D. L'ASSUJETTISSEMENT DE LA REDEVANCE AUDIOVISUELLE À LA TAXE SUR LA VALEUR AJOUTÉE

Dans le cadre de la réforme de la redevance audiovisuelle opérée par le présent projet de loi de finances, le président de notre commission des finances a demandé au service des études juridiques du Sénat de réaliser une étude 33 ( * ) sur les fondements juridiques de l'assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée ( TVA ) de la redevance audiovisuelle , au taux de 2,1 %, tant en droit interne qu'au regard du droit communautaire.

Deux conclusions principales ressortent de cette étude très complète :

- l'assujettissement à la TVA de la redevance audiovisuelle n'est pas défavorable aux sociétés de l'audiovisuel public : s'il tend à réduire les ressources disponibles pour les organismes de l'audiovisuel public au compte d'affectation spéciale de la redevance audiovisuelle (que le présent projet de loi de finances propose, en son article 36, de transformer en compte d'avances aux organismes de l'audiovisuel public), il permet en revanche à ces sociétés de bénéficier de leurs droits à déduction sur leurs achats ;

- l'assujettissement à la TVA a toutefois un fondement plus politique que juridique , et a été contesté par votre commission des finances.

1. L'assujettissement à la TVA de la redevance audiovisuelle : un bilan financier favorable aux organismes de l'audiovisuel public

L'assujettissement à la TVA de la redevance audiovisuelle constitue une exception au principe de non-imposition défini à l'article 10 de l'ordonnance n° 59-273 du 4 février 1959 relative à la radiodiffusion-télévision française, selon lequel « la radiodiffusion-télévision française n'est passible d'aucune imposition à raison des recettes procurées par la perception de la redevance, quelle qu'en soit l'affectation ».

Cet assujettissement au taux « super-réduit » de 2,1 % a comme base juridique les dispositions du 18° de l'article 257 du code général des impôts, lesquelles mentionnent explicitement la redevance audiovisuelle comme étant soumise à la TVA.

Au plan financier, dans le projet de loi de finances pour 2005, l'assujettissement à la TVA de la redevance audiovisuelle se traduit par une perte de recettes évaluée à 54,34 millions d'euros pour les organismes de l'audiovisuel public au compte d'avances de ces sociétés, dont l'article 36 du présent projet de loi de finances propose la création. L'impact est d'autant plus élevé que l'assujettissement concerne également le remboursement par l'Etat des exonérations et dégrèvements de redevance audiovisuelle (soit 440 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2005).

Toutefois, l'étude du service des études juridiques observe que, suivant l'analyse de l'administration française, il s'agit d' un mécanisme qui « arrange tout le monde ». En effet, « si les sociétés du secteur audiovisuel public n'acquittaient plus de TVA sur la redevance, seules leurs ressources propres seraient soumises à la TVA, et leurs dépenses grevées de TVA en amont . Le mécanisme de la répercussion - c'est-à-dire de compensation - ne pourrait plus fonctionner, ce qui coûterait très cher à ces sociétés ».

Même si l'avantage en contrepartie que représente, pour les organismes de l'audiovisuel public, l'assujettissement de la TVA n'est pas évalué par la direction de la législation fiscale du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, en tout état de cause, le bilan coûts-avantages apparaît nettement favorable aux sociétés de l'audiovisuel public.

2. Un fondement juridique contestable

Bien que d'autres Etats européens, comme l'Italie, l'Autriche et la Finlande, assujettissent la redevance audiovisuelle à la TVA, l'étude jointe en annexe montre le fondement plus politique que réellement juridique de cette imposition , tant au regard du droit interne que du droit communautaire.

L'analyse des défenseurs du principe de l'assujettissement consiste à assimiler la TVA sur la redevance audiovisuelle à une subvention « directement » liée au prix, comme complément de prix .

Ce raisonnement peut être contesté. D'une part, le produit de la redevance n'alimente pas directement le budget de l'Etat, mais un compte d'affectation spéciale puis, si l'article 36 du présent projet de loi de finances est adopté, à compter de 2005, un compte d'avances aux organismes de l'audiovisuel public. D'autre part, c'est, en pratique, le détenteur d'un appareil de télévision qui paie la redevance audiovisuelle.

En outre, le juge judiciaire a précisé, pour définir la notion de complément de prix, le critère d'un lien direct entre la subvention et le versement et les prestations offertes en contrepartie. Ce lien n'apparaît pas démontré dans le cas d'espèce de la redevance audiovisuelle.

La jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) a ajouté qu'étaient soumises à la TVA les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux, ce qui suppose l'existence d'une contrepartie.

Ces principes ont été repris par la jurisprudence du Conseil d'Etat, laquelle a défini l'exigence d'un double effet direct : l'individualisation de la prestation, et un rapport d'équivalence entre les avantages perçus et la contre-valeur versée au prestataire.

Ces analyses convergentes montrent la fragilité juridique d'une application de la TVA , qui plus est au taux très réduit de 2,1 %, à la redevance audiovisuelle .

Malgré cette fragilité juridique, renforcée par les critiques anciennes qu'a exprimées votre commission des finances , et en particulier notre ancien collègue Roger Chinaud, alors rapporteur général de la commission des finances, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 1991, le principe d'un assujettissement à la TVA de la redevance audiovisuelle n'a pas été remis en cause à l'article 24 du présent projet de loi de finances. Le gouvernement a de surcroît proposé d' adosser la redevance audiovisuelle à la TVA pour les professionnels - parallèlement à la proposition d'adosser le recouvrement de la redevance audiovisuelle à la taxe d'habitation pour les particuliers.

Dans ce cadre, une difficulté se pose pour les professionnels non redevables de la TVA : il est proposé que ceux-ci déclarent et acquittent la redevance audiovisuelle auprès du service de recouvrement dont dépend leur siège ou leur principal établissement, en utilisant l'annexe à la déclaration mensuelle des redevables de TVA. Cette démarche sera à effectuer au plus tard le 25 avril de l'année au titre de laquelle la redevance est due, comme dans le régime réel normal de TVA.

Il a ainsi été décidé de ne pas exonérer de redevance audiovisuelle les professionnels qui ne sont pas redevables de la TVA.

Au final, au regard de l'intérêt que représente pour les organismes publics l'assujettissement de la redevance audiovisuelle à la TVA, votre rapporteur spécial prend acte du choix essentiellement politique qui a été ainsi opéré.

Il observe cependant que, en toute rigueur, il conviendrait de prendre en compte les moins-values de recettes de TVA qu'engendre cette situation, du fait du dégrèvement en amont des dépenses de TVA des organismes de l'audiovisuel public. Il s'agit, de fait, d'une aide indirecte, toutefois insuffisante à compenser le niveau structurellement bas de la redevance audiovisuelle en France .

* 33 Cette étude est reproduite en annexe au présent rapport.

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