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Rapport n° 130 (2006-2007) de M. André DULAIT , fait au nom de la commission des affaires étrangères, déposé le 20 décembre 2006

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N° 130

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2006-2007

Annexe au procès-verbal de la séance du 20 décembre 2006

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1), sur :

- la proposition de résolution de Mme Dominique VOYNET, M. Bernard FRIMAT, Mme Marie-Christine BLANDIN, M. Louis LE PENSEC, Mme Alima BOUMEDIENE-THIERY, M. Jean DESESSARD, Mmes Catherine TASCA, Patricia SCHILLINGER, Monique CERISIER-ben GUIGA, MM. Jean-Pierre GODEFROY, François MARC, Roland RIES, Bernard DUSSAUT, Bertrand AUBAN, Bernard PIRAS, Alain JOURNET, Michel TESTON, Roland COURTEAU, Yves DAUGE, Pierre-Yvon TRÉMEL, Mme Claire-Lise CAMPION, MM. Roger MADEC, Serge LAGAUCHE, Yannick BODIN et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, tendant à la création d'une commission d'enquête sur les conséquences sanitaires et environnementales des essais nucléaires , menés en Polynésie entre 1966 et 1996 , sur la santé des populations exposées et sur l' environnement ;

- et la proposition de loi de Mme Hélène LUC, MM. Robert BRET, Robert HUE, Mme Éliane ASSASSI, M. François AUTAIN, Mme Marie-France BEAUFILS, MM. Michel BILLOUT, Pierre BIARNÈS, Mme Nicole BORVO COHEN-SEAT, M. Yves COQUELLE, Mmes Annie DAVID, Michelle DEMESSINE, Évelyne DIDIER, MM. Guy FISCHER, Thierry FOUCAUD, Mme Gélita HOARAU, M. Gérard LE CAM, Mme Josiane MATHON, MM. Roland MUZEAU, Jack RALITE, Ivan RENAR, Bernard VERA et Jean-François VOGUET relative au suivi sanitaire des essais nucléaires français.

Par M. André DULAIT,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Serge Vinçon, président ; MM. Jean François-Poncet, Robert del Picchia, Jacques Blanc, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Jean-Pierre Plancade, Philippe Nogrix, Mme Hélène Luc, M. André Boyer, vice - présidents ; MM. Daniel Goulet, Jean-Guy Branger, Jean-Louis Carrère, Jacques Peyrat, André Rouvière, secrétaires ; MM. Bernard Barraux, Jean-Michel Baylet, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Pierre Biarnès, Didier Borotra, Didier Boulaud, Robert Bret, Mme Paulette Brisepierre, M. André Dulait, Mme Josette Durrieu, MM. Hubert Falco, Jean Faure, Jean-Pierre Fourcade, Mmes Joëlle Garriaud-Maylam, Gisèle Gautier, MM. Jean-Noël Guérini, Michel Guerry, Robert Hue, Joseph Kergueris, Robert Laufoaulu, Louis Le Pensec, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Louis Mermaz, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Charles Pasqua, Jacques Pelletier, Daniel Percheron, Xavier Pintat, Yves Pozzo di Borgo, Jean Puech, Jean-Pierre Raffarin, Yves Rispat, Josselin de Rohan, Roger Romani, Gérard Roujas, Mme Catherine Tasca, MM. André Trillard, André Vantomme, Mme Dominique Voynet.

Voir les numéros :

Sénat : 488 (2004-2005), 247 rectifié (2005-2006)

Santé publique.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a été saisie de la proposition de résolution déposée le 9 mars 2006 par Mme Dominique Voynet et les membres du groupe socialiste tendant à la création d'une commission d'enquête sur les conséquences sanitaires et environnementales des essais nucléaires, menés en Polynésie entre 1966 et 1996, sur la santé des populations exposées et sur l'environnement.

La commission a statué sur l'opportunité de créer une telle commission d'enquête le 20 décembre 2006. Dans cette perspective, son rapporteur a rencontré plusieurs des acteurs concernés : associations d'anciens militaires ou salariés civils ayant participé aux essais, représentants de Polynésie française, responsables du ministère de la défense, médecins en charge du suivi médical des essais ou spécialisés dans l'étude des maladies radio-induites. Par ailleurs, la commission a procédé, le 9 novembre 2006, à l'audition de M. Marcel Jurien de la Gravière, délégué à la sûreté nucléaire et à la radioprotection pour les activités et les installations intéressant la défense, à qui le ministre de la défense a confié la mission de concourir à l'établissement des faits et de leur impact sur l'environnement et la santé publique en Polynésie française.

Il est en outre apparu que l'examen de la proposition de résolution amenait inévitablement à aborder certaines questions soulevées par la proposition de loi déposée le 22 janvier 2003 par Mmes Marie-Claude Beaudeau et Hélène Luc et les membres du groupe communiste relative au suivi sanitaire des essais nucléaires français. Aussi la commission a-t-elle évoqué cette proposition de loi, dans le même temps où elle statuait sur la proposition de résolution.

S'agissant de la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête, et considérant que celle-ci invoque une insuffisance d'information sur la question des conséquences des essais nucléaires, votre rapporteur s'est efforcé de faire le point sur l'ensemble des éléments communiqués à ce jour par les pouvoirs publics depuis l'arrêt des essais nucléaires en 1996.

Il a notamment constaté qu'au cours des deux dernières années, un grand nombre de données avait été rendues publiques par le comité interministériel de liaison pour la coordination du suivi sanitaire des essais nucléaires français mis en place en janvier 2004 et par le délégué à la sûreté nucléaire de défense. Ces données ont apporté des compléments d'information très substantiels à celles figurant déjà dans le rapport publié en 1998 par le comité consultatif international de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) sur la situation radiologique dans les atolls de Mururoa et Fangataufa et dans le rapport publié en février 2002 par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques relatif aux incidences environnementales et sanitaires des essais nucléaires effectués par la France entre 1960 et 1996. La publication d'éléments supplémentaires est également annoncée au cours de l'année 2007.

Compte tenu de cette politique de transparence pratiquée au cours des dernières années et des possibilités d'information déjà considérables dont le Parlement pourra continuer à disposer dans ce cadre, la commission a estimé que le recours à la procédure de la commission d'enquête n'était pas justifié. Elle a en outre observé que cette procédure n'aurait en tout état de cause pas permis l'accès aux données couvertes par le « secret défense ».

Par ailleurs, la commission a évoqué les dispositions prises pour le suivi sanitaire des essais nucléaires et les mesures nouvelles envisagées, notamment au regard des populations de Polynésie française. Elle a souhaité que les orientations annoncées en ce domaine soient rapidement mises en oeuvre. Elle a également souligné la nécessité de poursuivre le travail scientifique tendant à évaluer les liens entre l'exposition aux radiations et le développement ultérieur éventuel de certaines pathologies, considérant toutefois qu'en l'état actuel de ces études, la modification du système actuel de prise en charge des personnes concernées telle que proposée par les auteurs de la proposition de loi ne pouvait être mise en oeuvre.

I. L'INFORMATION SUR LES CONSÉQUENCES DES ESSAIS NUCLÉAIRES EN POLYNÉSIE FRANÇAISE: UNE POLITIQUE DE TRANSPARENCE QUI S'EST AMPLIFIÉE DEPUIS 2002

A l'appui de son dépôt, la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les conséquences sanitaires et environnementales des essais nucléaires en Polynésie française invoque la nécessité de réunir l'ensemble des informations disponibles sur les essais nucléaires en Polynésie et les conditions d'exposition à leurs retombées radiologiques.

Après avoir rappelé quelques données sur les essais nucléaires en Polynésie française, votre rapporteur souhaite faire le point sur les données communiquées par les autorités françaises à la suite de l'arrêt des essais et sur les informations nouvelles rendues publiques depuis deux ans dans le cadre de la politique de transparence accrue mise en place depuis le début de la législature.

A. QUELQUES DONNÉES GÉNÉRALES SUR LES ESSAIS NUCLÉAIRES EN POLYNÉSIE FRANÇAISE

De juillet 1966 à janvier 1996, la France a réalisé 193 essais au Centre d'expérimentations du Pacifique , sur les atolls de Mururoa et Fangataufa. Sur ces 193 essais, 15 essais dits « de sécurité » étaient destinés à s'assurer que l'engin ne pouvait spontanément s'amorcer et dégager de l'énergie nucléaire en cas d'accident durant le stockage ou le transport. 178 essais ont donné lieu à explosion d'un engin nucléaire. Entre juillet 1966 et septembre 1974, 41 essais nucléaires ont été réalisés dans l'atmosphère . De juin 1975 à janvier 1996, 137 essais souterrains ont été réalisés dans le sous-sol profond des atolls.

Le débat sur les conséquences sanitaires et environnementales des essais en Polynésie concerne essentiellement les essais atmosphériques, les essais souterrains devant garantir le confinement des produits radioactifs dans le sous-sol des atolls.

Il faut rappeler qu'à la suite de l'arrêt des essais nucléaires, la France avait confié à une mission de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) le soin de vérifier que les matières radioactives étaient bien restées confinées dans le sous-sol ou si des fuites s'étaient produites ou risquaient de se produire à moyen et à long terme, dans le milieu aquatique. Etabli en 1998, le rapport de l'AIEA avait conclu à l'absence d'effets avérés ou potentiels rendant inutile la poursuite de la surveillance radiologique des sites. Toutefois, la France a décidé de poursuivre cette surveillance sous la forme de prélèvements périodiques dans l'environnement qui n'ont jusqu'ici indiqué aucune anomalie.

Les 41 essais atmosphériques, quant à eux ont été réalisés selon trois modes différents :

- 4 essais sur barge (entre juillet 1966 et juillet 1967),

- 34 essais sous ballon captif,

- et 3 essais de largage d'une arme par avion de combat (en 1966, 1973 et 1974).

