas « la » solution unique. Enfin, la réforme repose selon nous sur deux piliers. Tout d'abord, il faut rendre le système le plus performant possible, par la responsabilisation de tous les acteurs (en mettant en place les outils que nous connaissons déjà). Depuis quinze ans, nous discutons de la réforme et nous avons fait le tour de tous les outils. Malheureusement, peu d'entre eux ont été mis en place. La responsabilisation doit porter sur tous les acteurs, et pas seulement sur les professionnels de santé. Les usagers, les patients et les gestionnaires sont aussi concernés. Il nous faut un système de santé totalement performant et totalement responsable.

Mais ce ne sera pas suffisant. Même si nous mettons en place tous les outils permettant de disposer d'un système totalement performant, le différentiel entre les dépenses de santé et les possibilités de prise en charge continuera à s'aggraver. Par conséquent, il faut définir le périmètre de prise en charge dans le cadre de la solidarité. Aujourd'hui, il n'y a rien d'explicite à ce sujet. Il faut désormais que ce soit explicité, en définissant les critères de choix, et en définissant qui fait quoi. La discussion sur la gouvernance est un autre outil qui en découle. Le but de la réflexion n'est pas de mettre en place une nouvelle gouvernance. Il est nécessaire de savoir quel type de gouvernance il faut mettre en place, et pour quelle politique. C'est un outil supplémentaire de notre tableau.

M. Nicolas ABOUT, président - Les travaux du Haut conseil pour l'assurance maladie ont permis d'établir une évaluation consensuelle du fonctionnement de notre système. Ils se sont organisés autour de trois éléments :

- les grands équilibres ;

- l'amélioration du système de soins ;

- la gouvernance.

Cette phase de réflexion et de concertation, et les travaux qui ont suivi, ont-ils permis de dégager des pistes de consensus sur les questions de gouvernance, sur les relations entre les acteurs (gestionnaires, professionnels de santé, usagers) ? Faut-il envisager une nouvelle délégation de gestion de l'assurance maladie, et créer de nouvelles structures ? Quel rôle l'État doit-il assumer ?

M. Claude MAFFIOLI - Concernant la gouvernance et la mise en place des rôles des uns et des autres, l'État a un rôle premier dans la définition des priorités de santé publique et de la politique de santé. Il lui appartient de définir les grands axes (sur un plan pluriannuel et non une vision à court terme). Ceci pose le problème de la gestion financière annuelle qui n'est pas facile.

L'étape suivante est le Parlement. Celui-ci doit approcher d'un peu plus près la définition des priorités, en définissant le périmètre de prise en charge, et le budget qui est consacré à ce qui entre dans le cadre de la solidarité. Pour aider le Parlement à se positionner, la définition d'une Haute autorité scientifique (le nom reste à trouver) indépendante me semble importante. Pendant quelques années, avec la Conférence nationale de la santé, nous avions essayé de proposer au Parlement une réflexion suffisamment avancée pour que ce dernier puisse faire des choix explicites, et voter un budget qui corresponde vraiment à quelque chose. Or cela n'a pas été possible, pour diverses raisons. Une structure indépendante est absolument nécessaire. De plus, cela permet de répondre à la question posée précédemment : qu'est-ce qui entre dans le cadre de la solidarité, et qu'est-ce qui reste hors de ce cadre ?

Au niveau inférieur, il me paraît important qu'une nouvelle structure soit installée, et qui entre dans le concret. Si, par exemple, le Parlement vote que la prise en charge des cures thermales est exclue du budget, il faut définir comment cela s'applique concrètement (les différentes prestations, les différents actes, etc...) A ce titre, une structure est nécessaire. Il nous semble judicieux qu'elle soit tripartite ou quadripartite (caisses d'assurance maladie, régimes complémentaires, professionnels de santé, usagers). Cette structure prendra des décisions concrètes. Nous ne voulons pas voir sortir des pans entiers de la prise en charge (dentaire, par exemple).

En ce qui concerne les caisses d'assurance maladie, les conseils de gestion ne sont, selon nous, plus d'actualité par rapport au paritarisme strict. Au départ, les caisses d'assurance maladie s'occupaient uniquement des problèmes du monde du travail (accidents du travail, indemnités journalières). Aujourd'hui, leur champ d'intervention est beaucoup plus vaste, et le paritarisme strict est inadapté. Les conseils de gestion doivent être élargis. Un terme me semble important à souligner : composition société civile. Je n'y suis pas hostile. Je ne positionne pas les professionnels de santé à l'intérieur des conseils de gestion de la caisse d'assurance maladie, mais en revanche, conformément à une demande exprimée fréquemment, les professions libérales, en cas de présence d'employeurs à l'intérieur des conseils de gestion, doivent y siéger en tant qu'employeurs, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Je rappelle que, si l'artisanat est certes la première entreprise de France, les professions libérales représentent un quart des entreprises du pays. Il y a 1,5 million d'employés, ce qui n'est pas négligeable.

M. Nicolas ABOUT, président - Le rapporteur souhaite poser deux questions. L'une concerne la responsabilisation, l'autre les recettes.

M. Alain VASSELLE, rapporteur - Pouvez-vous dire quelques mots en ce qui concerne la responsabilisation des acteurs, la question de l'ambulatoire et de l'hôpital, et nous expliquer plus longuement vos vues sur les aspects relatifs au financement et aux recettes, et les conséquences qu'il y a lieu d'en tirer au niveau de la gouvernance (notamment de la loi de financement de la sécurité sociale) ? Une fois défini le schéma de la gouvernance et le partage des dépenses, la loi de financement a-t-elle encore sa raison d'être ?

M. Claude MAFFIOLI - Tout d'abord, le système ne peut fonctionner qu'avec une responsabilisation de tous les acteurs (professionnels de santé, usagers, gestionnaires et politiques). J'ai déjà abordé le sujet de la responsabilisation des politiques. La définition d'un périmètre de prise en charge est du ressort du politique. Concernant les professionnels de santé, il y a un nombre considérable d'outils à mettre en place. En 1993, les références médicales opposables avaient été mises en place, mais elles n'ont vécu que jusqu'en 1995. Ce premier outil a eu pour premier résultat économique le fait que, en 1994, alors que nous avions pour objectif de ne pas dépasser + 3,6 %, l'augmentation n'a été que de 1,9 %. C'est en partie l'impact des références médicales opposables. L'impact a été tout à fait significatif, comme le savent les biologistes et les radiologues.

Ensuite, ce changement a été abandonné. Aujourd'hui, il n'y a plus d'outil de maîtrise réelle. Je crois qu'il faut revenir à la mise en place de ce type de référentiels. Les définitions de stratégies générales, de pratiques, ne permettent pas une référence opposable. En effet, le terme « opposable » implique une sanction. On ne peut l'imaginer que si la référence est absolument incontestable, ce qui ne peut être trouvé que dans ce qui est inutile ou dangereux. Par exemple, il y a dix ans, nous avions élaboré une RMO qui était de ne pas prescrire deux anti-ulcéreux pour un même patient. Or nous avions basé notre décision sur une statistique selon laquelle 10 % de ces malades étaient traités avec deux anti-ulcéreux simultanément.

D'autres outils sont disponibles. Concernant la démographie des professionnels de santé, plus tard nous enclencherons la réflexion sur la répartition des professionnels de santé sur le territoire, plus tard nous irons au fond des possibilités, et plus tard nous aurons des résultats. Dans ce domaine, il faut mener jusqu'au bout les mesures incitatives. Je ne suis pas certain qu'elles soient suffisantes. Il serait donc inopportun d'appliquer, du jour au lendemain, des règles coercitives. Il faut préserver ceux qui sont « dans le tuyau » aujourd'hui. On ne peut pas dire à quelqu'un qui est actuellement interne, qui est entré avec certaines règles, qu'il va devoir un an après s'adapter à des règles complètement différentes. Cela signifie que les réflexions aboutiront dans dix ans.

Par ailleurs, la réflexion ne doit pas se limiter au secteur libéral. Elle concerne tous les secteurs. Dans la discussion sur la réforme de l'assurance maladie, il est anormal que l'on parte du principe que l'hôpital public est laissé de côté, parce que c'est l'affaire de l'État et que les syndicats descendent dans la rue dès que l'on y touche. Traiter secteur par secteur serait une erreur. Le problème de la démographie doit être géré globalement, tous secteurs confondus. Il est peut-être possible d'expliquer à un médecin qu'il ne peut pas s'installer dans tel endroit, mais qu'il peut aller dans tel autre (Ardennes...), ou imaginer qu'il reste trois ou quatre ans à l'hôpital. La réflexion concerne non seulement les carrières libérales, mais aussi les carrières hospitalières.

Concernant la formation continue obligatoire, certains se souviennent de mes propos lors des ordonnances Juppé. Je suis un fervent partisan de la formation continue obligatoire. Le texte des ordonnances de l'époque était parfait ; il ne fallait pas le modifier. De plus, il semble aujourd'hui difficile à mettre en place. La formation continue obligatoire est indispensable, à condition d'être organisée par la profession. Il faut que la profession s'implique, s'approprie les mesures. Ce sont clairement des mesures contraignantes. En outre, l'évaluation de toutes les pratiques professionnelles doit s'accélérer. Au Québec, cela se fait déjà. Nous pouvons nous en inspirer. Les unions de médecins se sont engagées dans cette voie. En définitive, il y a de nombreux outils pour responsabiliser suffisamment les professionnels de santé.

D'autres acteurs sont en jeu. Pour les assurés sociaux (usagers), le dossier médical unique est un outil indispensable. En 1993, nous avions inscrit dans la convention le dossier médical unique. De plus, nous avions convaincu Mme Veil de la nécessité de légiférer sur ce point. En 1994, une loi créant le dossier médical unique a été votée. Le Gouvernement avait renoncé à l'aspect obligatoire. Le dossier médical unique devait être tenu par le médecin généraliste ou le pédiatre. Tout ceci a ensuite été balayé. Cette notion ne sort pas de terre aujourd'hui. Elle existait, mais n'avait jamais vu le jour, et avait été attaquée par le fait d'avoir voulu sortir un carnet de santé papier, avec tous les problèmes de secrets professionnels que cela pose. Un dossier médical unique, à condition qu'il soit opposable, est indispensable à tous points de vue, notamment pour contrer les interactions médicamenteuses. Ce dossier médical n'a pas besoin de réunir une somme considérable d'informations. Il suffit d'indiquer les derniers traitements mis en route et les derniers examens qui ont été faits. Il est inutile d'avoir un document exhaustif.

M. Alain GOURNAC - Monsieur le président, vous utilisez fréquemment les termes de responsabilité et responsabilisation, et je suis bien d'accord avec vous. Or comment voulez-vous être responsable quand vous ignorez combien coûte votre séjour à l'hôpital ? De même, que penser quand on vous demande de jeter les trois quarts de votre boîte de médicaments ? J'estime qu'il faut rappeler la responsabilisation totale du prescripteur. Malheureusement, les médecins sont souvent perçus comme bons quand ils ont rempli une belle ordonnance, avec beaucoup de médicaments. Il faut donner à l'assuré la possibilité d'être responsable. En tant qu'élu municipal, je peux témoigner que, lorsque je fais une réflexion à un salarié de la mairie, il me dit : « Demain, je serai en arrêt de travail. » Cela semble incroyable que le médecin soit complice. Pourtant, le lendemain, vous recevez une feuille d'arrêt de travail de quinze jours. Il faut que tout le monde soit responsable, et fasse preuve de courage.

M. Jean-Louis LORRAIN - Quelles sont les limites de l'indépendance et de la responsabilité évoquées par M. Maffioli, alors qu'il existe une étroite liaison entre les secteurs de la ville et de l'hôpital ? Quid de l'indépendance, si l'on adhère à des filières de soins, et à la notion de médecin référent ? Il est vrai que la responsabilité a été effective. Des résultats ont été obtenus avec les génériques et avec les visites à domicile, et par ailleurs, les bonnes pratiques sont celles que l'on nous a enseignées en faculté, alors que de nombreuses prescriptions dépassent les indications, voire ne correspondent pas aux indications. Il est permis de s'interroger sur les bonnes pratiques (tout en faisant le lien avec la notion de dépendance). Ne serait-il pas grand temps de renouer avec la notion de contrôle médical (évaluation, etc.) ? Il ne faut pas oublier que l'assurance maladie est financée largement par l'État.

M. Guy FISCHER - Monsieur le président, vous avez insisté sur le problème de la gouvernance. Les ministres ne répondent pas clairement à ce sujet. Ils entretiennent le flou. Certains défendent la légitimité des partenaires sociaux actuels. La présidente qui vous a précédé a bien précisé sa position à cet égard. Pour vous, le paritarisme a vécu. L'assurance maladie ne pourra se régénérer qu'avec une autre gouvernance, assise sur quatre pieds : vous ajoutez les usagers aux gestionnaires habituels.

M. Claude MAFFIOLI - Une Haute autorité est nécessaire, à condition qu'elle soit totalement indépendante et ne serve pas qu'à cautionner les prises de décisions ultérieures. Je partage totalement ce que vous avez dit sur la responsabilisation des assurés. De multiples petites mesures sont à prendre. En cas d'ALD, prise en charge à 100 %, dans la pratique courante, si le médecin demande s'il faut faire un examen, le patient déclare tout de suite qu'il est remboursé à 100 %. Notre société dérive vers une impression que la médecine ne coûte rien. Il est néfaste de donner l'impression aux gens que tout est payé pour eux. Nous sommes opposés au tiers payant généralisé. Si nous généralisions tout cela, l'envers de la médaille serait l'irresponsabilité des gens. La CMU est, à ce titre, déjà un outil puissant. Si une femme enceinte veut avoir chaque mois une échographie de son enfant, elle le pourra, mais il n'appartient pas à la solidarité nationale de la payer.

Par ailleurs, concernant le contrôle médical, j'aurais beaucoup à dire sur la définition de l'indépendance des professionnels et des structures. Vous le savez, nous sommes opposés aux médecins référents, car nous considérons que le système réglementaire (le médecin référent étant uniquement basé sur une tâche réglementaire) reposant sur un praticien pivot n'est pas acceptable. Le pivot du système de santé ne peut être que le patient. Autour de lui se trouvent les différents acteurs avec des règles de fonctionnement. C'est pourquoi, plus que les médecins référents, nous sommes favorables à la mise en place de réseaux.

Concernant le contrôle médical des caisses, la réforme doit aller au-delà de la notion de contrôle. Il est certes logique que les médecins conseils des caisses aillent contrôler si tel acte a été bien coté. Mais il serait inefficace d'aller au-delà, en leur donnant un rôle de contrôle et d'évaluation des pratiques professionnelles. En effet, si la même personne est chargée de l'évaluation et de la sanction, alors l'évaluation ne marche pas. Il faut séparer les deux fonctions. Par ailleurs, si les médecins conseils n'ont qu'un rôle de sanction et de « flic », alors les professions rejetteront l'idée d'être en contact avec eux. De plus, j'ai connu les médecins conseils qui devenaient médecins conseils des caisses après avoir pratiqué la médecine. Ils étaient excellents médecins conseils. Aujourd'hui, ils occupent cette fonction directement à leur sortie de la Faculté. De 1993 à 1995, le travail en commun avec les médecins conseils des caisses a été extraordinaire. Nous allions, main dans la main, vendre les RMO partout en France. Pourquoi ne pas recommencer ? Si l'on met en place l'évaluation des pratiques professionnelles par les professions et par les unions, pourquoi ne pas donner aux médecins conseils des caisses un rôle de travail en commun région par région ?

Pour finir, le problème de la présence des usagers est à soulever. Le paritarisme tel que nous l'avons connu n'a plus de raison d'être, car les choses ont évolué, et le champ de l'assurance maladie s'est élargi. Nous avons besoin de revoir la composition des caisses de gestion des assurances maladie. Les syndicats de salariés ne sont pas les seuls à être représentatifs du monde des patients.

Audition de M. Pierre PERRIN,
président de l'Union professionnelle artisanale (UPA)
(mercredi 5 mai 2004)

M. Nicolas ABOUT, président - Je vous remercie d'accueillir à présent Pierre Perrin, président de l'UPA. Vous pouvez lui poser vos questions.

M. Alain VASSELLE, rapporteur - Monsieur le président, voici mes questions. Concernant la gouvernance, vous connaissez le diagnostic du Haut conseil. Quelles sont les pistes à envisager ? Le paritarisme a-t-il encore sa raison d'être ? Quelle forme le paritarisme rénové peut-il prendre ? Quel est le rôle des partenaires sociaux ? Quel est celui de l'État ? Doit-il y avoir un partage des responsabilités ?

Par ailleurs, concernant la responsabilisation des acteurs, quatre niveaux sont à prendre en compte : l'État, les professionnels de santé, les usagers et les gestionnaires (les partenaires sociaux). Quel est votre sentiment sur les évolutions futures en la matière ? Comment responsabiliser chacun des acteurs ?

Enfin, quelles sont les recettes que vous prévoyez pour alimenter les dépenses de l'assurance maladie ? Celles d'aujourd'hui sont-elles suffisantes ? Faut-il en créer d'autres ? L'équilibre peut-il être atteint par la maîtrise des dépenses ? Quelles conséquences en tirez-vous en matière de gouvernance ? Quel rôle continuer à confier à la loi de financement de la sécurité sociale ? A-t-elle encore sa raison d'être ?

M. Pierre PERRIN - Merci à tous d'accueillir l'UPA aujourd'hui. Par responsabilité citoyenne, et par responsabilité d'organisation, l'UPA estime que la réforme est indispensable et souhaite qu'elle soit rapide, puisque le déséquilibre financier se creuse chaque jour plus gravement. La réforme doit être courageuse. L'UPA considère qu'il faut accorder la priorité à la maîtrise des dépenses. L'UPA souhaite s'impliquer dans le projet de réforme ainsi que dans la gestion paritaire à l'avenir. L'UPA est la seule organisation patronale à toujours participer à la gestion des caisses maladies, et a tiré la sonnette d'alarme à plusieurs reprises, notamment il y a maintenant un an. L'UPA a participé aux travaux du Haut conseil et aux huit groupes de travail. Enfin, nous avons été reçus par M. Mattei et M. Douste-Blazy.

Concernant la gouvernance, le diagnostic partagé qui a été dressé par le Haut conseil sur l'avenir de l'assurance maladie permet de dégager des pistes et un consensus. Il est nécessaire de conserver un système d'assurance maladie solidaire et plus économe en termes de prélèvements obligatoires, en agissant à deux niveaux : réorganiser le système de soins autour d'un meilleur rapport qualité prix, et faire évoluer certains paramètres de la prise en charge, sans remettre en cause ses principes.

Le Haut conseil a estimé qu'il fallait agir franchement en faveur d'une plus grande diversité d'expression et de représentation directe des usagers dans les différentes instances du système d'assurance maladie. L'UPA a toujours indiqué qu'elle n'accepte pas que la direction des organismes sociaux soit ouverte aux usagers, car ils sont tout simplement déjà présents au travers de la représentativité actuelle. Pour autant, s'agissant des assureurs complémentaires comme des professionnels de santé, l'UPA n'est pas opposée à une représentation de ces acteurs aux côtés des partenaires sociaux, dans d'autres instances à créer.

En ce qui concerne le rôle de l'État, l'UPA considère qu'il faut définir plus clairement les responsabilités relevant des gestionnaires de l'assurance maladie, au regard de celles qui reviennent légitimement à la puissance publique. Il ne s'agit pas d'évincer l'État pour le remplacer par les partenaires sociaux, mais que ces derniers exercent leurs responsabilités de représentants des assurés et des financeurs, dans le cadre d'une politique de santé clairement arrêtée et explicitée.

La CNAMTS doit développer une politique avec les professionnels de santé, qui vise à les responsabiliser et qui ne soit pas uniquement fondée sur des ajustements de tarifs. Les gestionnaires doivent avoir la responsabilité et les moyens de négocier avec l'ensemble des fournisseurs de soins. Outre la fixation d'enveloppes de dépenses en fonction de priorités de santé publique, il nous semble qu'une telle vision d'ensemble permettrait de dépasser les clivages traditionnels (maîtrise comptable et maîtrise médicalisée), et d'aboutir à la définition d'un panier de biens et de services de santé nécessaires, relevant de la solidarité collective.

S'agissant de l'éventuelle création de nouvelles structures, les travaux qui auront suivi le diagnostic du Haut conseil (notamment les rencontres ministérielles sur le sujet) montrent que le schéma aujourd'hui envisagé par le ministre de la santé répondrait à certaines de nos préoccupations, en définissant plus clairement les rôles respectifs de chacun des acteurs. Une agence de l'assurance maladie serait gouvernée par un directoire, chargé de gérer l'assurance maladie au quotidien, sous l'oeil d'un conseil de surveillance ou d'orientation. Ce dernier serait notamment composé de partenaires sociaux. L'État limiterait son rôle à la fixation des grandes orientations de santé publique et du périmètre des remboursements, dans le cadre des lois de financement de la sécurité sociale. Enfin, une haute autorité scientifique et sociétale, au sein de laquelle siègeraient des représentants des partenaires sociaux, des scientifiques et des médecins serait chargée de conseiller le Gouvernement en amont sur l'utilité, le coût et l'efficacité des traitements et des médicaments.

Concernant la gestion des caisses de sécurité sociale, l'UPA est très attachée à une gestion paritaire stricte, notamment pour ce qui concerne la CNAMTS. Pour elle, à l'intérieur du schéma envisagé aujourd'hui, ce principe ne saurait être remis en cause. L'UPA considère que le paritarisme entre les représentants des organisations syndicales de salariés et les représentants des organisations syndicales patronales est une condition indispensable pour garantir une bonne gestion de l'assurance maladie.

Par ailleurs, concernant la question de la responsabilisation des acteurs du système, l'UPA considère qu'elle est effectivement indispensable. Il faut notamment responsabiliser les usagers dans leur consommation de soins. Ceci suppose une double rationalisation, au niveau de la demande et au niveau de l'offre de soins. Pour ce qui est de la demande de soins, nous sommes favorables au déremboursement de tout médicament ne remplissant pas des critères de service médical rendu. Plus généralement, nous souhaitons une distinction nette entre ce qui relève de la solidarité collective (panier de biens et services) et ce qui doit être à la charge de chaque individu, selon son choix et ses possibilités. Selon l'UPA, il existe un droit implicite, où les usagers sont libres de consulter qui ils veulent, autant qu'ils le souhaitent et quand ils le souhaitent, voire de changer de praticien pour une même affection ayant déjà été prise en charge par l'assurance maladie sans que les remboursements effectués par celle-ci ne soient remis en cause. Il faut passer de ce droit implicite à un droit explicite, ce qui suppose que la communauté scientifique détermine des prescriptions ou soins raisonnablement nécessaires pour telle ou telle pathologie. Les usagers pourraient ainsi être remboursés dans les limites qui seraient définies dans des protocoles par la communauté scientifique. De plus, ils pourraient bénéficier de tel ou tel acte hors protocole, librement et à leur charge.

La mise en place du carnet de santé, y compris pour les adultes, aurait permis d'atteindre cet objectif, assurant une traçabilité des soins et des prescriptions. Nous nous inscrivons à présent dans une démarche de progrès. A cet égard, nous souhaitons vivement que la carte vitale permette enfin une vraie traçabilité des soins, dans une perspective de maîtrise des dépenses et de santé publique (surconsommation médicale), et pour l'amélioration de la qualité des soins.

La responsabilisation des professionnels de santé repose, selon nous, sur des évolutions en termes de coordination des soins. Seule une coordination renforcée des soins permettrait de supprimer, ou du moins de réduire, les successions (voire redondances) de soins. C'est d'ailleurs dans cette perspective que s'inscrivait le dispositif médecin référent, malheureusement resté inappliqué. Passer d'une juxtaposition de producteurs de soins à un système de filières de soins, coordonnées et vraiment complémentaires, est à notre avis l'une des voies les plus souhaitables pour renouer avec l'égal accès aux soins et la qualité médicale.

La troisième question concerne les recettes. Pour nous, la priorité va à une meilleure gestion des dépenses, via une responsabilisation des acteurs, notamment des patients. Pour l'UPA, il ne saurait être question de faire appel aux assurés sociaux pour financer les dérapages des dépenses par une augmentation des cotisations sur la main-d'oeuvre. Ce sont les dépenses qui doivent être adaptées aux recettes et non l'inverse. C'est un raisonnement de chef d'entreprise, mais il a tout son sens. La prise en charge de soins de qualité ne peut être garantie que si son niveau est compatible avec la charge que peut assumer l'économie de notre pays. C'est pourquoi l'UPA considère que l'assurance maladie ne devrait assurer le remboursement de biens et services que s'ils ont fait leurs preuves en termes d'efficacité. La solidarité collective ne doit pas assurer la prise en charge de soins dont l'efficacité médicale n'est pas démontrée. Si des patients souhaitent utiliser un médicament plutôt qu'un autre moins onéreux, ils en sont libres, mais à leur charge.

En ce qui concerne le financement du système de protection sociale, l'UPA souhaite pour sa part vivement que le transfert de charges contribuant à l'amélioration de l'emploi soit poursuivi. Il faut rappeler qu'à ce jour, la réforme des cotisations patronales n'a toujours pas été engagée. Depuis vingt ans, l'UPA demande l'engagement d'une profonde révision du système de financement de la protection sociale, ses limites étant manifestement atteintes. Le système de financement est assis sur les seuls revenus du travail. Or ce dispositif avait sa justification jusque dans les années 70, et la richesse était alors très largement générée par la main-d'oeuvre. Il est aujourd'hui totalement adapté et insuffisant. Avec 800.000 entreprises, employant près de deux millions de salariés, l'artisanat a su faire la preuve de son dynamisme et de sa capacité à créer des emplois. Il est quasiment le seul secteur à créer des emplois. Il ne faut pas pénaliser le secteur par une taxe qui porte seulement sur les salaires. En outre, de 1981 à 1995, en réduisant de près d'un million de personnes leurs effectifs salariés, les entreprises de plus de 200 salariés se sont exonérées de près de 13 milliards d'euros de charges par an, alors que, sur la même période, en créant plus d'un million d'emplois nouveaux, les entreprises de moins de vingt salariés ont connu un surcoût de cotisations proche de 60 milliards de francs. Il est bon de garder ces informations à l'esprit aujourd'hui.

L'UPA approuve depuis l'origine le choix de la CSG comme support de l'opération de transfert des charges, notamment pour l'assurance maladie. L'UPA reste favorable à la participation des autres revenus que ceux du travail au financement de la protection sociale. Toutefois, cette participation ne doit pas altérer le principe du paritarisme strict pour ce qui est de la gouvernance du système. Enfin, l'élargissement de l'assiette de la CSG, dans le cadre de la CMU, ne doit pas faire perdre de vue que les payeurs restent très largement les entreprises et les salariés, au travers des cotisations sociales.

M. Guy FISCHER - Concernant la gouvernance, vous précisez que vous êtes pour le maintien du paritarisme strict. De toute évidence, on n'y voit pas encore très clair. Vous avez défini l'agence d'assurance maladie, qui regrouperait les trois caisses actuelles, mais comment placez-vous la forte demande qui peut apparaître, à travers les mutuelles, les complémentaires, les professionnels et les usagers ? N'y a-t-il pas là une discussion à approfondir ? Pour certains, le paritarisme strict, dont vous vous prévalez, a vécu. Celui-ci doit-il être élargi ?

M. Bernard CAZEAU - Monsieur le président, concernant la responsabilité des acteurs, l'une de vos publications indique que le contrôle des indemnités journalières doit être systématique pour tous les arrêts de travail supérieurs à trois jours, et préconise la mise en place de sanctions pour le médecin prescripteur si l'arrêt de travail n'est pas justifié. Ce projet est-il possible ? Comment comptez-vous faire ?

M. Alain GOURNAC - Monsieur le président, vous dites qu'il ne faut pas que les usagers soient associés à la gestion, puisqu'ils sont représentés par l'intermédiaire des syndicats. Mais alors, comment demander qu'ils soient plus responsables ? Dans l'esprit du patient, la compétence du médecin se mesure à la taille de l'ordonnance.

M. Nicolas ABOUT, président - En d'autres termes, comment rester gestionnaire quand on n'a pas la maîtrise de la dépense, ni celle de la recette ? Quelle est la crédibilité des partenaires sociaux ?

M. Pierre PERRIN - Il est vrai qu'aujourd'hui l'articulation de l'organisation est encore un peu floue. Cependant, l'organisation comprend trois niveaux. La communauté scientifique définit l'utilité des médicaments au Haut conseil de la santé publique. L'État prend ses responsabilités et définit les grandes lignes de santé publique. Enfin, la gestion comprend deux pôles. Le premier est un pôle de gestion paritaire, avec des responsabilités beaucoup plus nettes, sans la possibilité qui existe aujourd'hui de voir l'État intervenir à tout moment, en perturbant l'équilibre des caisses. Le second se compose des assurances complémentaires, des mutualités et des professions de santé.

La deuxième question a été posée par Bernard Cazeau. Je n'ai pas souvenir de la communication qu'il évoque (la CAPEB, et non l'UPA). Cependant, il y a des réunions sur l'ensemble du territoire, notamment en ce qui concerne l'indemnité pour les arrêts de travail, et il est vrai que nos collègues sont un peu excités. Nos entreprises sont à caractère familial. Il est évident que, en cas de nécessité, il y a des arrêts de travail, mais nous constatons peu d'abus.

M. Pierre BURBAN - Les chiffres montrent une augmentation substantielle du montant des indemnités journalières. Le ministre précédent l'avait évoquée au cours de la dernière Commission des comptes de la sécurité sociale. Les usages de certaines entreprises, notamment pour les salariés âgés, sont en cause. Face à cette explosion, il est souhaitable que le dispositif soit mieux contrôlé.

M. Pierre PERRIN - La question d'Alain Gournac concernait la présence des usagers. Nous estimons que ceux-ci sont largement représentés, car nous sommes tous usagers. De plus, cela doit s'envisager avec le protocole de soins. C'est le point essentiel du dispositif. Il faut bien définir pour telle ou telle pathologie ce que l'on doit faire, le nombre de visites et de prestations qui sont autorisées et remboursées.

