V. AUDITION DU DOCTEUR MICHEL DUCLOUX, PRÉSIDENT DU CONSEIL NATIONAL DE L'ORDRE DES MÉDECINS (MERCREDI 16 FÉVRIER 2005)

Réunie le mercredi 16 février 2005 , sous la présidence de M. Bernard Seillier, vice-président , la commission a procédé à l' audition de M. Michel Ducloux, président du Conseil national de l'Ordre des médecins , suivie d'une table ronde sur le thème « Médecine et fin de vie » .

M. Gérard Dériot, rapporteur , a souhaité connaître le sentiment du Conseil national de l'Ordre des médecins sur les dispositions de la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale, notamment l'introduction dans la loi du principe du refus de l'obstination déraisonnable, le droit pour le patient de refuser tout ou partie d'un traitement ou de son alimentation, la possibilité de recourir à des directives anticipées pour faire connaître sa volonté ou encore la référence explicite à l'éventualité qu'un traitement contre la douleur puisse avoir pour effet secondaire d'abréger la vie du patient. Il s'est également interrogé sur les spécificités posées par la fin de vie des nouveau-nés victimes de graves pathologies ou de malformations. Il s'est enfin enquis des réponses proposées par la médecine aux patients qui, bien que n'étant pas en fin de vie, estiment leur état incompatible avec l'idée qu'ils se font de leur dignité et parfois, de ce fait, réclament qu'il soit mis fin à leurs jours.

En préambule, M. Michel Ducloux a déclaré que les dispositions de la proposition de loi présentée par M. Jean Leonetti répondent à des préoccupations précédemment exprimées par le Conseil national de l'Ordre, celui-ci ayant été, dès 1995, à l'origine de l'introduction dans le code de déontologie médicale de la notion d'obstination déraisonnable.

Il a également observé que la référence à la notion de collégialité recueille l'assentiment du Conseil, bien qu'il fasse la distinction entre les situations hospitalière et ambulatoire : dans le premier cas, l'ensemble de l'équipe médicale doit prendre part à la décision ; dans le second cas, le Conseil a préconisé que le médecin recherche un avis concordant, lorsque cela est possible, avant de prendre toute décision grave. Il a enfin insisté sur la faculté de refus de soins par le patient qui s'impose au médecin aux termes de l'article 36 du code de déontologie.

Sur le thème de la collégialité, M. François Stefani a précisé que la section éthique et déontologique du Conseil national de l'Ordre a toujours été favorable au principe de la décision partagée, dans l'hypothèse où le médecin est conduit à interrompre des soins. Il a toutefois mentionné les inquiétudes ayant résulté d'un projet de nouvelle rédaction du code de déontologie qui poserait une exception à la règle de collégialité pour les médecins intervenant seuls, notamment hors de l'hôpital : de ce fait, ceux-ci ont parfois été conduits à recommander l'hospitalisation du patient dans la crainte de poursuites judiciaires s'ils prenaient seuls la décision d'arrêter ou de ne pas accomplir certains soins qui, bien que nécessaires à la survie du malade, leur paraissaient disproportionnés. Il a donc souhaité la rédaction d'une formule permettant de distinguer selon qu'il s'agit d'interrompre un traitement, ce qui n'intervient pas en situation d'urgence et qui autorise toujours l'intervention d'une procédure collégiale, ou d'entreprendre un traitement, notamment en urgence, lorsque le recours à la collégialité n'est matériellement pas envisageable.

Il a précisé que le Conseil national de l'Ordre avait longuement débattu des termes à retenir pour définir les modalités d'expression de l'acte collégial et qu'il avait finalement préféré la notion d'« avis concordant » à celle d'« accord », la première impliquant nécessairement une motivation de la décision retenue par un groupe de pairs. Il a insisté, à ce titre, sur le fait que le médecin exerce un métier à haute responsabilité, qui exige une parfaite transparence dans la prise de décision.