Dans le cas de ces 41 essais aériens, la question posée est celle des retombées radiologiques du nuage radioactif, en fonction notamment du régime des vents lors du tir et dans les jours suivants.

Les sites de Mururoa et Fangataufa avaient été choisis en raison de leur isolement, du très faible peuplement à proximité et du régime de vents dominants qui minimisait les risques de retombées sur des zones habitées. Distants d'une quarantaine de kilomètres l'un de l'autre, ils se trouvent à l'extrémité sud-est de l'archipel des Tuamotu, à 5 000 km de la Nouvelle-Zélande et plus de 6 500 km de l'Australie et du continent américain.

De dimensions comparables à celles de l'Europe (2 700 km d'est en ouest et 2 300 km du nord au sud), la Polynésie comptait environ 80 000 habitants en 1966 et 220 000 lors de l'arrêt des essais en 1996.

Les atolls de Mururoa et Fangataufa étaient inhabités lors de la création du Centre d'expérimentations du Pacifique. L'île la plus proche, Tureia, à 110 km au nord, comptait 40 habitants en 1967 et 68 en 1971. Les îles Gambier, situées à 450 km à l'est des sites de tir, comptaient pour leur part 516 habitants en 1967 et 545 en 1971. Enfin, sur l'atoll de Hao, à 450 km au nord-ouest des sites, où avait été créé la base avancée du centre d'essais, vivaient environ 1 500 personnes, dont beaucoup de personnels affectés aux essais et leur famille.

Ainsi, on comptait moins de 2 500 habitants dans un rayon de 500 km autour des sites de tir et moins de 5 000 habitants dans un rayon de 1 000 km. Tahiti, principal centre de population de la Polynésie, est situé à 1 200 km à l'ouest des sites d'essais.

On estime à environ 130 000 le nombre total de personnes qui sont passées au Centre d'expérimentations du Pacifique de 1966 à 1996, sur l'ensemble de la période incluant aussi bien les essais atmosphériques que souterrains. Ces personnes relèvent de statuts divers: il s'agit de militaires, de fonctionnaires civils, d'agents du CEA, de salariés d'entreprises qui intervenaient sur le site et de personnels recrutés localement. L'évaluation du nombre de ces personnels potentiellement exposés aux retombées des essais atmosphériques sur la période 1966-1974 est difficile à établir. Elle est fonction de la présence en Polynésie lors des campagnes de tir annuelles qui, pour les essais atmosphériques, se concentraient sur une période de un à trois mois dans l'année, ainsi que de la localisation du poste de travail occupé.

B. LA PREMIÈRE SÉRIE D'ÉVALUATIONS EFFECTUÉE APRÈS L'ARRÊT DES ESSAIS

La proposition de résolution tendant à créer une commission d'enquête repose sur l'idée centrale selon laquelle il est nécessaire de remédier à un manque d'information et de réaliser la transparence sur le déroulement des essais nucléaires français.

Il faut tout d'abord rappeler que durant toute la période de la guerre froide, la culture du secret absolu était de règle, non seulement en France, mais dans tous les pays qui ont procédé à des essais nucléaires. Ce secret absolu couvrait toutes les activités liées aux essais : préparation et réalisation des expérimentations, observation des retombées, informations relatives aux infrastructures installées en Polynésie et aux activités s'y déroulant.

La transparence et la communication étaient par conséquent antinomiques avec cette règle du secret justifiée par le contexte stratégique de l'époque.

Toutefois, des données provenant de la surveillance radiologique des sites étaient communiquées, dans le cadre de rapports annuels transmis depuis 1966, au Comité scientifique des Nations unies pour l'étude des effets des rayonnements ionisants (UNSCEAR). Par ailleurs, à la demande du gouvernement néo-zélandais, la France avait accepté en 1983 la réalisation d'une mission de scientifiques néo-zélandais et australiens à Mururoa. Cette mission a publié un rapport (rapport « Atkinson ») concluant au caractère très limité des retombées dues aux essais atmosphériques.

A la suite de l'arrêt des essais, l'ouverture des sites à l'expertise scientifique s'est considérablement amplifiée . Deux instances internationales étaient en effet saisies en 1996 de la question des incidences des essais nucléaires en Polynésie :

- le Comité consultatif international de l'AIEA , chargé d'étudier la situation radiologique présente et future des atolls ;

- la Commission géomécanique internationale , chargée d'étudier leur stabilité géologique et leur hydrographie.

Les rapports établis par ces deux instances ont été publiés en 1998. Comme indiqué plus haut, bien que l'expertise de l'AIEA de 1998 ait conclu qu'il n'était pas nécessaire de poursuivre la surveillance de l'environnement de Mururoa à des fins de protection radiologique, une telle surveillance a été maintenue par les autorités françaises jusqu'à ce jour.

Enfin, au niveau national, un rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques établi par MM. Christian Bataille, député, et Henri Revol, sénateur, rendu public en février 2002 , a fait le point sur les incidences environnementales et sanitaires des essais nucléaires effectués par la France entre 1960 et 1996.

Ce rapport fournit une description des différents essais effectués au Sahara et en Polynésie, des conditions de leur réalisation et des méthodes d'analyse des retombées. Il fournit également, pour les tirs ayant donné lieu aux retombées les plus significatives, les différentes données recueillies et les évaluations des doses susceptibles d'être absorbées par exposition externe ou interne (inhalation, ingestion). Dans ses conclusions, le rapport souligne l'exhaustivité des travaux conduits dans le cadre des deux expertises internationales lancées en 1996. Estimant qu'ils avaient pu « réétudier, sans concessions, dans tous leurs effets, l'ensemble des essais nucléaires français depuis les décisions initiales en 1947 jusqu'aux derniers essais en 1996 », les rapporteurs estimaient qu'en matière d'environnement et de santé leurs « effets ont été limités, même si, quarante ans plus tard, des hommes se plaignent d'hypothétiques effets sur leur santé ».

Le rapport de l'Office parlementaire comportait également un grand nombre d'informations sur les essais nucléaires réalisés par d'autres pays, principalement les Etats-Unis, l'Union soviétique et le Royaume-Uni.

Ce rapport, tout comme le rapport sur la situation radiologique de Mururoa et Fangataufa établi par le Comité consultatif international de l'AIEA en 1998 et celui de la Commission géomécanique internationale, constituent des étapes très importantes dans le domaine de l'information du public sur les conséquences des essais nucléaires français.

C. UNE TRANSPARENCE ACCRUE AU COURS DE L'ACTUELLE LÉGISLATURE

A la suite d'un déplacement en Polynésie française effectué au cours de l'été 2003, le Président de la République se prononçait en faveur de la création d'un comité interministériel assurant la coordination du suivi sanitaire des essais nucléaires français, également chargé d'assurer la liaison avec les personnes et associations concernées.

Parallèlement, le ministre de la défense confiait en novembre 2005 à M. Marcel Jurien de la Gravière, délégué à la sûreté nucléaire et à la radioprotection pour les activités et installations intéressant la défense, une mission d'écoute et d'explication en Polynésie visant à concourir à l'établissement des faits et à leur impact sur l'environnement et la santé publique.

Les travaux engagés dans ce cadre ne sont pas achevés, mais ont déjà donné lieu à la publication de données complémentaires très substantielles sur les essais polynésiens.

1. La création du comité de liaison pour la coordination du suivi sanitaire des essais nucléaires français et la mission confiée au délégué pour la sûreté nucléaire de défense

Le comité de liaison interministériel de suivi sanitaire des essais nucléaires français a été créé le 15 janvier 2004.

Placé sous la responsabilité des ministères de la défense et de la santé, il a reçu mandat sur les questions suivantes :

- la définition et la caractérisation des pathologies susceptibles d'être radio-induites ;

- la caractérisation des catégories de personnes concernées ;

- le bilan des données disponibles sur les expositions au rayonnement ionisants ;

- les règles d'imputabilité et d'indemnisation des pathologies identifiées ;

- les outils de veille sanitaire et scientifique respectifs des deux ministères ;

- l'appréciation de l'intérêt de la mise en place d'une surveillance épidémiologique de certaines catégories de personnes ;

- l'évaluation des initiatives qui concourent à l'estimation des risques sanitaires.

Le comité est composé de représentants du ministère de la défense, du ministère chargé de la santé, de leurs services et du Commissariat à l'énergie atomique. Il peut s'adjoindre en tant que de besoin d'autres personnalités.

Ce comité travaille sur deux axes principaux. Il s'intéresse tout d'abord aux pathologies susceptibles d'être radio induites , en étudiant l'incidence de l'irradiation sur l'augmentation de la fréquence de certaines pathologies, principalement les cancers. Il a constitué pour cela un groupe de travail formé de médecins spécialistes d'horizons divers. Il a également mission de faire un recensement exhaustif des catégories de personnes concernées par les essais nucléaires et d'étudier les données dosimétriques et médicales disponibles.

Le Comité de liaison a remis un rapport d'étape en mars 2005 .

Ce rapport d'étape comporte une première analyse relative aux pathologies susceptibles d'être radio-induites. Il recense les différentes catégories de personnes ayant participé aux essais. S'agissant de la Polynésie, il évalue à environ 130 000 le nombre de personnes étant passées au Centre d'expérimentation du Pacifique, dont 41 000 personnes ayant fait l'objet d'une surveillance dosimétrique externe (dosimètre), ce type de surveillance pouvant être considéré comme un critère d'exposition potentielle aux retombées. Le rapport d'étape détaille également les résultats des dosimétries externes pour les différentes campagnes d'essais. Le rapport précise que sur l'ensemble des dosimétries externes disponibles, les personnels affectés aux essais ayant reçu des doses cumulées supérieures à 50 millisieverts 1 ( * ) , limite de dose réglementaire annuelle pour les travailleurs à l'époque des essais, sont au nombre de 92 pour le Sahara et de 9 pour la Polynésie.