M. Nicolas ABOUT, président - Monsieur le président, je vous remercie.

Audition de MM. Georges TISSIÉ, directeur des affaires sociales,
et Jean-Louis JAMET, secrétaire du bureau confédéral
de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME)
(mercredi 5 mai 2004)

M. Nicolas ABOUT, président - Nous accueillons maintenant MM. Georges Tissié et Jean-Louis Jamet.

M. Jean-Louis JAMET - Je pense que tout le monde est au courant du problème. Pendant la phase de diagnostic de conseil, nous avons obtenu un consensus. Cependant, dès que la phase de proposition a commencé, les choses sont devenues plus conflictuelles.

La CGPME dresse tout d'abord un constat. Nous avons considéré que l'assurance maladie a puissamment contribué au développement du système de santé et à l'égalité d'accès aux soins (généralisation du régime obligatoire et diffusion très large des couvertures complémentaires), bien que certains soient un peu à l'écart. Les régimes obligatoires remboursent 76 % des dépenses. Le taux de prise en charge est de 81 %. Pour l'hôpital, ce taux est de 97 %.

Le problème réside dans la croissance exponentielle des dépenses, qui est plus rapide que le PIB, comme dans tous les pays développés. Si cela continue, le système devient inflationniste, c'est-à-dire que les cotisations augmentent corrélativement aux prestations. Le financement du système de santé, en l'absence de croissance, se fait alors au détriment d'autres secteurs (transport, logement) et correspond à un choix de société. Toutefois, l'évolution des soins est considérable depuis 50 ans. Le développement de la technique et de l'espérance de vie est tel que l'on ne pourra plus tout rembourser. La technique est de plus en plus chère et coûteuse. Si l'on veut un système de santé moderne, les patients doivent bénéficier des nouvelles technologies les plus modernes et les plus coûteuses. La part des personnes âgées dans la population induit des choix dans ce qui doit être remboursé. Actuellement, un nombre considérable de choses sont remboursées. A l'avenir, le petit risque ne pourra plus être remboursé. Or la culture française depuis 50 ans est d'ouvrir le remboursement à tous les risques, même petits. Le remboursement du petit risque nécessiterait la moitié du revenu des ménages, ce qui ne serait pas acceptable.

Le président de la République a indiqué qu'il faut conserver la qualité des soins, l'égalité d'accès, une prise en charge obligatoire et complémentaire pour tous, et un système solidaire, tout en étant économe au niveau des prélèvements. Ceux qui sont le plus en difficulté sont ceux qui sont au-dessus du seuil de la CMU, mais n'ont pas assez de moyens pour une complémentaire. C'est pourquoi nous avons l'idée d'instaurer une complémentaire générale. Bien évidemment, cela constitue une dépense.

La CGPME considère que quatre chantiers sont à mener aujourd'hui pour aboutir à cette réforme. Pour la première fois, il faut faire une réforme structurelle. Jusqu'à présent, il y a eu 18 plans conjoncturels partiels en 25 ans. Il n'y avait pas d'action dans la durée. Le système s'est développé sans réelle gouvernance.

Nous estimons qu'il faut mettre en oeuvre au profit des gestionnaires un plan de maîtrise des dépenses. L'échec des précédentes tentatives de maîtrise des dépenses tient peut-être à une rigidité excessive vis-à-vis des professionnels de santé (enveloppe globale). L'accès facile aux soins est par ailleurs source de comportements négligents, laxistes, de consommation et de prescription. Nous proposons de responsabiliser tous les acteurs.

Un gros travail de communication est à accomplir auprès des patients, car souvent, les gens n'ont pas la bonne information. De plus, il faut des moyens de maîtrise et de coordination des soins (secteur libéral, coordination entre hôpital et ville). Nous sommes favorables au carnet de santé obligatoire. Il doit absolument être mis en oeuvre, que ce soit sous forme papier ou informatique. Nous avons les moyens requis, en termes de technologie. Cela favoriserait une bonne utilisation des soins, en évitant le nomadisme du patient dont le médecin n'est pas informé.

Par ailleurs, la carte vitale a été évoquée hier dans les médias. Dix millions de cartes vitales en trop ne signifient pas qu'il y ait dix millions de fraudeurs. Il y a eu beaucoup de cartes perdues, qui ont dû être refaites. Nous sommes aussi favorables à l'ajout d'une photo d'identité sur la carte.

En outre, il faut développer le suivi obligatoire des différents profils (patient, professionnel de santé). Pour éviter la déresponsabilisation, nous estimons également qu'il faut faire appel à la responsabilité financière des consommateurs de soins (ticket modérateur d'ordre public, systèmes de franchises par seuil comme au Québec). Il faut utiliser tous les leviers pour faire des économies, tout en veillant à ce que chaque euro dépensé le soit à bon escient. La gratuité systématique est source de gaspillage et de déresponsabilisation.

Pour les prescripteurs, il faut revenir aux références médicales opposables, qui avaient été initiées mais non suivies d'effets en raison d'une résistance des professionnels. Il est temps de mobiliser ces derniers en leur faisant comprendre que c'est nécessaire et en leur donnant des compensations. Les références médicales sont aussi un problème de santé : on ne doit pouvoir prescrire que ce qui entre vraiment dans le cadre de la maladie du patient.

Pour ce qui est de l'hôpital, la tarification à la pathologie va dans le bon sens. Elle doit être mise en oeuvre, ce qui va demander un certain temps. Il faudrait refonder un conventionnement avec les professionnels de santé, et avec les caisses d'assurance maladie, pour qu'ils adhèrent davantage à la réforme nécessaire.

De plus, il convient de réformer structurellement les grands axes d'organisation du système. La CGPME a notamment soutenu la réforme de 1996 sur le principe de la loi de financement de sécurité sociale. Elle n'a pas joué son rôle véritable. Elle n'a fait que rassembler les dispositions indicatives, sans avoir de caractère réellement obligatoire. La loi de financement, en train de revenir à son objet initial, devrait selon nous prévoir le niveau des recettes et des dépenses pour chacun des dossiers qui sont traités, avec un objectif d'équilibre des deux termes. Cela peut prendre la forme d'une loi de programmation sur plusieurs années. De nouvelles maladies peuvent apparaître, voire des épidémies, et il n'est pas possible de bloquer tous les moyens dans une enveloppe annuelle.

Corrélativement, il faudra revoir le panier de soins et de services médicaux que j'ai évoqué tout à l'heure mais aussi examiner la part du régime obligatoire et du régime complémentaire. Le régime obligatoire actuel prend en charge plus de 90 % des dépenses, ce qui peut sembler élevé. Il faut trouver comment le réduire, tout en étant attentif à l'augmentation des cotisations des complémentaires. Au sein des complémentaires, on peut aussi trouver plusieurs niveaux de remboursement, laissés à l'appréciation du consommateur. Il ne s'agit plus d'assurance maladie, mais de sécurité sociale. Les Français cotisent à la sécurité sociale, ils estiment que le remboursement est un droit. Or l'assurance sociale n'a pas cette vocation.

Par ailleurs, nous sommes préoccupés par la question de la recherche de financements nouveaux, en tant qu'organisation patronale, et vu les cotisations payées par les entreprises pour l'assurance maladie. Nous sommes hostiles à une augmentation des cotisations. Dans la situation actuelle, les économies ne seront pas obtenues du jour au lendemain, notamment à l'hôpital, mais aussi en ville. Le déficit peut continuer à croître encore pendant quelque temps. La CSG, qui est l'impôt le plus acceptable car tout le monde y contribue, ne devrait être que provisoire. Enfin, en matière de gouvernance, les montants du budget de la sécurité sociale sont considérables, alors qu'il n'y a pas de gouvernance efficace. Nous plaidons pour un système de gouvernance nouveau, qui ait « un pilote dans l'avion ». Aujourd'hui, l'organisme gestionnaire gère au fil de l'eau. Il n'y a pas de vraie politique de financement et de gestion à long terme.

Plusieurs options sont à envisager. On peut notamment penser à une organisation paritaire, comme avant, pour autant que les syndicats patronaux aient un vrai pouvoir de gestion. Une institution de gestionnaires paritaires pourrait être proposée, avec les employeurs et les cinq syndicats salariés. Dans ce cadre, un Haut conseil de santé donnerait les grandes orientations sanitaires du pays, et le conseil paritaire serait le gestionnaire, avec un directeur général ayant un pouvoir de gestion, et rapportant devant le directoire. Nous sommes très attachés à l'aspect paritaire.

Si cette proposition n'était pas adoptée, l'État serait le seul gestionnaire effectif, la CGPME n'intervenant que dans une sorte de « conseil de surveillance » pour exprimer ses positions, ce qui ne serait pas franchement satisfaisant. Une architecture à double structure peut également être envisagée, avec un directoire et un conseil de surveillance.

M. Alain VASSELLE, rapporteur - Monsieur le secrétaire confédéral, vous avez répondu par avance à nos questions. Il n'en reste qu'une à vous poser. Vous avez participé au Haut conseil pour l'avenir de la réforme de l'assurance maladie. Nous avons réussi, dans le cadre de cette instance, à dégager un consensus partagé. Avez-vous le sentiment, au moins pour certaines pistes de la réforme, que nous pourrions dégager le même consensus ? Quels sont les points où vous estimez que le consensus sera difficile à obtenir ? Sur la gouvernance, est-il nécessaire selon vous de mieux définir le périmètre des dépenses qui seront à la charge de l'État, et de celles qui seront à la charge de la sécurité sociale ? Doit-il y avoir des cloisons étanches entre les deux ? Cela serait-il réaliste ?

M. Jean-Louis JAMET - Le Haut conseil a réuni tous les acteurs concernés par la question. Le constat est difficile. Les propositions opposent plusieurs blocs. Les syndicats de salariés parlent de casse sociale, ou de régression sociale, dès que l'on fait une réforme qui responsabilise un peu les gens. Il faut trouver, à l'intérieur des centrales, quelques interlocuteurs qui comprennent la réforme et sont prêts à s'investir un peu, et à prendre des risques vis-à-vis de leurs mandants. La CFDT, qui aurait pu nous aider, est dans une position difficile. Nous cherchons des alliés pour ne pas faire une réforme a minima .

A mon sens, la communication au public est un aspect déterminant. Jusqu'à présent, nous avons mal communiqué sur le sujet. De plus, il nous faut trouver des partenaires, notamment au sein de la mutualité, pour définir le nouveau périmètre de l'obligatoire et celui du complémentaire. Les assurances, les mutuelles et les institutions de prévoyance sont-elles capables d'accepter une certaine redéfinition de leur couverture ? Il ne faut pas attendre une révolution, l'obligatoire ne passera pas à 50 % du jour au lendemain. Néanmoins, un taux de 60 à 70 %, au lieu de 80 ou 85 %, serait une bonne chose.

Enfin, un lourd travail est à réaliser auprès des professionnels de santé. Le Haut conseil a constaté que ceux-ci ne sont pas prêts à changer. Or depuis quelques années, le système de santé français se dégrade. Tout le monde avait autrefois accès aux soins facilement, avec des professionnels de qualité. Aujourd'hui, il manque des professionnels dans certaines régions (anesthésistes). La difficulté de la réforme est de faire des économies en gardant une bonne qualité de soins et une bonne répartition géographique.

M. Jean-Claude ETIENNE - Monsieur le secrétaire confédéral a su se montrer assez précis dans les détails. Sur la question de la responsabilisation des acteurs, vous avez remis au goût du jour la notion de référence médicale opposable. C'est très important. Pour la première fois, j'ai entendu quelqu'un aborder le sujet en évoquant des perspectives de solutions (compensation). Avez-vous travaillé cet aspect ? Que recouvre-t-il de l'analyse de votre organisation, en termes précis ?

M. Guy FISCHER - Monsieur le secrétaire confédéral, il apparaît que la réforme doit selon vous être un projet de loi global, qui traitera des problèmes de gouvernance et de financement. Voyez-vous le paysage syndical se modifier ? Le poids de la mutualité est-il un nouvel élément à prendre en compte ? Pour ma part, je pense que les assurances privées sont en embuscade. Parfois nous disons que nous nous dirigeons vers une sorte de privatisation, notamment lorsqu'il s'agit de ne plus rembourser le petit risque.

Mme Françoise HENNERON - Monsieur le secrétaire confédéral, qu'entendez-vous par « petit risque » ? N'y a-t-il pas de graves maladies qui ont été découvertes en soignant un petit risque ?

M. Jean-Louis JAMET - Concernant les références médicales opposables, nous n'avons pas encore examiné réellement les compensations possibles. Il s'agit, pour ainsi dire, d'une piste un peu personnelle. Je pense que la CGPME est d'accord à ce sujet. Il faut trouver un moyen de fonctionner. La communication n'est pas bonne. Les rapports ont été un peu brutaux lors de la présentation, compte tenu de la mentalité d'un certain nombre de professionnels. Ils ont été réticents sur leur liberté de prescription, etc. Il faut du temps pour faire évoluer les mentalités des consommateurs et des professionnels. Lors de l'instauration de la carte vitale, les pharmaciens se sont rapidement équipés, mais les médecins ont « fait de la résistance », demandant un financement car ils étaient très peu informatisés. La sécurité sociale, pour faire avancer les choses, a été obligée de leur donner cette indemnisation. Il faudrait aussi revoir le profil, car la sécurité sociale n'intervient pas sur les dérives, qu'elle connaît, grâce aux moyens informatiques. Le profil médical des patients est connu, mais on ne s'en sert pas. C'est tout à fait malheureux. Des dérives considérables sont notamment constatées sur le Subutex, alors qu'il faut un médecin ou un pharmacien référent pour la Méthadone. Il faut qu'une feuille de route précise soit donnée aux médecins, avec la définition de ce que les médecins ont le droit de faire, et les avantages qui peuvent être discutés en contrepartie.

Sur le plan de la gouvernance (PLFSS, financement), il me semble qu'une loi doit intervenir. Tout d'abord, il est légitime que ce soit la représentation nationale qui définisse ce que le pays veut financer, car c'est un problème régalien de la France (protection sociale du pays). Il est normal que ce soit voté par la représentation nationale. Dès lors que le montant de l'enveloppe est fixé, les acteurs peuvent se réunir autour de la table. Les partenaires sociaux étant les principaux financeurs, il nous semble logique que la gestion leur soit dévolue, en fonction de l'enveloppe qui a été définie, et d'une autorité sanitaire pour tel ou tel domaine.

Sur le plan des mutualités et des complémentaires, certains voient un marché pour eux et désirent la privatisation, c'est-à-dire le passage d'un système « étatique » à un système ultralibéral. Ce serait une mauvaise solution, et elle ne serait d'ailleurs pas acceptée. En revanche, les complémentaires et les assureurs raisonnables peuvent être une aide pour faire passer la réforme. Ils peuvent aider à pousser les professionnels de santé, qui sont un peu en retrait.

Enfin, la question sur le petit risque est uniquement une question de moyens. Je ne suis pas du tout hostile au fait de le couvrir, si nous en avons les moyens. L'évolution de la société (pyramide des âges) repose sur les jeunes, qui ne sont pas malades. Les défis de dépenses sont tels que le rhume, par exemple, ne devrait plus être pris en charge. Si le carnet de santé est introduit, avec un suivi régulier des patients, et un développement de la prévention, alors le dépistage systématique des salariés de la médecine du travail permettra d'économiser de nombreuses dépenses futures. Tout dépend de la façon dont on définit le petit risque. J'estime qu'il ne sera pas possible de tout rembourser. Trop de facteurs sont cumulés : le vieillissement de la population, le coût de la technologie et le défi de la dépendance. Il est important de prévenir et d'essayer de définir ce petit risque, qui permettra des économies.

Présidence de cette fin d'audition assurée par M. Alain Gournac en remplacement de M. Nicolas About, président.

M. Alain VASSELLE, rapporteur - Monsieur le secrétaire confédéral, vous êtes le deuxième à adopter la même position en ce qui concerne le financement : vous préférez que l'action soit concentrée sur les dépenses plus que sur les recettes. A ce stade, avez-vous une idée des économies potentielles sur les dépenses en masses de crédits ? Ces économies potentielles sont-elles ciblées ? Arrivons-nous à l'équilibre des comptes, en définitive ?

M. Jean-Louis JAMET - Nous n'avons pas de réponse précise et analytique, mais nous estimons cependant que six milliards d'euros peuvent être économisés rapidement. Je pense que les possibilités d'économie sont plus importantes, sans remettre en cause la prévoyance sociale en France. Cela demandera du temps. Il faut faire bouger les esprits. Il faut que les mesures s'additionnent, notamment pour vaincre les résistances à l'hôpital. De même, des économies considérables sont possibles à l'assistance publique (personnel administratif trop important) Cela ne remet pas en cause le système. L'augmentation des cotisations est la solution de facilité, qui a toujours été adoptée. Au fur et à mesure, elle devient anti-économique et malsaine.

M. le PRÉSIDENT - Je vous remercie, monsieur le secrétaire confédéral. J'ai particulièrement apprécié votre compétence pour répondre à ces questions, ayant constaté que vous êtes pharmacien.

Audition de M. Jean-Louis DEROUSSEN, secrétaire général adjoint,
chargé de la protection sociale,
de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC)
(mercredi 12 mai 2004)

M. Nicolas ABOUT, président - Chers collègues, nous poursuivons nos auditions sur la réforme de l'assurance maladie, en accueillant aujourd'hui Jean-Louis Deroussen, secrétaire général adjoint, chargé de la protection sociale de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC). Monsieur le secrétaire général, pouvez-vous nous présenter votre vision du texte tel que nous le connaissons aujourd'hui ? Vous aurez dix minutes pour le faire, puis le rapporteur et nos commissaires vous interrogeront.

M. Jean-Louis DEROUSSEN - Nous sommes véritablement au coeur de la réforme et nous parlons jour et nuit d'assurance maladie. Nous venons d'ailleurs d'achever cette nuit nos entretiens sur les questions de délégation de gestion. Le calendrier que le ministère nous a présenté est effectivement assez serré. Il nous a proposé une méthode de dialogue bilatéral et multilatéral, selon les convenances des uns et des autres, pour que la proposition de loi soit transmise pour avis aux caisses nationales le 28 mai. Il souhaite donc avoir un texte définitif le 25 mai. Celui-ci sera ensuite remis au Conseil d'État qui rendra son avis le 1 er juin avant que le Conseil des ministres ne se prononce le 16 juin. Nous entrerons ensuite dans la phase de débat parlementaire, le ministère ayant pour objectif de clore le dossier début août, avant la fin de la session parlementaire. On a donné trois semaines aux partenaires sociaux pour travailler sur ce dossier. On nous a notamment remis vendredi dernier un document thématique de vingt-et-une pages portant sur dix-sept sujets principaux, articulés autour de trois points : la gouvernance, la réorganisation de l'offre de soins et l'apurement de la dette.

Tout le monde a pris conscience de la nécessité de réorganiser le système de soins. Le diagnostic - partagé - du Haut conseil constitue notre feuille de route pour réformer l'assurance maladie, même si nous préférons employer le terme « moderniser ». Le mot « réforme » nous fait en effet peur car il donne l'impression de remettre en cause des valeurs fondamentales auxquelles la CFTC reste attachée (solidarité, égalité de l'accès aux soins, diversification et adaptation de l'offre de soins à chaque individu...). A partir de ce principe, le rapport du Haut conseil est assez clair. Il indique qu'il n'y a pas de « pilote » dans l'avion de l'assurance maladie. Il est donc temps d'en désigner un pour mieux gouverner ce système.

La CFTC estime qu'il faut s'attaquer sérieusement à cette réorganisation car la question de l'équilibre du budget ne peut pas être remise en cause tous les ans, avec un déficit qui se creuse sans cesse. L'organisation de l'assurance maladie ne permet plus d'assurer l'équilibre entre recettes et dépenses. Nous avons donc besoin, en priorité, de voir ce qui peut être fait pour maîtriser les dépenses, dont on sait qu'elles continueront à augmenter, d'abord à cause du vieillissement de la population et des évolutions technologiques, mais aussi, selon nous, à cause de cette mauvaise organisation. On parle souvent d'abus et de gaspillages mais je crois surtout que l'argent consacré à l'assurance maladie est mal utilisé. Il nous semble prioritaire de s'attaquer à ce problème et des pistes se dégagent. Le Haut conseil en a énuméré certaines comme le dossier médical partagé ou le passage obligé par un médecin référent - je pense d'ailleurs que le « nomadisme médical » n'est pas forcément dû à des patients qui souhaiteraient abuser du système mais à une mauvaise organisation, le patient n'étant pas informé du meilleur parcours de soins. Dans ce domaine, certaines pistes semblent faciles à mettre en oeuvre, même si la création d'un dossier médical informatisé prend du temps (cela a pris dix ans au Danemark). Mais puisque cette question fait l'objet d'un consensus, ce n'est plus qu'une affaire technologique que nous devrions être capables de traiter en moins de deux ans.

Il faut aussi poser la question de l'hôpital qui représente aujourd'hui la moitié des dépenses de l'assurance maladie. Dans son premier diagnostic, le Haut conseil est resté muet sur cette question. Les séances suivantes ont montré qu'il était largement temps de s'y attaquer, sachant que les dépenses hospitalières ne sont pas toutes justifiées et que leur efficience doit être prouvée.

Nous sommes ouverts à toutes ces questions. Nous sommes favorables à une modernisation du système. Nous ne pouvons en effet pas accepter que ces dérives continuent. Nous souhaitons donc moderniser le système, l'adapter et trouver les moyens d'équilibrer chaque année le budget de l'assurance maladie. Il ne faut pas oublier non plus sa dette considérable, de l'ordre de 30 milliards d'euros, qu'il faudra apurer d'une façon ou d'une autre.

M. Nicolas ABOUT, président - Quelle forme peut, selon vous, prendre la responsabilisation des assurés ?

M. Jean-Louis DEROUSSEN - On a toujours tendance à mettre en avant la responsabilisation des usagers. Je pense que c'est surtout la mauvaise information du patient qui est à l'origine du « nomadisme médical ». Les consultations redondantes ne sont pas toujours de son fait ; elles sont parfois demandées par le médecin traitant, par le spécialiste et, parfois, par l'hôpital. Lorsqu'une hospitalisation est nécessaire, le patient se retrouve souvent dans l'obligation de satisfaire à de nouveaux examens, de nouvelles radios, etc. Je suis donc favorable à la responsabilisation des patients, mais il faut garder à l'esprit que l'ensemble des actes médicaux n'est pas de leur fait.

M. Nicolas ABOUT, président - Ainsi, le médecin référent et le dossier médical partagé seraient de nature à responsabiliser tant les assurés que les soignants.

M. Jean-Louis DEROUSSEN - Le médecin est un acteur incontournable dans l'organisation du système. Si le médecin était le premier interlocuteur et le premier conseiller du patient dans son parcours médical, ce serait une source d'économies et, surtout, de meilleurs soins.

M. Nicolas ABOUT, président - Vous avez évoqué tout à l'heure le constat partagé du Haut conseil de l'assurance maladie. Considérez-vous qu'il faille établir de nouvelles relations entre les différents acteurs du système (gestionnaires, professionnels de santé et usagers) ? Faut-il une nouvelle délégation de gestion de l'assurance maladie ? Est-il nécessaire de créer de nouvelles structures ? Quel doit être le rôle de l'État ? Doit-il fixer des objectifs et laisser les partenaires sociaux décider des moyens nécessaires pour parvenir à l'équilibre ?

M. Jean-Louis DEROUSSEN - Je crois qu'il faut abandonner le principe d'un objectif national de dépenses dont on sait pertinemment, le jour où il est voté, qu'il sera dépassé. Dans notre projet d'organisation de la délégation de gestion, nous verrions un conseil d'administration de la Caisse nationale qui serait placé au centre du système et serait responsable de la gestion. Il travaillerait avec l'État, qui fixerait les orientations de santé publique, et le Parlement, qui voterait le budget. La délégation de gestion consisterait à mettre en oeuvre ces orientations de santé publique par un travail à trois entre l'État, le Parlement et les gestionnaires de la Caisse d'assurance maladie.

Pour mettre en oeuvre ces orientations de santé publique, les gestionnaires travailleraient en lien étroit avec les principaux acteurs du système, à savoir les professionnels de santé et l'Union de l'assurance maladie complémentaire (mutuelles de santé, institutions de prévoyance et assureurs privés). Il y aurait donc deux blocs : l'un comprenant l'État et le Parlement et l'autre, les complémentaires et les professionnels de santé. Pour travailler, ces gestionnaires auraient besoin de l'éclairage d'une « haute autorité de santé » qui regrouperait des experts, des savants et des scientifiques, et qui donnerait, sur la question des médicaments ou des pratiques médicales, un éclairage nécessaire pour mieux gérer. Nous aurions aussi besoin de rassembler les données de santé au sein d'un « institut de la santé » qui pourrait apporter un éclairage complémentaire.

Nous restons favorables à l'existence du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie. Ce Haut conseil est là non seulement pour donner des orientations mais aussi pour recueillir l'avis de l'ensemble des acteurs du système. Nous avons d'ailleurs vu que les travaux menés au sein de ce Conseil ont été un précieux apport pour réfléchir à une nouvelle organisation de l'assurance maladie.

Tel est notre schéma. Il n'est pas très éloigné du premier schéma que nous avait transmis le Gouvernement à l'arrivée de M. Douste-Blazy.

M. Nicolas ABOUT, président - Une meilleure gouvernance, des objectifs clairs, une responsabilisation de tous les acteurs permettraient donc d'aboutir à des économies, mais nous savons qu'il faudra aussi des recettes nouvelles pour équilibrer le système. D'où proviendront-elles (CSG, taxe sociale sur la consommation) ? Comment voyez-vous ce réajustement financier ?

M. Jean-Louis DEROUSSEN - Nous pensons qu'il faut tout faire pour atteindre un équilibre annuel et ne pas partir de l'idée que nous serons en déficit à la fin de l'année. Pour cela, il faut rapidement mettre en oeuvre certaines mesures, comme le dossier médical partagé qui permettrait de résorber la moitié du déficit actuel. Mais il faudra sans doute trouver d'autres mesures concrètes. La question est donc de savoir si les recettes actuelles suffisent à répondre aux orientations définies par l'État. La solution de facilité consisterait à réduire les dépenses, en ne prenant en charge que la moitié du prix des actes ou en déremboursant certains médicaments, mais ce n'est certainement pas le chemin à suivre. Quelles nouvelles recettes faut-il alors privilégier ? Nous pensons que les Français attendent d'être bien, voire mieux soignés. Nous pensons donc que, pour peu que l'on partage ces informations avec eux, les Français ne seront pas opposés à l'idée de mettre la main au porte-monnaie.

Il existe différentes solutions. Le Premier ministre a évoqué l'idée d'une franchise à l'acte. Les semaines précédentes, on parlait d'une franchise annuelle (les 50 premiers euros ne seraient pas remboursés). On parle aussi d'une augmentation de la CSG. Ce que nous voulons, c'est que l'effort soit partagé. Nous ne voulons pas que les patients soient les seuls à être mis à contribution. Nous ne pourrons pas l'accepter tant que le système n'aura pas été ramené à l'équilibre et sans engagement des autres acteurs, à savoir les entreprises. Nous pensons en effet que les entreprises doivent être mises à contribution pour sauver notre système de santé. Les professionnels de santé doivent eux aussi accepter d'être placés face à leurs responsabilités et accepter de ne pas voir leurs tarifs augmenter si ce sont les patients qui en font les frais.

M. André LARDEUX - Actuellement, le financement de l'assurance maladie est réparti en trois parts : la part publique, la part complémentaire et la part des assurés. Quelle est selon vous la répartition la mieux équilibrée entre ces trois parts ?

Vous avez par ailleurs évoqué l'augmentation de la CSG. Je rappelle qu'un point supplémentaire de CSG représenterait 9 milliards d'euros. Ne craignez-vous pas que cela ait un effet dévastateur sur la consommation, et donc sur l'emploi dans notre pays ?

M. Jean-Louis DEROUSSEN - 92 % des Français ont aujourd'hui recours à une assurance complémentaire, qu'il s'agisse d'un contrat d'entreprise, d'une mutuelle personnelle ou d'une compagnie d'assurances. Ce que nous ne souhaitons pas, c'est un désengagement de la sécurité sociale en matière de remboursement. Cela ne veut pas dire que tous les médicaments remboursés doivent continuer à l'être. Pour nous, un médicament ne doit être remboursé que s'il est efficace. Mais ce n'est pas au gestionnaire de juger de leur efficacité. Nous avons donc besoin d'une autorité indépendante. Nous ne souhaitons pas en effet qu'un médicament soit déclaré efficace par une instance dans laquelle siégerait le directeur du laboratoire qui le fabrique. Cette autorité, qui déterminera le périmètre de soins, doit permettre de mieux cibler ce qui relève du domaine de l'assurance maladie.

M. Nicolas ABOUT, président - Faut-il laisser quelque chose à la charge du patient ? Faut-il permettre aux complémentaires de rembourser des médicaments jugés inefficaces ?

M. Jean-Louis DEROUSSEN - La CFTC estime que la part remboursée devrait s'élever à 90 %, avec une part à la charge de l'assurance maladie de 70 % et une part complémentaire de 20 % qui, à l'instar des retraites, serait rendue obligatoire. Les 10 % resteraient à charge des patients, ce qui permettrait de les responsabiliser. Ainsi, on serait assuré que l'ensemble des Français serait pris en charge.

M. Nicolas ABOUT, président - Quel est votre avis sur l'augmentation de la CSG ?

M. Jean-Louis DEROUSSEN - Ce serait une solution facile. Il suffirait en effet de relever la CSG de 3 % pour résorber le déficit de l'assurance maladie mais, comme nous l'ont montré les précédentes expériences, cela ne garantirait pas son équilibre sur le long terme. Si le système était mieux organisé, une hausse du taux de CSG apporterait sans doute un « coup de pouce », mais il faut se garder d'y voir une solution miracle.

M. Louis SOUVET - J'ai trois questions à vous poser. Le ministre de la santé a parlé de 10 millions de fausses cartes « Vitale ». Quelle est votre évaluation de la fraude ?

Vous parlez par ailleurs d'une assurance complémentaire rendue obligatoire. Je comprends mal cette organisation. Puisque cette assurance est rendue obligatoire, pourquoi ne pas l'intégrer à la sécurité sociale ?

Vous avez également dit que l'on ne pouvait plus accepter les dérives, qu'il fallait parvenir à l'équilibre chaque année, que les patients et les entreprises pourraient être amenés à mettre la main au porte-monnaie. Jusqu'où votre organisation est-elle prête à aller dans cette voie ? Quelle part êtes-vous prêt à assumer au titre de votre organisation ?