Il a ensuite considéré qu'il appartient aux médecins de prendre les risques nécessaires pour soigner et soulager les patients. Cette position a été rappelée par le rapport 2004 du Conseil qui a, pour ce motif, renoncé à mentionner explicitement, dans l'article 38 du code de déontologie, la possibilité qu'un traitement ait pour effet secondaire d'entraîner la mort du patient. Le risque étant partie à l'exercice quotidien de la médecine, le Conseil n'a pas jugé utile de nourrir la crainte des médecins d'être judiciairement poursuivis, ni celle des patients vis-à-vis des thérapies anti-douleur.

Puis M. Michel Ducloux a observé qu'il n'y a pas lieu de faire de différence entre la fin de vie chez le nouveau-né et chez l'adulte, le refus de l'obstination déraisonnable s'appliquant de manière générale. Il a insisté sur les risques pervers découlant paradoxalement des progrès de la réanimation et a cité l'exemple d'une famille dramatiquement perturbée à la suite de la réanimation d'un nouveau-né porteur de lourdes séquelles incurables.

Il est ensuite revenu sur la situation des personnes présentant un handicap majeur, sans risque mortel à court ou moyen terme, mais qui formulent le souhait de mourir. Il a considéré qu'il est paradoxal que, durant l'année même où la prise en charge du handicap et la reconnaissance de la dignité des personnes handicapées ont été élevées au rang de priorité nationale, un jeune handicapé ait souhaité mourir précisément au nom de sa dignité. Il a réaffirmé l'opposition du Conseil national de l'Ordre aux principes de l'euthanasie ou du suicide assisté, insistant sur l'extraordinaire envie de vivre des personnes handicapées qu'il a eu l'occasion de rencontrer et sur le caractère rarissime des demandes d'euthanasie formulées par ces personnes.

A ce propos, M. François Stefani a considéré qu'accueillir favorablement la demande d'euthanasie d'une personne handicapée contribue à renforcer celle-ci dans son sentiment d'indignité. Au nom du respect de la personne humaine, il appartient aux médecins et aux proches de témoigner au patient l'attention et la reconnaissance qu'il mérite.

M. Michel Ducloux a enfin insisté sur l'importance pour le praticien de faire preuve d'humilité et d'avoir conscience des limites de la médecine.

M. André Lardeux a souhaité connaître l'accueil réservé par le Conseil de l'Ordre au dispositif du testament de vie et au principe d'une exception d'euthanasie.

M. Michel Ducloux a insisté sur le fait que l'article 36 du code de déontologie médicale prévoit déjà la prise en compte de la volonté des patients, l'expression de cette dernière devant toutefois toujours demeurer réversible.

Il a ensuite fait état de son désaccord avec le comité national consultatif d'éthique sur l'opportunité d'instaurer le principe d'une exception d'euthanasie.

M. François Stefani a précisé que le rapport du conseil consultatif national d'éthique a rappelé qu'il ne doit pas être prévu, de manière institutionnelle, de transgression à l'interdit de tuer. Il a en outre jugé utile de connaître les souhaits du patient et, à ce titre, les directives anticipées constituent un moyen utile, parmi d'autres, tant qu'elles demeurent dépourvues de caractère impératif.

Mme Christiane Kammermann s'est interrogée sur l'opportunité de demander à la famille d'un proche son avis avant la prescription d'un traitement pouvant entraîner la mort. Elle a en outre souhaité savoir si le médecin qui avait, dans le cas rapporté par M. Michel Ducloux, réanimé l'enfant au prix de séquelles profondes, avait pris la mesure du risque potentiel de handicap encouru.

M. François Stefani a considéré très exagéré le risque imputé aux médicaments antalgiques, estimant que les effets de leurs prescriptions se trouvent neutralisés, sur le plan physiologique, par la douleur ressentie par le patient. Il a insisté sur la nécessité d'apporter une juste information aux familles, tout en respectant la limite d'humanité qui interdit d'en révéler certains aspects ou risques.

M. Michel Ducloux a estimé que le médecin ayant procédé à la réanimation avait dû penser pouvoir sauver l'enfant sans séquelles. Il a réaffirmé la nécessité de s'en remettre, en l'espèce, à la conscience du praticien.

