Article 99
(art. L. 631-1 à L. 631-3 nouveau du code de commerce)
Objet et champ d'application de la procédure de redressement judiciaire

Cet article a pour objet de définir, dans des articles L. 631-1 à L. 631-3 du code de commerce, l'objet et le champ d'application de la procédure de redressement judiciaire. Ces dispositions seraient très proches, pour plusieurs d'entre elles, de celles applicables à la procédure de sauvegarde, telles qu'issues des articles 12 et 13 du présent projet de loi.

Article L. 631-1 nouveau du code de commerce
Objet et critère d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire

L'article L. 631-1 du code de commerce déterminerait l'objet de la procédure de redressement qui serait semblable à la procédure de redressement actuelle, telle qu'elle est définie par l'article L. 620-1 du même code. Son critère d'ouverture, identique à celui existant à l'égard du redressement judiciaire actuel, constitue la principale différence avec la procédure de sauvegarde instituée par l'article L. 620-1 du code de commerce, dans sa rédaction issue de l'article 12 du présent projet de loi.

1. L'objet de la procédure de redressement judiciaire

Reprenant l'article L. 620-1 du code de commerce, l'article L. 631-1 prévoirait que la procédure de redressement devrait satisfaire trois objectifs :

- la poursuite de l'activité de l'entreprise ;

- le maintien de l'emploi ;

- et l'apurement du passif .

La référence à la sauvegarde de l'entreprise disparaîtrait de l'objectif de la procédure de redressement, dès lors qu'une procédure collective spécifique, intervenant avant la cessation des paiements, serait instituée par l'article 12 du présent projet de loi.

Simultanément, la procédure de redressement aurait donc, comme à l'heure actuelle, à réaliser des objectifs qui, à première vue, peuvent sembler difficilement compatibles. Ce maintien devrait d'ailleurs conduire à ce que la hiérarchie qui s'est imposée dans la pratique judiciaire entre ces différents objectifs soit intégralement préservée. Le maintien de l'activité économique serait donc d'abord privilégié, le maintien de l'emploi devant être assuré dans la mesure du possible, et l'apurement du passif intervenant dans un dernier temps.

De manière descriptive, l'article L. 631-1 énoncerait, à l'instar tant de la procédure de redressement actuelle que de la procédure de sauvegarde créée, que le redressement judiciaire donnerait lieu à un plan arrêté par jugement à l'issue d'une période d'observation .

Etonnamment, la rédaction proposée ne ferait pas mention de l'existence de comités de créanciers, alors que ces derniers pourront, le cas échéant, être réunis dans le cadre d'une procédure de redressement, dès lors que les dispositions des articles L. 626-26 à L. 626-32 du code de commerce, tels qu'elles résultent de l'article 92 du présent projet de loi, seraient applicables dans le cadre du redressement judiciaire, en vertu de l'article L. 631-15 du même code, dans sa rédaction issue de l'article 102 du projet de loi.

Par cohérence avec les dispositions figurant à l'article L. 620-1 du code de commerce, votre commission vous propose de préciser, par amendement, que cette procédure peut également donner lieu à la réunion de comités de créanciers.

2. Le critère d'ouverture de la procédure : l'état de cessation des paiements

Le critère d'ouverture actuel de la procédure, à savoir l'état de cessation des paiements du débiteur, serait conservé .

De ce point de vue, la philosophie du projet de loi apparaît d'instituer une gradation entre les procédures de sauvegarde et de redressement judiciaire. La première ne peut être ouverte qu'avant la cessation des paiements et doit être convertie lorsque survient, au cours de sa mise en oeuvre, la cessation des paiements du débiteur. L'existence d'un état de cessation des paiements est, à l'inverse, la condition sine qua non de l'ouverture de la seconde.

La notion de cessation des paiements retenue par le présent article serait identique à celle mentionnée par l'actuel article L. 621-1 du code de commerce : l'impossibilité pour le débiteur de faire face au passif exigible avec son actif disponible.

La notion de cessation des paiements

La cessation des paiements constitue un critère traditionnel en droit français, conduisant à l'ouverture d'une procédure judiciaire de traitement des difficultés de l'entreprise. Cette notion se définit, depuis la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985, comme « l'impossibilité [pour le débiteur] de faire face au passif exigible avec son actif disponible » , cette formulation étant reprise des termes de la jurisprudence constante de la chambre commerciale de la Cour de cassation, depuis un arrêt du 14 février 1978, rendu sous l'empire de la loi du 13 juillet 1967 166 ( * ) .

Bien que cette définition puisse a priori paraître sans ambiguïté, la pratique judiciaire a montré que des difficultés d'interprétation des notions de « passif exigible » et d'« actif disponible » pouvaient se faire jour.

- L' actif disponible s'entend comme l'actif qui peut être immédiatement réalisé ou mobilisé par le débiteur. Il inclut généralement les sommes en caisse, les soldes créditeurs de comptes bancaires, les effets de commerce à vue ainsi que les valeurs mobilières détenus par le débiteur.

La question de la prise en compte d'une éventuelle réserve de crédit consentie au débiteur pour définir son actif disponible a été posée. Sur ce point, après quelques hésitations, la jurisprudence s'est stabilisée à la suite de deux arrêts rendus par la chambre commerciale de la Cour de cassation en 1997 167 ( * ) . Ainsi, il semble que seul le crédit « objectif » doive être pris en compte, c'est-à-dire les prêts, avances en compte courant ou concours bancaires. En revanche, il semble que ne puisse être intégré à l'actif disponible le crédit plus « subjectif », à savoir les délais de paiements ou le cautionnement accordés au débiteur.

- Le passif exigible peut se définir comme l'ensemble des dettes contractées par le débiteur et que ce dernier est tenu de payer compte tenu de l'arrivée du terme de son obligation. Deux questions se sont posées en jurisprudence.

