MISSION « PENSIONS » M. Thierry Foucaud, rapporteur spécial

AVANT-PROPOS

La présente contribution est faite au nom de la commission des finances.

Votre rapporteur n'en partage pas les orientations et souhaite livrer quelques observations à titre personnel :

En premier lieu, il est utile de rappeler que les pensions doivent être appréhendées en tant que revenu des ménages. Dès lors, loin d'être une charge, elles participent pleinement à la croissance économique, et il conviendrait, au même titre que tous les revenus, de les mettre en rapport avec le PIB et le partage de la valeur ajoutée.

Les indicateurs retenus ignorent cet aspect fondamental, en conséquence ils n'appréhendent pas le niveau de vie des retraités.

Il convient pourtant de relever, en deuxième lieu :

La nette dégradation du pouvoir d'achat des retraités tenant au nouveau mode de calcul issu de la loi du 21 août 2003.

Que cette dégradation tient également aux charges pesant particulièrement lourd sur les budgets des retraités, singulièrement celles qui touchent les dépenses de santé.

Un décrochage du minimum de pension par rapport au minimum de traitement.

Pour finir, s'agissant de l'équilibre entre les recettes et les dépenses, votre rapporteur spécial constate que la mise en application actuelle de la LOLF est un cercle vicieux :

Elle condamne en effet tout équilibre, avec le principe de la fongibilité asymétrique. Les dépenses de personnel constituent la variable d'ajustement, ce qui aggrave le rapport entre actifs et retraités, la qualité des services publics, la qualité de l'emploi avec l'externalisation de missions, et les comptes des collectivités locales du fait de transferts de compétences plus ou moins avoués, ces deux derniers agissant fortement sur le niveau des recettes alimentant les pensions. D'autres marges de manoeuvre, conséquentes et efficaces d'un point de vue socio-économique, existent au sein du budget de l'Etat : les dépenses fiscales.

L'incitation à la baisse des dépenses de personnel est d'autant plus néfaste, qu'elle crée les conditions pour refuser toute augmentation du niveau des pensions, et incite au recul de l'âge de départ à la retraite.

*

* *

La réforme des retraites de 2003 n'empêche pas les dépenses de pension de progresser à un rythme soutenu. Cette dynamique rend l'identification comptable du régime des fonctionnaires, à compter de 2006, particulièrement bienvenue. Mais seule une démarche de performance plus aboutie permettra de tirer pleinement parti de cette innovation comptable.

I. UNE CHARGE DES PENSIONS EN FORTE CROISSANCE MALGRÉ LA RÉFORME DES RETRAITES

A. UN DOUBLEMENT DU CO ÛT DES PENSIONS DEPUIS 1990

De 1990 à 2005, le montant des pensions civiles est passé de 18 milliards d'euros à près de 37 milliards d'euros. Cette évolution s'explique par une forte progression des effectifs ainsi que par une augmentation régulière de la pension moyenne.

En valeur, les pensions servies ont ainsi progressé sur la période de 104 % lorsque le budget général augmentait de 49 %, si bien que sur la même période, le poids des pensions dans le budget de l'Etat est passé de 9,3 % à 12,7 %. Le graphe suivant permet de visualiser ces évolutions respectives :

Progression du poids des pensions dans le budget général

(en milliards d'euros)

Source : réponses au questionnaire budgétaire

Au sein même des dépenses de fonction publique, le poids des pensions progresse significativement, ainsi que le montre le graphe suivant :

Progression du poids des pensions dans la dépense de fonction publique

(en milliards d'euros)

Source : réponses au questionnaire budgétaire

B. UNE R ÉFORME DES RETRAITES ENCORE INSENSIBLE

La progressivité avec laquelle entrent en vigueur les différentes mesures de la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites visant à contenir l'augmentation du besoin de financement des régimes de la fonction publique a pour effet de rendre, pour 2004 et 2005 , quasiment insensibles les gains qui en résultent .