M. Jean-Louis DEROUSSEN - Concernant la fraude à la carte Vitale, elle est malheureusement inévitable. Plusieurs explications sont avancées. Les étudiants conservent par exemple leur carte Vitale lorsqu'ils entrent dans le monde salarié, alors qu'ils ne dépendent plus du même organisme, et personne ne leur demande de la rendre alors qu'elle ne donne plus droit à remboursement. Autre exemple : il est inscrit au dos de la carte Vitale qu'en cas de perte, il suffit de la mettre dans une boîte aux lettres, mais qui nous dit qu'elle est ensuite restituée à son propriétaire ? Je pense que l'assurance maladie doit être garante de ce système, comme le groupement des cartes bancaires est responsable des cartes volées ou perdues. Le gestionnaire du système doit observer cette question de près.

M. Nicolas ABOUT, président - Il faut rappeler que les cartes « Vitale » doivent être réactualisées régulièrement. Après un certain temps, elles ne fonctionnent plus. Il convient donc de relativiser ce point. Concernant les complémentaires obligatoires, faut-il les intégrer à l'assurance maladie ?

M. Jean-Louis DEROUSSEN - Non. Nous nous inspirons de l'exemple de l'Alsace-Moselle où les patients (salariés et retraités) ont pris la responsabilité d'assumer eux-mêmes la part complémentaire obligatoire. Cette cotisation représente 1,70 % de leurs revenus et permet de faire passer tous les remboursements de 70 % à 90 % et de rendre l'hospitalisation gratuite, y compris le forfait hospitalier. Aucune mutuelle ou compagnie d'assurance ne peut offrir de telles garanties pour une cotisation équivalente. Cela veut dire qu'en mutualisant les cotisations des salariés et des retraités et qu'en les faisant gérer par des partenaires sociaux, on peut enregistrer des progrès.

M. Louis SOUVET - Il faudra donc bien étudier ce qui se passe en Alsace-Moselle, qui est une nouvelle fois un exemple pour la France...

M. Gilbert CHABROUX - Monsieur le secrétaire général, j'ai apprécié de connaître le calendrier selon lequel le texte du Gouvernement sera examiné. Vous en savez manifestement beaucoup plus que nous. Vous disposez même d'un texte depuis vendredi dernier. Nous n'en sommes pas là et je regrette de ne pas avoir le même niveau d'information que vous. J'aimerais donc que vous puissiez nous renseigner et nous apporter les informations que le Gouvernement ne veut pas nous donner.

Je souhaiterais par ailleurs que vous abordiez quelques points sur la question de la responsabilisation. Je me demande si vous n'emboîtez pas le pas du Premier ministre qui, dans une récente déclaration télévisée, a parlé d'un forfait annuel. Il a par ailleurs été question d'un forfait sur les boîtes de médicaments et les actes médicaux. Or vous dites que l'objectif est de porter le taux de remboursement à 90 % et de laisser 10 % à la charge des patients. Les propositions du Gouvernement et les vôtres ne se rejoignent-elles pas ? Pensez-vous que la question de la responsabilisation soit bien posée lorsqu'on ne parle que des patients et pas des médecins ? Le patient est-il véritablement plus responsable que le médecin ? Vous n'avez pas évoqué les professionnels de santé. Vous avez très peu parlé des entreprises et j'ai lu ce matin dans la presse une déclaration du MEDEF indiquant qu'il ne consacrerait pas un euro de plus aux dépenses de santé. La responsabilisation est-elle vraiment égale dans le schéma que vous proposez ? Pourriez-vous nous dire quelle place reviendrait dans ce système à la couverture maladie universelle ? Devons-nous poursuivre dans cette voie ? Devons-nous revoir son seuil ? Faut-il la supprimer et appliquer la règle du remboursement à 90 % pour tout le monde, y compris ceux qui n'en ont pas les moyens ?

M. Jean-Louis DEROUSSEN - Le calendrier que je vous ai présenté fait toujours l'objet de discussions. Quant aux fiches thématiques qui nous ont été remises, elles sont censées conduire nos négociations. Ces fiches portent sur trois thèmes principaux : la gouvernance, la réorganisation du système de soins et l'apurement de la dette. Elles dressent des constats et posent des questions, mais il ne s'agit pas encore du texte gouvernemental.

Concernant la responsabilisation, je pense qu'elle doit être partagée par tous. La faute ne doit pas toujours être rejetée sur le patient. Le médecin doit lui aussi réfléchir à la question de l'offre de soins car il en est l'un des acteurs. Nous ne pouvons plus accepter qu'un médecin s'installe dans une région surmédicalisée, que deux CHU distants de 50 kilomètres traitent une même spécialité de pointe, etc. L'ensemble des professionnels de santé doit se responsabiliser pour proposer, sur l'ensemble du territoire, l'offre de soins la plus pointue et la mieux adaptée. Les Français sont demandeurs d'une meilleure organisation, d'une médecine encore plus pointue et nous savons que cela aura un coût, mais les patients ne doivent pas être les seuls à le supporter. Les entreprises devront aussi en prendre une partie en charge même si elles affirment qu'elles ne verseront pas un euro de plus dans leurs déclarations publiques. Nous entrons dans des négociations où chacun devra faire un effort.

Pour nous la CMU, c'est-à-dire le soin apporté aux plus démunis, ne doit pas être remise en cause, même s'il existe de dangereux effets de seuil. Nous pensons qu'une personne ayant charge de famille et qui touche un salaire inférieur au SMIC doit être aidée dans la prise en charge de ses frais de santé.

M. Guy FISCHER - Ne pensez-vous pas que, pour la réforme la plus importante de l'après-guerre, les délais fixés pour travailler soient inacceptables ? Par ailleurs, êtes-vous favorables à ce que les partenaires sociaux actuels jouent un rôle de pivot dans la gestion de l'assurance maladie ? Ne pensez-vous pas que, d'une manière ou d'une autre, nous serons poussés à déterminer un périmètre de soins remboursables, ce qui aboutira à la détermination d'un panier de soins ?

M. Alain GOURNAC - Monsieur le secrétaire général, je tiens à vous dire que j'ai apprécié vos engagements, en particulier sur le taux de remboursement de 90 %. Je souhaiterais cependant que vous nous disiez un mot sur la surconsommation médicale, dont il faudra bien que nous parlions un jour. J'ai également été étonné que vous ne parliez pas de l'hôpital, qui représente 50 % du déficit de la sécurité sociale, et je pense qu'il faudra mener des actions spécifiques vis-à-vis de l'hôpital. J'ajoute que, pour les Français, ce qui est gratuit n'a guère d'importance. A titre personnel, je trouve étonnant, lorsque j'ai été malade voici quinze jours, que l'on m'ait donné douze cachets alors que je n'en avais besoin que de deux. Il faudrait étudier avec les laboratoires un moyen de faire en sorte que les médicaments prescrits soient réellement utilisés.

M. Jean-Louis DEROUSSEN - Le calendrier est effectivement serré mais ce n'est pas une raison pour refuser la négociation. Nous faisons tout pour nous conformer au calendrier mais si une semaine supplémentaire s'avère nécessaire, je pense que les responsables gouvernementaux nous l'accorderont. Nous débattons en effet d'une proposition de loi qui sera ensuite déclinée sous forme de décrets. Nous ne pourrons certainement pas régler un problème aussi important en trois semaines mais il existe une réelle volonté de faire, ce qui me semble important. Les partenaires sociaux et les organisations syndicales sont prêts à assumer leurs responsabilités. Vous pourrez poser la même question aux organisations patronales. D'après la réponse qu'elles nous ont faite hier lors de notre entretien avec le directeur de cabinet du ministre, elles n'ont manifestement toujours pas franchi le pas. Le système paritaire actuel reste donc bancal et nous espérons que certains reviendront à des positions plus raisonnables en reprenant toute leur place dans la gestion du système.

Faut-il réduire le périmètre de remboursement ? Nous ne sommes absolument pas d'accord avec cette idée. Lorsqu'un médicament ou une pratique médicale est indispensable, il doit être remboursé. Il n'est pas question de revenir sur ce principe. Quant aux armoires à pharmacie des Français, elles sont effectivement pleines de médicaments, mais ceux-ci leur ont été prescrits.

Concernant la question de l'hôpital, il représente la moitié des dépenses. Il n'est donc pas question pour lui d'échapper à la réforme. L'hôpital doit entrer dans la réforme de l'assurance maladie. Le Haut conseil a consacré une séance de travail à ce sujet et a mis en évidence certains états de fait que les Français n'accepteraient pas. On ne peut pas accepter que les dépenses de deux hôpitaux ou de deux cliniques traitant les mêmes maladies aillent du simple au double. Il faut étudier cette question de près car tout doit pouvoir être corrigé.

Quant au fait que ce qui est gratuit n'aurait pas d'importance aux yeux des Français, est-on certain qu'on arriverait à les responsabiliser en laissant une partie des dépenses à leur charge ?

M. Nicolas ABOUT, président - Monsieur, nous vous remercions de la contribution que vous avez bien voulu apporter à notre débat.

Audition de M. Gaby BONNAND, secrétaire national de la
Confédération française démocratique du travail (CFDT)
(mercredi 12 mai 2004)

M. Nicolas ABOUT, président - Monsieur le secrétaire national, merci d'avoir accepté d'être entendu ce matin par la commission. Vous avez dix minutes pour nous présenter votre vision de la réforme qui nous est proposée, puis nous vous interrogerons.

M. Gaby BONNAND - Je vous remercie de nous accueillir dans cette enceinte.

Durant ses travaux, le Haut conseil a montré combien il était nécessaire de parvenir rapidement à une réforme de l'assurance maladie. Dans ses premières pages, il a bien montré que l'assurance maladie constituait l'un de nos succès collectifs en offrant un très large et égal accès aux soins. Outre son rôle sanitaire, il rappelle qu'elle remplit également une importante fonction de cohésion sociale. J'insiste sur ces deux points puisque le Haut conseil montre que notre système d'assurance maladie a eu deux effets majeurs : il a permis et contribué largement à l'accès aux soins ; il a participé à la cohésion sociale. Pour nous, la réforme doit permettre de pérenniser et de renforcer ces deux effets.

Selon nous, si l'on souhaite réformer l'assurance maladie, il faut d'abord s'attaquer à la réorganisation du système de soins. Le défi majeur que nous devons relever est de passer d'un système de distribution de soins à un système de santé dans lequel les usagers peuvent se retrouver et prendre en charge leur parcours de santé. Pour la CFDT, cela veut dire que la réforme ne peut pas simplement avoir des objectifs financiers. Nous avons connu trop de plans financiers qui n'ont pas permis de toucher à l'organisation du système et nous ne voulons pas retomber dans cette mécanique. Les plans successifs qui ont amené à prendre des mesures uniques financières consistant soit à réduire les remboursements soit à augmenter les cotisations (ticket modérateur, forfait hospitalier...) n'ont amené qu'à exclure du système une part grandissante de la population, pas toujours prise en charge par une assurance complémentaire (avant la création de la CMU). Si l'on souhaite réformer l'assurance maladie, il ne faut donc pas en avoir une vision purement financière.

Pour nous, il est important de voir comment rendre le système de soins plus efficace, plus performant, au service des usagers. Pour nous, cette réforme doit en effet garantir un accès aux soins équitable sur l'ensemble du territoire et un remboursement plus juste, basé sur un financement solidaire. Pourquoi revoir l'organisation du système ? Vous étiez représentés au sein du Haut conseil et vous savez que nous y avons largement fait le point sur la situation démographique des médecins. Nous nous sommes par exemple rendus compte que, pour un nombre d'habitants équivalent, il y avait deux fois plus de généralistes en Hautes-Alpes qu'en Seine-Saint-Denis. Nous rencontrons également un problème dans la formation des professionnels de santé puisqu'un médecin sur six a suivi une formation continue. Nous rencontrons aussi un problème dans l'articulation de la médecine de ville et de l'hôpital puisque les urgences progressent de 5 % chaque année alors que l'hospitalisation n'augmente que de 1 %, ce qui signifie que certains actes pourraient être pratiqués ailleurs qu'aux urgences. Nous avons enfin un problème dans la prise en compte de la prévention. Le système ne permet pas de construire un parcours de santé de manière pertinente. Pour nous, il faut donc d'abord s'attaquer à l'organisation du système qui doit faire en sorte que l'usager puisse prendre en charge sa santé, ce qui demande une coordination plus grande entre intervenants, avec par exemple le dossier médical partagé, pour peu que celui-ci ne soit pas un simple relevé d'actes mais un véritable outil qui permette aux patients et aux professionnels de définir un vrai parcours de santé et un suivi sanitaire.

Nous sommes également favorables à ce que l'État définisse les orientations de l'équilibre de l'offre de soins sur le territoire, charge ensuite à l'assurance maladie de la mettre en oeuvre dans le cadre des négociations conventionnelles. Si l'on souhaite par exemple changer la situation en matière de démographie médicale, il faudra bien que nous ayons des orientations claires, charge ensuite à l'assurance maladie de définir les éléments qui permettront de la mettre en oeuvre. Je pourrais prendre bien d'autres exemples qui montrent la nécessité de s'attaquer vraiment au problème de l'organisation.

Nous avons également besoin d'organisation dans notre politique du médicament. Pour la CFDT, l'assurance maladie n'a pas vocation à rembourser tous les produits pharmaceutiques mais l'industrie pharmaceutique ne doit pas non plus se servir des systèmes de protection collective pour augmenter ses profits de manière éhontée. Il nous faut probablement améliorer les dispositifs d'autorisation de mise sur le marché et travailler sur les niveaux de remboursement. Nous savons très bien que le fait qu'une molécule tombe dans le domaine public donne l'occasion à certains laboratoires pharmaceutiques d'en sortir une nouvelle version, sans service rendu supérieur, ce qui ne l'empêchera pas d'être vendue dix fois plus chère que la précédente. Il nous faut, à travers le comité économique des produits de santé, faire une meilleure place à l'assurance maladie de façon à ce qu'elle puisse avoir plus de poids dans la définition de ce qui est remboursé.

Pour ce qui concerne l'organisation du système de santé, elle doit se faire autour du patient. C'est pour cela que nous sommes favorables à la notion de médecin référent, même si nous préférons employer un autre terme. Nous ne pourrons en effet pas rendre les citoyens responsables de leur parcours de santé si nous ne rendons pas plus lisible le système de santé. Chacun sait qu'il manque de lisibilité et que l'on a plus de chances de trouver un hôpital, un médecin ou une clinique où être soigné si l'on a de bonnes relations. Si l'on n'a pas la chance d'appartenir à un réseau de connaissances, il faut se satisfaire d'un autre système. Il s'agit donc d'un système inégalitaire. Il faut le rendre plus transparent et, pour nous, le médecin généraliste doit être consulté en première intention et orienter les patients dans le système de soins.

Un autre point important pour nous est l'absence de complémentarité entre régime général et régime complémentaire. Il existe aujourd'hui trois types de complémentaires : les mutuelles, qui représentent les deux tiers de la couverture complémentaire, les assureurs et les institutions de prévoyance. Cet univers n'est absolument pas régulé. Il est soumis à une concurrence totale qui ne sert ni l'efficience du système, ni la qualité des soins, et qui tire la dépense, y compris la dépense publique. Si nous ne portons pas un regard sur l'ensemble de la dépense de santé, mais seulement sur la dépense publique, nous continuerons à la faire supporter par les complémentaires. Il faut donc réguler l'univers des complémentaires, par le biais d'une aide d'État à leur généralisation, aide qui serait soumise au respect d'un cahier des charges reposant sur la non-sélection des risques et le respect des politiques conventionnelles avec le régime général, et qui pourrait prévoir quelques contreparties comme une meilleure association des complémentaires aux négociations avec les professionnels de santé, pour qu'elles ne soient pas seulement des financeurs « aveugles ». Il s'agit pour nous de mieux associer ces deux modes de financement car, comme l'a montré le Haut conseil, on ne peut plus aujourd'hui séparer la fonction de remboursement de la fonction d'organisation du système. Nous ne pouvons donc plus laisser la concurrence se développer parmi une partie de ceux qui assurent le remboursement. Pour prendre un exemple concret, la CNAMTS a signé une convention d'accord sur le bon usage des visites à domicile qui prévoit de les limiter aux cas les plus urgents - ce qui est plus sécurisant pour les patients comme pour les professionnels - et de moins les rembourser lorsqu'elles ne sont pas justifiées. Mais si des complémentaires les remboursent systématiquement, cela revient à se tirer une balle dans le pied. La politique de santé actuelle ne permet pas d'engager une véritable dynamique de responsabilisation des acteurs. Il nous faut donc plus de coordination.

Mais cette coordination répond aussi à un souci d'équité. Si nous voulons réduire l'inégalité d'accès aux soins, nous devons généraliser les complémentaires. Certains de nos concitoyens n'ont en effet pas d'assurance complémentaire, ou une assurance très réduite. Je vous rappelle que 40 % des contrats complémentaires ont un panier de soins dentaires inférieur à celui de la CMU. Il nous faut donc généraliser les complémentaires et aller plus loin qu'aujourd'hui, pour permettre à tous d'accéder aux soins.

Concernant le financement du système, il s'agit pour nous de renforcer un système financé de manière solidaire. La première chose à faire est de s'attaquer à l'organisation du système pour le rendre plus performant. Ainsi, il soignera mieux et permettra de mieux maîtriser les dépenses, ce qui générera des économies. Mais, même purgées de ces dysfonctionnements, les dépenses de santé continueront à croître à cause du vieillissement de la population et des progrès techniques. Il faut en outre avoir un système équitable. Or ces deux éléments ne sont pas compatibles avec le principe de non-augmentation des prélèvements obligatoires. Si l'on accepte que les dépenses de santé continuent à croître, celles-ci seront en effet supportées soit par les individus, soit par le système collectif. Nous souhaitons qu'elles soient supportées par le système collectif, ce qui nous rend d'autant plus exigeants sur la nécessité de rendre notre système collectif plus performant. Si nous n'y parvenons pas, nous risquons en effet de nous diriger vers un système de plus en plus inégalitaire, par des processus « silencieux ». Si la sécurité sociale rembourse 75 % des dépenses de santé, sa part se réduit progressivement dans l'ambulatoire et pour certains soins. Nous risquons donc d'aller progressivement vers une séparation entre risques lourds, supportés par la sécurité sociale, et petits risques, supportés par les complémentaires. Si nous ne régulons pas les relations entre complémentaires et régime général, si nous ne réorganisons pas le système, si nous ne le rendons pas plus performant, si nous ne sommes pas plus exigeants vis-à-vis des professionnels de santé, nous assisterons à cette dérive.

Pour nous, ce financement solidaire doit essentiellement reposer sur la CSG. Mais nous nous posons des questions car, depuis deux ans, le Gouvernement a fait des baisses d'impôts la « colonne vertébrale » de sa politique économique. Or il nous semble difficile, d'un côté, d'augmenter un prélèvement proportionnel et, d'un autre côté, de baisser des prélèvements progressifs. Ceux qui payent des impôts pourront en effet supporter l'augmentation des prélèvements destinés à la sécurité sociale, mais pas les autres. Nous souhaitons donc que les entreprises contribuent elles aussi au financement du système par le biais d'un prélèvement sur leurs bénéfices et que toute exonération décidée par le Gouvernement soit remboursée par l'État.

Concernant la gouvernance, elle doit permettre une meilleure organisation de santé, un meilleur accès aux soins, une meilleure prise en charge et un financement solidaire. Nous pensons que l'État doit définir la politique de santé publique, fixer les orientations en matière d'organisation des soins sur le territoire et de biens éligibles au remboursement. Il doit également donner délégation à l'assurance maladie, celle-ci devant être élargie à d'autres acteurs que les seuls partenaires sociaux. A sa création, l'assurance maladie avait pour objet essentiel d'assurer un salaire de remplacement en cas de maladie. En 1947, les indemnités journalières représentaient près de 40 % du budget de la sécurité sociale. Aujourd'hui, les revenus de remplacement n'en représentent plus que 5,7 %, le reste étant consacré au remboursement des dépenses de santé. Cette évolution doit nous conduire à réfléchir à l'identité des « pilotes » de l'assurance maladie. Nous pensons qu'elle doit s'ouvrir à d'autres acteurs et s'associer aux assurances complémentaires. L'assurance maladie doit également être chargée de la politique conventionnelle avec les professionnels de santé qui, pour leur part, doivent sortir d'une stricte logique professionnelle pour se comporter comme de véritables acteurs du système de santé.

M. Nicolas ABOUT, président - Merci beaucoup, monsieur le secrétaire national. Vous avez, dans votre propos, largement répondu aux questions que vous avait posées le rapporteur. Monsieur le rapporteur, souhaitez-vous compléter vos questions ?

M. Alain VASSELLE, rapporteur - A quelques détails près, M. Bonnand nous propose une réforme « clés en mains ». Il nous appartient maintenant d'apprécier si cette voie devra être suivie. Je note cependant qu'il existe plusieurs points de consensus par rapport à nos précédentes auditions, ce dont je me réjouis. Reste maintenant à savoir si le Parlement les partagera.

J'avais prévu de vous poser des questions sur la répartition des dépenses, la responsabilisation des acteurs, le financement et la gouvernance. Vous avez déjà répondu à celles portant sur la gouvernance et la responsabilisation des acteurs. Concernant le financement, vous avez dit que l'amélioration du système de soins devrait générer des économies. Or si beaucoup partagent cet avis, personne n'est en mesure de les chiffrer. M. Fragonard a affirmé que cela ne faisait pas partie des missions du Haut conseil, celui-ci étant simplement chargé d'établir un diagnostic. Avez-vous une idée de ces économies potentielles ? Que représentent-elles par rapport aux dépenses de santé, dont la croissance est supérieure de deux points à celle du PIB ? Pourrions-nous arriver, grâce à ces économies, à au moins neutraliser leur croissance ? Si elles s'avèrent insuffisantes, quelle devra être la part couverte par une augmentation des prélèvements, et sous quelle forme ? Quel est par exemple votre sentiment sur une éventuelle franchise ? Faut-il plutôt augmenter la CSG ou mettre en place une TVA sociale ? Quelles solutions préconisez-vous ?

Je n'oublie pas non plus la question du déficit. Nous avons créé la CADES qui a permis de financer les déficits antérieurs, mais le déficit courant risque de se chiffrer en dizaines de milliards d'euros. Comment allons-nous le financer ? Quel est le sentiment de la CFDT sur ce point ?

M. Gaby BONNAND - Concernant le financement du système, nous ne disposons pas aujourd'hui des outils d'évaluation qui nous permettraient de conduire une médicalisation des dépenses. Nous ne pouvons donc pas chiffrer de manière très précise les effets des dysfonctionnements, mais nous pouvons tout de même donner quelques éléments. Ainsi, d'après les experts, il serait assez facile d'économiser rapidement deux milliards d'euros en conduisant une politique du médicament beaucoup plus médicalisée et en mettant à contribution les laboratoires pharmaceutiques, non par une taxation mais en améliorant les dispositifs fixant les prix de remboursement.

Il faudrait aussi agir sur l'offre de soins. Certains généralistes pensent que toute ordonnance de plus de trois lignes présente des dangers, en raison des éventuelles contre-indications. Or, le Haut conseil note que la France détient le record du nombre d'hospitalisations dues à des contre-indications. On sait par ailleurs que certains professionnels ont encore l'habitude de faire des ordonnances de plus de trois lignes. Il ne s'agit pas de les stigmatiser, mais de voir comment placer tous les acteurs en situation de responsabilité. La CFDT est très présente chez les visiteurs médicaux. Ceux-ci nous disent qu'ils n'ont jamais suivi de formation pour éduquer les professionnels. S'ils sont contraints aujourd'hui de faire de la formation, c'est à cause de la carence du système, qui ne doit pas être aux mains des industries pharmaceutiques.

M. Nicolas ABOUT, président - Il est vrai que les interactions entre médicaments sont très mal connues.

M. Gaby BONNAND - Pour ce qui concerne nos propositions, je crois en avoir dit un mot. Nous sommes par exemple opposés au principe d'une franchise. Il ne faudrait en effet pas confondre mesures financières et outils permettant aux différents acteurs de prendre leurs responsabilités. Une franchise est une mesure « aveugle » ; elle ne permet pas la responsabilisation dans une logique de parcours de santé. Or, par le passé, les mesures aveugles ont donné naissance à des trous à pauvreté - qu'il nous a fallu pallier ensuite par le biais de systèmes d'assistance tels que la CMU - plutôt que responsabiliser les acteurs. Je vous rappelle que les dépenses de santé sont supportées à 75 % par l'assurance maladie, à 13 % par les complémentaires et à 11 % par les assurés. Les assurés prennent en charge une partie des dépenses de santé. L'assurance maladie n'est donc pas « gratuite », comme l'affirment certains.

Nous sommes en revanche favorables, dans le cadre d'un parcours de santé, à des modulations de remboursement. Pour prendre un exemple, si l'État définissait les soins dentaires comme une priorité sanitaire, l'assurance maladie, associée aux complémentaires, pourrait créer un droit à la visite annuelle pour tous. Les assurés qui effectueraient cette visite pourraient alors bénéficier d'un taux de remboursement des soins réparateurs supérieur. Une telle mesure permettrait de responsabiliser à la fois les professionnels, qui feraient la publicité de ce droit, et les assurés.

Nous sommes donc opposés à une franchise « aveugle » mais pas à une modulation des remboursements qui permettrait de concilier objectifs médicaux et économiques.

M. Louis SOUVET - Vous avez dit que la réforme ne consistait pas seulement à répondre aux difficultés financières mais également à offrir une garantie d'accès aux soins. La CFDT est néanmoins une organisation responsable. Comment résorberez-vous le déficit actuel ?

Concernant les assurances complémentaires, vous avez dit qu'elles n'étaient pas une solution. Quelle est donc pour vous « la » solution ?

Enfin, pour vous, la carte Vitale - c'est-à-dire la gratuité - est-elle synonyme de gaspillage ?

M. Gilbert CHABROUX - J'ai apprécié de vous entendre dire que nous ne devions pas avoir une vision strictement financière de l'assurance maladie. Vous avez rappelé les propos du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie sur l'accès aux soins et l'aspect social du système.

Je souhaiterais vous poser une question sur l'égalité d'accès aux soins sur notre territoire. Il existe dans ce domaine des inégalités criantes, comme le montre votre comparaison entre Seine-Saint-Denis et Hautes-Alpes. Avez-vous des propositions innovantes pour corriger ces inégalités, non seulement géographiques mais également sociales ? Sauriez-vous comment procéder ?

Je m'interroge par ailleurs sur l'avenir de la CRDS. J'ai cru comprendre que le Premier ministre souhaitait la prolonger. Qu'en pensez-vous ? Quelles sont vos propositions pour apurer ce déficit de 30 millions d'euros créé par l'actuel gouvernement ?

M. Guy FISCHER - Ne pensez-vous pas que, in fine , la réforme sera essentiellement supportée par les assurés sociaux, c'est-à-dire par les salariés ? Pouvez-vous par ailleurs nous en dire plus sur votre conception d'une assurance maladie élargie à d'autres acteurs que les partenaires sociaux ?

M. Alain GOURNAC - Je souhaiterais avoir votre avis sur la Haute autorité de santé. Pour ce qui me concerne, je souhaiterais qu'elle soit totalement indépendante du lobby des laboratoires pharmaceutiques. Il ne faut d'ailleurs surtout pas demander aux visiteurs médicaux de faire de la formation car ils l'orienteront inévitablement en faveur de leurs produits.

Je ne peux par ailleurs que confirmer vos propos sur la consommation excessive de médicaments, l'un des conseillers municipaux du Pecq étant décédé après avoir pris deux médicaments dont l'association était contre-indiquée.

Je ne partage pas en revanche votre point de vue sur l'effort supporté par les patients. Nombre d'entre eux pensent en effet que la santé est « gratuite » et c'est pour cette raison qu'ils ne sont pas responsables.

Vous savez enfin que l'hôpital est à l'origine de 50 % des difficultés actuelles. Il faudra donc bien prévoir des mesures spécifiques, pour éviter par exemple la multiplication des examens médicaux.

M. André LARDEUX - Vous avez dit que la réforme n'était pas qu'une question financière, mais le problème est réel. Vous avez indiqué votre préférence pour une augmentation de la CSG. Ne craignez-vous pas que cela ait un effet pervers sur la consommation, et donc sur l'économie de ce pays ?

Vous avez ensuite jugé inéluctable l'augmentation des prélèvements consacrés à la santé. Jusqu'où ces prélèvements peuvent-ils aller, sachant que si nous maintenons la tendance actuelle, 20 % du PIB seront consacrés à la santé en 2025 ?

M. Bernard CAZEAU - Pensez-vous qu'il soit possible et viable de maintenir un système d'exercice libéral avec un système de prévoyance totalement socialisé ?

M. Gaby BONNAND - Concernant les complémentaires, nous n'avons jamais dit qu'elles ne constituaient pas une solution. Nous sommes pour leur généralisation et pour une meilleure articulation entre régime général et régime complémentaire. C'est l'un des fondements de nos propositions.

Concernant la carte Vitale, je vous rappelle qu'il ne s'agit pas d'une carte de paiement mais d'un outil permettant la transmission des données. Même avec une carte Vitale, chacun doit régler sa consultation chez un médecin. La carte Vitale n'est donc pas une carte de paiement. Ce n'est pas non plus elle qui a créé le tiers payant.

Concernant l'égalité d'accès aux soins, nous proposons la création dans les régions - sous le contrôle de l'État - de SROS (schéma régional d'organisation sanitaire) intégrant la médecine ambulatoire et le secteur hospitalier, ce qui permettrait de dessiner la carte des permanences et donnerait à l'assurance maladie les moyens de négocier sa mise en oeuvre dans le cadre de la politique conventionnelle. J'ajoute que l'exercice de la médecine libérale me semble totalement compatible avec ce schéma, pour peu que l'on accepte de travailler dans un cadre collectif.

Concernant la composition du conseil d'administration de la CNAM à d'autres acteurs, nous pensons, d'une part, qu'il faut impérativement y associer fonction de remboursement et fonction d'organisation du système et, d'autre part, qu'il faut l'élargir à d'autres acteurs de la société, notamment les usagers par le biais de leurs associations fédératives. Nous avons d'ailleurs trouvé un accord avec la Mutualité sur un schéma qui permettrait de mieux articuler régime de base et régime complémentaire.

Concernant la Haute autorité, nous souhaitons nous aussi qu'elle soit indépendante.

