MISSION « OUTRE-MER » M. Henri Torre, rapporteur spécial

I. UN MINISTÈRE CONTESTÉ DANS SON EXISTENCE

A. UNE DOUBLE LOGIQUE PRÉSIDANT À SON ACTION

Si la nécessité de prendre en considération de manière spécifique les particularités de l'outre-mer ne fait pas débat, la forme de cette attention est, pour sa part, régulièrement remise en cause.

Ainsi, dans son rapport public pour 2006, la Cour des comptes note  que « depuis quelques années, la Cour n'a cessé, dans chacune de ses interventions, de rappeler que ce département ministériel était le seul à pouvoir exercer correctement, en raison de sa position privilégiée au sein de l'appareil d'Etat, la mission de coordination de l'ensemble des politiques publiques consacrées à l'outre-mer ». Elle n'en fait pas moins part de ses interrogations : « force est de constater que, jusqu'à présent, le ministère de l'outre-mer n'a pas exercé la plénitude de la mission dont il est investi, faute, semble-t-il, d'une réelle volonté politique de le doter des moyens appropriés et d'avoir fait le choix entre une logique de mission et une logique de gestion ».

Cette interrogation de la Cour des comptes a le mérite de poser avec clarté le débat sur la manière la plus efficace d'assurer la prise en compte de l'outre-mer dans les grandes politiques publiques . Votre rapporteur spécial, qui a souvent eu l'occasion d'apprécier la très grande compétence des agents du ministère de l'outre-mer dans leurs domaines respectifs, estime cependant que ce sujet n'est pas tabou, et doit être étudié avec soin, même si certains jugements de la Cour des comptes lui paraissent être d'une grande sévérité 57 ( * ) . En ce domaine, la seule question qui doit guider l'Etat est le souci de représenter au mieux les intérêts et la diversité de l'outre-mer, et son insertion dans la République.

Le caractère « hybride » du ministère de l'outre-mer se retrouve en particulier dans la présentation de son budget, qui n'a été que peu transformé par le passage à la LOLF, le périmètre demeurant, à peu de choses près, identique. Il convient de relever que l'idée d'une grande mission interministérielle regroupant la totalité des crédits affectée à l'outre-mer n'a pas été reprise . Le ministère mène donc deux politiques distinctes :

- la gestion « en direct » de plusieurs politiques , comme celle du logement, par le biais de la « ligne budgétaire unique », cette gestion ayant été détachée du ministère du logement en 1997 ; les crédits en faveur de l'emploi en outre-mer, avec les compensations des exonérations de charges patronales dans les départements d'outre-mer ; ou encore les subventions aux départements et collectivités d'outre-mer ;

- une fonction d'expertise juridique et de défense des intérêts de l'outre-mer.

B. CETTE ABSENCE DE COHÉRENCE CONDUIT À DES DIFFICULTÉS PRATIQUES

Le balancement entre une logique de gestion inachevée et une logique de mission trouve sa traduction dans de nombreux domaines, qui peuvent, à terme, nuire à la bonne représentation de la spécificité de l'outre-mer. Ainsi, trois exemples mettent en lumière les difficultés rencontrées.

1. La plan de cohésion sociale : des crédits qui manquent

La loi de programmation pour la cohésion sociale 58 ( * ) prévoit un plan ambitieux en faveur du logement social, plan dont les effets ont d'ores et déjà commencé à se faire sentir en métropole. Pour une raison qui n'a pu être définie, une partie de ce plan ne s'applique pas en outre-mer, qui ne bénéficie donc pas d'une programmation de ses crédits de paiement sur plusieurs années . L'importance du logement a été plus particulièrement soulignée par votre rapporteur spécial dans le cadre de son rapport spécial lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2006 : « Votre rapporteur spécial tient à insister particulièrement sur l'importance de la question du logement en outre-mer. Les conditions climatiques aussi bien que la non prise en compte des spécificités locales (habitat très urbain et concentré, familles plus nombreuses qu'en métropole) ont contribué à une dégradation du tissu urbain, dont le cas extrême est Mayotte, où la plupart des logements sont jugés insalubres » . Votre rapporteur spécial conduit actuellement une mission de contrôle sur pièces et sur place, en application de l'article 57 de la LOLF, sur ce thème . Selon les éléments qu'il a pu recueillir à ce stade, il apparaît un déficit très important sur la ligne budgétaire unique, qui s'élève à 60 millions d'euros de factures impayées à la fin de l'année 2005.