Pour 2005, l'augmentation s'élève à près de 2 milliards d'euros , ce montant intégrant une provision de 70 millions d'euros pour financer la mesure 61 ( * ) destinée à abaisser l'âge de la retraite pour tenir compte des « carrières longues », ainsi que les effets de l'indexation sur les prix.

A moyen terme, le montant des pensions civiles et militaires de retraite progresse à un rythme annuel de 5 % à 5,5 % par an , se décomposant ainsi :

- 1,5 % à 2 % de revalorisation ;

- 3,5 % d'effet volume lié au nombre croissant des pensionnés ;

- 0,1 % à 0,3 % supplémentaire pour les effets de diverses mesures, telles que les carrières longues.

De fait, les dernières projections du Conseil d'orientation des retraites, qui intègrent les effets de la réforme de retraites, établissent la hausse moyenne annuelle en volume de la masse des pensions servies par le régime de l'Etat à 3,4 % jusqu'en 2010 , puis à 2,3 % jusqu'en 2020, à 2,2 % jusqu'en 2030, puis enfin à 2 % jusqu'en 2040.

II. VERS UNE RÉVOLUTION COMPTABLE AVEC LA LOLF

A. UNE CLARIFICATION NÉCESSAIRE

En 2005, comme les années précédentes, le régime de l'Etat n'a fait l'objet d'aucune individualisation, et les charges de pension ont été retracées à divers endroits du budget : la contribution de l'Etat s'est confondue avec le financement budgétaire des pensions par les différents ministères.

Les crédits des différents ministères ont été rituellement transférés en début d'exercice sur le chapitre 32-97 du budget des charges communes où figurent les diverses charges de pension, ce chapitre comprenant aussi les crédits correspondant à l'effet annuel de l'augmentation des effectifs pensionnés et du montant unitaire des pensions, ainsi qu'aux charges de pension dues au titre des agents de France Télécom et de La Poste, des pensions d'Alsace Lorraine et des agents fonctionnaires de l'Etat détachés dans divers organismes publics et semi-publics 62 ( * ) .

A la suite d'une initiative du Sénat, la LOLF a prescrit 63 ( * ) la mise en place d'un compte permettant d'isoler les flux, à l'image d'un véritable régime de retraite qui serait doté de la personnalité juridique, afin de donner la meilleure représentation du régime de l'Etat .

Le programme « Pensions civiles et militaires de retraite et allocations temporaires d'invalidité » constitue la principale section de la mission « Pensions », dont il concentre l'essentiel des enjeux.

En effet, la mise en place du compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions » et, en particulier, de ce programme, entraîne une pleine responsabilisation des gestionnaires de programmes, qui doivent verser, à proportion des rémunérations d'activité, des « cotisations employeurs » dont le taux est calculé pour équilibrer les charges et les recettes du programme .

Ainsi, ils ne subiront pas d'imputations budgétaires au titre des politiques de recrutement passées, alors qu'en 2005, les effectifs pensionnés ont encore été payés à partir des sections budgétaires dont ces derniers relevaient lorsqu'ils étaient en activité.

B. DES INCIDENCES MAJEURES EN MATIÈRE DE RECRUTEMENT

La « contribution employeur » a été introduite par l'article 63 de la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites, qui dispose que « la couverture des charges résultant, pour l'État, de la constitution et du service des pensions prévues par [le code des pensions civiles et militaires de retraite] (...) est assurée par :

« 1° Une contribution employeur à la charge de l'État, assise sur les sommes payées aux agents (...) à titre de traitement ou de solde (...) ;

« 2° Une cotisation à la charge des agents (...), assise sur les sommes payées à ces agents à titre de traitement ou de solde (...) ;

« 3° Les contributions et transferts d'autres personnes morales (...). »

La « contribution employeur » de l'Etat constitue la « variable d'ajustement » permettant d'équilibrer les recettes et les dépenses attenantes aux retraites des fonctionnaires civils et militaires compte tenu d'éventuels excédents antérieurs . Il résulte de cette contrainte d'équilibre des taux 64 ( * ) élevés : ils s'élèvent à 49,9 % au titre des personnels civils et à 100 % au titre des personnels militaires, cette différence s'expliquant par celle des situations démographiques respectives, avec 1,6 actif pour un fonctionnaire civil pensionné contre 0,8 actif pour un militaire pensionné.