Pour ce qui concerne l'hôpital, nous pensons que des réformes, telles que la tarification à l'activité, nous permettront de mieux juger de l'utilisation des dépenses hospitalières.

Concernant la question du financement, la CFDT a montré qu'elle était une organisation responsable. Elle est restée présente dans les caisses d'assurance maladie et a pris ses responsabilités dans la gestion de la CNAM. Nous ne pouvons donc pas être accusés d'irresponsabilité lorsque nous disons que le financement n'est pas le premier élément de la réforme. On ne peut pas tenir un discours sur la dette de la sécurité sociale et ne pas mener le même effort rigoureux pour l'ensemble de la politique de notre pays. Je comprends les craintes de certains sur les effets pervers d'une hausse de la CSG mais, depuis quelques mois, on nous dit aussi que les baisses d'impôts devraient avoir un effet positif sur l'emploi. Or ces baisses ont surtout eu pour effet d'augmenter l'épargne et n'ont été consacrées ni à l'investissement, ni à la consommation. Elles ont au contraire alourdi le déficit public, privant ainsi l'État de moyens. Ce n'est donc pas simplement sur la dette de la sécurité sociale que nous devons nous interroger, mais sur la dette globale de notre pays, et les politiques publiques doivent être cohérentes. On ne peut pas demander des efforts supplémentaires pour le système de protection sociale sans réviser notre politique économique dans un sens qui réponde aux besoins de notre pays en termes d'emploi et de croissance.

M. Nicolas ABOUT, président - Monsieur le secrétaire national, nous devons malheureusement en rester là. Vous pourrez nous transmettre vos éventuelles remarques complémentaires et celles-ci seront jointes à ce procès-verbal.

Audition de MM. Jacques CREYSSEL, directeur général,
et Bernard CARON, directeur de la protection sociale
du Mouvement des entreprises de France (MEDEF)
(mercredi 12 mai 2004)

M. Nicolas ABOUT, président - Monsieur le directeur général, soyez le bienvenu. Nous vous invitons à nous présenter la position du Mouvement des entreprises de France, puis nos commissaires vous interrogeront.

M. Jacques CREYSSEL - La réforme de l'assurance maladie est dramatiquement urgente. Pour nous, la première priorité est de créer les conditions d'un retour à un équilibre financier durable avant de définir une forme de gouvernance rénovée. Vous connaissez la situation actuelle. On prévoit un déficit de l'ordre de 15 milliards d'euros à la fin de l'année et un déficit cumulé de 35 milliards d'euros à fin 2004, soit l'équivalent de 2,5 % de la production annuelle de la France. Ce sont des chiffres que personne n'imaginait il y a quelques années et qui supposent qu'un plan d'économie et de redressement soit mis en place.

Pour nous, ce plan doit poursuivre trois objectifs. Le premier est la cohérence. Ce plan doit concerner à la fois la médecine de ville, le médicament et l'hôpital. J'insiste particulièrement sur ce dernier point car, pour nous, aucune réforme ignorant l'hôpital n'est imaginable compte tenu du poids de celui-ci dans les dépenses et de l'interaction permanente entre secteurs.

Deuxième élément majeur de ce plan : il ne doit pas recourir à de nouveaux prélèvements. La situation économique française est extrêmement fragile et tout nouveau prélèvement, quelle que soit sa forme, serait un mauvais coup pour la croissance de l'emploi. Depuis quatre ans, le rythme annuel de croissance varie de 0 % à 2 %, ce qui montre qu'il faut absolument aller dans le sens d'une réduction des prélèvements obligatoires et des déficits, plutôt que choisir la solution facile et habituelle de l'augmentation des prélèvements. Nous ne pouvons plus traiter les problèmes sociaux par la hausse des cotisations.

Le troisième objectif de ce plan de redressement est la responsabilisation tant des professionnels de santé que des malades. De ce point de vue, nous devons sortir des anciens schémas et essayer de faire preuve de courage.

Dans ce cadre, il appartient à l'État et au Parlement d'arrêter les modalités précises de la réforme. Il n'appartient pas aux partenaires sociaux de vous proposer des éléments de réforme. C'est l'État qui est responsable de la politique de santé publique. Tous les éléments de diagnostic sont sur la table. Tous les éléments de réforme ont été examinés par le Haut comité présidé par M. Fragonard, qu'il s'agisse de l'articulation entre médecine de ville et hôpital, de la mise en place d'un conventionnement plus sélectif, de la réforme de la gestion hospitalière, de la mise en place de franchises ou de tickets modérateurs, de la lutte contre le nomadisme médical ou de l'articulation entre régime général et régime complémentaire. Tout ceci a été étudié ; le temps est désormais à la décision et c'est à l'État qu'il revient de la prendre. Nous n'avons pas de propositions précises à faire car cela ne relève pas de notre responsabilité. Nous considérons que nous ne sommes pas légitimes pour le faire.

En matière de gouvernance, il faut absolument trouver une solution totalement nouvelle. Nous sommes persuadés que le retour au paritarisme d'antan est impossible car les entreprises ne considèrent pas avoir la légitimité de prendre des décisions en matière de santé publique. La légitimité du MEDEF à proposer la fermeture d'un service hospitalier, à réduire le remboursement d'un médicament ou à discuter avec les professions médicales du montant de la consultation est extrêmement faible. La meilleure preuve en est que, lors de la canicule de l'été dernier, tout le monde s'est immédiatement retourné vers l'État, non vers les gestionnaires de la CNAM. Cette question de légitimité est pour nous fondamentale.

Puisque nous ne pouvons pas aller vers une étatisation complète du système, ni revenir au paritarisme d'antan, nous devons donc trouver des solutions nouvelles et c'est ce que je vais essayer d'exposer rapidement. Ce n'est pas parce que nous refusons le retour au paritarisme « à l'ancienne » que nous nous désintéressons des problèmes de santé. Nous sommes prêts à participer, avec d'autres acteurs de la société civile, à la surveillance d'ensemble du nouveau système d'assurance maladie. Nous sommes également prêts à gérer directement, avec d'autres partenaires sociaux et dans le cadre d'un paritarisme strict, un certain nombre de dépenses directement liées au contrat de travail, qu'il s'agisse des accidents du travail, des maladies professionnelles ou des indemnités journalières pour lesquelles nous souhaitons une évolution, à condition que les ressources correspondantes soient transférées aux instances nouvellement créées.

Nous sommes donc prêts à prendre une place dans un système de gouvernance rénové. Il ne s'agirait pas pour nous d'un retour mais d'une arrivée dans un nouveau système qui allierait la légitimité de l'État et de la société civile. Pour nous, l'État devrait garder la responsabilité d'arrêter, après avis d'un Haut comité, la politique générale de santé publique. Le Parlement arrêterait chaque année le montant limitatif des dépenses d'assurance maladie, ce qui nécessiterait de réformer la loi de financement de la sécurité sociale pour en faire une véritable loi de finances sociales, ce qui permettrait d'en débattre chaque année, en liaison avec l'ensemble du dispositif social français, et de traduire ainsi clairement les choix de la Nation.

Une agence de la santé serait créée pour remplacer le système actuel de la CNAM. Elle compterait un directoire, nommé par l'État, et un conseil de surveillance, qui regrouperait les partenaires sociaux et d'autres éléments de la société civile. Son rôle serait notamment de conclure des accords avec les autres partenaires du système de santé (mutuelles, assurances, institutions de prévoyance). Le directoire serait chargé de gérer les dépenses du système de santé, dans la limite arrêtée par le Parlement et dans le cadre de la politique de santé publique définie par le Gouvernement. Il aurait un pouvoir général concernant aussi bien la médecine de ville, le médicament ou l'hôpital. Ce directoire serait nommé par l'État et serait inamovible, pour que sa capacité de décision ne soit pas remise en cause à la première difficulté. Il aurait donc un pouvoir délégué sur l'ensemble de l'assurance maladie. Pour sa part, le conseil de surveillance donnerait son avis sur la composition du directoire et, surtout, se prononcerait sur les programmes d'action. Il exercerait un pouvoir général de contrôle et d'évaluation. Il aurait enfin la capacité à formuler des recommandations sur l'ensemble des sujets. Dans un système de ce type, les responsabilités seraient plus clairement affirmées qu'aujourd'hui, avec un rôle important attribué à l'État, celui-ci étant le seul à pouvoir garantir l'ensemble du dispositif.

Tel est l'état actuel de nos réflexions sur ce point. J'insisterai pour conclure sur le fait que nous avons besoin d'une vraie réforme et non d'une demi-réforme. Nous ne pouvons plus nous contenter de compromis dont chacun sait qu'ils ne tiennent guère longtemps. L'avenir de l'assurance maladie constitue une vraie préoccupation pour nombre d'acteurs économiques, les entreprises comme les ménages, qui s'attendent à de mauvaises nouvelles. Il est essentiel de les rassurer en mettant en place des mesures d'économie qui permettent de rétablir l'équilibre des comptes à l'horizon 2007, comme l'a annoncé le Président de la République, et qui donnent l'impression que nous allons enfin mettre en place un système dans lequel les décisions seront prises et les responsabilités définies, ce qui n'est pas le cas du dispositif actuel.

M. Nicolas ABOUT, président - Merci beaucoup, monsieur le directeur général. Bien que vous vous soyez déclaré peu légitime pour proposer des solutions, je pense que notre rapporteur et nos commissaires vont tenter de vous en faire énoncer quelques-unes.

M. Alain VASSELLE, rapporteur - Je souhaiterais poser trois questions sur la gouvernance, la responsabilisation des acteurs et sur le financement du système.

Concernant la gouvernance, vous avez évoqué la création d'un « directoire ». Dans le cadre de l'enveloppe fixée par le Parlement et de la politique de santé publique définie par l'État, ce directoire aurait-il tous les pouvoirs pour faire évoluer les dépenses et les recettes permettant d'assurer l'équilibre des comptes ? Cela conduirait en définitive à revenir à l'esprit des ordonnances de 1967 qui avaient donné pouvoir aux partenaires sociaux de veiller à l'équilibre des dépenses et des recettes, pouvoir qui n'a jamais été exercé car les gouvernements successifs s'en sont toujours mêlés. Pensez-vous que cette nouvelle formule serait de nature à revenir à l'esprit des ordonnances de 1967, mais dans un nouveau cadre ?

Comment imaginez-vous par ailleurs la responsabilisation des professionnels de santé et des usagers ? Doit-elle passer par un dispositif réglementaire, par des protocoles, par des dispositions arrêtées par un Haut comité ? Doit-il également s'agir d'une responsabilisation financière pour éviter la surconsommation ou les gaspillages ?

Concernant le financement, vous nous avez dit qu'il était hors de question d'envisager une augmentation des prélèvements obligatoires. Il n'y a donc pas d'autre solution que de réduire les dépenses. Pensez-vous que les mesures d'économies suffiront à compenser la croissance des dépenses de santé, supérieure de deux points à celle du PIB, et à ramener le système à l'équilibre ? Quelle est par ailleurs votre opinion sur la façon de résorber le déficit cumulé de 35 milliards d'euros ? Faut-il rouvrir la CADES ou adopter une autre solution ?

M. Jacques CREYSSEL - Concernant la gouvernance et les pouvoirs du directoire, nous ne pouvons en tout état de cause pas revenir à des schémas antérieurs car le contexte a beaucoup changé. Je ne pense en outre pas qu'il soit constitutionnellement possible de donner au directoire le pouvoir de fixer le niveau de la CSG. Nous sommes en réalité obligés d'imaginer une solution nouvelle. Le Parlement devrait arrêter chaque année l'enveloppe limitative des dépenses, ainsi que le niveau des prélèvements. En revanche, en matière de dépenses, le directoire devrait avoir une capacité déléguée d'ajuster l'ensemble des termes qui pourraient exister. La définition des actes et des médicaments remboursables relèverait d'une Haute autorité et, de manière générale, de l'État car il s'agit d'une question de santé publique mais les autres paramètres - organisation concrète du système, taux de remboursements, etc. - relèveraient, eux, du directoire, dans un dialogue de fait avec le Parlement qui pourrait modifier les enveloppes, et donc les prélèvements. Il y aurait ainsi un débat transparent sur le sujet.

Concernant la responsabilisation des acteurs, nous ne souhaitons pas faire de propositions sur ce point, d'abord parce que nous n'en avons pas la compétence. Nous sommes compétents pour traiter ce qui concerne directement le contrat de travail - formation professionnelle, assurance chômage, retraites complémentaires, accidents du travail ou maladies professionnelles - mais pas les autres sujets. C'est pour cela que nous ne revendiquons pas le droit de gérer à nouveau directement le système et que nous faisons confiance à tous ceux qui travaillent sur ce sujet pour prendre les décisions qui permettront de revenir à l'équilibre, même si nous ne manquerons pas de donner notre avis sur les décisions qui seront annoncées. Par ailleurs, si le MEDEF prenait position sur des questions telles que la franchise ou le conventionnement, ceci ne faciliterait pas forcément la prise de décisions indispensables. Notre absence de légitimité et notre souci de ne pas interférer dans le débat actuel nous conduisent à une certaine prudence.

S'agissant du financement, si l'on n'augmente pas les recettes, il faut effectivement réduire les dépenses. De manière générale, tout le monde s'accorde à dire qu'il existe des marges d'organisation importantes qui doivent permettre, par une meilleure gouvernance du système, de réaliser des économies. La question est maintenant de savoir quel peut être le calendrier de mise en oeuvre de ces économies. Nous sommes persuadés que l'on peut faire mieux qu'aujourd'hui. A titre d'exemple, il a fallu dix ans pour imaginer un système de tarification à la pathologie, puis dix nouvelles années pour le mettre en oeuvre. Or je ne crois pas qu'aucune entreprise n'ait jamais mis vingt ans pour mettre en place un système de comptabilité analytique tout en continuant à fonctionner dans des conditions normales.

Je ne peux donc que répéter que la question du financement relève par définition de la responsabilité de l'État et du Parlement. Toute augmentation de cotisation serait une mauvaise décision. Un système qui consisterait à reporter la charge sur nos enfants n'irait pas non plus dans le bon sens. Il faut donc d'abord et avant tout faire en sorte que les économies permettent de rétablir progressivement l'équilibre.

M. Alain VASSELLE, rapporteur - Vous sentez-vous compétents pour donner un avis sur l'instauration d'une assurance complémentaire obligatoire ?

M. Jacques CREYSSEL - Le MEDEF n'a pas d'avis sur le sujet. Je n'ai pas le sentiment que cela contribuerait à régler le problème du déficit. Je crois même que cela tendrait à l'aggraver. Je préférerais donc parler d'abord des mesures qui permettraient de revenir à l'équilibre, plutôt que de celles qui tendraient à alourdir le déficit.

M. Guy FISCHER - Je reste un peu sur ma faim car vous « bottez en touche ». Vous avez annoncé d'emblée que vous n'étiez pas légitimes et que vous n'aviez pas les compétences pour traiter de ce sujet, ce que je ne crois pas. La santé au travail (accidents du travail, maladies professionnelles) constitue en effet une préoccupation majeure. Les entreprises auraient-elles compétence à bénéficier d'exonérations massives de cotisations sociales mais pas à participer à la solidarité nationale ? Ainsi, la réforme s'appuiera sur des remboursements supportés essentiellement par les assurés et nous verrons s'installer de véritables déserts sanitaires dans certains quartiers populaires. Quel sera finalement l'engagement des entreprises dans la réforme de l'assurance maladie ?

M. André LARDEUX - Vous avez affirmé être compétents pour gérer la caisse chargée de gérer les accidents du travail et actuellement financée par les entreprises. Les comptes de cette caisse sont presque équilibrés, même s'ils commencent à se détériorer. Or, dans leurs dernières décisions, les tribunaux ont attribué aux victimes de l'amiante des indemnités bien supérieures aux protocoles établis par le FIVA ou le FCATA, ce qui risque de grever leurs comptes, essentiellement alimentés par la caisse dont les propres comptes risquent d'être déséquilibrés. Comment voyez-vous les choses ? Faut-il intégrer la question des accidents du travail et des maladies professionnelles dans la réforme globale de la sécurité sociale ?

M. Gilbert CHABROUX - A l'instar de Guy Fischer, je suis moi aussi préoccupé par les réserves exprimées par le représentant du MEDEF. Je comprends que vous ne vouliez pas revenir au paritarisme d'antan mais j'ai l'impression que vous ne voulez en fait revenir à aucune forme de paritarisme. Votre réponse est donc clairement négative. Sans aller jusqu'à dire que vous vous en « lavez les mains », je trouve votre position assez facile. Comme l'a rappelé le président Fischer, vous bénéficiez en effet d'exonérations de cotisations sociales patronales, inscrites pour 17 milliards d'euros au budget de l'État au titre de l'année 2004, avec l'engagement théorique de créer en contrepartie des emplois. Et l'on sait quelle est l'importance de la création d'emplois dans le retour à l'équilibre des comptes de la sécurité sociale. Sous le précédent gouvernement, ces comptes étaient à l'équilibre. De nombreux emplois ont été créés, le chômage a fortement diminué et nous savons le rôle que cela joue. On ne peut en effet pas seulement parler d'économies ; il faut aussi parler des recettes. A quoi êtes-vous tenus dans ce domaine ? Y participerez-vous ou vous en « laverez-vous les mains » ? Le MEDEF ne pourrait-il pas faire un effort, d'abord en termes de créations d'emploi, puis par une imposition sur les bénéfices ?

M. Serge FRANCHIS - Vous avez indiqué d'emblée que l'essentiel était d'assurer l'équilibre financier sans prélèvement supplémentaire. Ne considérez-vous pas qu'une telle affirmation pourrait conduire à une raréfaction des soins, sachant que les pratiques médicales évoluent rapidement et sont de plus en plus coûteuses. Cette raréfaction est déjà constatée dans certains domaines et nous serions tous sensibles à ce problème si nous en étions victimes. Je crois donc qu'il faut raisonner selon une logique de développement des moyens, avec la contrainte d'équilibrer le régime. J'ai en effet bien retenu ce que nous a affirmé le précédent ministre de la santé, à savoir que la politique de la santé était l'affaire de l'État et qu'il fallait par ailleurs assurer le financement du coût de la maladie. C'est sur ce point que je souhaiterais connaître votre réaction.

M. Alain GOURNAC - Je pense que nous trouverons une solution si chacun est responsable. J'ai donc été étonné de vous entendre dire que vous étiez peu légitimes. Il faut en effet savoir que tous ceux qui travaillent pour vos entreprises sont aussi des assurés sociaux. Que les entreprises ne prennent pas part à la réflexion et aux propositions m'étonnerait donc fortement. Vous avez certainement voulu minimiser vos responsabilités. Les entreprises doivent en effet être au coeur de cette réforme.

M. Roland MUZEAU - Vous avez indiqué que, si vous n'étiez pas compétents dans certains domaines, vous vous sentiez en revanche compétents sur la question des accidents du travail et des maladies professionnelles. André Lardeux a donné son sentiment sur les problématiques liées à la question de l'amiante. A celles-ci s'ajouteront sans doute bientôt des problématiques liées aux esters de glycol ou à d'autres produits, qui risquent d'être tout aussi graves. Tout le monde connaît également l'effet chronique de sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles, ce qui inscrit à la charge de l'assurance maladie des dépenses relevant en fait de la branche ATMP et n'incite pas à réviser les cotisations des entreprises à la hausse. Que faut-il faire selon vous pour la branche ATMP et pour résoudre ce phénomène récurrent de sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles ?

M. Jacques CREYSSEL - De manière générale, je suis toujours intéressé d'entendre la représentation nationale demander au MEDEF d'intervenir davantage sur certains sujets. Ayant plutôt pour habitude d'entendre le contraire, nous ne pouvons qu'y être sensibles...

Pour autant, l'analyse que nous développons est fondamentale. Au-delà de la question de la légitimité, nous sommes persuadés que le système d'assurance maladie a connu une évolution majeure. Il s'agit aujourd'hui d'un système universel qui n'est plus lié au contrat de travail et qui concerne tous les assurés sociaux, c'est-à-dire tous les citoyens et non plus seulement les salariés. Nous considérons donc que, dès lors que certaines conditions sont remplies, nous pouvons participer à la surveillance de l'ensemble du système, dans un cadre de gouvernance rénové. Il faut en effet trouver un nouveau système auquel l'ensemble de la société civile puisse participer. Pour ce qui nous concerne, nous participons déjà de manière massive au financement du système mais, pour autant, nous considérons que nous ne sommes pas compétents sur certains sujets. Pensez-vous par exemple que si le MEDEF préconisait la fermeture d'un hôpital, cela serait facilement accepté par l'opinion publique ? Nous sommes persuadés que seul l'État a la légitimité nécessaire pour prendre ce type de décision.

S'agissant de la santé au travail, nous sommes tout à fait prêts à reprendre la gestion de cet ensemble, mais dans un cadre paritaire et autonome, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui puisque c'est l'État qui fixe le montant des cotisations. Nous souhaitons être totalement responsables de ce dispositif.

Je ne vois pas par ailleurs de lien entre les exonérations sociales et le sujet qui nous préoccupe aujourd'hui, sauf à imaginer qu'elles constituent la seule cause des problèmes de l'assurance maladie. Je rappelle que ces exonérations ont été mises en place dans un double but. Le premier était de compenser les charges supplémentaires des entreprises dues aux 35 heures (allégements dits Aubry et Fillon), ce qu'elles ne font hélas que partiellement. Nous savons bien les répercussions sur l'emploi et sur la compétitivité des entreprises françaises. Je ne crois donc pas qu'il y ait lieu d'y revenir.

Le deuxième objectif de ces exonérations était de développer l'emploi (allégements dits Juppé). Or toutes les études économiques montrent qu'elles ont eu un effet positif sur l'emploi, comme le montrent les enquêtes réalisées par l'INSEE. Je crois donc qu'il faut aller dans ce sens. N'oublions pas que le problème n'est pas seulement de définir la répartition des charges mais aussi d'augmenter le nombre de cotisants. Notre situation économique a beaucoup changé ces dernières années. Aujourd'hui la croissance industrielle chinoise est en moyenne de 15 % à 20 % par an alors que la croissance industrielle européenne n'est que de 1,5 %. Nombre de secteurs d'activité se demandent comment survivre dans un tel contexte et ce n'est certainement pas en augmentant les impôts, les charges ou le coût du travail que nous pourrons retrouver la croissance. Nous savons très bien que la croissance s'est affaiblie ces dernières années à cause de la baisse de la démographie, de la stagnation de notre productivité et de notre incapacité collective à orienter les dépenses publiques vers plus de recherche, plus d'innovations et plus d'investissement. Il faut donc essayer d'être plus compétitif, ce qui suppose, d'une part, une réallocation des moyens publics et, d'autre part, de remettre de l'ordre dans notre système de protection sociale. Cela a été fait de manière assez satisfaisante pour les retraites ; il faut le faire maintenant pour la maladie.

Pour répondre à Serge Franchis, il est évident que notre objectif commun est d'avoir un système de soins dont le rendement soit le meilleur possible. Tous les exemples étrangers montrent que nous sommes capables de faire aussi bien qu'aujourd'hui, voire mieux, en utilisant moins de moyens. Il ne s'agit donc pas d'aller vers la raréfaction des soins mais de faire en sorte que l'ensemble de nos concitoyens puisse y avoir accès dans les meilleures conditions, en veillant cependant à ce que nous puissions en supporter le coût. Avec une croissance annuelle moyenne de 1,7 % sur les treize dernières années, notre système de protection sociale ne peut plus être calé sur un rythme de croissance de 4 % ou 5 % par an.

M. Bernard CARON - Concernant le dossier de la santé au travail, il faut absolument, si l'on veut porter une appréciation, en avoir une perspective pluriannuelle. Il faut également observer l'évolution des pays dont le niveau de développement est similaire à celui de la France. Ce dossier est le seul qui, au fil des ans, ait été à peu près bien géré. Nous observons en effet depuis trente ans une baisse constante du taux de fréquence et de gravité des accidents, ainsi que du nombre d'accidents mortels. Cela est dû à l'évidence à un effort de prévention incité par une tarification intelligente qui a donné des résultats. Pour prendre l'exemple des accidents mortels, on compte 750 décès chaque année, dont un nombre important est dû aux accidents de la route, alors que 20.000 décès sont dus chaque année à des accidents domestiques. De la même manière, le rapport annuel du Conseil supérieur de prévention des risques professionnels indique qu'accidents de travail et maladies professionnelles n'arrivent qu'au sixième rang des causes nuisant à l'état sanitaire de la population Nous n'avons donc pas honte de ce que nous avons fait dans ce domaine. Nous croyons au contraire qu'il faudrait s'inspirer de ce qui a été fait dans le domaine des accidents du travail et des maladies professionnelles pour gérer les autres dossiers.

Quant au prétendu phénomène de sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles, nous observons plutôt dans les entreprises un afflux de déclarations le lundi matin, ce qui nous pose un problème. Nous ne nions pas que les deux phénomènes existent mais la responsabilité civile et pénale des employeurs en la matière est telle qu'il faudrait être « distrait » pour omettre de déclarer un accident du travail.

Un autre problème, beaucoup plus grave, est celui des maladies professionnelles. Si les accidents du travail peuvent être facilement identifiés, cela est en revanche plus difficile pour les maladies professionnelles. La plupart des pathologies ont en effet des origines multifactorielles. Elles sont liées à des facteurs environnementaux, génétiques, professionnels, etc., mais nous voyons bien la propension qu'ont certains à inscrire le maximum de pathologies à la charge du régime des maladies professionnelles. Le problème de l'amiante est effectivement un problème redoutable, sur lequel tout le monde s'est trompé et où l'État a des responsabilités, et nous ne sommes pas à l'abri d'erreurs. Ces erreurs sont en voie de correction et les victimes sont indemnisées. Malheureusement, on ne focalise l'intention que sur ce qui va mal, pas sur ce qui va bien. Chaque problème est mis en exergue par les médias et nous assistons à une « victimisation » de notre société, chaque victime considérant qu'elle n'est pas assez indemnisée. C'est dans la nature des choses. L'AFNAT est un lobby qui joue parfaitement son rôle mais ces manifestations médiatiques ne doivent pas occulter la réalité des dossiers.

Nous avons donc légitimité à gérer les accidents du travail et les maladies professionnelles avec les syndicats de salariés et nous assumons nos responsabilités. Nous les avons provisoirement abandonnées mais nous sommes prêts à les reprendre car nous considérons que nous avons fait du bon travail et qu'il subsiste des marges de progrès. Nous observons aussi que l'État, toujours prompt à donner des préconisations aux entreprises privées, est en revanche beaucoup moins rigoureux avec son propre personnel. J'évoquerai simplement la question de la médecine du travail, domaine dans lequel la réglementation s'avère très lourde pour les entreprises privées mais que l'État, lui, applique avec beaucoup de distance.

M. Nicolas ABOUT, président - Merci beaucoup, monsieur le directeur. La CGT ayant annulé sa participation à ces auditions, nos commissaires disposent d'encore un peu de temps pour vous poser quelques questions.

M. André LARDEUX - M. Caron n'a pas répondu à la deuxième partie de ma question. Si les tribunaux accordent aux victimes de l'amiante des indemnités plus élevées que prévu, les comptes de la caisse chargée des accidents du travail risquent d'être déséquilibrés. Qui, de la solidarité nationale ou de la caisse, devra alors supporter ce déséquilibre ?

M. Bernard CARON - Le dossier de l'amiante est compliqué, des arrêts de la Cour de cassation ayant totalement modifié le système d'indemnisation. Nous avons donc engagé une réflexion -- notamment avec Pierre Laroque, chargé d'un rapport sur cette question - sur la modernisation du régime d'indemnisation des accidents du travail et maladies professionnelles pour prendre en compte cette modification jurisprudentielle. Cela suppose que l'on rende un nouvel arbitrage entre ce qui existe depuis 1898, à savoir la présomption d'imputabilité - c'est-à-dire la mise en cause systématique de la responsabilité de l'employeur - et la réparation intégrale. Le système fut mis en place en 1898 prévoyant en effet une réparation forfaitaire en contrepartie d'une présomption d'imputabilité. Aujourd'hui, ce système se trouve bouleversé par la jurisprudence. Nous avons donc engagé une réflexion sur un nouvel équilibre et nous nous inspirons beaucoup de ce qui est fait, d'une part, dans les pays voisins et, d'autre part, dans d'autres domaines de réparation. Cela pourrait générer des coûts supplémentaires mais je rappelle que la branche accidents du travail a toujours été en excédent, celui-ci ayant été systématiquement reversé à la caisse d'assurance vieillesse ou à la caisse d'assurance maladie, pourtant gérées avec beaucoup moins de rigueur. Aujourd'hui encore, cette branche reverse chaque année au moins un milliard de francs à la trésorerie générale de la sécurité sociale. Nous avons donc là aussi quelques marges, mais encore faudrait-il que l'on finisse par respecter l'autonomie de gestion des différentes branches de la sécurité sociale, que l'on cesse de « mélanger » leurs trésoreries, de façon à ce que leurs gestionnaires en aient une visibilité minimale, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

M. Nicolas ABOUT, président - Vous vous êtes déclarés non légitimes pour vous prononcer sur de nombreux sujets, notamment le taux de remboursement des médicaments. J'ai pourtant rencontré des patrons qui m'ont dit ne pas accepter le déremboursement de certains de leurs médicaments car cela pourrait s'avérer néfaste pour leur activité à l'exportation. Le Mouvement des entreprises de France ne se considère-t-il donc pas légitime pour se prononcer sur certaines de ces décisions ?

M. Bernard CARON - Le dossier du médicament est sans doute l'un des plus complexes. Il illustre bien la contradiction entre logique d'économie de marché et logique d'État-Providence, entre lesquelles nous naviguons sans cesse sans jamais clarifier les choses. Je rappelle donc que les seules ressources de la Nation proviennent de l'économie privée marchande et le MEDEF met son honneur à défendre la production des richesses car les discours solidaires n'ont aucun sens si l'on n'est pas capable de fournir les ressources correspondantes. Nous assumons le fait qu'une part importante de ces ressources soit collectivisée mais nous pensons qu'elles sont rares et que leur utilisation doit être optimisée. C'est pour cela que nous demandons des mesures de clarification, de façon à ce que la population comprenne ce dont il s'agit.

