ARTICLE 30
Adaptation du dispositif de lutte contre la fraude de type carrousel en matière de TVA

Commentaire : le présent article tend à renforcer les moyens de lutte contre la fraude à la TVA en permettant à l'administration fiscale de s'appuyer sur la connaissance qu'avait l'acquéreur d'un bien de sa participation à une chaîne frauduleuse.

I. LE DROIT EXISTANT

A. LE PRINCIPE DU CARROUSEL

Le « carrousel TVA » est un montage frauduleux qui met en scène plusieurs entités économiques de divers pays (deux ou plus) de la communauté européenne. Il suppose l'existence d'entreprises éphémères (« taxis ») ayant pour seule fonction d'établir des factures fournisseurs afin de permettre aux entreprises clientes de récupérer la TVA ainsi facturée mais non payée à l'Etat.

Le partage du profit issu de cette fraude implique une entente préalable sur les prix qui apparaissent sur chaque facture émise. Le document facture donne l'illusion d'une opération réelle de négoce entre plusieurs professionnels.

Le principe des fraudes « carrousel » à l'intérieur de l'Union européenne

Le montage de base est le suivant (sachant qu'il existe des circuits beaucoup plus complexes) :

PAYS A

PAYS B

société A

=============================== >

société B (dite « société-taxi »)

I
I
I
I
I
V

société C

Supposons que la société A effectue une livraison intracommunautaire à la société B, pour un montant hors taxes de 100.000 euros.

La société B (dite « taxi »), revend à la société C pour 100 000 euros TTC (soit 83 612 euros hors taxes pour un taux de TVA de 19,6 %), en facturant un montant de TVA qu'elle ne déclare pas, avant de disparaître.

La société C va pouvoir imputer (ou se faire rembourser) la TVA facturée par B, soit 16 388 euros. Ayant acheté à un prix HT de 83 612 euros, C a abaissé son prix de revient de 16,4 %, et bénéficie donc d'un avantage concurrentiel qui lui permettra d'accroître ses ventes, ou sa marge.

Dans un tel montage, le bénéfice est localisé au niveau de la société C, mais c'est la société B qui joue le rôle décisif (1). La fraude résulte directement du mécanisme de la TVA intracommunautaire, et du fait que A vend hors taxes à B. En effet, en TVA interne, B chercherait à déduire la TVA facturée par A : pour cela, il faudrait soit l'imputer sur la TVA facturée à C (ce qui oblige à verser celle-ci), soit éventuellement en demander le remboursement, ce qui éveillerait l'attention de l'administration fiscale, et ne permettrait pas une disparition immédiate de l'entreprise « taxi ».

A l'inverse, en TVA intracommunautaire, B doit normalement auto-liquider la TVA sur son acquisition intracommunautaire auprès de A, et la déduire immédiatement, sans aucun mouvement de trésorerie.

La rentabilité des fraudes carrousel est très élevée, dans la mesure où chaque traversée de la frontière (on peut en rencontrer plusieurs successivement) permet de transformer un prix hors taxes en prix TTC, et donc de « gagner » le montant de la TVA (2) sur la totalité de la valeur du bien. A titre de comparaison, on peut observer qu'une fraude résultant d'une vente sans facture sur le marché interne ne porte que sur la TVA à collecter sur la valeur ajoutée au dernier stade de production (puisque la TVA sur les intrants ne peut être déduite, dans un tel schéma) : elle est donc beaucoup moins rentable.

Selon les cas de fraudes carrousel, il arrive que les circuits de factures soient doublés de flux physiques réels (3), ou complètement fictifs.

(1) La société B est comptablement déficitaire (hors taxes), mais ce déficit ne se matérialise pas car la TVA facturée n'est pas versée.

(2) calculé « en dedans », soit un gain de 16,4 % pour un taux de 19,6 %.

(3) qui peuvent être utiles notamment pour justifier que la société A a bien vendu à un assujetti d'un autre Etat membre, ce qui permet l'exonération de sa livraison intracommunautaire.

Source : Cour des comptes, La TVA, XIX ème rapport au Président de la République, juin 2001

B. UNE FRAUDE DE GRANDE AMPLEUR CONTRE LAQUELLE LES MESURES DE LUTTE S'AVÈRENT INSUFFISANTES

L'ampleur de cette fraude apparaît préoccupante pour beaucoup d'Etats membres puisqu'elle peut représenter jusqu'à 10 % de leurs recettes nettes de TVA.