On ne peut donc que s'interroger sur les raisons qui ont pu conduire à ne pas prendre en considération l'outre-mer dans le plan de cohésion sociale. Il pourrait sembler que le ministère du logement, qui ne gère plus les crédits relatifs à l'outre-mer, ait fait le choix de « réserver ses crédits » pour la métropole, dont il a la charge.

2. Quelle somme est véritablement consacrée à l'outre-mer ?

Le budget de l'outre-mer, qui s'élève en 2005 à 1,7 milliard d'euros, ne représente en fait qu'une fraction de l'effort de la Nation en faveur des départements et des collectivités ultramarines, effort que l'on peut estimer à environ 11 milliards d'euros. Ainsi, dans le cadre rénové offert par la LOLF, votre rapporteur spécial a pu se faire communiquer la fraction qui, dans chaque mission, revient à l'outre-mer.

Répartition en 2006 des crédits de paiement consacrés à l'outre-mer
entre les missions

(en milliers d'euros)

Mission

Crédits de paiement en 2006

Action extérieur de l'Etat

126.827

Administration générale et territoriale de l'Etat

113.738

Conseil et contrôle de l'Etat

6.173

Contrôle et exploitation aérien

128.514

Culture

17.846

Défense

466.182

Ecologie et développement durable

12.447

Enseignement scolaire

3.200.547

Justice

145.949

Mémoire et lien avec la nation

23.131

Outre-mer

1.898.023

Pensions

1.320.441

Politique des territoires

2.514

Recherche et enseignement supérieur

546.238

Relations avec les collectivités territoriales

1.566.837

Santé

671

Sécurité

650.533

Sécurité civile

3.890

Sécurité sanitaire

8.935

Solidarité et intégration

20.152

Sport, jeunesse et vie associative

56.783

Transports

253.202

Travail et emploi

256.094

Ville et logement

19.385

TOTAL

10.845.412

Source : rapport spécial sur la mission « outre-mer », annexe 17 au rapport général sur le projet de loi de finances pour 2006

On constate donc que la mission « enseignement scolaire » consacre 3,2 milliards d'euros à l'outre-mer, soit presque deux fois le budget de ce ministère.

Cet éclatement des crédits nuit incontestablement à la clarté des débats au Parlement et à une bonne appréciation des politiques publiques menées en outre-mer.

3. Quel interlocuteur sur l'outre-mer ?

Cette impression a été confirmée lors du débat sur le projet de loi de finances pour 2006. Un amendement a été présenté le 3 décembre 2005 par les présidents des commissions des finances et des affaires sociales, cet amendement portant sur l'indemnité temporaire applicable aux agents de la fonction publique d'Etat qui prennent leur retraite à la Réunion et dans les collectivités d'outre-mer à statut particulier.

Ce sujet, qui suscite de larges débats, a dû être présenté lors de la discussion des crédits du compte d'affectation spéciale « Pensions » et donc, logiquement, le gouvernement aurait dû exprimer sa position par la voix du ministre en charge du budget, dont les services gèrent ce compte. Or, c'est le ministre de l'outre-mer qui est venu en séance publique afin livrer son analyse . Si cette attitude s'explique, compte tenu de la spécificité de ce dossier et de son caractère « sensible », il n'en reste pas moins qu'il révèle une forme « d'incohérence » dans la structure budgétaire : les thèmes les plus propres à l'outre-mer, comme l'indemnité temporaire, les compléments de rémunération ou la défiscalisation ne sont pas discutés dans le cadre de la mission « outre-mer », mais éparpillés sur toute la discussion budgétaire.