Pour revenir à l'industrie pharmaceutique, il s'agit d'une industrie de pointe, importante en termes d'emploi et de recherche. L'intérêt économique de la France est donc de conserver un site de production pharmaceutique avec des laboratoires de recherche innovants car cela va dans le sens du progrès. Cela ne veut pas dire que la sécurité sociale doive prendre intégralement en charge le financement de la recherche pharmaceutique. L'industrie pharmaceutique n'est ni la ruine ni la gloire de la sécurité sociale. Elle fait partie de l'appareil de fourniture de soins et a un poids économique important pour notre Nation. Il appartient donc à la sécurité sociale de définir la répartition de la charge entre les différents acteurs du système. Malheureusement, nous ne pouvons même pas discuter de cela puisque nous ne savons même pas combien cela coûte, que la loi de financement n'a aucun sens et que nous ne savons pas ce qui se passera l'année prochaine. Il faut donc revenir à un redéploiement « basique » du système pour pouvoir ensuite donner un sens à cette discussion mais vouloir faire de l'industrie pharmaceutique la seule variable d'ajustement des dérives constatées aujourd'hui serait extrêmement grave et engagerait l'avenir de notre pays. Il faut donc que nous en discutions. Ce que demande prioritairement l'industrie pharmaceutique, c'est d'avoir une vision prospective de la situation. Elle veut savoir où elle va et ne pas être chaque année sous la menace d'un nouveau prélèvement, d'une nouvelle orientation ou d'une nouvelle décision.

M. Nicolas ABOUT, président - Nous sommes bien d'accord sur la nécessité pour les entreprises d'une politique à moyen terme lisible. Lorsque l'on doit réaliser des investissements lourds, surtout en matière de recherche et de développement, on a en effet besoin d'une vision à moyen et à long terme. Cela dit, il me paraît difficile pour le MEDEF de ne pas se considérer légitime sur les politiques de déremboursement ou d'évaluation du service médical rendu.

M. Alain VASSELLE, rapporteur - Chacun reconnaît aujourd'hui que la médecine représente un pan non négligeable de notre économie. Par conséquent, si les entreprises pharmaceutiques ne sont pas directement responsables des dépenses de santé, elles sont en revanche partie prenante dans les dépenses induites, comme le montre l'exemple du médicament.

Je souhaiterais vous poser une question sur votre proposition en matière de financement, en suggérant de donner pour mission au Parlement de fixer une enveloppe budgétaire et d'élaborer une véritable loi de financement social. Ceci est-il compatible avec la réforme adoptée récemment par le Parlement sur la loi organique des finances qui donne le sentiment de vouloir réintégrer les finances sociales dans la loi de finances plutôt que de conforter l'autonomie de la commission des Affaires sociales, autonomie qui permettrait pourtant d'avoir une juste appréciation de l'équilibre entre dépenses et recettes ?

M. Bernard CARON - Nous sommes pour une clarification des dépenses publiques. Nous sommes passés en quelques années d'un système de protection sociale dont le financement était presque intégralement assuré par des cotisations assises sur les salaires à un système dont le financement est diversifié, avec notamment des ressources dites fiscales et non plus seulement sociales. Mais si cette distinction est importante, elle n'est pas pour nous fondamentale. Ce qui est fondamental, c'est que la loi de financement définisse, branche par branche, le montant des recettes et des dépenses et, surtout, que l'on détermine chaque année le solde de l'exercice précédent. Il semble en effet ahurissant de repartir chaque année de zéro comme si l'on venait d'inventer la sécurité sociale, le solde de l'exercice précédent étant couvert par le niveau de découvert à la Caisse des dépôts et consignations (33 milliards d'euros en 2003). Il faut au moins sensibiliser l'opinion publique sur le fait que l'on ne repart pas de zéro chaque année et que le système est endetté. Au lieu de l'occulter, si vous inscriviez chaque année le déficit de l'exercice précédent au budget de l'assurance maladie, cela inciterait sans doute à la réflexion. Quand on parle de responsabilisation, il faut donc commencer par avoir une structure de financement responsable.

Concernant par ailleurs la responsabilisation des médecins, cela fait trente ans que nous faisons de la contractualisation mais nous n'en avons jamais tenu compte. A quoi riment les conventions médicales puisque chacun n'en fait qu'à sa tête ? Là encore, nous devons mettre en place une vraie contractualisation et l'évaluer régulièrement.

S'agissant enfin des assurés, comment ignorer que nous avons instauré deux fois le carnet de santé et qu'il a été abandonné deux fois ? Les médecins ne voulaient pas l'utiliser et les patients ne voulaient pas le transporter avec eux. Cela aurait pourtant permis de contrôler davantage le système. Il faut bien évidemment un fléchage mais personne n'en veut... et l'on demande ensuite au MEDEF de s'impliquer dans cette affaire ! Il faut y mettre un peu de clarté et rendre les choses compréhensibles pour la population.

M. Alain VASSELLE, rapporteur - Comment trouver une compatibilité entre une politique économique et une politique de santé ? Nous voyons bien quelle est la limite du système. Pour prendre l'exemple du tabac, lorsque l'on affirme que sa consommation excessive entraîne des dépenses de santé importantes et qu'il faut augmenter sa taxation pour dissuader la population d'en consommer, ceci a des effets non négligeables sur l'industrie productrice de tabac. Comment arriver à rendre compatibles ces deux politiques sans en tirer des conséquences sur la loi de finances ? J'ai le sentiment que l'on s'est toujours servi de la sécurité sociale comme variable d'ajustement des dépenses de l'État. Il faut donc mettre un terme à cela en distinguant clairement les dépenses relevant de l'État de celles relevant de la sécurité sociale. On les a en effet trop longtemps mélangées dans un souci de flexibilité des différents budgets. Mais en jouant ainsi sur la flexibilité, cela génère de considérables effets pervers pour les comptes de la sécurité sociale.

M. Bernard CARON - Les éléments de prévention sont évidemment souhaitables, pas pour des raisons financières mais sanitaires, chacun ayant intérêt à préserver son capital santé. La taxation fait certes partie de la prévention mais celle-ci passe avant tout par l'éducation.

Concernant par ailleurs l'articulation entre recettes sociales et fiscales, le régime social, autrefois entièrement financé par des cotisations sur les salaires, est aujourd'hui financé de manière beaucoup plus diversifiée. S'il existe une imbrication entre la loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale, c'est parce que nous avons, d'une part, des régimes de protection sociale à caractère essentiellement redistributif (allocations familiales, assurance maladie) et, d'autre part, des régimes à caractère essentiellement contributif (retraites, assurance chômage). L'interaction entre domaine social et fiscal est donc inévitable mais je n'ai pas de recette miracle pour distinguer les recettes fiscales des recettes sociales, les dépenses de l'État des dépenses de la sécurité sociale. Nous pouvons cependant demander que l'on distingue clairement les recettes et les dépenses des régimes redistributifs de celles des régimes contributifs, de façon à ce que chacun sache qui paye et pour quoi. Cette demande me semble d'ailleurs largement relayée par l'ensemble de la population.

M. Nicolas ABOUT, président - Monsieur le directeur, merci beaucoup pour votre contribution.

Audition de MM. Jean-Claude MAILLY, secrétaire général,
et Jean-Claude MALLET, secrétaire confédéral,
responsable du secteur de la protection sociale
de la Confédération générale du travail - Force ouvrière (CGT-FO)
(mercredi 12 mai 2004)

M. Nicolas ABOUT, président - Monsieur le secrétaire général, c'est la première fois que nous vous recevons dans vos nouvelles fonctions. Au nom de toute la commission, je vous souhaite de réussir dans tout ce que vous entreprendrez dans le domaine des affaires sociales. Pouvez-vous nous présenter en quelques minutes votre approche de la réforme de la protection sociale ? Nous vous poserons ensuite quelques questions.

M. Jean-Claude MAILLY - La Confédération Force Ouvrière a expliqué qu'une réforme de la sécurité sociale était nécessaire. Depuis les ordonnances de 1996, que nous avions considérées à l'époque comme un processus d'étatisation de la sécurité sociale, nous constatons que le système ne fonctionne pas comme il le devrait. On peut citer l'exemple des relations entre la sécurité sociale et les professionnels de santé, où le système conventionnel ne fonctionne plus. Nous avons donc expliqué, de manière publique et vis-à-vis de nos interlocuteurs, quelles étaient pour nous les conditions d'une réforme, les points sur lesquels nous serons vigilants et ce que nous refuserions.

Concernant les points qui nous apparaissent essentiels, il convient tout d'abord de ne pas dramatiser la situation financière. Le déficit n'est certes pas négligeable mais il doit être comparé au budget global des régimes de protection collective. Il ne faut donc pas faire preuve de catastrophisme en laissant entendre que le système serait en faillite car cela n'est pas le cas. Il est d'ailleurs préférable d'enregistrer un déficit et d'avoir une population bien couverte plutôt que des comptes à l'équilibre avec des millions de personnes exclues du système de soins.

Parmi les points qui nous apparaissent importants, le premier est la clarification des comptes de l'État et de la sécurité sociale. Nous considérons en effet que cette clarification nous permettra de définir les responsabilités des uns et des autres en matière d'assurance maladie. Nous avons dressé la liste des dépenses du régime général de la sécurité sociale qui devraient être à la charge de l'État comme, par exemple, les exonérations de cotisations patronales qui représentent chaque année près de 20 milliards d'euros et dont, malgré la loi de 1994, une partie (3 milliards d'euros) n'est pas compensée par l'État. On peut également citer les systèmes de compensation entre régimes de salariés et régimes de non-salariés, la TVA payée par les hôpitaux à l'État ou le fait que les études médicales soient les seules à ne pas être prises en charge par l'État.

Le régime général n'est donc pas dans la situation catastrophique annoncée. Il y a en fait un transfert de charges sur la sécurité sociale via le budget de l'État, ce qui pose des problèmes à caractère fiscal. Nous avons émis différentes pistes de réflexion, sachant qu'il n'est pas, selon nous, de la responsabilité des organisations syndicales de définir l'impôt.

Concernant la « gouvernance » du système (nous préférons le terme de « pilotage »), nous tenons à ce que les trois régimes obligatoires continuent à jouer un rôle pilote dans les négociations avec les professions de santé. A cet égard, nous avons indiqué à plusieurs reprises que nous étions en désaccord avec l'idée d'un système de copilotage associant les complémentaires aux négociations avec les professionnels de santé. Nous sommes en effet attachés à ce que le système de la sécurité sociale ne fasse l'objet d'aucune amorce de privatisation. Or les compagnies d'assurance font aussi partie des complémentaires. Associer cet ensemble au copilotage du système serait donc pour nous l'amorce d'une privatisation du système de couverture sociale. Nous ne voulons pas retrouver sur le dossier de l'assurance maladie ce que nous avons rencontré sur celui de la retraite, à savoir une réduction progressive de la couverture du régime général et une plus large place accordée au marché.

Nous sommes également favorables à une politique conventionnelle plus dynamique et plus active avec l'ensemble des professionnels de santé, qui ne porte pas uniquement sur la valeur des actes mais intègre également des notions telles que la démographie médicale. Il n'est en effet pas normal qu'il n'y ait pas de médecins généralistes conventionnés de secteur 1 dans certaines zones rurales et qu'il faille attendre plusieurs mois pour avoir rendez-vous avec un spécialiste dans certaines zones urbaines.

Enfin, sur les pistes à caractère financier, nous avons exposé différents points de vue, à commencer par la clarification des comptes. Concernant le passif, nous ne serions pas opposés à une prolongation de la CRDS si cela permettait de préserver le système et l'égalité d'accès aux soins. Nous réfutons d'ailleurs l'argument selon lequel cela reviendrait à faire supporter la charge par les générations futures car on ne peut pas comparer le budget de la sécurité sociale avec celui d'un ménage. Nous avons en revanche marqué notre opposition à une augmentation de la CSG considérant qu'elle portait essentiellement sur les salaires et les retraites, ce qui reviendrait à mettre à contribution les seuls salariés et retraités. En outre, la CSG est un impôt et cela accroîtrait la fiscalisation du financement de la protection sociale. Si la CSG devait être relevée, ce serait uniquement sur les revenus financiers et de placement. Enfin, nous réclamons une augmentation de la cotisation patronale, considérant que cela fait partie du salaire différé et parce que, comme l'ont montré plusieurs études récentes, on observe une dégradation des conditions de travail liée à la précarité et à la flexibilité, ce qui se traduit par une augmentation des dépenses de santé. Une augmentation des cotisations patronales nous apparaît donc justifiée.

Enfin, sur les questions de méthode, nous avons rappelé à plusieurs reprises que nous ne nous trouvions pas dans un processus de négociation. Au final, c'est en effet le Parlement qui votera le texte. Nous ne sommes donc pas dans un processus de négociation avec le Parlement. Nous sommes en revanche dans un processus de consultation, sachant qu'il nous apparaît important que le Gouvernement communique très rapidement ses orientations.

M. Alain VASSELLE, rapporteur - Nous avons eu quelques éléments de réponse concernant la gouvernance et la part des dépenses à la charge de l'État et de l'assurance maladie. Sur ce point, pouvez-vous nous donner un ordre de grandeur des dépenses supportées de façon indue par la sécurité sociale ?

Concernant par ailleurs la responsabilisation des acteurs, pouvez-vous nous dire quelle forme de responsabilisation vous imaginez pour les professionnels de santé et pour les usagers ? Concernant enfin le financement du système, j'ai noté que vous étiez favorable à la réouverture de la CADES, opposé à une augmentation de la CSG excepté sur les revenus financiers et de placement et que vous proposiez une augmentation des cotisations patronales. Pouvez-vous nous dire quelle part du déficit, évalué à 13 ou 14 milliards d'euros, pourra être résorbée par des économies et quelles seront les nouvelles recettes nécessaires pour le retour à l'équilibre ?

M. Jean-Claude MAILLY - Concernant votre première question, le sénateur Descours a évalué dans son rapport à 18 milliards de francs les charges indues.

Concernant la responsabilisation, nous acceptons cette notion dans une logique de prévention. La campagne sur les antibiotiques menée ces derniers mois entre par exemple pour nous dans le cadre d'un processus de prévention et de responsabilisation. En revanche, nous sommes plus que réticents, pour ne pas dire opposés, à toute tentative de culpabilisation des assurés sociaux. Nous avons rappelé à plusieurs reprises que nous étions opposés à l'idée d'une franchise qui viserait à culpabiliser les assurés sociaux. Nous trouvons d'ailleurs que cette mesure de maîtrise comptable est totalement contraire à la volonté de maîtrise médicalisée des dépenses de santé.

Quelles économies pouvons-nous attendre d'une maîtrise médicalisée ? Nous ne nous estimons pas compétents pour juger de l'utilité d'un médicament. C'est pour cette raison que nous préconisons la création d'un « Haut conseil scientifique » indépendant, composé de spécialistes, et qui pourrait par exemple définir des références médicales opposables. On pourrait par exemple considérer que trois échographies sont suffisantes pour une grossesse médicale et qu'une quatrième devrait être médicalement justifiée. Il s'agirait en fait de définir de bonnes pratiques médicales. Dans un processus de maîtrise médicalisée, qui passe notamment par la discussion avec les professionnels de santé, c'est dans le cadre d'engagements réciproques que l'on peut aboutir à une forme de régulation respectueuse des besoins des assurés sociaux. On pourrait prendre pour référence la convention de 1993 qui commençait à porter ses fruits en 1994 avant les événements de 1995 et de 1996.

Quelle est la date limite pour revenir à l'équilibre ? Lorsque le Parlement discute de la loi de financement de la sécurité sociale, il fixe des objectifs prévisionnels, mais nous ne souhaitons pas qu'il s'agisse d'objectifs contraignants, qu'ils soient annuels ou pluriannuels. Nous ne sommes pas d'accord pour qu'il y associe des contraintes budgétaires car nous risquerions d'entrer dans un système de rationnement d'emblée. Nous raisonnons selon une logique d'objectif prévisionnel et non d'enveloppe fermée. Dans un domaine tel que celui-ci, un déficit n'est en effet pas aussi catastrophique que certains ne l'affirment.

Qui doit fixer les taux de remboursement ? Nous considérons que cette question dépend de l'État, sauf à évoluer vers un système de type professionnel ou interprofessionnel, dans la logique de l'UNEDIC ou des caisses de retraite complémentaires, où patronat et syndicats décident du niveau des prestations et des cotisations. Mais je ne pense pas que nous nous orientions dans cette voie. Il nous paraît donc important que la fixation du taux de remboursement continue à relever de la puissance publique, sur la base des avis émis par le Haut conseil scientifique.

M. Gilbert CHABROUX - Merci pour la clarté et la cohérence de votre exposé. Je partage certains de vos points de vue. Je considère d'abord qu'il ne faut pas faire de catastrophisme, même si la situation de la sécurité sociale, plus particulièrement de l'assurance maladie, est préoccupante, et je regrette que le Gouvernement tombe dans ce travers. Beaucoup d'annonces visent en effet à culpabiliser. Vous avez donné votre point de vue sur ce sujet mais je souhaiterais que vous précisiez votre position sur la question de la fraude. On nous a dit qu'il y avait 10 millions de cartes « Vitale » en surnombre. Quel est à votre avis le niveau des fraudes et des abus ?

Vous avez également parlé de la question du forfait ou du reste à charge et votre point de vue me semble tout à fait satisfaisant. Une question se pose cependant sur le paritarisme. Le MEDEF affirme n'être pas compétent et ne pas souhaiter revenir au paritarisme. Or vous parlez d'une augmentation des cotisations patronales, ce qui concerne le MEDEF, même si celui-ci estime ne pas être compétent pour décider de la fermeture d'un service ou du déremboursement du médicament, mais seulement dans le domaine des accidents du travail et des maladies professionnelles. Votre conception du paritarisme passe-t-elle par le MEDEF ? Celui-ci a-t-il une place dans le système qui devrait être mis en place ?

M. Alain GOURNAC - Je vous ai écouté avec attention et je suis heureux de constater que vous êtes favorable à la création d'une Haute autorité indépendante de tout lobby . En revanche, vous ne nous avez pas dit grand-chose sur le dossier médical, sujet qui a pourtant été évoqué.

Concernant la responsabilisation des patients, il ne s'agit pas de les montrer du doigt mais d'éviter que les pharmacies des Français ne soient trop remplies. La consommation de médicaments est en effet excessive et nous ne pouvons pas continuer ainsi. Vous ne nous avez pas non plus donné votre avis sur la question de l'hôpital, qui est pourtant à l'origine de 50 % des difficultés actuelles. FO est très bien implantée dans les hôpitaux et je suis persuadé que cette organisation doit formuler des propositions très spécifiques pour y faire évoluer les choses.

M. Guy FISCHER - Vous avez insisté sur la distinction entre maîtrise comptable et maîtrise médicalisée mais il y a manifestement « langue de bois » sur la définition du périmètre des soins remboursables, c'est-à-dire du panier de soins. Il y a sur ce point un débat quant aux responsabilités collectives et individuelles qui mérite selon moi d'être pris en compte.

D'autre part, nous voyons bien que l'hôpital est stigmatisé dans de nombreux discours. On dit souvent que certains hôpitaux auraient dû être fermés plus tôt car ils sont source d'inégalités quant à la qualité des soins. Nous avons le sentiment de ne pas répondre à tous les besoins. Pourtant, depuis quelques années, le nombre d'établissements a diminué de manière très importante et leur concentration donne naissance dans certaines régions à de véritables « déserts » médicaux. Pouvez-vous nous en dire plus sur ces restructurations, sans précédent, menées à marche forcée par les ARH ?

M. Jean-Claude MAILLY - Concernant la question de la fraude, nous pensons que le fait d'annoncer qu'il existait 10 millions de fausses cartes Vitale en surnombre était une maladresse. Depuis cette annonce, il a en effet été expliqué que ces cartes en surnombre étaient dues à des renouvellements, des déménagements, etc. De manière générale, nous considérons qu'il faut se garder d'annonces intempestives qui pourraient conduire à stigmatiser telle ou telle population. Aucun système n'est parfait mais il ne faut pas stigmatiser de tels phénomènes pour des raisons de communication.

Concernant le paritarisme, il appartient aux organisations patronales de se prononcer sur le rôle qu'elles veulent jouer au sein du système. Le paritarisme reste cependant justifié car près de 70 % du financement du système provient des cotisations sociales. Si le régime général devait être un jour financé de manière majoritaire par l'impôt, la question de la légitimité du paritarisme serait posée, mais nous n'en sommes pas là, fort heureusement. Cela étant, il existe un collège patronal, libre à chaque organisation de siéger ou non au sein des instances. Je rappelle en effet qu'il existe des organisations qui n'y sont pas représentées, comme l'UNAPL ou le patronat de l'économie sociale. Il appartient donc au MEDEF de dire ce qu'il compte faire, sachant que nous ne pourrons pas accepter qu'il sélectionne les caisses dans lesquelles il siégera. Nous restons en effet attachés à la notion d'unité du régime général.

Concernant la Haute autorité, il s'agirait bien pour nous d'une autorité scientifique et de caractère indépendant, qui devra rendre des avis publics.

Nous ne sommes par ailleurs pas opposés au principe du dossier médical à condition qu'il reste strictement confidentiel et ne soit accessible qu'aux médecins prescripteurs.

Concernant l'hôpital, il existe aujourd'hui des problèmes liés au plan Hôpital 2007. FO conteste certaines dispositions de ce plan qui, par exemple, entraîneront en moyenne la fermeture de 22 % des lits l'été prochain. Nous sommes prêts à discuter de la reclassification de certains lits mais, pour nous, l'hôpital public, qui est un élément essentiel du dispositif, relève de la responsabilité des pouvoirs publics, même si les régimes obligatoires d'assurance maladie doivent être mieux associés qu'aujourd'hui à la coordination entre médecine de ville et hôpital.

Concernant le panier de soins, nous n'aimons pas ce terme. Nous ne voulons pas revivre pour l'assurance maladie ce que nous avons connu avec la retraite, à savoir un panier de soins restrictif et un appel au marché pour couvrir les autres soins, ce qui conduirait inévitablement à un système inégalitaire. Pour prendre l'exemple des Etats-Unis, les dépenses de santé y représentent 14 % du PIB (contre 9,5 % en France) mais 43 millions de citoyens américains sont exclus du système de soins. C'est pour cela que nous ne souhaitons pas de copilotage et que nous raisonnons dans une logique de pilotage par le régime général. Nous pensons que l'organisation des soins et de la prise en charge peut être améliorée et c'est pour cela que nous sommes opposés à toute baisse des remboursements. Pour nous, la sécurité sociale doit avoir compétence pour rembourser au premier euro. Nous ne sommes donc pas favorables à la notion de panier de soins.

M. Nicolas ABOUT, président - Monsieur le secrétaire national, monsieur le secrétaire confédéral, je vous remercie d'être venus et vous renouvelle tous mes souhaits de réussite.

Audition de M. Jean-Marie SPAETH, président du conseil d'administration
de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS)
(mercredi 19 mai 2004)

M. Nicolas ABOUT, président - Bonjour à tous. Nous accueillons aujourd'hui M. Jean-Marie Spaeth, président du conseil d'administration de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés, pour faire le point sur le projet de réforme de l'assurance maladie, et peut-être plus particulièrement sur les annonces faites par le ministre de la santé.

Monsieur le président, souhaitez-vous présenter quelques remarques préliminaires ?

M. Jean-Marie SPAETH - J'aimerais faire trois remarques. Tout d'abord, je pense que la question de la réforme, ou plus exactement de l'adaptation de la sécurité sociale aux réalités médicales, sociales, économiques actuelles, est une absolue nécessité, si l'on veut maintenir les fondements de notre système. J'estime que le Haut comité, dont certains sénateurs ont fait partie, a clairement mis en évidence que le vrai problème de l'assurance maladie résidait dans l'organisation du système de soins.

Par ailleurs, sur la question de la gouvernance, nous ne devons pas tenter de déterminer ce que l'assurance maladie doit avoir comme délégation, mais plutôt ce que l'État est prêt à déléguer. La réforme de l'assurance maladie et du système de soins est autant une réforme de l'État.

Enfin, il convient de rappeler que notre système de soins, qui forme un ensemble soins-assurance maladie, est non régulé, non organisé, et n'a pas de cohérence par rapport aux besoins de la population, pris collectivement ou individuellement, ni d'articulation avec l'évolution économique de notre pays.

Ces trois questions sont intimement liées. Elles doivent être traitées par la réforme de l'assurance maladie, non pas alternativement mais simultanément.

Comme j'ai eu l'occasion de le dire hier, il n'est en définitive pas facile de définir à quelle politique de santé correspond l'assurance maladie, et à quels objectifs de santé publique elle répond. Les responsabilités ne sont pas très visibles, et les règles du jeu sont peu claires pour les patients. Par rapport à n'importe quel autre secteur de l'activité économique, le fonctionnement de l'assurance maladie apparaît anarchique. En France, cette anarchie est presque revendiquée, au nom de la liberté. Mais derrière ce mot, on accepte toutes les inégalités, toutes les déviances. Sur un sujet de société aussi fondamental, les élus de la Nation tout comme les gestionnaires s'accommodent d'une forme de laisser-faire qui, à terme, modifiera fondamentalement, un système qui est un élément structurant de la cohésion sociale, mais aussi de la démocratie.

Pierre Laroque, au lendemain de la Seconde guerre mondiale, aimait à dire qu'« après la démocratie politique, que nous avons acquise, la sécurité sociale doit nous permettre de construire une démocratie sociale. » Cet élément reste totalement d'actualité, notamment sur le sujet de la gouvernance.

M. Nicolas ABOUT, président - Monsieur le président, puisque vous évoquez précisément le thème de la gouvernance, comment imaginez-vous la répartition nouvelle des responsabilités entre l'État et les partenaires sociaux ? Considérez-vous qu'il faille procéder à une large délégation de compétences aux partenaires sociaux pour la gestion de l'assurance maladie ? Estimez-vous au contraire qu'il faut uniquement leur laisser le soin de gérer tout ce qui est strictement lié au travail - accidents, maladies professionnelles, indemnités journalières, etc. -, et redonner à l'État plus de contrôle, de maîtrise, dans les autres domaines, et en particulier la maladie ?

M. Jean-Marie SPAETH - Monsieur le président, je ne considère pas le problème de cette manière. De mon point de vue, la France a besoin d'un État stratège, garant, mais pas forcément gérant du système. Il appartient à l'État, et aux élus, de définir périodiquement la politique de santé. Je suis donc favorable à des lois quinquennales fixant les grands choix en matière de santé. La santé ne doit pas être considérée uniquement comme une question sanitaire ; elle recouvre aussi tous les problèmes liés à l'environnement, aux conditions de vie, de travail, etc. Notre pays doit régulièrement débattre de ces questions.

Il appartient aussi à l'État de définir les priorités sanitaires, sans tomber dans l'excès. Par exemple, la lutte contre le cancer doit être incontestablement une priorité de l'État. Outre son rôle de définition du cadrage financier, l'État doit favoriser l'émergence d'une communauté scientifique qui puisse définir les priorités sanitaires et l'aider à déterminer les droits des citoyens en matière d'accès aux soins.

Nous ne sommes pas égaux face à la santé. Mais la mission de service public que doit remplir l'assurance maladie est d'aménager un accès aux soins le plus égalitaire possible.

Toutes ces grandes questions sanitaires doivent donc être débattues, discutées. Mais elles sont ardues, car il est difficile de concilier spontanément l'intérêt individuel, l'intérêt scientifique et l'intérêt collectif. A titre d'exemple, lorsque les scientifiques disent que les médicaments ne correspondent pas à un service médical rendu suffisant, ils peuvent avoir scientifiquement raison, du moins de mon point de vue. Néanmoins, les personnes qui se soignent aux médicaments homéopathiques considèrent que cela répond à leur besoin. Il y a donc une contradiction entre l'intérêt scientifique et l'intérêt individuel.

De la même manière, quand la communauté scientifique considère que l'intérêt scientifique de certaines cures thermales n'est pas clairement démontré, l'intérêt collectif peut prendre le dessus, dans la mesure où ces stations thermales représentent aussi un enjeu économique en matière d'emplois. Il y a donc une contradiction entre l'intérêt scientifique et l'intérêt collectif. L'État doit trancher ces différents conflits d'intérêts.

A titre de comparaison, en matière d'assurance vieillesse et famille, les prestations se font en espèces. L'argent est prélevé, puis est redonné selon les conditions fixées. A l'inverse, dans le cadre de l'assurance maladie, en dehors des indemnités journalières et des prestations invalidité, les prestations sont en nature. Le droit de tout assuré social est honoré par un professionnel de santé. Le rôle de l'assurance maladie est donc d'assurer, par délégation, l'interface entre les droits individuels et collectifs définis par le Parlement et ces droits tels qu'ils sont mis en oeuvre par les professionnels, de manière à obtenir la réponse la plus efficiente possible en termes qualitatifs, quantitatifs et sur l'ensemble du territoire.

Concernant les accidents du travail et les maladies professionnelles, je trouve légitime que les règles du jeu (par exemple, la tarification) soient définies par une commission strictement paritaire. Toutefois, j'estime que les décisions de gestion doivent être mises en oeuvre à l'intérieur de l'assurance maladie par le même réseau, dans la même branche. On peut disposer de règles du jeu différentes en matière de soins, de tarifications, selon le moment où survient par exemple un accident (dans le cadre privé ou professionnel). Mais la mise en oeuvre doit s'effectuer à l'intérieur du réseau de l'assurance maladie. C'est cette même thèse que je plaide pour les personnes âgées et la dépendance.

M. Nicolas ABOUT, président - Monsieur le président, sur le thème de cette délégation, considérez-vous que les partenaires sociaux soient liés par une obligation de résultat, à partir du moment où vous chargez l'État de définir le cadrage financier (recettes et dépenses) ?

M. Jean-Marie SPAETH - Bien évidemment, les partenaires sociaux auraient en contrepartie cette obligation, sans quoi la délégation n'aurait pas de sens. Comment la mettre en application ? En premier lieu, je pense que l'idée d'un Haut comité qui éclaire l'assurance maladie dans ses choix, mais aussi l'État sur les priorités en matière de remboursement, est excellente.

Deuxièmement, je pense que l'assurance maladie doit être une force de proposition, avec obligation pour l'État de répondre à ses propositions. Le silence de l'État, par rapport aux propositions, n'est plus acceptable.

Troisièmement, la délégation de gestion doit laisser des zones d'autonomie à l'assurance maladie, et permettre la mise en oeuvre d'accords réciproques entre la base et le complémentaire. Des marges de variation doivent être laissées à l'assurance maladie pour lui permettre de procéder aux ajustements nécessaires concernant les remboursements. A ce sujet, je rappelle que l'assurance maladie avait entre 1967 et 1995 l'opportunité de décider une augmentation des cotisations, ce qu'elle n'a jamais fait.