Le comité interministériel doit publier un rapport d'ensemble et effectuer des recommandations au gouvernement dans les toutes prochaines semaines.

S'agissant de la mission confiée à l'automne 2005 par le ministre de la défense à M. Jurien de la Gravière , délégué à la sûreté nucléaire et à la radioprotection pour les activités et installations intéressant la défense, elle visait à présenter en Polynésie les faits liés aux essais nucléaires et à leur incidence radiologique.

Cette mission de communication intervenait quelques mois après la création par le gouvernement de Polynésie, en juin 2005, d'un Conseil d'orientation pour le suivi des conséquences des essais nucléaires (COSCEN) 2 ( * ) et de la constitution en juillet 2005, par l'Assemblée de Polynésie, d'une commission d'enquête chargée de recueillir des éléments sur les conséquences des essais aériens réalisés de 1966 à 1974. Cette dernière a rendu en janvier 2006 un rapport estimant que les essais nucléaires aériens avaient eu des conséquences graves sur la santé des personnels et de l'ensemble de la population polynésienne.

Au cours de l'année 2006, M. Jurien de la Gravière s'est rendu quatre fois en Polynésie, a rendu public un volume assez considérable d'informations et a par ailleurs communiqué des données complémentaires aux autorités de Polynésie.

Un premier document publié en mai 2006 expose les différentes mesures prises à l'occasion des essais : établissement et prise en compte des prévisions météorologiques, définition de zones d'exclusion, processus de décision de déclenchement d'un essai, mesures de protection des personnels et des populations. Il récapitule, pour chacun des 41 essais aériens, les informations météorologiques, les informations sur le tir et les retombées proches ou différées sur les îles ou atolls de Polynésie. L'évaluation des doses est fournie pour les dix essais ayant eu les retombées les plus significatives. Un nouveau calcul des retombées ayant été entrepris pour six d'entre eux, les premiers résultats portant sur trois de ces six tirs sont publiés.

Ce document apporte de nombreux éléments de réponse à certaines observations de la commission d'enquête créée par l'Assemblée de Polynésie. Il fournit aussi des détails sur la situation de l'atoll de Hao.

Un second document publié en octobre 2006 retrace le bilan définitif et complet des doses établies. L'ensemble des nouveaux calculs réalisés sur les six essais ayant donné lieu aux retombées les plus significatives sont publiés. Ils complètent les données précédentes en fournissant des évaluations des doses pour les enfants et des doses à la thyroïde. Au vu de ces nouvelles estimations, le délégué à la sûreté nucléaire de défense conclut qu'au regard de la stricte application de la réglementation actuelle en cas d'évènement nucléaire, aucune retombées n'aurait atteint, durant toute la période des essais nucléaires, un niveau justifiant une mise à l'abri, une évacuation ou une prise d'iode stable.

Indépendamment de la publication de ces deux documents, M. Jurien de la Gravière a remis au Conseil d'orientation pour le suivi des conséquences des essais nucléaires (COSCEN), et à travers lui, aux autorités polynésiennes, un dossier global d'information récapitulant tous les faits relatifs aux 41 essais aériens (notamment leur puissance, les conditions météorologiques et les zones concernées par des retombées), le bilan et les conséquences radiologiques des retombées significatives, des éléments de réponse au rapport de la commission d'enquête de l'Assemblée de Polynésie, ainsi que diverses informations sur l'immersion de déchets radioactifs.

Lors de son audition au Sénat devant la commission le 9 novembre dernier, M. Jurien de la Gravière a observé que tous ces éléments communiqués entre le mois de mai et le mois d'octobre 2006 n'avaient fait l'objet d'aucune contestation.

L'ensemble des documents et données publiés depuis deux ans s'ajoute aux informations déjà communiquées à la suite de l'arrêt des essais. Le ministère de la défense doit par ailleurs publier une monographie complète de nature scientifique sur les aspects radiologiques des essais nucléaires français en Polynésie. Enfin, le comité de liaison interministériel doit également d'ici quelques semaines rendre son rapport final.

Cette démarche de transparence qui se poursuit permet actuellement de disposer d'un niveau d'information exceptionnel sur les essais et leurs retombées . Ces informations claires, solides et étayées répondent de manière précise à la demande d'explication sur le déroulement des essais nucléaires et leurs conséquences. Elles sont désormais à la disposition du public, de la communauté scientifique et de toutes les parties concernées. Aussi n'y a-t-il pas lieu de recourir à la procédure de la commission d'enquête parlementaire.

2. La question des données couvertes par le « secret défense »

Les auteurs de la proposition de résolution considèrent qu'une commission d'enquête serait nécessaire pour « recueillir l'ensemble des informations disponibles sur les conditions de l'exposition, y compris quand elles restent classées « secret défense » ».

Comme il vient d'être indiqué, les informations sur les conditions de l'exposition ont fait l'objet au cours des derniers mois d'une très large publication. Ces informations sont tirées de documents classés « secret défense » qui ne pourraient, quant à eux, être communiqués ou rendus publics qu'à la suite d'une procédure de déclassification.

Les documents couverts par le « secret défense » sont essentiellement issus de deux services de l'ancienne direction des centres d'expérimentation nucléaires (DIRCEN), dissoute en 1998 : le service mixte de sécurité radiologique (SMSR) et le service mixte de contrôle biologique (SMCB) 3 ( * ) .

Devant le Sénat, lors de la séance publique du 10 octobre dernier, en réponse à la question Mme Hélène Luc, le ministre de la défense a indiqué qu'elle ne pouvait pas lever le « secret défense » sur les documents émanant du service mixte de sécurité radiologique et du service mixte de contrôle biologique. En effet, ces documents contiennent les données recueillies lors des essais, à partir desquelles les retombées ont été calculées. Mais ils comportent aussi des indications sur la méthode des essais, sur le fonctionnement des armes et sur leur format. Il s'agit donc de documents extrêmement sensibles du point de vue de la prolifération nucléaire.

Mme Michèle Alliot-Marie a cependant déclaré qu'elle permettrait à des scientifiques dûment habilités et travaillant dans un cadre précis d'accéder à ces dossiers. M. Jurien de la Gravière a précisé devant la commission le 9 novembre dernier que les experts effectuant des études épidémiologiques pourraient ainsi consulter les données relatives aux retombées radiologiques sur l'environnement nécessaires à leurs études . Cette position du ministre de la défense témoigne de sa volonté de transparence tout en répondant concrètement aux attentes de ceux qui souhaitent une évaluation indépendante des conséquences des retombées.

En revanche, il faut rappeler que la création d'une commission d'enquête parlementaire serait de ce point de vue inopérante. L'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires dispose explicitement dans son article 6 que les commissions d'enquête ne peuvent pas obtenir communication des documents « revêtant un caractère secret et concernant la défense nationale » .

Une éventuelle commission d'enquête ne pourrait ainsi réunir les documents concernés alors qu'il a été proposé de laisser des scientifiques habilités accéder aux données pertinentes pour l'évaluation des retombées.

Dans ces conditions, votre rapporteur estime que la commission doit écarter la procédure de la commission d'enquête et continuer, en revanche, à se tenir largement informée de ce dossier par tous les moyens qui sont déjà à sa disposition, comme elle l'a fait jusqu'à présent avec, notamment, l'audition du délégué à la sûreté nucléaire de défense et l'analyse des nombreuses informations récemment publiées par les pouvoirs publics.

II. LE SUIVI DES ESSAIS NUCLÉAIRES : LA NÉCESSITÉ DE POURSUIVRE L'ANALYSE DES INCIDENCES SUR LA SANTÉ

Au-delà de la connaissance des conditions de réalisation des essais en Polynésie française et de leurs conséquences radiologiques, votre commission souhaite la poursuite du travail entrepris sur l'évaluation de leurs incidences sur la santé.

A. LE NÉCESSAIRE RENFORCEMENT DU SUIVI SANITAIRE EN POLYNÉSIE

En l'attente des recommandations que le comité de liaison interministériel de suivi sanitaire des essais nucléaires français doit prochainement remettre au gouvernement, plusieurs orientations visant à répondre concrètement aux attentes des populations de Polynésie ont déjà été esquissées devant la commission par le délégué à la sûreté nucléaire de défense.

Ainsi, un « plan santé » centré sur les quatre atolls les plus concernés par les retombées radiologiques (Mangareva, Tureia, Reao et Pukarua) a été proposé au gouvernement de Polynésie . Il comporterait trois volets :

- un bilan de santé des populations , qui apparaît aujourd'hui d'autant plus nécessaire que depuis la fermeture du centre d'expérimentations du Pacifique, certaines îles isolées ne voient plus de médecins qu'une fois tous les ans ou tous les deux ans ; ce bilan de santé serait conduit en partenariat entre l'Institut national de veille sanitaire (InVS) et le ministère de la santé de Polynésie française ;

- la mise en place, en collaboration entre l'Etat et les autorités polynésiennes, d'un suivi médical annuel ou biannuel pour ces populations ; les moyens de transport logistique seraient fournis par les armées ; ce suivi pourrait également être étendu aux anciens travailleurs résidant à Tahiti ;

- enfin, le lancement d'études à caractère sanitaire , en partenariat avec l'InVS, afin de déterminer si certaines pathologies peuvent avoir un lien avec les retombées des essais.

Ces trois orientations paraissent très positives et méritent une mise en oeuvre rapide et effective. La situation sanitaire dans les îles éparses s'était grandement améliorée avec l'installation du centre d'expérimentations du Pacifique et la présence médicale qui en résultait. Depuis la fermeture des sites, elle semble s'être dégradée et il est donc important, bien que la santé soit un domaine de compétence territoriale, de dégager des moyens logistiques et en personnels de l'Etat pour remédier à cette situation.

