MISSION « ACTION EXTÉRIEURE DE L'ETAT » M. Adrien Gouteyron, rapporteur spécial

Votre rapporteur spécial a conduit au cours du premier semestre 2006 deux contrôles sur pièces et sur place 1 ( * ) en application de l'article 57 de la LOLF.

Le premier est né d'une interrogation : la LOLF peut-elle produire une modernisation des administrations françaises à l'étranger 2 ( * ) ? Constatant que le principe de fongibilité ne trouvait pas à s'appliquer dans les services de l'Etat à l'étranger, votre rapporteur spécial a été conduit à formuler la préconisation suivante : mettre en oeuvre dans les postes une structure à la fois spécialisée et professionnalisée, « coiffée » par un secrétaire général, gérant l'ensemble des crédits de fonctionnement ou « crédits supports » des nombreux ministères présents à l'étranger. Il invite par ailleurs à mettre en oeuvre rapidement des indicateurs de performances s'appliquant aux missions exercées par les ambassades. La mission « Action extérieure de l'Etat » manque aujourd'hui d'indicateurs prenant en compte l'action concrète menée par les postes à l'étranger.

Le second contrôle 3 ( * ) a été mené au sein de l'Office français de protection des réfugiés (OFPRA) les 5 et 6 avril 2006. Il conduit votre rapporteur spécial à rappeler que la diminution des délais de traitement de la demande d'asile constitue un impératif. Il s'interroge néanmoins sur le réalisme des objectifs de délai de traitement des demandes d'asile pour 2006 présentés au Parlement dans le projet annuel de performances de la mission « Action extérieure de l'Etat » annexé au projet de loi de finances : 60 jours pour l'OFPRA et 90 jours pour la commission de recours des réfugiés (CRR) . Ces délais ne devraient pas être respectés en 2006 . A l'OFPRA, la productivité des agents a atteint un plafond (les 2,2 dossiers par jour et par agent ne sont pas tenus). Il sera donc difficile de passer en quelques mois d'un délai de 108 jours à un délai de 60 jours. Les gains de productivité possibles à la CRR devraient réduire le délai de trois semaines, pour une durée actuelle d'examen de 8 mois. Les 90 jours paraissent ainsi hors d'atteinte en 2006.

Là encore, les indicateurs de performance doivent être complétés pour mieux prendre en compte l'impératif de productivité de l'OFPRA.

Par ailleurs, votre rapporteur spécial souhaite une tutelle utile du Quai d'Orsay sur l'OFPRA . On pourrait penser que les ambassades constituent la « tête de pont » de l'OFPRA à l'étranger, pour les recherches de terrain à effectuer, et qu'un flux de télégrammes diplomatiques réguliers alimente les « officiers de protection ». Ce qui paraît aller de soi ne correspond pas à la réalité. Les réponses aux demandes d'informations précises de l'OFPRA ne sont pas systématiques, les délais variables. Les obligations de confidentialité, majeures en matière d'asile, ne sont pas toujours respectées.

En plus de ces contrôles, il paraît nécessaire à votre rapporteur spécial d'évoquer trois préoccupations .

I. L'INSINCÉRITÉ DES DOTATIONS INSCRITES EN LOI DE FINANCES INITIALE POUR FINANCER LES OPÉRATIONS DE MAINTIEN DE LA PAIX

Premièrement, les crédits inscrits en loi de finances initiale au titre des contributions de la France aux opérations de maintien de la paix (OMP) de l'ONU, 136,22 millions d'euros , ont été « fixés de manière forfaitaire » pour 2005, comme les années précédentes, sans rapport aucun avec l'évaluation qui pouvait être faite des besoins. Ces besoins étaient pourtant pour l'essentiel parfaitement connus et évalués.

Faute d'estimation sincère des crédits des opérations de maintien de la paix, un décret d'avance n° 2005-1479 du 1 er décembre 2005 a ouvert des crédits supplémentaires à hauteur de 93,3 millions d'euros.

Il faut souligner que ce décret correspondait à des dotations volontairement, et notoirement, sous-estimées en loi de finances initiale pour 2005.

Selon l'avis 4 ( * ) sur le projet de décret d'avance du 10 mars 2006 relatif à l'épidémie de chikungunya et à l'épizootie de grippe aviaire, rendu en application de l'article 13 de la LOLF, par votre commission des finances, la condition d'urgence qui permet l'ouverture de crédits dans le cadre d'un décret d'avances doit être entendue comme « une situation qu'il n'était pas possible de prévoir au moment de la préparation et du vote de la loi de finances initiale » . L'avis précité indique que la commission des finances « se trouverait ainsi fondée à émettre un avis défavorable sur un projet de décret d'avance ouvrant des crédits sur un programme pour lequel le principe de sincérité des lois de finances, prévu par l'article 32 de la LOLF, n'aurait pas été respecté, selon l'examen qui en aurait été fait au moment de la procédure d'adoption du projet de loi de finances par le Parlement. Un décret d'avance ne saurait ainsi être pris s'agissant de crédits pour lesquels les prévisions de dépenses dont on disposait au moment de la préparation de la loi de finances initiale n'auraient pas été prises en compte ».

Pour l'avenir, rien ne permet d'indiquer qu'un décret d'avance relatif à une demande de crédits supplémentaires pour financer les opérations de maintien de la paix recevrait un avis favorable de la commission des finances du Sénat.

Or la loi de finances initiale pour 2006 a reconduit les crédits de la loi de finances initiale pour 2005 au même niveau : 136,2 millions d'euros, alors que le contrôleur financier du Quai d'Orsay évalue les besoins liés aux opérations de maintien déjà décidés par le Conseil de sécurité de l'ONU à 360 millions de dollars.

