II. VERS L'ADOSSEMENT D'AUTRES RÉGIMES SPÉCIAUX SUR LES RÉGIMES DE DROIT COMMUN ?

A. LA GÉNÉRALISATION DE LA TECHNIQUE D'ADOSSEMENT RENFORCE L'EXIGENCE DE NEUTRALITÉ

1. A l'origine : les nouvelles normes comptables internationales IAS 19

Le règlement CE 1606/2002 du Parlement européen et du Conseil du 19 juillet 2002, publié au Journal officiel des Communautés européennes le 11 septembre 2002, prévoit dans son article 4 que « pour chaque exercice commençant le 1 er janvier 2005 ou après cette date, les sociétés régies par le droit national d'un Etat membre sont tenues de préparer leurs comptes consolidés conformément aux normes comptables internationales » .

Cette nouvelle norme comptable internationale, dite IAS 19, oblige à comptabiliser en provisions au bilan l'intégralité des engagements de retraites. L'objectif est de présenter tous les avantages servis au personnel, c'est-à-dire toutes les formes de contreparties versées par une entreprise en échange des services rendus par ses employés : mutuelle, retraite complémentaire, avantages divers.

Cette présentation comptable a retenu l'option suivant laquelle le coût des avantages versés au personnel doit être comptabilisé au cours de l'exercice pendant lequel l'employé acquiert l'avantage plutôt que lorsqu'il est payé ou en cours de paiement, par exemple, lors de la retraite du salarié.

Or, il s'agit d'un changement majeur et lourd de conséquences pour les grandes entreprises publiques à régime de retraite spécial, dans la mesure où elles n'ont jamais eu à provisionner, jusqu'à présent, leurs engagements de retraite et où elles ne disposent pas des fonds propres nécessaires pour y faire face.

2. La technique d'adossement des régimes spéciaux

L'adossement est une nouvelle technique permettant d'élargir le mode de financement et de garantir le paiement des retraites des régimes spéciaux. Il ne s'agit pas d'une intégration au régime général, mais d'une réforme limitée aux conditions de financement.

L'adossement des industries électriques et gazières (IEG) sur les régimes de retraite du secteur privé (CNAV et retraites complémentaires Agirc-Arrco) a été organisé par la loi n° 2004-803 du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières. Il a consisté à sortir les engagements de retraite du bilan des entreprises publiques concernées, la CNAV, l'Agirc et l'Arrco assurant alors le service des prestations de base et complémentaires, en contrepartie de cotisations employeur et salariée de droit commun. Cette technique était ainsi utilisée pour la première fois.

Le régime spécial proprement dit (« régime chapeau ») a été maintenu : il est financé par une contribution tarifaire sur les activités régulées et, pour le solde, par les entreprises. Toutefois, dans la mesure où il ne s'agit que d'une opération comptable et financière et que le niveau des prestations des assurés sociaux demeure inchangé, y compris pour les nouveaux entrants, le coût du régime spécial demeure quoi qu'il en soit très élevé pour l'entreprise.

Ce schéma, conçu pour les IEG, a fondamentalement différé de celui des précédentes intégrations de régimes qui supposent l'extinction du régime intégré, pour la garantie des droits acquis, et la neutralité financière, pour le régime d'accueil. Ce type d'opération avait été effectué plusieurs fois au cours des dernières années, essentiellement par les régimes complémentaires Agirc-Arrco, au profit notamment du personnel au sol d'Air France en 1993, des organismes de sécurité sociale en 1994 ou des caisses d'épargne en 1996.

Plus encore, l'adossement des IEG n'a pas suivi le modèle appliqué, de manière satisfaisante, à France Télécom en 1996, qui a reposé sur une prise en charge par l'Etat du coût des retraites des agents publics.

3. Les garanties de neutralité pour les salariés du secteur privé

L'adossement ne doit pas provoquer la dégradation de la situation financière du régime d'accueil. Il suppose la stricte neutralité du montage pour les assurés sociaux des régimes de droit commun.

Le principe général du calcul qui permet cette reprise des droits est celui d'une comparaison du rapport de charges entre le montant des prestations et celui des cotisations du régime à intégrer, d'une part, et du régime d'accueil, d'autre part. Dés lors que cette comparaison des rapports de charges montre que l'adossement est susceptible de provoquer une dégradation du rapport de charges initial, deux solutions sont possibles pour garantir la neutralité de l'adossement :

- la première consiste à ce que le régime financièrement adossé verse un droit d'entrée (dénommé soulte ou contribution de maintien des droits) aux régimes d'accueil afin de préfinancer les écarts sur les droits repris au titre du passé ;

- la seconde voie, celle retenue par l'Agirc-Arrco pour le régime des IEG, consiste à opérer un abattement sur les droits en question repris au titre du passé ;

Les deux méthodes ont, sous l'angle du principe de neutralité de l'adossement, les mêmes effets.

Le calcul de la soulte peut également être effectué selon deux méthodes différentes :

- la méthode instantanée, dite « de l'indicateur de charge », rapporte de façon instantanée la valeur actuelle des droits acquis par les participants, aussi bien les actifs que les retraités, de chaque régime à la capacité contributive des cotisants ;

- la méthode prospective, finalement retenue pour les IEG, consiste à se placer à échéance de vingt-cinq ans et à projeter le rapport entre le régime d'accueil et le régime de départ suivant les règles du régime d'accueil.

4. L'exigence de transparence des opérations d'adossement pour les citoyens

Ces différents types de montages suscitent des inquiétudes qui doivent être prises en compte. Le conseil d'administration de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés, a ainsi émis le 5 octobre 2005 des « voeux » au sujet du dossier de la RATP, dont les termes sont les suivants :

« Le conseil d'administration de la CNAVTS, à l'unanimité de ses membres, demande à ce que les dispositions relatives à l'adossement du régime des retraites de la RATP au régime général donnent lieu à une disposition législative spécifique au sein du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 et ne soit pas réglé uniquement par voie réglementaire au regard du souci de voir la CNAV bénéficier, en y associant la représentation nationale, de toutes les garanties nécessaires pour que la neutralité financière de l'opération soit assurée et que le financement à moyen et long terme de l'opération d'adossement soit garanti. »

Les régimes spéciaux accordent en effet des avantages spécifiques à leurs bénéficiaires et apparaissent, de ce fait, fort coûteux. Compte tenu d'un rapport démographique généralement défavorable, leur survie n'est assurée que grâce à des transferts de l'Etat et à la mise à contribution de la solidarité nationale. Or, on ne peut exclure que la complexité de ces opérations puissent laisser craindre une mise à contribution dissimulée des autres catégories d'assurés sociaux.

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