L'établissement d'un bilan de santé posera la question des suites à donner aux pathologies qui seront inévitablement décelées et qui n'auront clairement aucun lien avec les essais nucléaires.

En ce qui concerne l'étude à caractère épidémiologique, elle devra établir si la fréquence de certaines pathologies dans les populations les plus exposées aux retombées présente un caractère anormalement élevé et si des liens peuvent éventuellement être établis entre ces pathologies et les essais.

Il faut préciser que deux études épidémiologiques ont déjà été conduites en Polynésie : la première sur la mortalité par cancer entre 1984 et 1992 et la seconde sur l'incidence des cancers en Polynésie française entre 1985 et 1995. Ces deux études ne mettent pas en évidence de lien entre la répartition géographique des cancers et la localisation par rapport aux sites d'essais. Toutefois, elles relèvent un taux de cancers de la thyroïde chez la femme plus élevé que dans le reste du monde. Des taux comparables ont été constatés chez les mélanésiens de Nouvelle-Calédonie et les Philippins d'Hawaï.

Le responsable de ces études, M. Florent de Vathaire, directeur de l'unité d'épidémiologie des cancers à l'INSERM, a déclaré au mois d'août 2006 dans la presse que dans le cadre d'une nouvelle étude en cours, un lien pourrait être établi entre certains cancers de la thyroïde et les doses de radiations reçues lors des essais. Ces déclarations ont suscité un émoi certain, tant en Polynésie, où elles ont été présentées comme le premier indice de conséquences sanitaires des essais, qu'au ministère de la défense, où l'on s'est étonné de l'annonce de tels résultats sur la base d'une étude non publiée et inachevée. Le ministre de la défense a saisi les académies des sciences et de médecine pour qu'elles émettent un avis scientifique et motivé sur ces travaux.

Votre rapporteur a rencontré M. de Vathaire pour obtenir des précisions sur ce point important. Il en ressort que les cancers de la thyroïde constatés en Polynésie se concentrent très fortement sur la population féminine (près de 90 % de ces cancers se déclarent chez des femmes), leur fréquence pouvant résulter pour l'essentiel de facteurs génétiques ou liés à l'alimentation. En revanche, certains cancers en excès pourraient effectivement être liés aux doses reçues par retombées radiologiques pour un groupe très spécifique de femmes : celles qui étaient enfants à l'époque des essais et qui ont eu, à l'âge adulte, plus de quatre enfants, chaque grossesse accentuant l'effet de l'irradiation. Si cette hypothèse était confirmée une fois l'étude parvenue à son terme et validée, elle pourrait concerner entre 5 et 15 femmes sur l'ensemble de la population polynésienne.

Il importe donc de suivre attentivement cette étude qui n'a pas encore suivi tout le processus requis pour que ses conclusions soient validées par la communauté scientifique. Si des cas de cancers, même très limités en nombre, venaient à pouvoir être reliés aux retombées radiologiques des essais nucléaires, il y aurait alors lieu d'en tirer toutes les conséquences, pour les personnes concernées, sur le plan de la prise en charge médicale ou de l'indemnisation.

B. EXPOSITION AUX RADIATIONS ET DÉVELOPPEMENT ULTÉRIEUR DE PATHOLOGIES : LA DIFFICULTÉ D'ÉTABLIR UN LIEN POUR LES FAIBLES DOSES

L'incidence des retombées radiologiques des essais nucléaires sur le développement ultérieur de pathologies constitue la question centrale soulevée par la proposition de loi n° 488 (2004-2005) relative au suivi sanitaire des essais nucléaires français déposée par les sénateurs communistes qui vise à établir une présomption d'imputabilité au service pour des pathologies en lien avec les essais nucléaires et figurant sur une liste établie par décret.

Cette proposition reprend la revendication des associations de vétérans qui soulignent la difficulté de faire reconnaître une relation entre les affections dont ils sont atteints et leur participation aux essais nucléaires.

Actuellement, les droits à pension d'invalidité sont attribués sur la base de plusieurs types de législation :

- le code des pensions militaires d'invalidité pour les militaires ; il ne prévoit pas de liste limitative des maladies susceptibles d'être radio induites et l'intéressé doit apporter la preuve du lien avec le service 4 ( * ) , c'est-à-dire que la maladie a été causée par le fait ou à l'occasion du service et qu'il existe une relation médicale entre le fait constaté et l'infirmité invoquée ; toutefois, en l'absence de preuve indiscutable, le droit à pension peut être reconnu à partir d'un faisceau de présomptions ;

- le code de la sécurité sociale pour certains agents civils de l'Etat et les salariés de droit privé ; dans sa partie relative aux maladies professionnelles, il comporte une liste limitative (tableau n°6) des affections provoquées par les rayonnements ionisants 5 ( * ) ; des dispositions comparables sont prévues pour les personnes relevant du régime de prévoyance sociale polynésien.

Selon les informations fournies à votre rapporteur, sur la base des dispositions actuelles, entre 20 et 30 décisions d'attribution de pensions au titre des conséquences des essais nucléaires seraient intervenues (12 à 15 militaires et une dizaine d'agents du CEA). Vis à vis de ces dossiers, le ministère de la défense adopte une attitude au cas par cas, en fonction des données médicales et dosimétriques de l'intéressé. La plupart des pensions ont été attribuées au bénéfice du doute, car les cas se situaient généralement dans le domaine des faibles doses établies, autour de 100 millisieverts. Il faut rappeler que pour l'ensemble des essais nucléaires français, les relevés de dosimétrie externe n'ont permis d'identifier qu'une centaine de personnels seulement ayant reçu des doses supérieures à 50 millisieverts.

La démarche de demande de pensions sur la base de la participation aux essais est longue et difficile. Complexes, historiquement conçues pour les victimes des conflits armés classiques, les dispositions du code des pensions militaires d'invalidité paraissent parfois inadaptées à la prise en compte de situations particulières comme celles liées aux essais nucléaires. Les intéressés signalent à juste titre qu'il leur est pratiquement impossible d'apporter la preuve requise pour des maladies déclarées si longtemps après les faits. Toutefois, l'incapacité d'établir l'origine de la maladie ne peut pas pour autant entraîner son imputation systématique aux essais nucléaires.

L'exposé des motifs de la proposition de loi évoque les fonds d'indemnisation mis en place aux Etats-Unis pour les personnels ayant participé aux essais atmosphériques, sur la base d'une présomption de lien avec le service. Ces fonds assurent un versement forfaitaire, pour solde de tout compte, dans un pays dépourvu de système d'assurance-maladie obligatoire et universel, où la prise en charge des soins eux-mêmes varie selon le niveau d'assurance souscrit par l'intéressé. La situation est radicalement différente en France où l'attribution d'une pension d'invalidité s'ajoute à la prise en charge des soins par la sécurité sociale.

En l'état des connaissances scientifiques validées, il est possible d'établir une relation entre irradiation aiguës à dose élevée et apparition de certaines pathologies, ainsi que de quantifier le risque de cancer radio-induit. Il n'en va pas de même pour les doses inférieures, les cancers survenant des années après l'irradiation pouvant difficilement être distingués des cancers survenant dans l'ensemble de la population.

Le comité de liaison interministériel de suivi sanitaire des essais nucléaires français, dont le rapport final est attendu pour les prochaines semaines, avait précisément mandat de définir et caractériser les pathologies susceptibles d'être radio-induites et d'apprécier l'intérêt de la mise en place d'une surveillance épidémiologique de certaines catégories de personnes. Par ailleurs, le Comité scientifique des Nations unies pour l'étude des effets des rayonnements ionisants (UNSCEAR) devrait rendre les conclusions d'une étude internationale à ce sujet prochainement.

Au sein du ministère de la défense, l'observatoire de la santé des vétérans doit conduire, à partir de 2007, une étude de santé concernant les vétérans des essais nucléaires ayant travaillé au Centre d'expérimentations du Pacifique.

Si de telles études peuvent amener à modifier les mécanismes de prise en charge, que ce soit pour l'attribution des pensions d'invalidité ou pour la reconnaissance de maladies professionnelles, il apparaît en revanche que le principe de la présomption d'imputabilité, tel qu'envisagée par la proposition de loi, revient à établir entre participation aux essais nucléaires et certaines pathologies un lien systématique qui n'est pas aujourd'hui confirmé par les connaissances scientifiques.

En ce sens, les études annoncées par le ministère de la défense sur les populations exposées ou les vétérans peuvent s'avérer très précieuses.

Dans l'immédiat, la commission ne peut cependant que donner un avis défavorable à la proposition de loi.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

I. AUDITION DE M. MARCEL JURIEN DE LA GRAVIÈRE, DÉLÉGUÉ À LA SÛRETÉ NUCLÉAIRE ET À LA RADIO-PROTECTION POUR LES ACTIVITÉS ET INSTALLATIONS INTÉRESSANT LA DÉFENSE

Réunie le 9 novembre 2006 sous la présidence de M. Robert Del Picchia, Vice-président , la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l' audition de M. Marcel Jurien de la Gravière, délégué à la sûreté nucléaire et à la radio-protection pour les activités et installations intéressant la défense.

M. Robert Del Picchia, vice-président, a rappelé que la commission avait désigné M. André Dulait comme rapporteur d'une proposition de loi relative au suivi sanitaire des essais nucléaires français présentée par Mme Hélène Luc et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une part, et d'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les conséquences sanitaires et environnementales des essais nucléaires, menés en Polynésie entre 1966 et 1996, sur la santé des populations exposées et sur l'environnement, présentée par Mme Dominique Voynet et les membres du groupe socialiste d'autre part. Il a remercié M. Marcel Jurien de la Gravière d'avoir bien voulu venir présenter devant la commission les premiers résultats de la mission que lui a confiée il y a un an la ministre de la défense en vue de présenter les faits liés aux essais nucléaires français en Polynésie et leur impact radiologique.