Je pense qu'une assurance maladie bénéficiant d'une véritable délégation de gestion, où le champ de compétence et de responsabilité est clairement identifié par l'opinion publique, les partenaires sociaux et la société civile en général, est capable de prendre des décisions d'importance.

M. Nicolas ABOUT, président - Monsieur le président, pensez-vous que les centrales syndicales suivraient leurs représentants siégeant dans ces structures d'assurance maladie si elles décidaient l'augmentation des cotisations, conformément aux engagements pris dans les contrats d'objectifs ?

M. Jean-Marie SPAETH - Je crois tout d'abord que les organisations syndicales d'employeurs et de salariés ont montré, dans de nombreux domaines, leur capacité de gestion, notamment sur les retraites complémentaires.

Si le Gouvernement et le Parlement font une proposition de délégation, chacun doit ensuite prendre ses responsabilités. Si une organisation syndicale considère que sa fonction tribunitienne est plus importante que sa fonction de gestionnaire, elle doit assumer les conséquences de sa décision. Pour ma part, j'estime que, dans une démocratie, comme la nôtre, une organisation syndicale en charge de l'intérêt général doit être capable d'assumer sa fonction de gestion. Je rappelle par ailleurs que le MEDEF a quitté la CNAM il y a deux ans et demi.

Mais j'aimerais soulever une question concernant le rôle des entreprises dans le fonctionnement de l'assurance maladie : ce rôle est-il de faire du lobbying vis-à-vis de l'État pour que celui-ci crée le meilleur environnement économique pour les entreprises ? L'entreprise a-t-elle au contraire un rôle citoyen, dans notre pays ?

Derrière ces questions, ce sont les fondements de l'organisation du système de sécurité sociale - tel qu'il a été créé en 1945 - qui sont interrogés. L'UPA est restée pour des raisons philosophiques, estimant que la gestion de la protection sociale à l'intérieur de l'entreprise jouait en défaveur des petites entreprises, et ne bénéficiait qu'aux grandes.

De mon point de vue, la question de la participation des partenaires sociaux ne relève pas seulement d'une logique d'opportunité économique, mais d'une logique politique. Au lendemain de la guerre, un président du CNPF parlait « d'entreprises citoyennes ». Aujourd'hui, ce débat est reposé ; la place du MEDEF dans l'assurance maladie redevient d'actualité.

M. Nicolas ABOUT, président - J'aurais d'autres questions à poser, mais je ne veux pas monopoliser le débat. Je donne donc la parole au président Fischer, puis à Alain Vasselle, notre rapporteur.

M. Guy FISCHER - Je regrette, monsieur le président Spaeth, que vous n'ayez pas éclairé le débat d'aujourd'hui à la lumière des propositions qui ont été faites par le ministre de la santé. Vous avez fait référence au pacte social, à l'idée d'entreprise citoyenne. Ne pensez-vous pas qu'après ce qui a été annoncé, le pacte social a encore subi un revers ? En lisant la presse du jour, on apprend que si les actifs ne sont pas touchés par la CSG, il y aura élargissement de l'assiette de cette contribution ; on invente la nouvelle formule de « retraité imposable ». Enfin, on peut pratiquement dire que les spécialistes ont gagné la liberté des tarifs. Quand le conseil d'administration de la CNAM va-t-il examiner le projet de loi ?

M. Jean-Marie SPAETH - Le conseil d'administration de la CNAM est normalement saisi sur un texte de loi. Concernant le projet de réforme, nous devrions être saisis fin mai. Nous aurons alors onze jours pour l'examiner et tenter d'émettre un avis.

M. Nicolas ABOUT, président - Votre conseil d'administration sera saisi à partir du 28 mai.

M. Jean-Marie SPAETH - Tout d'abord, je n'aime pas faire de commentaires sur des propositions qui ne sont pas écrites et stabilisées. C'est la raison pour laquelle je n'ai pas commenté les propos du ministre.

Je vous rappelle par ailleurs que c'est à vous, mesdames et messieurs les sénateurs, de définir ce qui relève du décret et non de la loi. Mais je suis d'accord avec vous sur le fait que la loi doit être la plus précise possible afin que les décrets soient réellement conformes aux textes votés, et que les marges d'interprétation soient restreintes.

Par ailleurs, concernant le financement, il faut rappeler que les recettes liées aux cotisations employeurs constituent la majeure partie du financement de l'assurance maladie, avant la CSG. De son côté, l'élargissement de l'assiette est en effet une forme de recette supplémentaire.

J'aimerais maintenant vous faire part d'une de mes convictions : la thèse du salaire différé ne peut s'appliquer à la maladie. Elle est pertinente et logique pour la période de retraite : si je paie solidairement pour la retraite, je n'ai pas à cotiser une nouvelle fois lorsque je suis en retraite. Le même raisonnement s'applique pour la période de chômage : je n'ai pas à cotiser pour le chômage lorsque je suis au chômage.

Dans le domaine de la maladie, seule la logique de solidarité entre bien-portants et malades peut prévaloir. Cette solidarité doit s'exercer tout au long de la vie. Par conséquent, la contribution doit se faire au moment où l'on vit, et non de manière différée. En d'autres termes, à revenu égal, il doit y avoir cotisation égale. Cette équation doit s'appliquer, à tout âge de la vie et quelle que soit l'origine du revenu : salaire, revenu de remplacement, capital ou immobilier. On ne peut pas revendiquer le droit de ne plus payer de cotisations assurance maladie à soixante-dix ans, sous prétexte qu'on a payé cette cotisation pendant plusieurs décennies. Cela n'est en tout cas pas ma conviction ; car autrement, on passerait d'une logique d'assurance à une logique d'assistance sociale. Je suis personnellement très attaché à la notion d'assurance sociale, car elle donne un droit citoyen. Dans la logique d'assurance, on soigne les gens en respectant leur dignité.

Par ailleurs, je note que personne ne conteste le fait qu'il faille payer la CSG lorsqu'on est au SMIC.

M. Nicolas ABOUT, président - Merci, monsieur le président. Je donne la parole à M. Vasselle, notre rapporteur.

M. Alain VASSELLE, rapporteur - Monsieur le président je vous remercie. J'aurai quelques questions à poser à M. Spaeth. Dans le cadre du diagnostic partagé du Haut conseil, il a été acté que les dépenses d'assurance maladie connaissaient une croissance de deux points supérieure à celle du PIB. Un des objectifs de la réforme est de gommer cette différence, afin d'atteindre l'équilibre entre les recettes et les dépenses. Le Gouvernement annonce une série de mesures qui pèsent autant sur les dépenses que sur les recettes. Les économies potentielles annoncées seraient de l'ordre de quinze à seize milliards d'euros.

J'aimerais donc savoir si cette économie sera pérenne et suffisante pour gommer ces deux points, de sorte que l'on puisse espérer atteindre l'équilibre dans deux ou trois ans, lorsque le dispositif sera pleinement mis en oeuvre. Pensez-vous à l'inverse qu'il y ait un risque de dérapage des dépenses, qu'il faudra sans cesse rattraper, en fonction de la conjoncture ?

Par ailleurs, j'aimerais savoir si vous estimez que l'ensemble du chiffrage qui a été effectué par le Gouvernement est fiable, notamment s'agissant des dix milliards d'euros d'économies annoncés et des recettes attendues supplémentaires, dont celles évoquées par Guy Fischer, qui devraient générer entre cinq et six milliards d'euros.

Enfin, vous parlez d'universalité de la cotisation pour tous les Français et vous insistez sur l'importance du terme « assurance » sociale, par opposition à « assistance » sociale. Cela veut-il dire que les retraités non imposables doivent apporter leur contribution ? Souhaitez-vous que participent également les bénéficiaires de la CMU ?

M. Jean-Marie SPAETH - Monsieur le sénateur, je commencerai par votre dernière question. Je combats la thèse du salaire différé pour une raison simple : tout le monde s'accorde à dire que chacun doit payer selon ses revenus et recevoir selon ses droits mais, lorsqu'il s'agit de passer à l'acte, chacun veut modifier le système et faire partie des exceptions à la règle, comme pour les impôts.

Par ailleurs, il existe bien un différentiel entre la progression des dépenses maladies et celle du PIB. Évidemment, je peux vous dire aujourd'hui que notre système de soins, par sa désorganisation, est source de dépenses inutiles et pas nécessairement de bonne qualité. Par exemple, la surconsommation médicamenteuse est source de dépenses et de mauvaises pratiques.

Le système de l'assurance maladie délivre majoritairement des prestations en nature. Vous ne pouvez donc modifier ni les comportements, ni les intérêts particuliers du jour au lendemain. L'assurance maladie représente entre 1,8 et 2 millions d'emplois. Elle implique des intérêts industriels, commerciaux : le taxi, l'ambulance, l'aménagement du territoire, etc. Elle met en jeu des intérêts individuels, et je crains que cela ne se modifie pas du jour au lendemain. Je pense donc qu'il est important de remettre l'assurance maladie et le système de soins sur de bons rails, et de créer les conditions nécessaires pour que les outils de régulation soient donnés à ceux qui en ont besoin.

Personnellement, je ne crois pas qu'il faille faire un dogme de l'ajustement entre les dépenses de santé et le PIB. Il peut y avoir des périodes, dans notre histoire, durant lesquelles on décide collectivement de consacrer davantage de moyens à la santé. Concernant les prévisions d'économies, dont j'ai pris connaissance comme vous dans la presse, je pense que la direction peut être bonne, à partir du moment où la communauté scientifique définit clairement des protocoles, des références, que l'État a le courage de considérer que ces protocoles sont opposables, sans que cela ne remette en question la liberté d'appréciation des médecins.

Sur la liberté tarifaire, j'ai déjà exposé mon point de vue aux syndicats médicaux. Nous établissons actuellement une classification commune des actes, qui se terminera dans quinze jours. C'est un travail titanesque : tout doit être répertorié, classé, pesé, hiérarchisé, validé. Désormais, nous devons tout tarifer. Ce travail, qui implique des enjeux financiers d'importance, risque selon moi d'être plus compliqué. On sait par exemple que les chirurgiens sont sous-classés - et qu'il faut les revaloriser -, que les radiologues sont légèrement surclassés, etc.

Les médecins sont favorables à la classification. Selon eux, un acte doit avoir à la fois un contenu -intellectuel, physique etc., et une valeur, un prix. A partir de là, je leur demande comment ils peuvent justifier la liberté tarifaire. On ne peut en effet pas dire à la fois qu'un acte à un contenu médical, qualitatif et quantitatif, et ensuite vouloir établir la valeur de cet acte en fonction de la capacité économique de chaque patient. A titre d'exemple, dans les protocoles et les références, on peut décider que pour une grossesse normale, un certain nombre d'échographies sont prises en charge par la sécurité sociale, le reste étant à la charge de la patiente. Mais la valeur de l'acte est la même, puisque le contenu est similaire.

De mon point de vue, la notion de liberté tarifaire est passéiste. Pour un professionnel, elle consiste à accepter d'être soumis à la pression du patient en fonction de l'argent qu'il est prêt à donner. Je pense que l'aura des médecins implique que les actes soient classifiés, quantifiés, et que les prix soient définis au terme d'une négociation.

M. Alain VASSELLE, rapporteur - J'aimerais poser une question complémentaire à M. Spaeth concernant le dossier médical, qui semble susciter un consensus généralisé. Un premier financement est prévu, pour une expérimentation dans le projet de loi de finances 2004. Pourriez-vous nous donner votre sentiment sur la faisabilité de ce dossier médical, et sur l'éventuelle échéance de sa généralisation ?

M. Jean-Marie SPAETH - Tout d'abord, j'aimerais profiter de cette question pour vous faire part de mon contentement à la lecture de la presse de ce matin. La une des Échos présentait la carte Vitale. Or, il y a moins de trois ou quatre ans, tout le monde s'opposait à la mise en place de cette carte. Les gouvernements successifs nous ont invités à renoncer, tandis que les professionnels de santé, pour un certain nombre, ont tout fait pour que ce projet ne se réalise pas.

Monsieur le sénateur, je crois que le fait que l'on puisse aujourd'hui parler de dossier médical est le résultat de la persévérance de l'assurance maladie. Sans carte Sésame Vitale, il n'y aurait jamais eu d'informatisation des cabinets médicaux. Or un dossier médical partagé suppose cette informatisation du monde médical. Celui-ci avait un retard considérable en matière d'équipement en outils modernes. A la CNAM, nous nous honorons d'avoir contribué à cette informatisation. Je tenais à le dire, car il est rare que l'on revienne sur les points positifs auxquels nous contribuons.

Nous sommes favorable à un « dossier médical patient » partagé. J'aimerais à ce sujet dire que l'hôpital est également concerné par le dossier médical. Selon moi, la tâche ne sera pas facile pour le lui faire accepter.

Surtout, ce dossier ne doit pas seulement assurer la fonction de contrôle de la consommation médicale. Il doit être un véritable dossier médical.

Dans tous les cas, la mise en place du dossier médical partagé pose le redoutable problème de l'accessibilité. L'accès n'est pas le même pour le médecin du travail, le médecin traitant ou l'infirmière.

Aujourd'hui, nous nous heurtons surtout au problème de l'absence de producteurs de logiciels. Les appels d'offre seront bientôt lancés, et les expérimentations démarreront au début de l'année 2005, dans quelques sites diversifiés (grande ville par exemple).

Un décret, je crois, est paru sur le suivi plus scientifique du dossier. Mme Gros, de la MSA, présidera le comité.

Concernant les délais, à ce stade, nous sommes, à la CNAMTS, favorables au traitement le plus rapide possible du dossier. Mais je doute que l'on aura généralisé le dossier médical à l'ensemble du pays d'ici deux ans. Finalement, les délais dépendent beaucoup des producteurs de logiciels.

De manière générale, les conditions sont plutôt favorables à la mise en place du dossier médical.

M. Nicolas ABOUT, président - Monsieur le président, effectivement, il y a déjà eu des tentatives qui ont été réalisées par des réseaux. Je pense que nous discuterons la semaine prochaine des opérations lancées par le réseau de maternités en Yvelines.

M. Jean-Marie SPAETH - Nous aimerions surtout que le logiciel mis en place soit fongible avec les réseaux déjà existants, qui sont financés à titre expérimental. Les réseaux doivent pouvoir adopter des normes compatibles.

M. Nicolas ABOUT, président - Nous avons dépassé le temps qui nous était imparti, mais compte tenu de vos hautes responsabilités et des questions qui restent, nous allons prolonger encore d'un quart d'heure cette audition. J'ai six questions, émanant des intervenants suivants : MM. Souvet, Chabroux, Cazeau, Chérioux, Franchis, Gournac. Je vous remercie d'avoir la gentillesse de vous limiter aux questions.

M. Louis SOUVET - Je partirai d'un constat général : il y a un déficit dans les comptes de la sécurité sociale. Pour le combler rapidement, il faut soit réaliser des économies, soit augmenter la participation des différents contributeurs. A partir de ce constat, on doit s'accorder sur le fait qu'une réforme de l'assurance maladie est désormais absolument inévitable.

On doit reconnaître que les mauvaises pratiques perdurent. J'aimerais entendre le président de la CNAMTS sur ce sujet, afin de savoir s'il existe des moyens de lutter contre. A titre d'exemple, je souhaiterais évoquer une de ces mauvaises pratiques : certains malades ont des traitements longs, renouvelables parfois pour toute la vie. Le médecin qui visite régulièrement ce type de patients, rédige ses ordonnances systématiquement, contre le paiement de la consultation, sans aucun acte médical (prise de tension, etc.). Je considère cela comme une mauvaise pratique. J'aimerais connaître votre avis sur la question.

Par ailleurs, vous avez développé le thème de l'universalité des cotisations sur les revenus. Y incluez-vous les revenus des étrangers en France et ceux gagnés à l'étranger par des Français ?

Enfin, vous avez parlé tout à l'heure de la CNAMTS en ces termes : « une organisation syndicale démocratique comme la nôtre ». Cela m'a un peu surpris.

M. Jean-Marie SPAETH - Ça n'est pas ce que j'ai voulu dire, j'ai dû faire un lapsus.

M. Gilbert CHABROUX - Je n'ai pas l'impression que nous soyons en phase avec la réalité dans le débat que nous menons depuis tout à l'heure. Le ministre de la santé est intervenu lundi soir à la télévision et a annoncé un certain nombre de mesures. Un plan a été présenté par le parti socialiste, un autre par le parti communiste. Je ne comprends pas que vous n'en parliez pas d'une façon concrète. Il n'est pourtant pas dans vos habitudes de pratiquer la langue de bois. Par ailleurs, vous dites aujourd'hui que vous ne souhaitez pas réagir sur ce qu'a dit le ministre oralement, alors que vous êtes une des personnes les mieux placées pour le faire de façon pertinente.

Je pensais vous entendre dire que les propositions du ministre sont particulièrement déséquilibrées, qu'elles pénalisent les assurés sociaux, et favorisent les entreprises. Que pensez-vous du forfait d'un euro sur la consultation ? Cela ne ressemble-t-il pas, comme certains l'ont dit, à de la maîtrise comptable ? Cela ne va-t-il pas contribuer à l'éviction d'un certain nombre de personnes du système de soins ? N'est-ce pas contraire au principe du financement solidaire qui fonde la sécurité sociale ?

Vous avez développé votre point de vue - ce que j'apprécie - sur la généralisation éventuelle du secteur à honoraires libres pour les spécialistes ; le plan Douste-Blazy ne comporte-t-il pas le risque de créer une médecine à deux vitesses ?

Enfin, est-il normal de prolonger la contribution au remboursement de la dette sociale ? A-t-on le droit de reporter la dette sur les générations futures ? A ce sujet, j'aimerais rappeler que ces dettes ont été accumulées par les gouvernements de droite, et que la gauche essaie tant bien que mal depuis 1997 d'équilibrer les comptes.

M. Bernard CAZEAU - Monsieur le président, je ne poserai pour ma part qu'une seule question. Sachant qu'il est difficile de régler le problème de l'équilibre de la sécurité sociale sans consulter les professions de santé et les citoyens, et sachant parallèlement qu'au cours des dernières années toutes les réformes a minima ont été envisagées - telles que celle qui est présentée par M. Douste-Blazy, pensez-vous qu'il soit possible de réussir une véritable réforme sans une certaine rigueur dans les chiffres, et donc sans une certaine maîtrise comptable ?

M. Jean CHERIOUX - Je me contenterai également d'une seule question. Monsieur le président, vous avez dit que vous souhaitiez que la caisse d'assurance maladie soit gérée de manière autonome. Cela signifie-t-il que lorsque le Parlement vote la loi de financement de la sécurité sociale, vous souhaitez vous-même vous organiser, éventuellement avec vos partenaires des mutuelles, pour respecter l'ONDAM (objectif national des dépenses d'assurance maladie) tel qu'il a été voté ?

M. Serge FRANCHIS - Nous abordons aujourd'hui trois problèmes : la santé, la maladie et l'assurance. J'aimerais vous poser deux questions. Premièrement, pensez-vous que la réforme qui s'engage soit susceptible de permettre tout autant la garantie de l'offre de soins, pour tous nos concitoyens, que l'équilibre du système ?

Ma deuxième question s'inscrit dans le prolongement de l'intervention de Louis Souvet : trouvez-vous normal qu'un médecin généraliste peu professionnel, qui reçoit son patient pendant dix minutes seulement pour lui rédiger une ordonnance, perçoive vingt euros, tandis qu'un de ses collègues effectue un véritable acte médical pour le même montant ?

M. Alain GOURNAC - Monsieur le président je vous remercie. Je n'ai pas beaucoup entendu le mot « responsabilité » dans ce débat. Or le patient, le prescripteur et la caisse d'assurance maladie devront être beaucoup plus responsables dans le cadre de cette réforme. Quels éléments vont changer dans la gestion de la caisse ? En tant que vice-président du conseil général chargé des affaires sanitaires et sociales, je connais les abus : arrêts de travail non contrôlés, consommations abusives, spécialiste qui reçoit toutes les trois minutes, Carte Vitale utilisée par plusieurs personnes, etc.

Si l'on veut faire évoluer le système, chaque acteur doit nécessairement prendre ses responsabilités, et notamment la caisse d'assurance maladie.

Mme Valérie LETARD - Je partage complètement votre position sur l'idée que la contribution doit être universelle et sur le fait qu'à ressources égales, on doit contribuer de la même manière. En revanche, concernant l'acquittement d'une franchise d'un euro par consultation, j'aimerais avoir votre éclairage. Comment imaginez-vous cette participation ? Considérez-vous qu'elle sera simple à mettre en oeuvre ?

Par ailleurs, concernant le dossier médical informatisé, même si je relève des avantages certains au partage d'un même dossier reprenant le parcours de soins du patient, je m'interroge sur la légitimité du passage systématique devant le médecin généraliste avant la consultation de tout spécialiste. Le passage obligé devant le médecin traitant avant d'aller consulter par exemple l'ophtalmologue va-t-il contribuer à l'amélioration du parcours de soins ? Cette mesure sera-t-elle véritablement source d'économie et de rationalisation du parcours de l'assuré ?

M. Jean-Claude ETIENNE - Le dossier médical personnalisé est le pilier de la réforme. Mais sa mise en oeuvre pose problème. Je m'interroge notamment sur un point, sur lequel vous pourriez peut-être m'éclairer : pensez-vous qu'il faille obligatoirement passer par l'utilisation du numéro INSEE ?

M. Jean-Marie SPAETH - Pour ma part, je ne vois pas d'inconvénient à l'utilisation du numéro INSEE. Je considère même qu'il est indispensable.

Sur la question des cotisations à verser, on doit retenir une règle simple : l'impôt est payé dans le pays où l'on réside, les cotisations dans le pays où l'on travaille. La CSG, contrairement à ce que l'on entend souvent, n'est pas un impôt mais une cotisation pour la Cour de justice des communautés européennes.

Concernant le mode de gestion de l'assurance maladie, je suis pour ma part favorable à la logique comptable qui est mise en oeuvre avec le vote de l'ONDAM. En réalité, le seul problème que pose l'ONDAM est la détermination des prestations qui y correspondent.

Par ailleurs, j'aimerais rappeler que la situation de déficit de l'assurance maladie n'est pas seulement liée à ses dépenses, mais également à ses recettes. Entre 1998 et 2000, notre déficit était encore faible. Depuis, son creusement est essentiellement lié à la modification des recettes.

On peut d'ailleurs noter que les gouvernements successifs ont eu recours plusieurs fois à la CADES (Caisse d'amortissement de la dette sociale). Ceci étant dit, le recours à la CADES me pose problème ; j'estime en effet que le transfert sur les générations futures de dépenses actuelles est irresponsable. Si l'emprunt est légitime dans la mesure où il permet de financer un investissement potentiellement rentable pour nos enfants (par exemple dans la formation d'un médecin, d'une infirmière, etc.), le report sur les générations futures de dépenses effectives est inacceptable.

Concernant le paiement d'une franchise d'un euro sur la consultation, je tiens à affirmer fermement qu'il ne participe en aucun cas à la responsabilisation de l'assuré. Reportez-vous à titre de comparaison au système du ticket modérateur. Celui-ci existe depuis des décennies. Or pendant la période de crise économique, la CMU a été créée. Elle est l'expression la plus directe de l'échec de cette vision de responsabilisation individuelle du patient par rapport à un professionnel.

Mesdames et messieurs les sénateurs, je vous invite à lire une étude de l'OCDE, parue il y a quelques jours. Celle-ci révèle que dans aucun pays le ticket modérateur n'a modifié le comportement ni des patients, ni des professionnels de santé. En réalité, lorsque nous souffrons ou lorsque quelqu'un de notre entourage est malade, la rationalité économique n'intervient plus. Pour preuve, un médecin ne soigne jamais sa famille. Pour ma part, je suis en faveur d'une responsabilisation du patient, mais sur des bases médicales. La responsabilité ne sera effective que lorsqu'on aura défini clairement des règles du jeu, opposables au professionnel et au patient.

Il faut aussi bien comprendre ce que représente un euro pour certaines personnes. Peut-être est-ce pour vous un montant très modeste. Mais l'acquittement d'une franchise d'un euro représente un déremboursement de 7 % pour l'assurance maladie (le déremboursement doit en effet être calculé sur 14 et non sur 20).

Par ailleurs, j'aimerais rappeler que 65 % de nos règlements se réalisent en tiers payant. Quels types de soins ces remboursements couvrent-ils ? Ils couvrent les prestations des radiologues, des cardiologues, des chirurgiens, les actes répétitifs d'une infirmière ou d'un kinésithérapeute, etc., qui sont trop coûteux pour être payés directement par les assurés.

Si l'on décide de mettre en place la franchise d'un euro, il faut être conscient que cela annihilera le tiers-payant. Il faudra ensuite en assumer les conséquences. Depuis des années, les médecins se sont accordés sur la nécessité d'établir une classification des actes cliniques, permettant de distinguer plus clairement les cas où il y a renouvellement d'ordonnance des autres. Les mentalités évoluent donc dans certains domaines.

Pour conclure, j'aimerais dire que je ne connais pas pour le moment les propositions du ministre de la santé. Dès qu'elles me seront transmises, je vous donnerai mon appréciation.

M. Nicolas ABOUT, président - Je crois, en effet, qu'il ne faut pas confondre une émission de télévision avec un texte de loi.

Je vous remercie pour votre intervention, monsieur le président Spaeth.

Audition de M. Jacques REIGNAULT ,
président du Centre national des professions de santé
(mercredi 19 mai 2004)

M. Nicolas ABOUT, président - Monsieur le président, je vous prie d'excuser la commission pour le retard de votre audition. Il serait idéal que vous présentiez tout d'abord en quelques mots le CNPS, avant que le rapporteur et les commissaires ne vous interrogent plus précisément sur les grands axes de cette réforme.

M. Jacques REIGNAULT - Merci, monsieur le président. mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de m'accueillir en tant que représentant des professionnels de santé.

Je souhaite tout d'abord présenter le Centre national des professions de santé. Le CNPS réunit vingt-cinq syndicats nationaux, représentant pratiquement l'ensemble des professionnels de santé. Il est composé des syndicats médicaux, paramédicaux et des membres associés. Parmi ces membres associés, on compte l'ancien SNIP (syndicat national de l'industrie pharmaceutique) devenu le LEEM (les entreprises du médicament) aujourd'hui, puis les transporteurs sanitaires (qui ne sont pas des professionnels de la santé selon le code de la santé publique).

Le CNPS s'est fait connaître au cours des dernières décennies à l'occasion d'actions plutôt revendicatives, souvent lors de manifestations. C'est un regroupement de professionnels plutôt connu pour ses mouvements d'opposition. Depuis quelque temps, le CNPS souhaite désormais être une force de proposition. Il a publié plusieurs documents lors de ses assises en 2001, 2002, et plus récemment a élaboré des propositions à la demande du ministre concernant la réforme de l'assurance maladie. Le CNPS procède aussi à la désignation de cinq membres au sein du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, dont je fais partie avec M. Vasselle ici présent.

Avant d'élaborer des propositions de réforme, il convient de faire plusieurs constats. Tout d'abord, il n'y a pas eu jusqu'ici de réelle définition d'une politique de santé, et notamment d'une politique de prévention, sur le moyen et le long terme.

Par ailleurs, le pilotage du système n'est pas satisfaisant ; il mêle décisions politiques et décisions financières de manière ambiguë. Les blocages sont encore trop nombreux, qu'ils émanent de l'État, des caisses ou des professionnels de santé.

De plus, on constate un cloisonnement marqué entre les différents secteurs de santé : hospitalisation publique, privée, pharmacie, professionnels de santé. Ce cloisonnement est source d'opacité et de coûts inutiles, qui nuisent à l'optimisation de ce qu'on désigne aujourd'hui sous le terme de « parcours du malade ».

Le Haut conseil a également constaté que le déficit de l'assurance maladie est structurel. Il est alimenté par plusieurs facteurs : demande importante, vieillissement de la population, plateaux techniques, etc. En tout état de cause, il faut souligner que l'état sanitaire des Français est bon mais que les dépenses de santé croîtront probablement à un rythme supérieur de deux points à celui du PIB.

Par ailleurs, les contrats des différents blocs du secteur de la santé sont très diversifiés. L'hospitalisation publique est gérée par l'État. Dans la comptabilité de la CNAM, environ 50 milliards d'euros sont affectés à ce secteur. Les établissements privés, tout comme les entreprises du médicament, sont gérés par des contrats avec l'État. Enfin, les différentes professions de santé et le médecin de ville sont liés par des conventions spécifiques d'assurance maladie. On peut noter à ce sujet que la médecine de ville représente 20 % de l'ensemble de ces trois blocs.

Enfin, concernant l'objectif de croissance des dépenses d'assurance maladie, on peut dire que celui-ci n'est pas basé sur des demandes de soins, telles que le voudrait l'architecture mise en place depuis les ordonnances de 1996.

Nous avons adopté un certain nombre de positions sur cette réforme. A l'instar du président Spaeth, je ne ferai pas de commentaires sur les propos du ministre ; il est en effet toujours préférable de ne pas faire de procès d'intention, s'agissant d'informations non stabilisées.

Les professionnels de santé (médecin de ville, traitant, généraliste, spécialiste, etc.) constituent sans doute le « pivot » de la médecine. Ils devront être associés au projet de dossier médical partagé, auquel s'intéresse le CNPS de manière très approfondie. A titre d'exemple, quand un chirurgien dentiste souhaite faire une extraction à son patient, il n'est pas en mesure, le plus souvent, de savoir si celui-ci est sous anticoagulant ou s'il présente une pathologie particulière. Si l'on veut décloisonner les différents secteurs de santé, éviter les redondances et les dangers médicaux, le dossier médical doit absolument être partagé.

Au CNPS, et grâce aux fonds d'aide à la qualité des soins de ville, nous sommes en train de mettre en place le projet SOSI, qui vise à la création d'un socle informatique commun, permettant la communication entre les différents logiciels des différents acteurs.

Par ailleurs, on évoque aujourd'hui la possibilité de créer une Haute autorité, lieu d'expertise comparable au Haut conseil. La présence des professionnels de santé au sein de cette instance me paraîtrait légitime.