Comme ces rapports démographiques 65 ( * ) doivent se dégrader rapidement avec respectivement 1,3 actif et 0,7 actif par pensionné en 2010, les taux de contribution sont appelés à être révisés périodiquement , et cela même en cours d'exercice si, en raison d'une mauvaise évaluation, le taux de contribution s'avère insuffisamment élevé.

L'actualisation des taux mettra les dépenses de personnel concernées « sous tension » car ils constitueront, lors des conférences budgétaires, un facteur d'augmentation automatique de l'enveloppe requise à effectifs constants, et il entraînerait une augmentation automatique des frais de personnel dans une enveloppe inchangée en cas de variation en cours d'exercice.

Cette évolution devrait entrer en synergie avec la fongibilité asymétrique , qui ne permet pas, en cours d'année, de redéployer des crédits vers des dépenses de personnels, alors que l'inverse est possible.

Au total, les ministères et les différents gestionnaires de programmes seront incités à mieux pondérer leurs décisions de recrutements, non seulement en gestion, mais aussi en amont, lors des conférences budgétaires.

III. QUELLE MESURE DE QUELLE PERFORMANCE ?

A. LA TENTATION DU STATU QUO POUR LES PENSIONS

Comme votre rapporteur spécial, s'exprimant au nom de la commission des finances, l'a noté dans son rapport spécial sur le compte d'affectation spéciale « Pensions » 66 ( * ) , cette mission ne se prête pas spontanément à la logique de résultat imprimée par la LOLF : « Les objectifs du programme correspondent à des engagements pris par l'Etat qui, dès lors qu'il ne les remet pas en cause en cours d'exercice, n'en maîtrise pas l'évolution . Il ne saurait donc être question de poursuivre, du moins à court terme, de véritables objectifs d'« efficacité socioéconomique », mais plutôt d'efficience de la gestion et de qualité du service ».

Dans son rapport sur les résultats et la gestion budgétaire de l'Etat pour 2005, la Cour des comptes ne dit pas autre chose : « La mission est moins le support d'une politique publique définie que le cadre budgétaire destiné à retracer de façon exhaustive et transparente, les charges et ressources des régimes de retraite des fonctionnaires et assimilés. Il en résulte que les caractéristiques et les étapes de la démarche de performance, conçue pour rendre compte des résultats des politiques publiques, ne sont pas toutes transposables à la mission. En particulier , l'influence des responsables de programme sur les performances de ces programmes ne peut être que des plus limitées ».

Faudrait-il, en conséquence, se contenter de peu, en considérant avec la Cour des comptes que « la véritable stratégie du programme Pensions civiles et militaires de retraite et allocations temporaires d'invalidité est d'ordre budgétaire » et que « dès lors qu'il s'agissait de faire la lumière dans un domaine qui était d'une rare opacité, la création du CAS était à elle seule l'objectif stratégique, et son existence l'indicateur par excellence » ?

Certes, la plupart des indicateurs de performance figurant dans le bleu « Pensions » annexé au projet de loi de finances pour 2006 se bornent à la mesure de l'efficience de la gestion ou de la rapidité de traitement des dossiers.

Toutefois, malgré l'absence de leviers d'action en gestion, des indicateurs concernant l'âge moyen de la radiation des cadres et la durée moyenne de cotisation ont été mis en place pour les fonctionnaires civils et militaires de l'Etat . Il s'agit déjà, ici, d'un suivi de l'impact de la réforme des retraites, qui peut aussi constituer l'amorce de réflexions sur des évolutions à venir.