M. Marcel Jurien de la Gravière, délégué à la sûreté nucléaire et à la radio-protection pour les activités et installations intéressant la défense , a tout d'abord rappelé que toute la période des essais nucléaires, de 1960 à 1966 au Sahara puis de 1966 à 1996 en Polynésie française, n'avait donné lieu à aucune communication, la culture du silence étant alors la règle. Après l'arrêt des essais en 1996, le ministère de la défense a procédé au démantèlement des sites de Polynésie. Une évaluation de la situation radiologique effectuée par l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) et portant essentiellement sur Mururoa et Fangataufa a été publiée en 1998. Un rapport a été établi, en 2002, par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques. Ces deux documents n'ont pas ou très peu fait l'objet d'une communication en Polynésie.

Lors de sa visite à Papeete en 2003, le Président de la République a annoncé la création d'un comité de liaison pour la coordination du suivi sanitaire des essais nucléaires français (CSSEN) qui a été mis en place en janvier 2004 par une décision conjointe des ministres de la défense et de la santé. Le CSSEN a pour double mission de caractériser les pathologies susceptibles d'être radio-induites et les catégories de personnes concernées, et d'assurer l'échange d'information avec les associations et les personnes intéressées. Le CSSEN est co-piloté par les deux autorités, civile et de défense, en charge de la sûreté nucléaire et de la radio-protection : le directeur général de la sûreté nucléaire et à la radioprotection (DGSNR) et le délégué à la sûreté nucléaire et à la radio-protection pour les activités et installations intéressant la défense (DSND).

M. Marcel Jurien de la Gravière a indiqué qu'à l'occasion d'une session régionale pour le Pacifique sud de l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN), au mois d'octobre 2005, il avait été amené à évoquer devant les élus les conséquences des essais nucléaires. Les élus polynésiens avaient alors regretté l'absence d'information qui avait prévalu jusqu'à cette date et avaient demandé à ce que soit écrite cette page de l'histoire de la Polynésie française à travers une opération « grand pas » d'information des populations. A son retour, la ministre de la défense a pris la décision de le mandater pour présenter les faits liés aux essais nucléaires français en Polynésie et leur impact radiologique.

Dans le même temps, l'Assemblée de Polynésie française avait créé une commission d'enquête qui a mené ses travaux de juillet 2005 à janvier 2006. Il n'a toutefois pas été possible d'établir de contacts avec cette commission du fait des recours portant sur sa constitution déposés par le Haut commissaire de la République.

M. Marcel Jurien de la Gravière a indiqué qu'il s'était rendu une première fois en Polynésie française, dans le cadre de sa mission en février 2006, au moment où l'Assemblée de Polynésie adoptait le rapport de la commission d'enquête. Des entretiens bilatéraux ont alors pu s'établir, le plan d'action du gouvernement a été présenté et l'engagement a été pris de revenir communiquer les premiers éléments d'information pour le mois de mai, puis un dossier complet pour le mois d'octobre.

Un premier dossier sur les essais nucléaires a été présenté et remis au gouvernement polynésien au mois de mai 2006. Il présente les 41 essais atmosphériques effectués de 1966 à 1974 et fournit pour chacun d'entre eux les informations relatives à la météorologie, aux conditions de tir et à la localisation des retombées. L'évaluation des doses est fournie pour les 10 essais ayant donné lieu à des retombées significatives. Etant apparu que six de ces dix essais méritaient une relecture, un nouveau calcul des retombées est effectué, dans un premier temps, pour trois d'entre eux. A la différence de ceux effectués de 1966 à 1974, ces nouveaux calculs prennent également en compte les doses à la thyroïde, puisque le cancer de la thyroïde est considéré comme un marqueur d'une exposition aux radiations. Le dossier transmis au gouvernement polynésien expose les données prises en compte et la méthode de calcul qui intègre tous les paramètres nécessaires, comme la ration alimentaire. Ce premier dossier comporte également des indications sur l'immersion de déchets radioactifs en fosse profonde et des éléments sur les opérations de démantèlement et de contrôle radiologique menées sur l'atoll de Hao.

Conformément aux engagements pris, un second dossier, présenté et transmis au mois d'octobre dernier, retrace le bilan définitif et complet des doses établies et complète les données pour l'ensemble des six tirs considérés comme ayant donné lieu aux retombées les plus significatives. La conclusion tirée de ces travaux est que les retombées se situent dans la gamme des faibles et des très faibles doses. Si l'on prend en compte les doses « efficaces » adultes pour l'ensemble des tirs, elles se situent toutes en dessous de 10 millisieverts, alors qu'à titre d'illustration, la dose annuelle absorbée à Paris du fait de la radioactivité naturelle est de 2,4 millisieverts.

M. Marcel Jurien de la Gravière a constaté que l'ensemble très complet de données transmises au gouvernement polynésien n'avait pour l'heure donné lieu à aucune contestation, y compris pour les rectifications qu'il avait été amené à formuler sur le rapport de la Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité (CRIIRAD) qui faisait partie du rapport de la commission d'enquête de l'Assemblée de la Polynésie française.

Il a précisé que si le travail d'information sur les retombées qui lui avait été demandé était désormais achevé, il avait néanmoins effectué deux séries de propositions.

Dans le domaine de la santé, il lui a paru nécessaire de mener dans les quatre atolls concernés - Mangareva, Tureia, Reao et Pukarua - une action en trois volets : un bilan de santé de la population, car certains atolls ne bénéficient d'aucune présence médicale ; un suivi médical annuel ou bisannuel mis en place avec le territoire et l'aide logistique des armées pour le transport aérien ; la réalisation d'une étude épidémiologique.

Dans le domaine des installations, il a indiqué que l'Etat avait respecté ses obligations lors de l'arrêt des essais, mais qu'il pourrait contribuer à des opérations supplémentaires de « déconstruction » d'abris ou blockhaus. Il a rappelé à ce sujet que le ministère de la défense avait laissé ses installations de l'atoll de Hao, à leur demande, à la commune ou à des particuliers, et qu'elles étaient alors en parfait état.

Il a souligné que tant en matière de santé que d'infrastructures, rien ne pourrait être effectué sans une coopération étroite entre la Polynésie française et l'Etat. Il a notamment mentionné, s'agissant de la santé, l'appui qu'était prêt à apporter l'Institut national de veille sanitaire (INVS) au ministère de la santé polynésien.

Il a évoqué les travaux dont a fait état M. Florent de Vathaire, directeur de l'unité d'épidémiologie des cancers à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), et qui établiraient un lien entre certains cancers et les retombées des essais en Polynésie. Il a rappelé que cette étude n'était toujours pas publiée et ne le serait peut-être pas avant plusieurs mois, et que la ministre de la défense avait saisi à ce sujet les académies des sciences et de médecine.

Il a estimé que si, au vu d'études épidémiologiques reconnues, une relation était établie entre certains cancers et l'exposition aux retombées des essais, il conviendrait d'en tirer toutes les conséquences. Si cette relation n'était pas établie, il serait néanmoins nécessaire de maintenir un suivi médical régulier des populations des quatre atolls concernés et de poursuivre des études visant à relier les excès de cancer constatés à d'autres paramètres.

M. André Dulait a souligné qu'il était extrêmement important pour la commission, saisie d'une demande de constitution de commission d'enquête et d'une proposition de loi, de pouvoir bien comprendre la nature des questions soulevées par les conséquences sanitaires des essais nucléaires et faire le point sur l'action menée depuis la création, début 2004, d'un Comité de liaison interministériel de suivi sanitaire des essais nucléaires français, dont les conclusions sont attendues d'ici à quelques semaines.

M. André Dulait a souhaité obtenir des précisions sur la différence de nature entre la question des travailleurs ou vétérans d'une part, et celle des populations locales d'autre part, tant en ce qui concerne les risques encourus que les types de mesures de prévention prises. Il a demandé quelles étaient les données couvertes par le secret défense auxquelles les associations voudraient avoir accès et les raisons qui s'opposaient à leur divulgation. Il a notamment souhaité savoir si les documents concernés contenaient des informations sur la méthode des essais et le fonctionnement des armes, et si leur divulgation se heurtait aux règles de non-prolifération nucléaire. Il a rappelé que la ministre de la défense avait déclaré devant le Sénat qu'elle n'excluait pas que des scientifiques dûment habilités et travaillant dans un cadre très précis puissent avoir accès à ces dossiers. Il a souhaité savoir ce qu'il serait possible d'envisager dans ce domaine.

M. André Dulait a également souligné l'intérêt d'établir un diagnostic médical des populations dans les îles les plus concernées et d'organiser des contrôles périodiques, ainsi que l'avait évoqué le délégué à la sûreté nucléaire de défense. Il s'est interrogé sur la situation de l'organisation sanitaire en Polynésie et sur sa capacité à faire face aux besoins en la matière.

Enfin , M. André Dulait s'est déclaré surpris par la tonalité d'un reportage récemment diffusé sur France 2 et relatif à l'atoll d'Hao, d'où il ressortait que des eaux contaminées auraient pu être rejetées sans contrôle lors des opérations de nettoyage de certains appareils utilisés pour les essais et que l'Etat avait laissé les installations à l'abandon après l'arrêt des essais. Il a jugé ce reportage d'autant plus étonnant que le dossier rendu public par le ministère de la défense au mois de mai dernier contenait des indications très détaillées sur les installations de Hao, sur les opérations de démantèlement effectuées à la suite des essais et sur les conditions dans lesquelles certaines emprises, notamment une centrale électrique, avait été transférée aux collectivités territoriales. Il a aussi rappelé que depuis l'arrêt des essais, l'Etat verse à la Polynésie française une compensation financière annuelle qui se monte actuellement à 150 millions d'euros.