J'aimerais d'ailleurs relever un autre problème du système actuel, concernant le vote de l'objectif de croissance des dépenses de santé : une fois que vous avez voté cet objectif, les syndicats de chaque catégorie de professionnels de santé (par exemple les médecins, les kinésithérapeutes, les chirurgiens dentistes, etc.) entrent en négociation, sans engager de concertation avec les autres syndicats. Peut-on dans ces conditions parler d'une politique de négociation coordonnée ? Cette logique perdure non seulement entre les trois grands blocs (hospitalisation publique, privée et médecine de ville), mais également au sein de la médecine de ville entre les différentes professions de santé.

Nous souhaitons que ces négociations « trivialement » tarifaires puissent être mieux éclairées et coordonnées.

J'aimerais développer un exemple pour illustrer mon propos : un « plan cancer » va bientôt être mis en place, sur lequel vous serez largement éclairés. Le coût de chaque disposition du plan sera évalué. Mais une fois ce plan voté, il conviendra de le mettre en application en aval, au niveau des caisses et des professionnels de santé.

Avec les caisses, nous serons amenés à définir les déclinaisons concrètes, les moyens d'application de ces grandes priorités sur le terrain. Quels professionnels de santé participent à la politique de prévention du cancer ? Doit-on mettre en place un dépistage des cancers buccaux, etc. ?

Par ailleurs, nous devrons nécessairement déterminer ce qui doit être pris en charge, et donc établir une distinction entre ce qui est utile et ce qui ne l'est pas. La tâche la plus difficile résidera dans la définition des soins d'utilité collective. Par exemple, comment justifier de prendre en charge la prévention dans les soins dentaires, et non les prothèses ?

Il est évident que les grandes maladies mortelles seront prises en charge. Nous devons permettre à tous d'accéder à tous les soins, même les plus coûteux. Pour les morbidités, il devra en être autrement.

Je ne comprends pas que l'expérimentation que les chirurgiens dentistes ont menée avec la CANAM ne soit pas généralisée à toutes les professions de santé. Elle n'est même pas évoquée dans le rapport du Haut conseil.

Dans le cadre de notre expérimentation - qui vient d'être évaluée - un malade qui s'engage, moralement ou par contrat, à suivre un examen de prévention annuel, et qui a besoin malgré tout d'une couronne dentaire par exemple, verra son remboursement revalorisé.

Au bout de cinq ans d'expérimentation, l'évaluation qui a été menée révèle l'importance du retour sur investissement d'une telle mesure : on relève beaucoup moins de traitements prothétiques, ce qui autofinance l'augmentation des frais de prévention, et insiste sur la nécessité d'une mise en oeuvre d'un bon ciblage, fonction de la tranche d'âge, de la catégorie professionnelle, etc. Prenons l'exemple de la catégorie professionnelle des boulangers pâtissiers : ceux-ci respirent de la farine à forte dose, et sont donc exposés à un risque carieux plus important que les autres. En menant une politique de prévention adéquate, on parvient à une optimisation certaine du système.

Pour résumer, il manque donc un stade intermédiaire entre ce que vous avez décidé au niveau du Parlement, et ce que nous devons négocier avec les caisses. Ce que le CNPS a appelé le « Conseil des politiques conventionnelles » servira à décliner sur le terrain les grandes priorités votées en amont. Nous souhaitons que les financeurs, mais aussi les professionnels de santé soient représentés dans ce Conseil. En effet, si nous reconnaissons que nous n'avons pas vocation à participer aux conseils d'administration des caisses - car nous ne pouvons être à la fois ordonnateurs de dépenses et participants à un conseil de gestion -, nous pensons que nous avons un droit et un devoir de participation à la définition et à la mise en oeuvre des politiques conventionnelles de santé publique.

M. Nicolas ABOUT, président - Nous allons passer aux questions. Elles émanent de quatre intervenants : Alain Vasselle, notre rapporteur, Puis MM. Muzeau, Chabroux et Gournac.

M. Alain VASSELLE, rapporteur - Monsieur le président, j'aimerais recueillir votre point de vue sur la question de la représentation des professionnels de santé dans le nouveau système. La nouvelle architecture qui sera vraisemblablement mise sur pied dans la perspective de la gouvernance prévoit un regroupement des professionnels de santé. Considérez-vous que votre centre national des professionnels de santé a vocation à être représentant de l'ensemble des professionnels de santé dans ce groupement, et pourrait devenir l'interlocuteur unique de l'État, des caisses, et de l'ensemble des partenaires appelés à gérer l'assurance maladie ?

J'aimerais également vous entendre développer votre conception de la responsabilisation des assurés ; peut-elle être conjointe, partagée avec les soignants ?

Enfin, ma dernière question porte sur le financement. Le ministre estime qu'il est possible de dégager environ quinze milliards d'euros, en jouant à la fois sur les dépenses et les recettes. Quelle crédibilité accordez-vous à cette annonce ?

M. Roland MUZEAU - Monsieur le président, vous avez évoqué à votre tour l'importance du déficit de l'assurance maladie. Je crois pour ma part que la manipulation de l'opinion publique est en marche sur la mesure de ce déficit. Il convient de rappeler que ce déficit dit « abyssal » ne représente que 0,02 % du budget.

Par ailleurs, vous avez commencé par dire que vous ne commenterez pas les propos du ministre. Je trouve cela assez surprenant dans le cadre d'une audition censée avant tout recueillir votre point de vue. J'attends du professionnel que vous êtes un minimum de réactions sur les annonces faites par M. Douste-Blazy lors de l'émission « cent minutes pour convaincre ».

On évoque sans cesse la responsabilisation des assurés sociaux. Ne croyez-vous pas que la responsabilisation doit aussi être mise en oeuvre du côté des professionnels de santé dont vous êtes le représentant ?

M. Gilbert CHABROUX - J'aimerais aussi parler de responsabilisation. J'ai entendu, au début de l'émission « cent minutes pour convaincre », M. le ministre de la santé dire qu'il fallait responsabiliser tous les acteurs. Or il n'a plus été fait allusion par la suite à la contribution des entreprises et à la responsabilisation des professionnels de santé.

Lorsqu'on met en place une franchise d'un euro à la consultation, vise-t-on la responsabilisation du patient ou celle du médecin ? J'imagine, bien évidemment, que c'est le patient qui devra payer cette somme. Mais quel sera l'effort que devra fournir le médecin en contrepartie ?

J'ai d'ailleurs noté que tous les syndicats de médecins ont réagi positivement, en disant qu'ils étaient « à l'écart » de l'effort demandé à l'ensemble de la société. Cette réforme ne s'est pas faite contre nous, mais plutôt avec nous.

Comment régler le problème de l'installation des médecins dans les zones sous-médicalisées ? Le ministre n'a pratiquement rien dit à ce sujet. N'y a-t-il pas un réel problème de responsabilisation des professionnels de santé ?

Par ailleurs, je m'interroge sur la réalité de la mise en oeuvre de la responsabilisation, lorsqu'on s'apprête, de fait, à étendre le secteur à honoraires libres aux spécialistes. Dans le système actuel, on constate déjà que ceux-ci pratiquent des dépassements inconsidérés d'honoraires ; désormais, ces dépassements s'inscriront dans un cadre légal ; considérez-vous que le principe de responsabilisation doive également être appliqué aux professionnels de santé ?

M. Alain GOURNAC - Monsieur le président, je vous ai écouté avec attention. Vous avez indiqué que le centre national des professions de santé regroupait vingt-cinq syndicats nationaux, ce qui renforce votre légitimité.

Je crois que nous sommes confrontés au défi de responsabilisation de l'ensemble des acteurs du système. De mon point de vue, la responsabilisation doit s'appliquer au patient, mais aussi au médecin. J'aimerais donc savoir exactement ce que va apporter la réforme au niveau de la responsabilisation des professionnels de santé. Dans mon département, je constate qu'un certain nombre de médecins adoptent de très mauvaises pratiques (par exemple dans l'autorisation systématisée des arrêts de travail). N'est-il pas dans votre rôle, en tant que syndicat, de faire passer des messages de bonne conduite aux professionnels de santé ?

M. Nicolas ABOUT, président - Monsieur le président, vous disposez de quelques minutes pour répondre aux intervenants.

M. Jacques REIGNAULT - M. Vasselle, votre rapporteur, m'a posé plusieurs questions. La première porte sur la vocation du CNPS à représenter les professionnels de santé.

J'aimerais avant tout faire plusieurs constats. Au niveau régional, les URML (unions régionales des médecins libéraux) permettent de recueillir des données et de mener des évaluations régionales avec l'ANAES (Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé).

Il devient désormais impératif de mettre en place des unions régionales des professions de santé. Depuis trois ans, au moment du vote des divers PLFSS (projets de loi de financement de la sécurité sociale) et de la loi de santé publique en particulier, je prône la mise en oeuvre de ces unions. En effet, afin de décloisonner le système et d'optimiser leur connaissance du parcours des malades, l'ensemble des professionnels de santé doivent pouvoir avoir accès aux données et à l'évaluation. Vous devez donc nous aider à mettre en place ces unions.

Régionalement, il est aussi indispensable que les syndicats des professions de santé se fédèrent pour constituer un interlocuteur unique, face aux ARS (agences régionales de santé). Actuellement, les agences régionales s'adressent à l'Ordre régional, alors que telle n'est pas sa vocation.

A l'échelon national, on constate un effort de regroupement. Bientôt, une union des caisses nationales et une union des financeurs complémentaires seront constituées. On pourrait également envisager la création d'une organisation légitime représentant les professionnels de santé. J'organise en tout cas un séminaire le 17 juin prochain sur ce sujet. Il visera à répondre à une question : comment donner une légitimité au CNPS et aux professionnels de santé dans le cadre de la future « fédération » ?

Dans tous les cas, pour nous, professionnels de santé, faire le pari de la responsabilité, c'est déjà entrer dans la gestion, même si nous n'avons pas vocation à assurer la gestion financière stricto sensu au sein de la caisse d'assurance maladie.

Concernant la responsabilisation des professionnels de santé, j'aimerais tout d'abord rappeler que de nombreux textes ont été votés au Parlement sous les différentes législatures, dans lesquels seuls les professionnels de santé étaient considérés comme suspects en tant qu'ordonnateurs de dépenses. Je ne nie pas que les professionnels de santé aient une responsabilité dans la bonne utilisation de chaque euro dépensé.

De nombreux progrès ont été réalisés dans le cadre de l'objectif de responsabilisation des professionnels de santé. La formation continue est obligatoire pour tous les professionnels, ce qui aurait été proprement impensable il y a cinq ans. L'évaluation des pratiques est systématisée. L'évaluation des enseignements est également progressivement introduite ; certaines pratiques « déviantes » de la part des professionnels de santé sont en effet liées à l'enseignement initial, voire à la formation continue. Certains de mes collègues médecins se disent désorientés dans certaines situations où les patients les soumettent à une pression. Ils souhaiteraient disposer de référentiels médicaux clairs, afin de distinguer les cas où ils se doivent impérativement de refuser un acte injustifié. Ces référentiels ne doivent pas pouvoir être contestés, par exemple à la télévision sur les émissions grand public.

Actuellement, les évaluations sont menées par les URML et l'ANAES pour les médecins. Pour les autres professions, le décret de 1999 ne peut être appliqué car il n'existe pas d'URPS (union régionale des professions de santé) habilitée à recueillir des données, je le rappelle.

Nous n'avons pas encore débattu, au sein du CNPS, de l'acquittement de la franchise d'un euro sur les consultations. Nous aurons l'occasion de le faire lors du conseil d'administration, la semaine prochaine. Je n'ai pas de commentaire particulier à formuler sur cette question, si ce n'est que je considère que c'est une mesure comme une autre, visant à augmenter la masse de recettes. A titre de comparaison, les Allemands viennent subitement de découvrir le ticket modérateur. Dans tous les cas, le paiement d'un euro supplémentaire ne me paraît pas être un moyen suffisant de responsabilisation pour les patients qui ne sont pas dans le besoin. On pourrait même se demander si l'assurance complémentaire ne va pas le prendre en charge... Dans ce cas, il ne sera pas évident que vous puissiez vous opposer légalement ou réglementairement à cette prise en charge complémentaire.

En revanche, il me semble que l'on peut responsabiliser le patient par d'autres moyens, notamment par l'éducation à l'hygiène, à la prévention. William Dab, à la Direction générale de la santé, fait de nombreux efforts pour améliorer la situation. Au CNPS, nous sommes prêts à participer à ces efforts sur le terrain.

Du côté des professionnels de santé, la responsabilisation commande de mettre en oeuvre différentes actions : formation continue obligatoire, évaluation au niveau régional, création de référentiels professionnels (médicaux, paramédicaux), etc. Par ailleurs, s'il convient d'imaginer un système de sanction des professionnels en cas d'abus, la majorité des professionnels de santé refusent toutefois que ces éventuelles sanctions soient infligées par les caisses. Pour ma part, je considère que les instances professionnelles doivent assumer cette tâche. De la même manière, je pense que nous avons vocation à prendre en charge la formation continue, même si l'assurance maladie peut formuler des avis sur les priorités de cette formation, cela ne relève pas de ses missions.

La responsabilisation des professionnels de santé va s'avérer très coûteuse, au moment même où se met en place une économie beaucoup plus administrée du fait de la classification commune des actes médicaux (tous les actes vont être tarifés, sans possibilité de dépassement). Par ailleurs, on peut noter que cette responsabilisation est sans doute plus aisée à mettre en oeuvre dans un établissement hospitalier, où les cercles de qualité peuvent se former facilement. A l'inverse, elle est moins évidente pour les professionnels libéraux isolés qui ont moins d'occasion de se regrouper.

M. Nicolas ABOUT, président - Monsieur le président, je vous remercie. Si vous le souhaitez, vous pouvez nous faire parvenir des éléments de réponse complémentaires aux questions qui vous ont été posées.

Audition de MM. Gérard de LA MARTINIERE et André RENAUDIN,
président et délégué général de la Fédération française des sociétés d'assurance (FFSA)
(mercredi 19 mai 2004)

M. Nicolas ABOUT, président - Mes chers collègues, nous allons maintenant accueillir Gérard de La Martinière, président, et André Renaudin, délégué général de la Fédération française des sociétés d'assurance.

Monsieur le président, monsieur le délégué général, je vous remercie de nous consacrer ces trois quarts d'heure pour aborder votre vision de la réforme de l'assurance maladie. Comme vous l'avez souhaité, nous allons passer directement aux questions du rapporteur, Alain Vasselle, puis à celles des commissaires.

Monsieur le rapporteur, vous avez la parole.

M. Alain VASSELLE, rapporteur - Monsieur le président, je vous remercie. Il est prévu, dans le cadre de la nouvelle organisation de la gouvernance de l'assurance maladie, de créer trois entités : une union nationale des caisses d'assurance maladie, une union des complémentaires, et un regroupement des professionnels de santé. Il serait intéressant de connaître votre point de vue sur la création de cette union des complémentaires : les assureurs complémentaires souhaitent-ils être associés à la gouvernance du système d'assurance maladie ? Comment son fonctionnement peut-il être organisé ? Enfin, quelles réflexions vous inspirent la création de la Haute autorité de santé publique, chargée d'établir les référentiels médicaux, et de celle d'un institut national des données de santé ? Quelle doit être, selon vous, la place de l'État, dans le cadre de cette nouvelle architecture ?

La responsabilisation des assurés est un thème souvent évoqué, notamment au sein du Haut conseil, dans le cadre de la réforme de l'assurance maladie. Quelle forme peut prendre cette responsabilisation ? Peut-on envisager une politique de responsabilisation qui engloberait les assurés et les soignants ? Quelle est la position des assureurs complémentaires concernant le projet d'acquittement d'une franchise d'un euro ? Cette initiative ne risque-t-elle pas de se heurter à des difficultés constitutionnelles, au regard de la liberté du commerce ?

Enfin, j'aimerais connaître votre point de vue sur le financement. Ses grandes lignes ont été déclinées par le ministre dans le cadre de l'émission télévisée « cent minutes pour convaincre », puis ont été reprises par la presse. Quelle crédibilité y accordez-vous ? Pensez-vous qu'elles reposent sur des prévisions optimistes, ou à l'inverse pessimistes ? Le financement proposé permettra-t-il de maîtriser cette progression des dépenses de santé, supérieure de deux points à celle du PIB ? Pouvons-nous espérer atteindre l'équilibre, à moyen et long terme, compte tenu de la nouvelle gestion prévue des dépenses et des recettes, de la meilleure organisation du système de soins, et de la responsabilisation de tous les acteurs (professionnels de santé, gestionnaires de l'assurance maladie, assureurs complémentaires, assurés) ?

M. Gérard de LA MARTINIERE - Monsieur le président, mesdames et messieurs, nous sommes, avec André Renaudin, très honorés d'avoir été invités ici aujourd'hui pour vous présenter quelques réflexions des assureurs complémentaires sur le développement de la couverture du risque santé. L'intervention des assureurs complémentaires, quelle que soit leur forme - capitaliste ou mutualiste -, dans la couverture du risque de santé, est une donnée du marché français, mais aussi des marchés européens, sur lesquels on observe des coefficients d'intervention parfois beaucoup plus importants qu'en France.

Je voudrais, avec André Renaudin, qui a participé personnellement aux travaux du Haut conseil, reprendre la dernière observation qu'a formulée Alain Vasselle, rapporteur, concernant l'équation économique du système de l'assurance maladie.

On ne peut en effet que constater qu'il y a un écart entre le taux de croissance spontané des dépenses de santé, et celui de la richesse nationale. C'est une donnée incontournable, qui doit nous amener à formuler une conclusion : il n'est sans doute plus à la portée du régime d'assurance maladie obligatoire alimenté par des prélèvements publics, de couvrir l'intégralité des besoins en soins de la population française. Il le sera d'autant moins avec le temps, puisque deux facteurs contribuent à la croissance de la demande de soins sur le moyen et le long terme. Premièrement, le vieillissement de la population se traduit par une accélération des besoins de soins ; deuxièmement, l'évolution des comportements de consommation et des techniques médicales modifie la nature de la consommation médicale, la faisant glisser du champ de la stricte nécessité thérapeutique à celui de la recherche de bien-être et de confort.

Dans tous les cas, le constat de l'important déficit de ce régime doit nous conduire à modifier notre vision de la vocation de l'assurance maladie : l'assurance maladie obligatoire, financée par les prélèvements obligatoires, s'appliquant de manière uniforme à tous les Français, doit être orientée en fonction de priorités claires de santé publique, et non en fonction d'une consommation spontanée de soins.

La redéfinition de la vocation de l'assurance maladie représente un enjeu capital pour notre profession d'assureurs. En effet, à partir de la détermination d'un champ prioritaire d'utilisation des ressources issues des prélèvements obligatoires à certains soins correspondant aux priorités de la politique de santé publique, on peut dégager le champ de la prise en charge complémentaire.

Dans le cadre du nouveau système, la prise en charge complémentaire se fera dans une optique complètement différente : les assurances complémentaires offriront avant tout aux Français des prestations de services concurrentiels dans le cadre d'une offre de marché, d'une consommation, et d'un financement libres.

Dans tous les cas, nous nous exprimerons positivement - ou négativement - sur le contenu final de la réforme qui sera proposée à la représentation nationale par le Gouvernement, en fonction du caractère plus ou moins marqué de la modification engagée dans la structure-même du système de l'assurance maladie. Une rupture qualitative dans l'organisation du système nous paraît plus nécessaire et porteuse d'avenir qu'un énième plan de colmatage d'un déficit qui présente un caractère structurel, comme l'a souligné le Haut conseil.

Après ces quelques éléments d'introduction, je voudrais répondre plus précisément à la question du rapporteur, concernant l'union des complémentaires : la création de cette union correspond effectivement au souhait des assureurs, qui veulent non pas être associés à la gouvernance de l'assurance maladie obligatoire (car celle-ci a besoin d'une gouvernance propre, responsable de la bonne utilisation des deniers publics), mais à la définition intelligente et rationnelle d'une couverture de soins pour l'ensemble de nos concitoyens. Pour ce faire, il est nécessaire d'organiser un dialogue régulier entre les responsables de l'assurance maladie obligatoire et les opérateurs de l'assurance maladie complémentaire. Jusqu'à maintenant, les assureurs complémentaires sont mis devant le fait accompli. Ils doivent prendre acte des décisions prises dans le cadre du régime obligatoire, sachant que ces celles-ci ont des conséquences sur le libellé des contrats établis avec les clients.

En tant qu'assureurs complémentaires, nous ne sommes pratiquement jamais associés à des discussions préalables, et pas toujours informés par des préavis (le cas récent du forfait hospitalier en est un bon exemple). Pourtant, parce que nous sommes confrontés à la gestion des conséquences des décisions prises par l'assurance maladie obligatoire, nous devons être en mesure d'anticiper ces décisions, d'en discuter le contenu et les modalités d'application. Par ailleurs, la mise en place d'un dialogue intelligent entre assurance maladie obligatoire et assurance maladie complémentaire devrait permettre à terme d'identifier les domaines dans lesquels une prise en charge à 100 % par l'assurance maladie obligatoire est préférable, ceux où une prise en charge partagée est souhaitable, ceux enfin où l'intervention du régime obligatoire n'a plus aucune légitimité autre que bureaucratique.

Je vais maintenant demander à André Renaudin de vous présenter nos réflexions sur les autres questions qui ont été posées.

M. Nicolas ABOUT, président - Je vous remercie monsieur le président. Monsieur Renaudin, je vous donne la parole pour compléter l'intervention de M. de La Martinière.

M. André RENAUDIN - Je vous remercie monsieur le président. Je vais commencer par répondre à la question du rapporteur concernant la prise en charge éventuelle par les complémentaires de la franchise d'un euro sur les consultations.

Précisément, cette question a vocation à être réglée dans le cadre de la conférence précédemment décrite par M. de La Martinière, devant regrouper les représentants de l'assurance maladie obligatoire et ceux de l'assurance maladie complémentaire.

Lorsqu'on examine les priorités de santé publique, les prises en charge sont effectuées d'une part par l'assurance maladie obligatoire et d'autre part en partie par l'assurance maladie complémentaire. On retrouve ces chiffres dans les conclusions du rapport du Haut conseil : sur l'ensemble des dépenses de santé, l'assurance maladie obligatoire rembourse 76,7 % ; mais sur l'ensemble des dépenses de santé reconnues par l'assurance maladie obligatoire, c'est-à-dire implicitement celles correspondant aux priorités de santé publique, le taux de prise en charge passe à 81 %. Les 9 % restants sont pris en charge par les complémentaires, qui assurent le remboursement du ticket modérateur, qui par exemple représente 35 % ou 65 % du prix du médicament.

Une fois que l'État a défini les priorités de santé publique et alloué des ressources, il est nécessaire que soit mise en oeuvre une coordination très forte entre régimes obligatoires et assurance complémentaire, pour déterminer quel doit être le partage de la prise en charge. Dans un grand nombre de cas, la prise en charge sera assurée à 100 % par l'assurance maladie obligatoire, mais cela n'est pas systématique. On pourrait même imaginer que, dans certains cas, la dépense soit prise en charge complètement par l'assurance maladie complémentaire.

Le débat sur la franchise d'un euro entre donc complètement dans le champ des missions de cette conférence regroupant les représentants de l'assurance maladie obligatoire et ceux de la complémentaire. Si tous les acteurs sont prévenus à l'avance à l'occasion de larges débats, il ne sera pas nécessaire d'opposer le risque d'inconstitutionnalité d'une telle mesure, puisque les parties pourront parvenir à un accord négocié.

Si l'acquittement de la franchise d'un euro devait être décidé dans le cadre d'une décision publique, il faudrait que le libellé de la mesure soit clair et précis pour que cet acquittement soit adéquatement mis en oeuvre. Comme le disait justement le président de La Martinière, nous sommes liées par nos contrats. Dans le contrat de protection complémentaire de la CMU, nous nous engageons à prendre en charge la différence entre le prix payé au praticien et les sommes remboursées par la sécurité sociale. Quand la sécurité sociale fait passer sa prise en charge de 65 % à 35 % pour certains médicaments, le libellé des contrats nous impose, ipso facto, de prendre en charge la différence. Certes, il nous est toujours possible de proposer à nos assurés de modifier les contrats, par avenant ; mais nous ne pouvons le faire unilatéralement depuis la loi Evin du 31 décembre 1989.

Plusieurs acteurs doivent travailler conjointement à la définition du périmètre des dépenses devant être prises en charge par l'assurance maladie obligatoire et de celles devant l'être par l'assurance maladie complémentaire : tout d'abord leurs représentants respectifs, ensuite la Haute autorité de santé. Cette autorité, qui a pour rôle premier d'éclairer le Gouvernement et le Parlement dans la fixation des priorités de santé publique, doit jouer un rôle d'aiguillon dans la classification des prises en charge. Car au-delà des prestations de santé publique, que j'évoquais précédemment et qui peuvent être partagées entre base et complémentaire, de nombreuses prestations sont prises en charge par les individus, soit du fait d'une décision strictement individuelle (c'est le cas de beaucoup d'assurés sociaux du régime de la CNAM des professions indépendantes), soit du fait de l'application d'une couverture collective, dans l'entreprise par exemple. Et même dans ce dernier cas, on peut aussi imaginer qu'un salarié couvert par son entreprise veuille par ailleurs être couvert par une complémentaire, pour la prise en charge de certaines dépenses de santé particulières.

Dans le cadre de cette nouvelle architecture, le rapporteur a également évoqué l'institut national des données de santé. Je considère que la création de cet institut est pleinement légitime : la Haute autorité a besoin de disposer d'indicateurs nationaux et de sous-indicateurs régionaux pour déterminer la politique de santé optimale. Par ailleurs, l'assurance maladie obligatoire, tout comme l'assurance maladie complémentaire auront tout intérêt à utiliser les données de cet institut.

En réalité, selon mon point de vue, il n'y a pas de différence fondamentale entre le métier d'assureur obligatoire et le métier d'assureur complémentaire : dans les deux cas, il s'agit de prendre en charge un individu. Pour le faire efficacement, il faut connaître les prestations effectuées, afin de pouvoir adapter les couvertures, les contrats, aux réels besoins des assurés.

Une question se pose alors légitimement : si les assurances complémentaires disposaient à l'avenir de ces données de santé (pour l'instant elles ne disposent que de données agrégées), pourraient-elles mettre en place une sélection à l'entrée ? La réponse est négative, car l'objet de l'assureur complémentaire est de liquider des prestations, au travers du remboursement des consultations, des médicaments, etc. Dans la plupart des contrats, la souscription se fait sans sélection médicale préalable (notamment dans les contrats d'entreprise faisant bénéficier l'assuré de la couverture collective).

M. Alain VASSELLE, rapporteur - La sélection à l'entrée a pourtant lieu dans certains contrats signés avec les banques.

M. André RENAUDIN - Le rapporteur évoque l'assurance décès, contractée pour la couverture de prêts. Si je souhaite emprunter une somme importante, un million d'euros par exemple, je dois en effet remplir un questionnaire de santé en fonction des capitaux empruntés ; de même si je veux contracter une assurance invalidité. Il n'y a en revanche pas de sélection à l'entrée dans le cadre de l'assurance maladie.

M. Nicolas ABOUT, président - Avec votre permission, je donne la parole au président Fischer, puis à M. Gournac, qui souhaitent vous interroger.

M. Guy FISCHER - Je crois que nous sommes au coeur du débat avec cette audition. Dès le début de son intervention, le président de La Martinière a rappelé que la place des assurances complémentaires dans le système français de financement des dépenses de santé était relativement plus faible que dans les autres pays de l'Union européenne. Il y a donc peut-être un marché à conquérir. Je me permets en tout cas de traduire ainsi la pensée du président.

M. de La Martinière est allé plus loin : partant de la distinction entre soins légitimes (répondant à une pathologie) et soins illégitimes, il a sous-entendu qu'une partie du déficit de la sécurité sociale pouvait trouver son origine dans la prise en charge de dépenses de bien-être et de confort. On est ainsi au coeur du débat : panier de soins, rapport Chadelat, place dans la gouvernance de l'assurance maladie obligatoire et des complémentaires, etc.

J'aimerais donc poser une question au Président. Il y a un mécontentement général du fait que la plupart des mesures sont annoncées par des émissions télévisées ou par la presse ; on l'a vu pour le forfait hospitalier, dont on a annoncé l'augmentation de trois euros d'ici 2007 alors qu'il vient d'être augmenté en 2003 de 22 %. Ne souhaitez-vous pas que le législateur, la Haute autorité, définisse clairement, quels seront les périmètres de soins remboursables ? A partir de là, la question se posera de savoir si l'on vous confiera le remboursement de tous les appareillages, etc.

M. Nicolas ABOUT, président - La parole est à Alain Gournac.

M. Alain GOURNAC - Monsieur le président je vous remercie. Pour ma part, je pense que toute cette réforme pose la question de la responsabilité de chacun : patient, prescripteur, laboratoires, etc. Mais la responsabilisation doit aussi être un enjeu pour les sociétés d'assurances ; car si l'assurance maladie s'écroulait, cela aurait de terribles conséquences sur l'organisation même de notre société.

M. Jean CHERIOUX - Merci, monsieur le président. J'aimerais revenir sur cette dernière idée. A l'époque où a été créée la sécurité sociale, par des personnes plutôt orientées à gauche politiquement d'ailleurs, on a mis en place le ticket modérateur d'ordre public, car cela relevait du bon sens. Ce ticket a été supprimé pendant les années Pompidou. Or, il était le seul moyen de faire comprendre aux assurés que la santé avait un coût.

Aujourd'hui, la prise en charge peut être assurée directement par la carte Vitale, sans que doive être déboursé de l'argent par l'assuré. Cela a un très mauvais effet psychologique, qu'on le veuille ou non.

Je ne remets pas en question la fonction sociale de la carte Vitale ; car bien évidemment, pour les gens de condition modeste, la prise en charge doit être assurée par l'aide sociale, ou par le nouveau système qui a remplacé la carte santé. Il n'en demeure pas moins que si l'on veut réellement responsabiliser les assurés, le ticket modérateur d'ordre public est indispensable.

J'aimerais donc poser une question à ce sujet : le principe de la liberté du commerce empêche-t-il l'instauration du ticket modérateur d'ordre public ?

M. Nicolas ABOUT, président - J'ai moi-même une question à vous poser, monsieur le président de La Martinière et monsieur Renaudin. Vous avez évoqués précédemment la possibilité que les complémentaires assument, dans certaines circonstances, 100 % de la prise en charge. Cela veut-il dire que lorsqu'une prestation a été évaluée comme n'apportant pas un service médical rendu satisfaisant, vous envisagez de la rembourser ? N'est-il pas plus logique d'admettre que lorsque le SMR a été jugé insuffisant, ni l'assurance maladie obligatoire, ni les assureurs complémentaires que vous êtes ne doivent en assurer le remboursement ?