Certes, le contrat de modernisation du ministère des affaires étrangères pour la période 2006-2008 prévoit que « le ministère du budget et de la réforme de l'Etat s'engage à procéder au rebasage des OMP. Une première tranche d'au moins 50 millions d'euros sera inscrite à cet effet en 2007 ».

Selon les informations de votre rapporteur spécial, le rebasage prévu pour 2007 devrait se limiter à 50 millions d'euros, bien loin des besoins réels.

II. LA PROGRESSION INQUIÉTANTE DE LA MASSE SALARIALE DES AGENTS DE DROIT LOCAL

Un récent audit de modernisation, lancé par M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l'Etat, relatif à la politique de l'emploi local dans les services français au sein de l'OCDE, souligne que « hors évolution des effectifs et en établissant sur 2013 une projection à partir de la gestion 2003-2005, la masse salariale des agents de droit local augmente au ministère des affaires étrangères d'environ 5 % par an, ce qui représente une hausse moyenne d'au moins 36 %, et qui pourrait aller jusqu'à 54 % si l'on tient compte de la pluralité des facteurs pouvant contribuer à l'augmentation de la masse salariale (ancienneté, mérite, protection sociale, réforme des grilles, tous paramètres ayant fait l'objet d'une politique volontariste depuis les années 90). Au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, la hausse est estimée au minimum à 30 % ».

L'audit souligne que « toutes ces anticipations sont très supérieures à l'évolution prévisible des rémunérations de la fonction publique en France » et que « parallèlement se manifeste une tendance à la diminution des indemnités de résidence des expatriés ».

La masse salariale des agents de droit local apparaît insuffisamment pilotée par le ministère des affaires étrangères , sinon à la hausse, ce qui contraste particulièrement avec la politique menée vis-à-vis des expatriés. Ce faisant, les conditions d'une mise en cohérence de la gestion des ressources humaines locales sont en cause : il existe vraisemblablement autant de pilotages de la masse salariale des agents de droit local qu'il existe d'ambassadeurs à l'étranger. Votre rapporteur spécial s'interroge sur la capacité qu'aura la direction des ressources humaines de l'administration centrale du Quai d'Orsay à freiner cette tendance à la hausse , de 5 % à 8 % par an, sans intervenir dans le champ de compétence des ambassadeurs. Il prend note des engagements pris par le Quai d'Orsay dans son contrat de modernisation et s'efforcera d'en assurer le suivi.

Il s'inquiète par ailleurs de l'absence d'informations chiffrées sur les contentieux sociaux auxquels l'Etat est exposé à l'étranger . Les risques contentieux auraient pourtant vocation à figurer au passif du bilan de l'Etat.

Interrogé à ce sujet, le jeudi 22 juin, lors de son audition par la commission des finances, audition ouverte à tous les sénateurs, à la presse ainsi qu'au public, M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, n'a pas été en mesure d'apporter de précisions chiffrées sur le montant des contentieux en question.

III. LES PARTENARIATS PUBLIC-PRIVÉ POUR COMPENSER LA FAIBLESSE DES CRÉDITS D'INVESTISSEMENT

La faiblesse des crédits d'investissement, pour la rénovation ou la construction des équipements à l'étranger, est bien connue. Cette faiblesse est pourtant parfois allée de pair, dans le passé, avec certaines difficultés de gestion. Certains dysfonctionnements avaient ainsi été soulignés par un rapport d'information de votre commission des finances en 2004 5 ( * ) , ainsi que par un rapport de la Cour des comptes de 2005.

Votre rapporteur spécial avait ainsi mené en 2005 plusieurs réunions de travail avec les principaux responsables en matière immobilière et budgétaire, tant au ministère des affaires étrangères qu'au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie.

Au cours d'un débat en séance publique sur la gestion immobilière du Quai d'Orsay, organisé le 10 mai 2005, il avait indiqué « sans vouloir préjuger de la nécessité, parfois, d'une externalisation de cette fonction, en rappelant par exemple l'intérêt, dans certains cas, des partenariats public-privé, j'estime indispensable une professionnalisation de la maîtrise d'ouvrage ».

M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, a souhaité lancer la construction de nouveaux établissements scolaires en partenariat public-privé. Une première vague de construction devrait être lancée à Munich, à Londres, à Tokyo et au Caire où les consultations seraient déjà en cours. Des projets de partenariat public-privé concernent également plusieurs ambassades, comme à Tokyo.

Dans cette perspective, dès lors que les partenariats public-privé peuvent conduire à des engagements hors-bilan significatifs, les risques financiers doivent être mesurés par une structure compétente. Il appartient au ministère des affaires étrangères, avant de lancer ces projets, de mener les études d'ordre économique, financier, juridique et administratif, permettant d'étayer, après une analyse comparative, notamment en termes de coût global, de performance et de partage des risques, des différentes options, le choix du partenariat public-privé.

Ce type de partenariat suppose, plus encore que les constructions « en direct », une maîtrise d'ouvrage extrêmement professionnelle, qui était encore absente début 2005, mais qui devient incontournable compte tenu de la complexité des dossiers envisagés.

* 1 Un autre relatif aux sites internet des ambassades devrait aboutir dès septembre prochain.

* 2 Rapport d'information n° 272 (2005-2006).

* 3 Rapport d'information n° 401 (2005-2006).

* 4 Rapport d'information n° 252 (2005-2006).

* 5 « Atouts et ajustements de l'outil de coopération français en Turquie ». Rapport d'information n° 395 (2003-2004) de M. Jacques Chaumont, fait au nom de la commission des finances.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page