En réponse à ces questions, M. Marcel Jurien de la Gravière a apporté les précisions suivantes :

- la situation des personnels civils et militaires ayant participé aux essais et celle des populations locales est totalement différente. Les personnels ayant participé aux essais relèvent soit du code des pensions civiles et militaires d'invalidité, soit du code de la sécurité sociale, soit de la caisse de prévoyance sociale de Polynésie pour les travailleurs locaux ; dans ce cadre, ils peuvent solliciter une reconnaissance du lien entre leur maladie et une éventuelle irradiation lors de leur travail, et obtenir les réparations correspondantes ; certes, il s'agit de procédures lourdes, mais l'imputation au service a été reconnue dans plusieurs cas ; en tout état de cause, les organismes qui détiennent les dossiers médicaux et radiologiques de ces anciens personnels répondent à toute demande émanant des personnes elles-mêmes, de leur médecin traitant ou des organismes de sécurité sociale ou de pensions ; 300 à 400 demandes de communication des données médicales et radiologiques sont ainsi traitées chaque année ; les échanges de courriers sont toutefois tributaires des difficultés d'acheminement dans certaines îles de Polynésie ;

- pour les populations locales, il y avait à l'époque des essais des postes de contrôle et de radioprotection ; toutefois, plus aucun suivi sanitaire n'a été effectué après l'arrêt des essais, ce qui rend nécessaire le rétablissement de visites médicales régulières, sous la responsabilité du ministère de la santé polynésien avec l'appui de l'InVS ;

- les documents établis à l'occasion de chaque tir ne contiennent pas que des données environnementales, mais comportent des données sur les tirs eux-mêmes ; la levée du secret défense sur ces documents eux-mêmes ne peut donc être envisagée, compte tenu des règles et exigences en matière de non-prolifération nucléaire ; en revanche, comme l'a clairement indiqué la ministre de la défense devant le Sénat, les experts scientifiques qui effectueront des études épidémiologiques dans ce domaine pourront avoir accès aux données environnementales nécessaires à ces études ;

- il est regrettable que le reportage sur l'atoll d'Hao n'ait pas diffusé les propos tenus par le maire de la commune sur la situation de l'ancienne zone d'activité et de l'ancienne zone vie ; par ailleurs, la centrale électrique a été laissée en parfait état de marche, mais l'entreprise contractante a préféré investir dans une nouvelle installation ; de manière générale, on peut relever que les quatre atolls les plus concernés par les retombées n'ont pas obtenu de concours financiers spécifiques issus de la dotation générale de développement économique versée au territoire depuis l'arrêt des essais ;

- les eaux usées provenant du nettoyage des avions qui effectuaient des prélèvements dans le nuage radioactif n'ont en aucun cas été rejetées dans le lagon ; un système de drainage permettait de les recueillir dans des cuves ; les résidus boueux étaient confinés et conditionnés dans des fûts, puis immergés dans des fosses profondes et les eaux restantes rejetées dans l'océan, comme cela peut se faire pour les eaux provenant des installations nucléaires industrielles ; tous les contrôles effectués à ce sujet ont confirmé que ces rejets n'entraînaient aucune radioactivité artificielle dans le milieu marin.

Mme Hélène Luc a tout d'abord adressé ses remerciements au président Serge Vinçon pour avoir permis l'audition devant la commission du délégué à la sûreté nucléaire de défense. Elle a également considéré que la réponse du ministre de la défense à sa question orale le 10 octobre dernier témoignait d'une avancée positive, dans la mesure où elle envisageait favorablement l'accès de scientifiques aux archives militaires. Indiquant qu'après avoir déposé une proposition de loi sur le suivi sanitaire des essais nucléaires français, son déplacement en Polynésie et sa rencontre avec des personnes souffrant de pathologies graves l'avaient renforcée dans sa volonté d'agir, elle a reconnu que la tâche était difficile, après quarante ans de silence total sur les conséquences des essais, mais elle a souhaité qu'un véritable dialogue s'établisse désormais avec les populations en vue d'une action constructive. Elle a vu un signe positif dans la réunion prévue le 16 novembre prochain entre le Haut commissaire et les autorités locales sur la réhabilitation de l'atoll de Hao.

Mme Hélène Luc a indiqué que sur 16 000 adhérents à l'association d'anciens travailleurs polynésiens Mururoa et Tatou et à l'Association des vétérans des essais nucléaires (AVEN), 35 % souffraient de cancers, principalement des poumons, de la peau et de la thyroïde. Elle a regretté qu'il ait fallu attendre 2004 pour que soit créé un comité de liaison sur les conséquences sanitaires des essais nucléaires, comité qui exclut cependant la participation des associations. Evoquant les conclusions de la commission d'enquête de l'Assemblée de Polynésie, elle a rappelé que le Haut commissaire avait introduit des recours contre sa constitution. Elle a également signalé que certains aspects des documents présentés par M. Marcel Jurien de la Gravière lors de ses trois séjours en Polynésie étaient contestés par le Comité de suivi des conséquences des essais nucléaires (COSCEN) mis en place par les autorités polynésiennes, comme par les associations. Plus généralement, elle a constaté un évident problème de confiance dans les relations entre le ministère de la défense, l'Etat et les populations polynésiennes. Elle a indiqué que Mme Béatrice Vernaudon, député de Polynésie française, a d'ailleurs soulevé cette question auprès de Mme Michèle Alliot-Marie, considérant que le délégué à la sûreté nucléaire de défense ne pouvait qu'apparaître, sur ce dossier, comme juge et partie. Elle a jugé indispensable de rétablir la confiance et de poursuivre sur la voie de la transparence dont s'est réclamée la ministre de la défense. Elle a enfin souligné que le Parlement avait le devoir de comprendre ce qui s'est produit pour en tirer si nécessaire les conséquences en matière de réparation vis-à-vis des victimes.

Mme Hélène Luc a ensuite demandé à M. Marcel Jurien de la Gravière s'il était envisagé de rendre publiques les doses relatives à l'ensemble des tirs, sans se limiter aux seuls 6 tirs évoqués à ce jour dans les rapports publiés. Elle a également souhaité l'accès aux archives médicales radiologiques détenues par le Service de protection radiologique des armées provenant notamment des contrôles réguliers de spectrogammamétrie auxquels étaient soumises les populations locales à bord de La Rance, navire du service mixte de sécurité radiologique des armées. Elle a demandé qu'après accord de la Commission nationale informatique et libertés (CNIL), la liste de tous les personnels civils et militaires qui ont été présents sur les sites d'essais soit communiquée, cette liste étant de nature à permettre des études sanitaires et épidémiologiques fiables. Elle a souhaité savoir s'il était envisageable d'effectuer une étude de contrôle radiologique sur l'atoll de Hao, en particulier sur l'ancienne zone technique du Commissariat à l'énergie atomique (CEA) et du service mixte de sûreté radiologique, les mesures sommaires réalisées par hélicoptère en 1999 et les prélèvements au sol opérés méritant d'être complétés par des prélèvements plus précis. Elle a à ce propos convenu qu'il était regrettable que les propos du maire de Hao n'aient pas été retenus dans la diffusion du récent reportage de France 2. Elle a enfin demandé si le CCSEN serait en charge de la mise en oeuvre du suivi médical des populations, jugeant que cette responsabilité devrait plutôt être confiée à une commission nationale de suivi des essais nucléaires dont la composition serait plus large et tripartite, avec des représentants de l'Etat, du Parlement et des associations.

Mme Hélène Luc a remarqué que les réparations n'étaient actuellement accordées par les tribunaux qu'après un long « parcours du combattant » et elle a annoncé que pour remédier à cette situation, elle déposerait très prochainement avec son groupe une proposition de loi visant à établir une présomption de lien de causalité avec les essais nucléaires, sur le modèle de ce qui a été réalisé pour les victimes de l'amiante. Elle a considéré que l'on ne pouvait se limiter aux preuves scientifiques, qui sont nécessairement difficiles à établir compte tenu de l'absence de données médicales fiables, qui n'ont jamais été recueillies du temps des essais, notamment sur les personnels recrutés localement et les populations vivant à proximité des sites, et de la création récente, à la fin des années 1980 seulement, du registre des cancers de Polynésie. Elle a également indiqué qu'une grande partie des personnels militaires ou civils n'avaient pas de contrôle radiologique. Elle a cité l'évaluation réalisée par les associations, selon lesquelles 10 000 personnes subissent des conséquences sanitaires des essais nucléaires. Elle a estimé que les Etats-Unis et le Royaume-Uni avaient adopté des mesures législatives pour reconnaître automatiquement le lien entre certaines maladies définies et les essais.

En conclusion, elle a réitéré sa volonté de contribuer à faire établir la transparence sur ce dossier en vue de permettre la réparation des conséquences des essais. Elle a souligné qu'il en allait des relations futures entre la France et la Polynésie, en rappelant que les Polynésiens, dont elle avait pu constater l'attachement à la France, attendaient beaucoup du gouvernement dans ce domaine.