M. Gérard de LA MARTINIERE - Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie pour toutes ces questions qui portent sur des préoccupations majeures du point de vue de la gestion de l'assurance maladie obligatoire. Vous vous interrogez légitimement sur les modalités d'interaction entre le régime obligatoire et le régime complémentaire.

Il convient d'être très clair : notre préférence évidente, absolue, en tant qu'assureurs complémentaires, est que l'on ne fasse plus de complémentaire... ! Il serait tellement plus facile que, par exemple, la sécurité sociale rembourse totalement le double pontage coronarien, et que nous ayons la charge du remboursement de l'appareillage dentaire. A partir de là, nous sortirions de cette ambiguïté, de cette mauvaise coordination, de ce chevauchement de compétences, générateurs d'incompréhension, etc. Nous nous occuperions des champs de besoin définis comme à notre charge par la puissance publique.

Par ailleurs, j'aimerais préciser un point : en tant qu'entrepreneurs, nous avons pour ambition de développer notre activité, notre marché ; mais si on nous en laisse la possibilité, nous souhaitons également développer un service. Nous pensons être en mesure d'apporter à nos concitoyens, qui sont nos clients, un service, qui n'est pas forcément très bien rendu dans le cadre du régime d'assurance maladie obligatoire, pour un certain nombre de prestations.

J'aimerais revenir sur la question de l'articulation entre régime d'assurance maladie obligatoire et régime d'assurance maladie complémentaire. Étant plutôt lucide, je suis conscient que l'on ne va pas, du jour au lendemain, nous définir clairement le périmètre de notre champ de couverture des besoins de santé. Il faudra vivre pendant un certain temps avec l'articulation qui est définie actuellement, et dont je continue à penser qu'elle n'est pas optimale. On obtiendrait une bien meilleure efficacité globale avec un partage des rôles plus clair.

Mais par ailleurs, j'aimerais insister sur un point : nous n'avons pas l'intention de ne pas respecter la loi. Si la loi interdit explicitement à toute assurance maladie complémentaire de prendre en charge la franchise d'un euro sur la consultation, ou le forfait hospitalier etc., ou si la loi rétablit le ticket modérateur d'ordre public, nous la respecterons.

Si en revanche, nous nous trouvons dans un schéma « ouvert », nous souhaitons absolument que soit entretenu le dialogue entre assurance obligatoire et assurance complémentaire. Nous n'avons aucune raison de saboter les efforts que pourraient consentir les gestionnaires de l'assurance maladie obligatoire en matière de responsabilisation des assurés. Tout résultat en termes de responsabilisation des assurés et des prestataires de soins, aura des effets bénéfiques à la fois sur le volet obligatoire et sur le volet complémentaire. Nous avons donc tout intérêt à seconder les efforts dans ce domaine.

Néanmoins, on ne peut pas nous demander l'impossible ; on ne peut continuer à nous imposer des « oukases », auxquels nous devons nous conformer du jour au lendemain, sans qu'il n'y ait eu de discussion ou de préavis. Nous gérons quotidiennement des milliers de prises en charge ; nous sommes en droit d'exiger d'être prévenus en amont pour tout changement.

Par ailleurs, nous ne pouvons pas violer les contrats que nous avons souscrits avec nos clients. La puissance publique n'a pas décidé de ce qui devait être ou non remboursé dans le cadre de ces contrats. Dans les cas des couvertures de prévoyance d'entreprise, par exemple, les contrats sont le fruit de négociations intervenues entre employeurs et syndicats. Ils définissent de façon précise ce que l'accord d'entreprise voulait obtenir comme système de couverture complémentaire. Tant que ces contrats existent, ils s'imposent à l'assureur qui est en charge de leur exécution.

Bien entendu, il est toujours possible d'entreprendre de nouvelles discussions, c'est-à-dire de proposer à l'entreprise de revoir les termes du contrat en fonction de l'évolution du coût, des priorités proposées par le régime d'assurance maladie obligatoire, etc. Mais il faut garder à l'esprit que l'assurance maladie complémentaire intervient dans le champ des prestations de services concurrentiels. Elle a donc comme responsabilité première de gérer au mieux ses contrats.

M. André RENAUDIN - Je souhaiterais apporter l'éclairage suivant : la loi portant création de la couverture maladie universelle contient un important volet dédié spécifiquement à la couverture maladie complémentaire. Ce volet s'adresse à une très importante partie de la population. A titre de comparaison, la généralisation de la CMU a concerné 150.000 personnes, alors que la couverture maladie complémentaire couvre aujourd'hui cinq millions de personnes.

La loi a fixé un contenu à ce contrat de protection complémentaire de la CMU ; elle inclut le ticket modérateur et le forfait journalier. Par conséquent, cinq millions de nos concitoyens ont droit gratuitement à cette couverture complémentaire - qui est par ailleurs très complète, notamment pour la couverture des frais dentaires et optiques. Si l'on commence à extraire certaines prestations complémentaires (forfait journalier par exemple) du panier de soins, on pourrait se retrouver dans une situation paradoxale : certaines personnes paieraient la complémentaire, mais n'auraient pas droit à ce dont leur voisin, chômeur par exemple, bénéficierait gratuitement.

Je crois que personne ne reviendra sur le contenu du panier de soins de la couverture maladie universelle complémentaire ; il est aujourd'hui la référence des contrats de base d'assurance maladie complémentaire. C'est un des points difficiles de ce dossier.

Enfin, le caractère viager des contrats santé constitue indiscutablement un progrès. Je ne recommanderais pas à la représentation nationale de revenir sur cette caractéristique des contrats d'assurance maladie : si l'on pouvait modifier unilatéralement le contenu des garanties, on entrerait dans un cercle vicieux.

M. Nicolas ABOUT, président - Monsieur Chérioux, je vous donne la parole.

M. Jean CHERIOUX - Je crois que le ticket modérateur d'ordre public ne doit pas s'appliquer aux personnes couvertes par ces contrats. Lorsque ce ticket a été créé en 1945, l'aide sociale le prenait en charge. Aujourd'hui, on a heureusement humanisé l'aide sociale, en lui ôtant son caractère d'assistance. Il n'en demeure pas moins que le ticket modérateur d'ordre public devrait être appliqué à tous les autres.

M. Nicolas ABOUT, président - Je vous remercie pour cette remarque. Je voudrais remercier le président de La Martinière et monsieur Renaudin, pour la précision de leurs interventions, et aussi pour la qualité du dossier qu'ils nous ont apporté, et qui va vous être distribué. Ce dossier reprend, de manière très complète, les positions de la Fédération française des sociétés d'assurance sur la réforme de l'assurance maladie.

Audition de M. Etienne CANIARD, administrateur délégué
à la Fédération nationale de la Mutualité Française (FNMF)
(mercredi 19 mai 2004)

M. Nicolas ABOUT, président - Nous accueillons maintenant Etienne Caniard, administrateur délégué, chargé de la santé et de la sécurité sociale, de la Fédération nationale de la Mutualité Française (FNMF), également membre du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie.

Monsieur le rapporteur, veuillez s'il vous plaît poser les premières questions ; M. Caniard, en y répondant, pourra ainsi présenter sa position sur le projet de réforme.

M. Alain VASSELLE, rapporteur - Monsieur Caniard, nous avons préparé à votre intention une série de questions qui ont dû vous être transmises afin que vous puissiez vous préparer à y répondre. Comme vous le savez, les travaux du HCAAM ont jeté les bases d'un nouveau schéma institutionnel pour l'assurance maladie. Dans ce cadre, trois entités nouvelles devraient être créées : l'union nationale des caisses d'assurance maladie, l'union des complémentaires et un regroupement des professionnels de santé. Vous êtes naturellement plutôt concerné par l'union des complémentaires, sachant bien sûr que les autres entités constitueront vos partenaires privilégiés dans le cadre de l'action que vous aurez à mener.

J'aimerais donc vous poser plusieurs questions. La création de cette union des complémentaires correspond-elle aux souhaits des assureurs complémentaires d'être mieux associés à la gouvernance du système ? Comment imaginez-vous le fonctionnement de cette nouvelle organisation ?

Par ailleurs, nous aimerions savoir ce que vous inspire la création d'une Haute autorité de santé chargée d'établir des référentiels médicaux, de même que l'institut national des données de santé ? Quel rôle devra, selon vous, assumer l'État dans ce nouveau schéma ?

Enfin, j'aimerais recueillir votre point de vue sur la question de la responsabilisation des assurés et des autres acteurs du système, dans le cadre de la réforme de l'assurance maladie. Peut-on imaginer une politique de responsabilisation qui engloberait à la fois les assurés et les soignants ? Que pensez-vous de l'acquittement d'une franchise d'un euro sur chaque consultation dans le cadre de cette logique de responsabilisation ? Par ailleurs, considérerez-vous que le paiement de cette franchise pourrait entrer en contradiction avec le droit constitutionnel et le principe de la liberté du commerce ?

Concernant le financement, plusieurs pistes ont été évoquées pour parvenir à des économies de dépenses. Elles devraient permettre de dégager un total de recettes supplémentaires égal à quinze milliards d'euros. Pensez-vous que ces économies seraient de nature à pérenniser un juste équilibre entre les dépenses et les recettes, en neutralisant les deux points d'écart qui existent aujourd'hui entre le taux de croissance des dépenses de santé et celui du PIB ? Selon vous, les propositions avancées par le ministre sont-elles crédibles ? Pourront-elles être atteintes dans un délai raisonnable ?

M. Etienne CANIARD - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de me donner l'occasion de m'exprimer devant vous aujourd'hui. Je vais pouvoir développer à la fois les positions générales que nous soutenons, à la Fédération nationale de la Mutualité Française, et également notre point de vue concernant plus précisément la réforme de l'assurance maladie. Je vais tenter de répondre dans l'ordre aux questions du rapporteur.

Sur la place des complémentaires dans le système de protection sociale, j'aimerais tout d'abord faire une remarque préliminaire, afin d'éviter les faux débats. On entend souvent dire que la place qui sera laissée aux complémentaires dans le cadre de la réforme de l'assurance maladie, pourrait être un premier pas vers une privatisation de la protection sociale. La position de la FNMF est très claire sur ce sujet : pour nous, la privatisation de la protection sociale, c'est le désengagement des régimes obligatoires, en matière de prise en charge de dépenses. L'attribution d'un rôle de régulation aux complémentaires, visant à préserver les grands équilibres et à maintenir la solidarité du système, ne relève pas d'une logique de privatisation.

Je tiens à le préciser, car je constate que ce débat refait surface précisément au moment où nous sommes à la recherche de la maîtrise de l'ensemble des dépenses de santé pour sauver le système de protection sociale. Or, ce débat est rarement ouvert dans les périodes où l'on laisse filer les dépenses et où l'on procède à des mesures de transfert brutales et inopérantes sur le long terme, qui elles, risquent de dégrader réellement le taux général de dépenses prises en charge.

Le nouveau schéma institutionnel, prévoyant la représentation des trois acteurs du système (les deux financeurs et les professionnels de santé) permettra-t-il de résoudre toutes les défaillances du régime d'assurance maladie ? Bien évidemment, la réponse n'est pas simple : il ne suffit pas de créer une structure pour que tout fonctionne de manière optimale. Il est plus important de savoir comment organiser les rapports entre les différentes instances.

De ce point de vue, nous avons, comme vous le savez, une position un peu différente de la Fédération française des sociétés d'assurance : en effet, nous ne sommes pas favorables à une séparation verticale par secteurs, simplement parce que nous considérons que cette séparation poserait inévitablement un redoutable problème d'accès aux soins et d'équité, compte tenu de l'organisation de l'accès aux couvertures complémentaires. A titre d'exemple, le rapport du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie révèle que 4 % seulement des dépenses d'optique sont prises en charge par les régimes obligatoires. La tentation est grande de réduire à zéro ce taux de prise en charge. Sachant qu'une partie des Français n'ont pas de complémentaire, comment concilier cette apparente simplification et l'objectif d'accès de tous aux soins essentiels ?

Par ailleurs, nous considérons que notre système de santé souffre cruellement d'un manque d'articulation et de coordination dans la prise en charge des patients. Notre système de soins est davantage organisé autour de l'offre de soins qu'autour du patient. Une séparation verticale des secteurs, qui impliquerait des modes de régulation et de financement différents, accentuerait ce cloisonnement. A titre d'exemple, on peut développer le cas du secteur dentaire. Comme chacun sait, la bonne santé bucco-dentaire est un déterminant important de la bonne santé générale. Au sein du dentaire, la séparation entre les soins et les prothèses dentaires conduirait à des pratiques contraires à la santé publique. Dans le domaine du dentaire, on dispose d'ailleurs d'une expérience concrète, puisqu'il existe une quasi-séparation entre le régime obligatoire et le régime complémentaire. Les régimes complémentaires n'interviennent que de façon marginale sur les soins, en général bien remboursés avec des tarifs opposables pour les soins conservateurs. Mais pour des raisons d'équilibre financier, les soins conservateurs n'ont pas été revalorisés, déportant ainsi les dépenses vers des soins plus tardifs, comme les prothèses, qui en l'occurrence, sont à la charge des complémentaires. On peut prendre le même exemple, avec le cas de la médecine ambulatoire : les désengagements de l'assurance maladie y ont été observés pour le petit risque et les soins précoces.

Selon nous, cette séparation verticale peut donc produire des effets très négatifs contrairement à une véritable coordination entre les acteurs. Comment cette coordination doit-elle être mise en oeuvre ? Avant d'y répondre, je voudrais développer un point majeur, lié aux évolutions épidémiologiques et au défi que l'on doit relever en matière de santé.

On oublie trop souvent que notre système de santé a été initialement conçu pour intervenir de façon discontinue, pour prendre en charge des épisodes infectieux aigus, dans la période qui a suivi la mise en place de la sécurité sociale. A l'inverse, aujourd'hui, nous avons à faire face à des pathologies chroniques. Par conséquent, notre système de soins ne peut plus être compartimenté comme il l'était auparavant. La prise en charge des conséquences des maladies - handicaps, dépendances - est aujourd'hui aussi importante que la prise en charge de la maladie elle-même.

Selon nous, il faudra de plus en plus personnaliser les prises en charge. Cela ne signifie aucunement remettre en cause le principe d'universalité des droits. En réalité, c'est l'exigence de médicalisation de la prise en charge qui implique cette personnalisation.

Dans le principe, nous partageons la vision selon laquelle il revient à l'État de définir le périmètre des biens qui doivent être pris en charge par la collectivité. Toutefois, nous aimerions y apporter une nuance. Aujourd'hui, la définition du périmètre se réduit pour l'État à définir des taux de prise en charge de produits ou d'actes. L'État peut définir des taux de remboursement de verres, en fonction de la correction, et laisser filer peu à peu la prise en charge générale pour arriver au taux de 4 % dont je parlais.

Pour notre part, nous préférerions que le rôle de l'État se limite à fixer un objectif en matière de taux de couverture des dépenses de santé par les régimes obligatoires, et que l'on délègue en partie la déclinaison de cet objectif aux gestionnaires de l'assurance maladie, afin qu'ils disposent d'une certaine marge de manoeuvre dans leur gestion du risque et dans leur négociation avec les professionnels de santé.

Pour reprendre l'exemple de l'optique, nous pensons qu'il serait bien plus profitable pour l'efficacité globale du système que l'État reconnaisse l'insuffisance du taux de 4 %, qu'il se fixe un objectif de relèvement de ce taux dans un cadre pluriannuel, et qu'il laisse les gestionnaires de l'assurance maladie décider eux-mêmes, dans leur négociation avec les professionnels de santé, du mode de déclinaison de cet objectif.

La mise en oeuvre de ce système permettrait également de sortir de la logique du « droit au médicament » qui prévaut aujourd'hui, à partir du moment où celui-ci est inscrit sur la liste des produits remboursables. Il convient de rappeler que théoriquement, on ne peut avoir droit à ces médicaments que s'ils répondent à certains critères définis par la Commission d'autorisation de mise sur le marché ou par la commission de transparence.

Or la réalité est tout autre, comme l'a montré l'étude sur les statines et les fibrates. Nous pensons donc qu'il devient impératif de travailler sur le mode d'emploi du périmètre des biens éligibles, plus que sur la définition physique d'un certain nombre d'actes et de biens éligibles au remboursement.

A partir de là, la répartition des missions entre les différents acteurs pourra se faire naturellement : la représentation nationale pourrait fixer les objectifs en matière de taux de prise en charge. Ce serait en outre un acte important vis-à-vis des complémentaires, qui comprendraient que, dans une telle logique, on ne cherche pas forcément à transférer des dépenses des régimes obligatoires vers les régimes complémentaires, mais que l'on essaie de rentrer dans un dialogue équilibré.

Secondairement, une délégation plus large serait donnée aux gestionnaires, et donc à cette union des caisses en dialogue avec l'union des complémentaires, pour négocier avec les professionnels de santé, et éventuellement avec l'industrie pharmaceutique les conditions de prise en charge. Ce système serait bien préférable à la situation actuelle dans laquelle on constate que de nombreuses règles ne sont pas appliquées. Il permettrait également de voir se mettre en place des contrats entre l'assurance maladie et les laboratoires pharmaceutiques, pour organiser, par exemple, la promotion et la diffusion de leurs produits, dans le respect des règles.

La rénovation de la loi de financement de la sécurité sociale doit comporter deux aspects. Tout d'abord, elle doit aménager les conditions d'une véritable négociation avec les gestionnaires de l'assurance maladie, afin de garantir que l'objectif de respect de la loi votée soit compatible avec leur vision du système. On aurait ainsi un système itératif, en amont du vote de la loi, pour contraindre ceux qui acceptent la responsabilité de la gestion de l'assumer jusqu'au bout. Toujours dans une même logique de responsabilisation, ce système doit prévoir, en cas de dérapage, une obligation de formuler des propositions de redressement.

Par ailleurs, cette loi devrait inclure, en plus de l'objectif de dépenses de l'assurance maladie, un objectif de taux de prise en charge des dépenses de santé qui forcerait à un pilotage plus intelligent du système en recherchant des solutions du côté de l'organisation du système plus que du transfert des dépenses !

Il faut aussi s'entendre sur le champ de la délégation qui peut être donnée aux différents acteurs, et notamment pour le secteur hospitalier, qui devra être associé à la régulation. L'intégration de l'hôpital est justifiée par deux raisons ; tout d'abord par le poids que représentent les dépenses hospitalières dans l'ensemble des dépenses de santé ; ensuite, parce que nous devons nous assurer, dans notre objectif de régulation, que c'est le bon opérateur qui fournit le bon service en fonction de l'évolution de la science, des technologies, des pratiques, etc. Aujourd'hui, incontestablement, de très nombreux services de santé sont remplis par l'hôpital alors que le secteur ambulatoire pourrait le faire ; il conviendrait d'ouvrir ce débat pour gagner en qualité de soin et en proximité.

Mais cela suppose que la médecine ambulatoire soit organisée différemment ; actuellement, les nombreuses défaillances dans les prises en charge en médecine ambulatoire justifient l'intervention de l'hôpital, et donc les crédits qui lui sont accordés.

La situation dramatique que traversent les urgences en est l'illustration. Je me trouvais jeudi dernier dans le Cher, un des départements les plus sinistrés en matière de densité médicale. Les discussions que j'ai eues avec les professionnels de santé et les responsables de l'assurance maladie m'ont appris que le Centre 15 rencontrait un succès énorme. Ce centre a été récemment mis en place pour réguler les appels. Après six mois de fonctionnement, on a pu constater que, sur cent appels, quatre-vingt treize ne donnaient pas lieu à une intervention médicale. Ces appels traduisent une angoisse, évidemment légitime de la part des patients, qui disparaît dès que le conseil médical est donné et qu'un recours est possible.

Sur la création de la Haute autorité et de l'institut national des données de santé, j'aimerais faire plusieurs remarques. La mise en place de ces deux structures a été proposée par la Mutualité lors de son congrès national de Toulouse l'an dernier. En raison de l'unanimité qu'a recueillie cette proposition, je me dois de développer de manière plus approfondie son contenu.

Pour nous, la Haute autorité en santé n'est pas une structure d'expertise qui se substitue à la décision du politique ou des gestionnaires de l'assurance maladie pour décider ce qui est remboursable. Les décisions de prises en charge par les régimes obligatoires sont éminemment politiques ; elles ont une implication sur le degré de cohésion sociale et recouvrent les priorités de santé. Elles ne peuvent donc pas être prises par des experts. C'est pourquoi la Haute autorité doit avant tout être un outil d'aide à la décision.

Concernant l'institut des données de santé, j'aimerais tout d'abord en souligner la nécessité. Nous disposons aujourd'hui d'une masse considérable de données ; mais elles sont souvent contestées et ne sont pas partagées par l'ensemble des acteurs. Vous pourrez le constater si vous interrogez les professionnels de santé sur le déroulement des négociations conventionnelles. Il devient donc impératif de créer une instance neutre, qui ne soit pas « un cimetière de données », pour obtenir des données médico-économiques actualisées sur l'état de santé et le niveau de remboursement optimal. Aujourd'hui, le système de données exploitable par l'assurance maladie, le SNIIRAM, n'est fondé que sur les données de remboursement de l'assurance maladie. Il ne prend évidemment pas en compte les dépenses qui échappent au remboursement de l'assurance maladie, parce qu'elles sont hors nomenclature ou parce qu'elles ne sont pas remboursées.

L'institut des données de santé sera enrichi des informations fournies par les complémentaires et par les professionnels de santé, sur les dépenses qui échappent au remboursement.

J'aimerais maintenant répondre à la question du rapporteur sur la responsabilité des assurés. Pour nous, mutualistes, cette responsabilisation est un élément majeur du système. L'histoire même de la Mutualité, qui s'est construite sur une adhésion volontaire, une mise en commun de moyens, un choix collectif du niveau de remboursement, etc., est celle de la responsabilisation des adhérents.

Mais il faut être clair : nous refusons la logique de la responsabilité strictement financière, qui n'a aucun effet sur le parcours du patient. Le ministre de la santé, qui nous recevait hier soir, était interrogé ce matin sur France Inter. J'ai été surpris de l'entendre dire qu'il faudrait probablement relever le forfait hospitalier dans l'année, mesure dont nous n'avons pas été informés lors de notre rencontre. Or, par nature, ce type de mesure n'est absolument pas responsabilisant. Personne ne peut affirmer aujourd'hui que les assurés sociaux « choisissent » d'être hospitalisés ou décident de la durée de leur hospitalisation. Il ne faut pas confondre les mesures purement financières et les mesures de responsabilisation.

Cette confusion n'a d'ailleurs pas seulement été faite qu'à l'égard des patients. A l'égard des professionnels de santé, on a également confondu l'enjeu de responsabilisation visant à une amélioration des pratiques - à travers l'application de référentiels médicaux - et l'enjeu financier de régulation macro-économique.

D'une manière générale, nous sommes opposés aux mesures visant à augmenter le ticket modérateur, fût-il d'ordre public, si cette augmentation est aveugle et ne peut pas être évitée par une utilisation différente, plus vertueuses, du système de soins de la part des assurés sociaux. Pour prendre un exemple, nous débattons aujourd'hui de l'accès direct aux spécialistes : il est envisagé de différencier la prise en charge d'une consultation de spécialiste selon que l'assuré social a décidé ou non de passer au préalable par un médecin traitant. Nous ne sommes pas opposés à cette différenciation dès lors que les mesures tarifaires prises pour l'adressage direct sont limitées. En effet, il est, selon nous, préférable d'avoir un système organisé, dans lequel le passage par le généraliste est favorisé dans un premier temps, et dans la mesure où tout assuré social a le choix de le faire ou non. Dans ce cadre, une pénalisation financière est assimilée à une incitation, puisqu'on peut éviter la pénalisation si l'on se conduit de façon vertueuse.

Mais s'il n'est pas possible d'échapper à la sanction financière, toutes les études montrent qu'il se produira alors un phénomène d'éviction pour les revenus les plus faibles qui conduiront à mettre en place des filets de sécurité très onéreux alors que, pour les revenus les plus élevés, cela ne changera rien.

Par ailleurs, nous ne sommes pas opposés à des mesures conduisant par exemple à interdire la prise en charge des visites non médicalement justifiées. Il faut en effet impérativement répondre à l'enjeu de démographie médicale. Nous ne pouvons plus nous permettre de former des médecins pour qu'ils conduisent leur voiture ; pendant le temps passé en voiture pour rendre ses visites, le médecin ne soigne pas. De surcroît, il n'est pas dans les attributions de l'assurance maladie de payer le médecin quand il conduit, au tarif où il est payé quand il soigne. Il est donc impératif de diminuer le nombre de visites. J'aimerais d'ailleurs rappeler que les visites sont une spécificité très française.

Pour les visites non médicalement justifiées, le système mis en place est selon moi exemplaire : un cahier des charges permet de définir, en fonction du critère de la pathologie, de la distance, de l'isolement, de l'âge, de la dépendance, etc., les cas dans lesquels la visite est médicalement justifiée. Les référentiels sont d'ailleurs différents selon les départements et les zones rurales. On a délégué aux professionnels de santé le pouvoir d'ordonnancer la dépense, selon que la visite est médicalement justifiée ou non. En d'autres termes, les critères de prise en charge ont été médicalisés, et leur évaluation déléguée aux professionnels de santé. Mais si les complémentaires prennent ensuite en charge les visites non médicalement justifiées, on assistera automatiquement à un transfert de dépenses du régime obligatoire vers le régime complémentaire, sans qu'il n'y ait de changement dans l'organisation du système de soins, ni dans les comportements des assurés.

Il existe donc des situations dans lesquelles la responsabilisation est possible et vertueuse. J'aimerais utiliser un autre exemple pour illustrer mon propos, celui des affections de longue durée. Aujourd'hui, 5,7 millions de Français sont pris en charge à 100 %. L'ordonnancier bizone, qui distingue les prescriptions liées aux affections de longue durée des autres, est rarement respecté. Je considère qu'il faut absolument remédier à cette situation, même si je suis conscient que cela nuirait aux intérêts des complémentaires, car il est évident que lorsqu'on utilise abusivement l'ordonnancier bizone en faisant passer des médicaments dans le régime de remboursement à 100 %, cela génère autant d'économies pour les complémentaires. Mais cette logique n'est ni vertueuse pour le système, ni responsabilisante pour les assurés.

Pour les affections de longue durée, il faut probablement mettre en place un contrat quadripartite clair entre l'assuré social, son soignant (il faudrait donc un médecin de référence), le financeur obligatoire et le financeur complémentaire, organisant notamment le parcours de soin. Cela permettra de dégager des économies, tout en assurant une meilleure prise en charge de nombreuses pathologies. Dans ce domaine, la contrepartie du 100 %, qui ne doit pas être remise en cause dans son principe, doit être l'acceptation, par l'assuré social et le professionnel de santé, de certaines contraintes sur les modalités de prise en charge.

Comme vous pouvez le constater, nous appelons donc à la mise en oeuvre d'une logique globale de responsabilisation des assurés et des soignants.

M. Nicolas ABOUT, président - Président Fischer, souhaitez-vous poser une question complémentaire ?

M. Guy FISCHER - Merci, monsieur le président. Considérez-vous qu'il est préférable de mettre en place l'acquittement d'une franchise d'un euro sur la consultation, plutôt qu'une taxe sociale applicable à tous les produits de consommation ? Je m'interroge en effet sur les coûts de gestion de la première mesure ; ne serait-il pas plus intéressant financièrement de frapper l'ensemble de la consommation - en excluant certains produits de base- d'une taxe sociale ?

M. Etienne CANIARD - Monsieur le président, la mesure que vous proposez serait d'une tout autre nature que celle de la franchise d'un euro : elle reviendrait à décider de financer l'augmentation des recettes par une contribution générale, émanant des malades tout comme des non-malades.

Selon moi, les mesures qui touchent les malades n'ont un sens que si elles améliorent la prise en charge et le parcours médical du patient. Si elles ont une visée exclusivement financière et comportent un risque d'exclusion, je considère qu'elles sont négatives. Après, on peut s'interroger sur d'autres mesures qui pourraient toucher le malade. Nous ne sommes pas forcément favorables à une augmentation sans limite des recettes, pour les raisons évoquées précédemment par Alain Vasselle.

On constate depuis quarante ans qu'il existe un écart de deux à deux points et demi entre la progression des dépenses de santé et celle du PIB. Le défi que nous devons relever ne se résume donc pas seulement au dégagement des 14 milliards d'euros d'économies ; nous devons également faire face à la tendance actuelle d'augmentation de trois milliards de dépenses nouvelles par an. C'est cette augmentation qui doit être financée par tous les Français.

Le débat actuel est tronqué : il porte sur une augmentation subie dans des domaines qui ne sont pas ceux dans lesquels nous aurions voulu que les dépenses augmentent, si nous avions fait des choix explicites dans la loi de financement. Tous les ans, nous constatons une masse croissante de dépenses que nous n'avons pas choisies. Il ne sert à rien d'équilibrer les comptes, si les dépenses sont constatées dans des domaines qui ne correspondent pas aux priorités de santé.

Un ordre doit être respecté ; il faut d'abord réorganiser le système par la mise en place d'une meilleure gouvernance, par une mise en situation de responsabilité des acteurs, et par une clarification des prises de décisions. Ensuite, il faut mettre en oeuvre des réformes de structure : à cet égard, le plan gouvernemental nous paraît insuffisant, notamment sur des sujets majeurs, comme l'évaluation des pratiques professionnelles, l'installation des professionnels de santé, etc.

Enfin, concernant le financement, nous devons non pas combler des déficits correspondant à des dépenses parfois inutiles, mais répondre à l'enjeu des trois milliards de dépenses supplémentaires par an.

Par conséquent, nous sommes aujourd'hui très attachés avant tout à une logique de réorganisation globale du système, qui permettra de répondre aux besoins de financement de demain. Il nous faudra travailler sur la diversification des recettes, afin de pouvoir piloter plus intelligemment les prélèvements, en essayant de les faire peser équitablement entre tous les acteurs.

M. Nicolas ABOUT, président - Je vous remercie, monsieur Caniard, de nous avoir présenté, comme à l'habitude, un exposé d'une aussi grande clarté.

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