II. L'EXÉCUTION DU BUDGET 2005 : EN LIGNE AVEC LES PRÉVISIONS DE LA LOI DE FINANCES INITIALE

A. UNE ANNÉE 2005 MARQUÉE PAR DES CHANGEMENTS DE PÉRIMÈTRE DE PLUS DE 50 %

L'analyse de l'exécution budgétaire à l'occasion de la discussion du projet de loi de règlement, si elle se trouvera sensiblement améliorée par l'adoption de la LOLF 59 ( * ) , ne permet cependant pas, comme nous venons de le voir, de prendre en compte toutes les politiques publiques menées en outre-mer, notamment celles sur lesquelles le débat serait le plus utile.

Au niveau du périmètre, il convient de rappeler que l'année 2005 avait connu une évolution majeure par rapport à 2004. En effet, le budget du ministère de l'outre-mer affichait une hausse de 52 % des crédits, et s'élevait à 1,71 milliard d'euros.

Cette hausse ne correspondait pas à des mesures nouvelles du même montant, mais était due à des transferts de crédits, notamment 678 millions d'euros correspondant à la compensation des exonérations de cotisations sociales dans les départements d'outre-mer, jusque là inscrits sur le budget du ministère de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale, et 31 millions d'euros en faveur de la continuité territoriale en outre-mer, qui étaient inscrits sur le compte d'affectation spéciale « Fonds d'intervention en faveur des aéroports et du transport aérien » (FIATA).

B. L'ENVELOPPE BUDGÉTAIRE INITIALE A ÉTÉ GLOBALEMENT RESPECTÉE

1. Le « yoyo » budgétaire

En préambule, il convient de faire la distinction entre quatre montants différents :

- les crédits inscrits dans la loi de finances de l'année ;

- les crédits disponibles après les reports de l'année précédente ;

- les crédits réellement disponibles après régulation budgétaire ;

- les crédits mandatés, et donc réellement dépensés .

Une bonne gestion budgétaire, respectueuse de l'autorisation parlementaire, consiste à rapprocher le plus possible les crédits adoptés en loi de finances des crédits réellement dépensés, en limitant le plus possible les mouvements de « reports-annulations », cet exercice étant rendu complexe par les régulations en cours d'année, ce qui n'est d'ailleurs pas propre au ministère de l'outre-mer, mais nuit à la bonne lecture par les parlementaires du budget et à l'efficacité des politiques menées.

Dans son rapport spécial sur le projet de loi de finances pour 2005, votre rapporteur spécial rappelait les deux grands mouvements observés les années précédentes sur le budget du ministère de l'outre-mer :

- dans un premier temps, par le jeu des reports, les crédits en apparence disponibles pour l'exercice budgétaire sont systématiquement supérieurs aux crédits adoptés par le Parlement lors de la discussion du projet de loi de finances. Ainsi, entre 2000 et 2002, les crédits disponibles étaient supérieurs de plus de 21 % aux crédits inscrits au budget ;

- dans un second temps, des annulations de crédits viennent rapprocher le montant qui sera réellement dépensé du montant adopté en loi de finances . Ainsi, en 2002, le Parlement a adopté un budget de 1,078 milliard d'euros , qui a culminé à 1,277 milliard d'euros grâce aux reports, puis est passé à 1,091 milliard d'euros effectivement consommés par le biais des annulations de crédits. Les années suivantes ont eu tendance à confirmer cette tendance.

Ce jeu de « yoyo » budgétaire, s'il n'emporte en apparence pas de conséquences pratiques pour les dépenses de l'Etat, est préjudiciable en termes de visibilité, et traduit en fait des redistributions budgétaires effectuées en cours d'année entre les titres (dans l'ancienne nomenclature).

Votre rapporteur spécial estime que cette régulation budgétaire, qui n'est pas le fait du ministère de l'outre-mer , nuit à la capacité d'action de ce dernier, les gestionnaires ne pouvant pas déterminer avec précision dès le vote de la loi de finances les crédits dont ils pourront effectivement disposer. Il est nécessaire, afin de donner au ministère de l'outre-mer les moyens de mener les ambitieuses politiques dont il a la charge, de fixer les « règles du jeu », ce qui devrait être d'autant plus aisé que ce mouvement de « yoyo » est en apparence récurrent.