En réponse à cette intervention, M. Marcel Jurien de la Gravière a apporté les précisions suivantes :

- une extrême précaution s'impose vis-à-vis de certaines informations qui sont à la base des affirmations de ceux qui contestent les données fournies par l'Etat ; l'évocation des circonstances du premier tir effectué le 2 juillet 1966 en Polynésie dès les premières pages du rapport de la commission d'enquête de l'Assemblée de Polynésie en est une illustration ; le rôle du Centre de recherche sur la paix et les conflits (CDRPC) est de ce point de vue contestable ;

- les 6 tirs sélectionnés pour procéder à de nouveaux calculs de doses l'ont été parce qu'ils ont donné lieu aux retombées les plus significatives ; aucune raison de principe ne s'oppose à refaire les calculs sur les 35 autres tirs, mais il est d'ores et déjà acquis qu'un travail aussi lourd n'apporterait aucun élément nouveau, car les doses ne peuvent qu'être extrêmement faibles ;

- l'ensemble des personnels ayant travaillé sur les sites d'essais ont accès à leur dossier médical et radiologique ; les dossiers sont conservés par le Service de protection radiologique des armées (SPRA), le Service de santé des armées et par le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) ;

- la liste des personnes ayant travaillé sur les sites d'essais est en cours de reconstitution ; sa communication est subordonnée à une autorisation de la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) ; celle-ci statuera au vu d'une demande qui n'a pas encore été formulée et qui doit préciser le but dans lequel la transmission des informations est demandée ; certains anciens agents ont fait savoir qu'ils ne souhaitaient pas que leur nom soit communiqué ;

- l'atoll de Hao a fait l'objet d'un contrôle radiologique complet ; le ministère de la défense n'envisage pas de faire procéder à de nouvelles opérations de contrôle ; en revanche, il est prêt à apporter son concours aux collectivités territoriales pour le nettoyage de l'ancienne zone d'activité ;

- le CSSEN va remettre au mois de décembre ses recommandations au gouvernement, mais il ne lui appartiendra pas de les mettre en oeuvre ; celle-ci relève des ministères de la santé français et polynésien ;

- tous les personnels dont le poste de travail était exposé se sont vu appliquer les procédures de contrôle radiologique ;

- la législation américaine n'est pas transposable à la France, dans la mesure où les Etats-Unis ne disposent pas d'un système de sécurité sociale obligatoire et où l'accès aux assurances privées y est particulièrement coûteux ; les indemnités forfaitaires versées au titre de la présomption d'imputabilité pour certaines maladies, l'ont été pour solde de tout compte et s'élèvent en moyenne à 70 000 dollars ; ce mécanisme n'est pas comparable avec le système français qui assure la prise en charge des soins et l'indemnisation éventuelle.

Mme Hélène Luc a considéré que le silence observé jusqu'à une date récente par les autorités nationales sur les conséquences sanitaires des essais nucléaires avait nui à la qualité du dialogue avec les populations et qu'il importait de dissiper les malentendus.

M. André Dulait s'est félicité de voir ce dossier avancer notablement, grâce notamment à la diffusion d'informations qu'aucun autre gouvernement passé ni aucun autre gouvernement étranger n'avait jusqu'à présent pratiqué à ce niveau. Il a également estimé que les propositions formulées dans le domaine du contrôle et du suivi médical étaient de nature à répondre concrètement au problème posé.

II. EXAMEN DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION ET DE LA PROPOSITION DE LOI

Réunie le 20 décembre 2006 sous la présidence de M. Serge Vinçon, président, la commission a examiné le rapport de M. André Dulait sur la proposition de résolution n° 247 (2005-2006) tendant à la création d'une commission d'enquête sur les conséquences sanitaires et environnementales des essais nucléaires, menés en Polynésie entre 1966 et 1996, sur la santé des populations exposées et sur l'environnement et sur la proposition de loi n° 488 (2004-2005) relative au suivi sanitaire des essais nucléaires français.

M. André Dulait, rapporteur , a tout d'abord rappelé qu'il n'appartenait pas à la commission d'évaluer les effets des essais nucléaires français sur la santé et l'environnement, mais qu'elle devait statuer sur la nécessité et l'opportunité de créer une commission d'enquête. Il a indiqué avoir rencontré de nombreux acteurs concernés par le dossier et a rappelé que la commission avait procédé le 9 novembre dernier à l'audition du délégué à la sûreté nucléaire de défense, M. Marcel Jurien de la Gravière, chargé par le gouvernement de concourir à l'établissement des faits et de leur impact sur l'environnement et la santé publique en Polynésie française.

Il a également mentionné en préalable les principales données relatives aux 41 essais atmosphériques réalisés par la France en Polynésie de 1966 à 1974 et aux 137 essais souterrains réalisés dans le sous-sol profond des atolls de 1974 à 1996, ajoutant que la question des conséquences sanitaires éventuelles concernait deux catégories de personnes : d'une part, les personnels relevant de statuts divers qui ont participé aux essais, au nombre de 130 000 pour le Centre d'expérimentation du Pacifique, mais dont tous n'ont pas été affectés à des postes comportant un risque d'exposition aux rayonnements, et, d'autre part, les populations locales. Il a rappelé à ce propos que le site de Mururoa avait été choisi en raison de son isolement, du très faible peuplement à proximité et du régime de vents dominants qui minimisait les risques de retombées sur des zones habitées. On comptait ainsi environ 2 000 habitants dans un rayon de 500 km et moins de 5 000 habitants dans un rayon de 1 000 km. Tahiti, principal centre de population de la Polynésie, est situé à 1 200 km à l'ouest des sites d'essais.

M. André Dulait, rapporteur , a ensuite indiqué que la proposition de résolution tendant à créer une commission d'enquête invoquait, de manière générale, la nécessité de pratiquer la transparence sur le déroulement des essais nucléaires français. Il a convenu que durant toute la période de la guerre froide, le secret absolu était de règle, non seulement en France, mais dans tous les pays ayant procédé à des essais nucléaires, la transparence et la communication étant exclues dans le contexte stratégique de l'époque. Il a néanmoins considéré que depuis lors, la situation avait radicalement changé, la France ayant au contraire diffusé un grand nombre d'informations et mis en oeuvre une politique de transparence sans équivalent dans aucune autre puissance nucléaire.

M. André Dulait, rapporteur , s'est étonné de certains arguments évoqués dans l'exposé des motifs de la proposition de résolution. Il a notamment indiqué que les anciens personnels ayant participé aux essais pouvaient bien accéder aux données médicales et radiologiques les concernant, les organismes détenteurs des dossiers traitant en moyenne 300 à 400 demandes de communication chaque année, ainsi que l'avait confirmé devant la commission M. Jurien de la Gravière. De même, il a souligné que si le rapporteur de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, M. Christian Bataille, député, avait pu juger insuffisantes les informations disponibles en 1997, il avait en revanche établi en 2002 avec M. Henri Revol, sénateur, un nouveau rapport effectuant un point complet sur les incidences environnementales et sanitaires des essais nucléaires, ce rapport concluant d'ailleurs au caractère très limité de ces effets et à l'impossibilité d'en établir des incidences sanitaires significatives. Il a estimé que ce rapport de l'Office parlementaire, tout comme le rapport sur la situation radiologique de Mururoa et Fangataufa établi par l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) en 1998, qui avait conclu à l'absence d'effets avérés ou potentiels rendant inutile la poursuite de la surveillance radiologique des sites, avaient constitué deux étapes très importantes dans le domaine de l'information du public sur les conséquences des essais nucléaires.

M. André Dulait, rapporteur , a souligné que la politique de transparence ne s'était pas limitée à ces deux documents majeurs.

Il a cité en premier lieu la création au mois de janvier 2004 du Comité de liaison interministériel de suivi sanitaire des essais nucléaires français, placé sous la responsabilité des ministères de la défense et de la santé. Ce comité s'intéresse aux pathologies susceptibles d'être radio-induites, en étudiant l'incidence de l'irradiation sur l'augmentation de la fréquence de certaines pathologies, principalement les cancers. Il a constitué pour cela un groupe de travail formé de médecins spécialistes d'horizons divers. Il a également mission de réaliser un recensement exhaustif des catégories de personnes concernées par les essais nucléaires et d'étudier les données dosimétriques et médicales disponibles. Il a remis un rapport d'étape en mars 2005 et a fourni à cette occasion des indications sur les personnels ayant participé à l'ensemble des essais nucléaires français, au nombre de 101, qui ont reçu des doses cumulées supérieures à 50 millisieverts, limite de dose réglementaire annuelle pour les travailleurs à l'époque des essais. Le Comité de liaison interministériel de suivi sanitaire des essais nucléaires français doit publier un rapport d'ensemble et effectuer des recommandations au gouvernement à la fin de l'année 2006 ou au début de l'année 2007.

M. André Dulait, rapporteur , a ensuite mentionné la mission confiée à l'automne 2005 par le ministre de la défense à M. Jurien de la Gravière en vue de présenter les faits liés aux essais nucléaires en Polynésie et à leur incidence radiologique. Il a rappelé qu'en à peine plus d'un an, M. Jurien de la Gravière s'était rendu quatre fois en Polynésie, qu'il avait rendu public un volume considérable d'informations et avait aussi communiqué de nombreuses données complémentaires aux autorités de Polynésie. Il a notamment cité un premier document publié en mai 2006 exposant les différentes mesures prises à l'occasion des essais - prise en compte des prévisions météorologiques, définition de zones d'exclusion, mesures de protection des personnels et des populations - et récapitulant, pour chacun des 41 essais aériens, les informations météorologiques, les informations sur le tir et les retombées proches ou différées sur les îles ou atolls de Polynésie. Un second document publié en octobre retrace quant à lui le bilan définitif et complet des doses établies, concluant que les six essais ayant donné lieu aux retombées les plus significatives se situaient dans la gamme des faibles et des très faibles doses. L'ensemble des éléments communiqués entre le mois de mai et le mois d'octobre 2006 n'a fait l'objet à ce jour d'aucune contestation.

Considérant que cet ensemble de documents et de données, appelé à être complété d'ici à quelques jours par le rapport du comité de liaison interministériel, représentait un niveau d'information conséquent et étayé, il a estimé que la constitution d'une commission d'enquête parlementaire ne se justifiait pas.