D'importants moyens y sont donc consacrés en France par la direction générale des impôts. En réponse à une question écrite, le ministère du budget dressait récemment le constat suivant :

« Ainsi, la direction nationale d'enquête fiscale, notamment, y consacre depuis 1998 des moyens importants en matière de détection et de sanction. Grâce à des structures spécialisées, des entrepôts de données et des outils d'analyse risque adaptés, elle obtient des résultats significatifs. A elle seule, cette direction a procédé depuis 2003 à 270 contrôles, rappelant plus de 530 millions d'euros de TVA, assortis de 1 milliard d'euros de pénalités et de 110 plaintes pénales. Dans la lutte contre ces réseaux frauduleux, la direction générale des impôts collabore activement avec les autres services de l'Etat. Depuis 2002, elle est associée à la lutte contre la délinquance organisée grâce à la mise en place des groupements d'intervention régionaux, structures permanentes capables de mobiliser et de coordonner l'action des services de l'Etat, en faisant travailler côte à côte policiers, gendarmes, agents de douanes ou de l'administration fiscale. Avec la création des juridictions interrégionales spécialisées, instances créées par la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, cette collaboration trouve un support nouveau pour lutter contre la grande criminalité financière qui utilise des carrousels TVA. La fraude étant internationale, la renégociation avec nos partenaires européens des règlements de coopération a ouvert aux structures de recherche la possibilité d'échanger directement et spontanément des informations sur des situations de risque dès qu'elles en ont connaissance. Cette possibilité, qui renforce la réactivité des services, a été utilisée dans 2.200 affaires en 2004. Depuis un an, une plate-forme spécialisée permet la mise à disposition spontanée d'informations pertinentes sur les carrousels en vue de l'analyse par l'autorité compétente les recevant. Elle réunit huit pays de l'Union, dont la France. Enfin, pour tenir compte du caractère éphémère des sociétés impliquées dans ce type de fraude, des opérations de contrôle coordonnées sont réalisées par les administrations fiscales des Etats membres. Elles permettent d'intervenir rapidement et au même moment sur les différents acteurs du réseau, quel que soit le pays de l'Union dans lequel ils se trouvent. Les zones frontalières sont particulièrement propices à ce genre de collaboration, et des conventions locales viennent appuyer à leur niveau la collaboration entre les différentes structures nationales. La lutte contre toutes les fraudes, et notamment la lutte anti-carrousel, constitue ainsi une des priorités de la direction générale des impôts, rappelée dans son contrat triennal de performances, et qui mobilise toutes ses structures de recherche. »

Malgré ces efforts, les moyens juridiques mis à la disposition de l'administration fiscale restaient encore perfectibles .

II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ

Le présent article propose d'améliorer l'arsenal juridique actuel de lutte contre la fraude à la TVA sur trois points :

- la remise en cause de l'exonération de la livraison intracommunautaire effectuée par un assujetti ;

- la remise en cause du droit à déduction ;

- la mise en oeuvre d'une procédure de solidarité en paiement.

Le premier paragraphe (I) complète l'article 262 ter du code général des impôts, relatif à l'exonération de TVA des livraisons de biens intra communautaires, afin de préciser que l'administration peut remettre en cause le bénéfice de l'exonération d'une livraison intracommunautaire lorsque le fournisseur « savait ou ne pouvait ignorer que le destinataire présumé de l'expédition ou du transport n'avait pas d'activité réelle ». Cette précision reprend la jurisprudence du Conseil d'Etat, établie notamment par l'arrêt société Fauba France du 27 juillet 2005 des 8 ème et 3 ème sous-sections réunies.

Le deuxième paragraphe (II) complète l'article 272 du code général des impôts , relatif aux remboursements de TVA perçue sur des ventes ou services résiliés ou annulés, afin d'autoriser la remise en cause du droit à déduction exercé par l'acquéreur d'un bien auprès d'un fournisseur défaillant lorsque cet acquéreur savait ou ne pouvait ignorer qu'il participait à une fraude consistant à ne pas reverser au Trésor public la taxe qui lui a été facturée.

Le troisième paragraphe (III) complète l'article 283 du code général des impôts, relatif à la définition des redevables de la TVA, pour préciser que l'assujetti qui participe, en connaissance de cause, à une chaîne frauduleuse, est solidairement tenu, avec la personne redevable, d'acquitter la taxe .

Le quatrième paragraphe (IV) précise que les dispositions du présent article sont applicables à compter du 1 er janvier 2007.

L'Assemblée nationale a adopté cet article sans modification.

III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES

Votre rapporteur général est très favorable à ce nouveau dispositif qui permettra à l'administration fiscale de lutter plus efficacement contre la fraude à la TVA, lorsqu'il s'agit d'une chaîne frauduleuse intra communautaire et que l'administration entend s'attaquer aux relations entre un opérateur national et un opérateur communautaire .

Il n'en reste pas moins que l'administration ne dispose pas de moyens d'investigation dans le champ communautaire aussi efficaces que dans l'espace national où elle peut s'appuyer sur les pouvoirs de visite et de saisie qu'elle tient de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales et sur la collaboration de la police judiciaire.

A cet égard, comme le soulignait récemment la doctrine, il lui est bien difficile de renverser la présomption de livraison intracommunautaire exonérée en s'attaquant aux relations entre un opérateur national et un opérateur communautaire et seule l'institution d'une police fiscale communautaire en matière de TVA paraît être de nature à répondre à une fraude de grande ampleur.

Décision de la commission : sous le bénéfice de ces observations, votre commission vous propose d'adopter cet article sans modification.

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