2. L'exécution 2005 : une amélioration notable de la gestion passant par un meilleur calibrage de la dotation initiale

Si l'année 2005 ne dément pas les mouvements observés, et le jeu des « reports-annulations », elle montre cependant que le ministère a amélioré ses procédures de gestion.

Ainsi, selon le rapport du contrôleur financier transmis à votre rapporteur spécial :

- le montant des crédits adoptés en loi de finances pour 2005 a été fixé à 1,706 milliard d'euros ;

- le montant des crédits disponibles s'élève à 1,725 milliard d'euros ;

- le montant des crédits dépensés s'élève à 1,700 milliard d'euros , soit un taux de consommation de 98,51 % , ce taux étant de 98,9 % pour les dépenses obligatoires et de 96,82 % pour les dépenses en capital.

Deux remarques doivent être faites :

- la différence entre le montant adopté par le Parlement, de 1,705 milliard d'euros, et le montant des crédits disponibles (c'est-à-dire après les reports et les annulations) s'établit à 19 millions d'euros . Cette différence s'explique principalement 60 ( * ) par des reports de 62 millions d'euros et des annulations de 67 millions d'euros, et deux abondements, 10,6 millions d'euros en fonds de concours et 2,8 millions d'euros en loi de finances rectificative. On note donc que si la technique de régulation ne change pas, elle s'exerce néanmoins sur des sommes moins importantes : alors qu'entre 2002 et 2003 156 millions d'euros avaient été reportés, et que, en 2004, 188 millions d'euros avaient été annulés, les « reports-annulations » de l'année 2005 ne portent plus que sur environ 60 millions d'euros. Ce point doit être d'autant plus mis en valeur que le budget du ministère a considérablement augmenté entre temps, passant d'environ 1 milliard d'euros en 2003 à 1,7 milliard d'euros en 2005 .

La proportion élevée des crédits dépensés semble donc traduire un calibrage désormais « correct » du ministère, dans un contexte qui, comme nous venons de le voir, a été marqué par un fort changement de périmètre.

Ce constat, rassurant, peut s'expliquer par deux éléments :

- le premier est la nature des crédits transférés, c'est-à-dire les 678 millions d'euros de dépenses sociales, qui sont des dépenses « automatiques » ;

- la seconde est l'amélioration incontestable et continue des procédures du ministère dans la gestion de certaines lignes de crédit, notamment celle consacrée au logement (la LBU). En effet, jusqu'en 2002, les crédits de la LBU étaient relativement « mal » consommés, surtout compte tenu des besoins dans le secteur, avec un taux de consommation d'environ 90 %. En 2005, sur 184 millions de crédits disponibles (soit 173 millions d'autorisation parlementaire et 11 millions de report), le solde non dépensé est de 39.000 euros, ce qui signifie une consommation de presque 100 %.

Pour autant, et sur cette question spécifique du logement, un taux de consommation aussi important signifie également un manque de crédits de paiement considérable par rapport aux autorisations de programme, ce manque de crédit étant matérialisé par 60 millions d'euros de factures impayés à la fin de l'année 2005 . Votre rapporteur spécial, qui mène actuellement une mission de contrôle sur pièces et sur place en application de l'article 57 de la LOLF, aura l'occasion de présenter ses conclusions sur ce thème devant votre commission des finances.

* 57 Par exemple : « La Cour ne peut qu'émettre des doutes sur la capacité du ministère à exercer une fonction efficace de contrôle et d'évaluation. La décision originelle d'engager la dépense lui échappe ; la décision ultérieure de veiller au suivi de la politique arrêtée ne lui appartient pas davantage ; la décision ultime d'en apprécier la validité lui est en définitive déniée puisqu'il ne dispose d'aucun service adapté pour y procéder » (rapport public pour 2006, p. 429).

* 58 Loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005.

* 59 Ainsi, celle-ci prévoit la dépôt d'un « rapport annuel de performances » qui accroîtra de manière très significative la quantité et la qualité des informations fournies au Parlement, notamment au regard du respect des indicateurs de performance.

* 60 Pour le détail des mouvements de crédit, votre rapporteur spécial renvoie au rapport annuel d'exécution budgétaire du contrôleur financier (rapport de juin 2006, p. 13).

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