B. LA POSSIBILITÉ D'UN PROJET ANNUEL DE PERFORMANCES PLUS ABOUTI

Pour votre commission des finances, des améliorations au projet annuel de performances de la mission « Pensions » paraissent envisageables au regard de l' inscription de la France dans la « stratégie de Lisbonne », qui vise à augmenter le taux d'activité des travailleurs âgés. Cet objectif paraît de nature à orienter utilement la mesure de la performance .

Concernant les indicateurs concernant l'âge moyen de la radiation des cadres et la durée moyenne de cotisation, il importera, assurément, qu'ils distinguent bien les fonctionnaires civils et militaires 67 ( * ) .

Par ailleurs, des indicateurs portant sur le nombre d'années moyen de décote et de surcote appliqué au moment de la liquidation devraient être mis en place afin d' apprécier plus finement l'évolution des comportements liée à la réforme des retraites mais aussi aux actions qualitatives qui peuvent être mises en oeuvre pour encourager des départs plus tardifs .

Sur un autre plan, l'objectif « Optimiser la prévision de dépenses et recettes de pensions », ne concerne que les ouvriers des établissements industriels de l'Etat 68 ( * ) , et il est souhaitable que cet objectif soit mis en place pour les pensions civiles et militaires de l'Etat, qui engagent le budget pour des montants beaucoup plus élevés 69 ( * ) .

* 61 Mesure figurant à l'article 119 de la loi de finances pour 2005.

* 62 En règle générale, les fonctionnaires retraités des budgets annexes étaient inclus dans les effectifs des ministères de rattachement et les fascicules du budget général portaient, à ce titre, les crédits de pension y afférents. Toutefois, le budget annexe de l'Aviation civile reprenait la logique de « coût complet » retenue pour les fascicules du budget général.

* 63 L'article 21 de la LOLF prévoit ainsi explicitement l'instauration d'un « Compte de pensions » en 2006, équilibré en recettes et en dépenses.

* 64 Les taux de contribution doivent couvrir les dépenses de l'exercice compte tenu d'éventuels excédents antérieurs, et sont appelés à être révisés périodiquement, même en cours d'exercice (une augmentation des taux mettrait alors les programmes concernés « sous tension », avec une augmentation automatique des frais de personnel dans une enveloppe inchangée), compte tenu des besoins structurels du régime. Ce « pilotage » doit être assuré au niveau de chaque section du compte de pensions.

* 65 Il s'agit de rapports démographiques dits « pondérés », qui rapportent le nombre d'actifs cotisants au nombre de retraités de droit direct et de « reversataires », le nombre de ces derniers étant pondéré par le taux de réversion (50 %).

* 66 Rapport spécial n° 99 - Tome III - annexe 22, intitulé « Régimes sociaux de retraite - Compte spécial pensions ».

* 67 Proposition déjà formulée par votre rapporteur spécial s'exprimant au nom de la commission des finances dans le rapport spécial visé en note supra et reprise par la Cour des comptes dans son rapport précité. Pour ce qui est des principaux régimes subventionnés par la mission « Régimes sociaux et de retraite », c'est-à-dire la SNCF et la RATP, des indicateurs portant sur l'âge moyen de la radiation des cadres et sur la durée moyenne de cotisations devraient être également mis en place afin d'alimenter la réflexion sur une évolution ultérieure de ces régimes.

* 68 Le programme 742 « Ouvriers des établissements industriels de l'Etat » constitue la deuxième section du compte de pension.

* 69 Proposition déjà formulée par votre rapporteur spécial s'exprimant au nom de la commission des finances dans le rapport spécial visé en note supra. D'après le tome 2 du rapport sur l'évolution de l'économie nationale et sur les orientations des finances publiques pour 2007, un tel objectif devrait être effectivement incorporé au PAP 2007 concernant le programme «Pensions civiles et militaires de retraite et allocations temporaires d'invalidité ».

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