Mme Marie-Thérèse Hermange s'est enquise de l'augmentation de la consommation d'antalgiques dans les hôpitaux. Elle a estimé plus approprié, dans le cadre de la procédure collégiale, de recourir à un accord plutôt qu'à un avis concordant. Elle s'est ensuite interrogée sur l'exercice de cette collégialité en milieu rural. Elle a enfin considéré mieux adaptées les dispositions existantes du code de la santé publique faisant référence aux soins disproportionnés.

M. Michel Ducloux a insisté sur la juste place à réserver, dans la décision médicale concernant un patient, à l'intervention de ses proches. On ne peut en effet ignorer que ceux-ci sont parfois, même si le cas se produit rarement, animés de sentiments qui ne sont pas désintéressés.

M. François Stefani a considéré que l'usage du terme « avis concordant » est plus adapté, en raison de son caractère motivé, que celui de l'« accord confraternel », qui se résume parfois à un rapide accord téléphonique confirmé par écrit. Il a attribué l'augmentation constatée des prescriptions d'antalgiques aux progrès réalisés par la médecine palliative, malgré les réticences ayant initialement entravé le développement de cette pratique.

Il a insisté à nouveau sur la nécessité de distinguer entre la poursuite d'un traitement intervenant à l'hôpital, ne supposant pas d'urgence médicale et permettant la prise collégiale d'une décision, et le choix d'entreprendre, ou non, un traitement effectué par un médecin isolé ou dans l'urgence.

M. Marcel Lesbros a souligné qu'il faut faire confiance aux médecins, notamment au médecin traitant, et à leur sens des responsabilités pour choisir l'initiative la plus judicieuse dans l'intérêt du patient.

M. François Autain a demandé s'il ne serait pas opportun de mieux associer les parents de nouveau-né à la prise de décision concernant la réanimation de leur enfant, à l'exemple des États-Unis où l'on requiert le consentement des parents avant tout arrêt de soins. Il s'est ensuite inquiété de la divergence entre la position du Conseil de l'Ordre des médecins sur l'euthanasie et les sondages qui font état, de manière réitérée, d'une majorité de praticiens favorable à l'euthanasie, voire disposée à pratiquer cet acte. Il s'est enfin enquis des risques encourus par des proches d'un patient ayant demandé à mourir et qui aideraient ce dernier à satisfaire son souhait.

M. Jean-Claude Étienne a considéré que la proposition de loi permettrait de priver d'effets certaines procédures judiciaires fondées sur une interprétation stricte du code pénal. Il s'est interrogé sur la rédaction qui sera finalement retenue pour la réécriture de l'article 37 du code de déontologie médicale.

M. Michel Ducloux a insisté sur l'importance du bon sens et de la responsabilité du médecin, la loi devant se borner à fixer les grands principes et les interdictions. Il a précisé qu'en néo-natalité, les familles sont associées à la prise des décisions concernant leur enfant. Il a ensuite considéré que le résultat d'un sondage dépend pour beaucoup des termes dans lesquels celui-ci est formulé : on peut ainsi être contre l'acharnement thérapeutique sans pour autant être favorable à l'euthanasie. Il a rappelé la recommandation de M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice, de ne pas légiférer sous le coup de l'émotion. Il a enfin observé qu'un proche aidant une personne handicapée à se suicider devra répondre de ses actes devant la justice, celle-ci se montrant toutefois généralement indulgente dans la sanction de ces crimes compassionnels.

M. François Stefani a observé que, lorsqu'il avait pris position contre le principe de dépénalisation de l'euthanasie, le Conseil national de l'Ordre n'avait été saisi d'aucune protestation de la part des membres du corps médical. Il a enfin précisé qu'une première proposition de réforme de l'article 37 du code de déontologie médicale a été transmise au Gouvernement, mais qu'elle doit faire l'objet d'adaptations pour que ses dispositions soient compatibles avec celles de la présente proposition de loi.

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