La première a été de savoir s'il convenait de tenir compte du passif rendu exigible par l'arrivée du terme ou plutôt du passif exigible et exigé , c'est-à-dire de l'ensemble des dettes du débiteur dont les créanciers sollicitaient effectivement le paiement. La chambre commerciale de la Cour de cassation avait semblé aller en ce dernier sens dans un arrêt du 28 avril 1998, d'ailleurs non publié au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation, ce qui pouvait faire douter de sa portée de principe. La conséquence majeure de cette interprétation était de retarder la survenance de la cessation des paiements et, en conséquence, l'ouverture d'une procédure judiciaire à l'encontre du débiteur.

Il semble cependant désormais acquis que seul est, en principe, pris en compte le passif exigible pour constater la cessation des paiements. Toutefois, par exception, lorsque le débiteur entend se prévaloir d'une réserve de crédit, le juge est amené à prendre en compte le fait qu'une partie de ce passif n'est pas exigé par les créanciers du débiteur, cette attitude retardant de facto le moment où l'actif est insuffisant pour compenser le passif.

La seconde question a été de savoir s'il convenait de distinguer le passif exigible du passif rendu exigible . Cette interrogation est née de l'application de la loi n° 94-475 du 10 juin 1994 qui autorise le prononcé de la liquidation judiciaire immédiate du débiteur sans période d'observation (article L. 622-1 du code de commerce). Le prononcé de la liquidation a en effet pour conséquence de rendre exigible l'ensemble du passif, puisqu'il emporte déchéance du terme.

Le juge, pour apprécier la cessation des paiements, devait-il prendre en considération le passif exigible à la date du jugement d'ouverture de la procédure de liquidation ou, au contraire, le passif rendu exigible par le prononcé du jugement lui-même ? La chambre commerciale de la Cour de cassation, depuis un arrêt du 26 mai 1999, 168 ( * ) impose aux juges du fond de distinguer ces deux situations et de ne prendre en compte que l'actif exigible, en faisant abstraction des créances qui deviendraient exigibles par l'effet du jugement d'ouverture.

Face aux critiques doctrinales qu'a pu faire naître cette définition de la cessation des paiements, votre rapporteur s'était interrogé, dans le cadre du rapport relatif à l'évaluation des procédures de traitement et de prévention des difficultés des entreprises, présenté au nom de l'Office parlementaire d'évaluation de la législation, sur une nouvelle définition faisait référence au seul « passif exigé » 169 ( * ) .

Toutefois, dans son Rapport annuel 2002 , la Cour de cassation avait préconisé le maintien de la définition actuelle de la cessation des paiements qui, selon elle, « présente l'avantage de provoquer l'ouverture d'une procédure collective dès le moment où l'entreprise crée un risque pour les autres entreprises confrontées, elles aussi, au risque de retard dans les paiements et à l'effet "domino" qui peut détruire le tissu économique » 170 ( * ) .

Les auditions conduites par votre commission ont d'ailleurs fait apparaître que la notion actuelle de cessation des paiements méritait d'être conservée sans modification.

M. Daniel Tricot, président de la chambre commerciale de la Cour de cassation, a ainsi tenu à affirmer qu'il n'existait pas plusieurs définitions de la cessation des paiements, la Cour de cassation maintenant sur ce point une jurisprudence constante et précise. Il a estimé que les débats doctrinaux sur cette question pouvaient trouver leur origine dans le fait que la Cour avait admis que le débiteur puisse contester, à l'occasion des mesures de sanctions personnelles, la date de cessation des paiements retenue par le tribunal, expliquant que cette possibilité de contestation découlait, en réalité, du fait qu'aucune autorité de la chose jugée ne s'attachait à la détermination de l'état de cessation des paiements, ce qui rendait légitime son réexamen ultérieur par le tribunal. Il a précisé que l'introduction de la notion de « passif exigé », évoquée par l'arrêt du 28 avril 1998, ne pouvait être interprétée comme un revirement de jurisprudence, cette décision constituant simplement un utile assouplissement permettant de ne pas pénaliser le débiteur de bonne foi auquel l'un de ses créanciers aurait consenti des délais de paiement 171 ( * ) .

De même, M. Yves Chaput, professeur à l'Université de Paris 1, a considéré qu'il était difficile de modifier substantiellement ce critère, utilisé avec discernement par la jurisprudence depuis des années, et dangereux de le supprimer purement et simplement, la mise en oeuvre d'une procédure judiciaire ouvrant en effet la possibilité d'une expropriation du débiteur. Il a toutefois jugé nécessaire de le dédramatiser et de le préciser, indiquant à cet égard que la distinction souhaitée par certains entre le passif exigible et le passif exigé restait en pratique ténue 172 ( * ) .

En tout état de cause, votre commission tient à souligner que le débat lié à la notion de cessation des paiements devrait désormais devenir moins essentiel et moins aigu qu'il ne l'est aujourd'hui, compte tenu de son abandon en tant que critère central d'ouverture des procédures de traitement des difficultés des entreprises.

* 166 Cour de cassation, ch. commerciale, 14 février 1978, Bull. civ. IV, n° 66, p. 53.

* 167 Cour de cassation, ch. commerciale, 17 juin 1997, Bull. civ. IV, n° 193; 12 novembre 1997, Bull. civ. IV, n° 290.

* 168 Cour de cassation, ch. commerciale, 26 mai 1999, Bull. civ. IV, n° 110.

* 169 Op. cit., pp. 48-50.

* 170 Rapport annuel 2002, La Documentation française.

* 171 Audition du mercredi 22 décembre 2004, Bulletin des commissions du Sénat n° 12/2004, p. 2605.

* 172 Ibid., pp. 2609-2610.

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