Signalant que les auteurs de la proposition de résolution souhaitaient la communication d'informations couvertes par le « secret-défense », M. André Dulait, rapporteur , a rappelé que la constitution d'une commission d'enquête serait inopérante, puisque l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires dispose explicitement que les commissions d'enquête ne peuvent pas obtenir communication des documents « revêtant un caractère secret et concernant la défense nationale ». S'agissant des documents émanant du service mixte de sécurité radiologique et du service mixte de contrôle biologique, le ministère de la défense a exclu la levée du « secret défense », car ils comportent des indications sur la méthode des essais, sur le fonctionnement des armes et sur leur format et sont, de ce fait, extrêmement sensibles du point de vue de la prolifération nucléaire. M. André Dulait, rapporteur , a en revanche rappelé que Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, avait déclaré devant le Sénat le 10 octobre dernier qu'elle permettrait à des scientifiques dûment habilités et travaillant dans un cadre précis d'accéder à ces dossiers, ce qui devrait permettre notamment aux experts effectuant des études épidémiologiques de consulter les données relatives aux retombées radiologiques sur l'environnement nécessaires à leurs études.

M. André Dulait, rapporteur , a invité la commission a rejeter la proposition de résolution, tout en souhaitant qu'elle continue à se tenir largement informée par tous les moyens qui sont déjà à sa disposition, comme elle l'a fait jusqu'à présent avec, notamment, l'audition du délégué à la sûreté nucléaire de défense.

Il a particulièrement souligné la nécessité d'étudier attentivement les conclusions que le Comité de liaison interministériel sera prochainement amené à formuler. Il a indiqué que certaines d'entre elles devraient répondre concrètement aux attentes des populations de Polynésie, M. Jurien de la Gravière ayant invoqué la mise en oeuvre d'un « plan santé » centré sur les quatre atolls concernés par les retombées radiologiques et comportant trois volets : la réalisation d'un bilan de santé des populations, la mise en place, en collaboration entre l'Etat et le territoire, d'un suivi médical périodique pour ces populations, ce suivi pouvant également être étendu aux anciens travailleurs résidant à Tahiti, et le lancement d'études à caractère sanitaire afin de déterminer si certaines pathologies présentent une fréquence particulière chez ces populations et si une relation peut être établie avec les retombées radiologiques constatées.

M. André Dulait, rapporteur , a jugé que ces trois orientations paraissaient très positives et qu'il faudrait veiller à leur mise en oeuvre rapide et effective.

S'agissant des études à caractère épidémiologique, il a rappelé que les travaux déjà effectués sur la mortalité par cancer entre 1984 et 1992 et sur l'incidence des cancers en Polynésie française entre 1985 et 1995 n'avaient pas mis en évidence de lien entre la répartition géographique des cancers et la localisation par rapport aux sites d'essais, mais que l'on constatait un taux de cancers de la thyroïde chez la femme plus élevé que la moyenne et comparable à celui observé chez les Mélanésiens de Nouvelle-Calédonie et les Philippins d'Hawaï. Il a mentionné les déclarations effectuées dans un organe de presse l'été dernier par le responsable de ces études, M. Florent de Vathaire, directeur de l'unité d'épidémiologie des cancers à l'INSERM, selon lesquelles une nouvelle étude serait susceptible de mettre en évidence un lien entre certains de ces cancers de la thyroïde et le niveau de dose radiologique consécutive aux essais nucléaires. Il a souligné que cette étude n'était toujours pas publiée et que le ministre de la défense avait demandé aux académies des sciences et de médecine d'en effectuer une évaluation.

M. André Dulait, rapporteur , a fait état d'un entretien avec M. de Vathaire au cours duquel celui-ci a confirmé que les cancers de la thyroïde constatés en Polynésie étaient essentiellement féminins, leur fréquence élevée pouvant sans doute être reliée à des facteurs génétiques ou alimentaires. Il a précisé que la nouvelle étude en cours d'achèvement émettait l'hypothèse d'un lien entre certains cancers de la thyroïde en excès et les doses reçues pour un groupe très spécifique de femmes : celles qui étaient enfant à l'époque des essais puis ayant eu, à l'âge adulte, plus de quatre enfants, chaque grossesse accentuant l'effet de l'irradiation. La population concernée se situerait entre 5 et 15 femmes sur l'ensemble de la Polynésie.

M. André Dulait, rapporteur , a considéré que lorsque cette étude serait parvenue à son terme et que ses conclusions seraient validées par la communauté scientifique, il conviendrait d'examiner les conséquences à en tirer éventuellement pour les personnes concernées.

Abordant la proposition de loi de Mme Hélène Luc et des membres du groupe communiste républicain et citoyen, M. André Dulait, rapporteur , a indiqué qu'elle visait à établir une présomption d'imputabilité au service pour des pathologies en lien avec les essais nucléaires et figurant sur une liste établie par décret.

Il a rappelé qu'à l'heure actuelle, les droits à pension étaient examinés sur la base de deux types de législation :

- le code des pensions militaires d'invalidité pour les militaires ; il ne prévoit pas de liste limitative des maladies susceptibles d'être radio-induites et l'intéressé doit apporter la preuve du lien avec le service ; toutefois, en l'absence de preuve indiscutable, le droit à pension peut être reconnu à partir d'un faisceau de présomptions ;

- le code de la sécurité sociale qui s'applique, quant à lui, à certains agents civils de l'Etat et aux salariés de droit privé ; dans sa partie relative aux maladies professionnelles, il comporte une liste limitative des maladies susceptibles d'être radio-induites.

M. André Dulait, rapporteur , a ajouté que sur la base des dispositions actuelles, une vingtaine de décisions d'attribution de pensions au titre des conséquences des essais nucléaires étaient intervenues.

Il a reconnu que ces demandes de pensions suivaient généralement un long parcours, compte tenu de la difficulté d'apporter la preuve requise pour des maladies déclarées si longtemps après les faits. Mais il a estimé que l'impossibilité d'établir l'origine de la maladie ne pouvait pas pour autant justifier son imputation systématique à la participation aux essais nucléaires, une telle solution risquant d'apparaître comme injuste au regard du reste de la population atteinte de pathologies comparables.

M. André Dulait , rapporteur, a également souligné les différences fondamentales entre le système de prise en charge français, où l'octroi éventuel d'une pension se cumule avec la gratuité des soins, et les solutions mises en place aux Etats-Unis, où il n'y a pas de système d'assurance maladie obligatoire et universel.

Il a précisé que le Comité de liaison interministériel de suivi sanitaire des essais nucléaires français devait faire un point complet sur l'état des connaissances scientifiques actuelles au sujet des pathologies pouvant être liées à des radiations, une étude internationale menée par le Comité scientifique des Nations unies sur les effets des radiations atomiques (UNSCEAR) étant également attendue à ce sujet prochainement. Jusqu'à présent, les études scientifiques ne semblent pas avoir pu mesurer la relation entre l'exposition à de faibles et très faibles doses, comme celles constatées à l'occasion des essais, et le développement ultérieur d'une pathologie radio-induite chez un sujet considéré.

M. André Dulait, rapporteur , a estimé qu'en l'absence d'éléments nouveaux permettant de mieux cerner les liens entre exposition à de faibles doses et développement de pathologies ultérieures, il était difficile d'admettre la présomption d'imputabilité qui entraînerait l'attribution systématique de pensions d'invalidité.

Proposant que la commission continue à se tenir informée des développements de ce dossier, il a donné un avis défavorable à la proposition de loi.

A la suite de l'exposé du rapporteur, M. Serge Vinçon, président , a lui aussi jugé nécessaire que la commission poursuive son travail d'information sur ce dossier, au vu notamment du rapport définitif qui sera prochainement établi par le Comité de liaison interministériel de suivi sanitaire des essais nucléaires français.

Mme Hélène Luc a remercié le rapporteur pour son exposé très documenté. Elle a rappelé qu'au cours de la séance du Sénat du 10 octobre dernier, Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, avait déclaré, en réponse à sa question orale, que la France n'avait rien à craindre de la transparence, qu'un ouvrage sur l'ensemble des essais nucléaires français dans le Pacifique serait publié par le ministère de la défense et le commissariat à l'énergie atomique d'ici à la fin de l'année et que les académies des sciences et de médecine étaient saisies des travaux épidémiologiques de M. de Vathaire. Elle a regretté que le ministre de la défense n'ait pas accepté la levée du « secret défense » sur l'ensemble des documents émanant du service mixte de contrôle biologique et du service mixte de sécurité radiologique, mais elle a jugé positif l'engagement de Mme Alliot-Marie d'autoriser des scientifiques dûment habilités à accéder à ces documents dans le cadre de leurs travaux.

Mme Hélène Luc a également évoqué l'intérêt de l'audition par la commission, le 9 novembre, du délégué à la sûreté nucléaire de défense, M. Marcel Jurien de la Gravière, qui a reconnu la réalité des retombées radiologiques, alors que les autorités évoquaient jusqu'alors des essais nucléaires « propres » et la nécessité du suivi médical des populations, qui s'était brutalement interrompu après l'arrêt des essais.

Elle a considéré que l'exposé du rapporteur se fondait largement sur les études et informations publiées par le ministère de la défense, alors que c'est précisément le fait que les informations proviennent de cette source unique qui est contesté par les associations. Elle a souligné la nécessité d'actions concrètes pour évaluer les conséquences sanitaires et environnementales des essais nucléaires, pour réparer les dommages sur la santé, pour achever le nettoyage des plages et la rénovation de certains sites. Elle a rappelé la fréquence de certaines pathologies, notamment les cancers de la thyroïde, du poumon et de la peau, parmi les anciens travailleurs et les vétérans des essais comme dans la population locale. Elle a constaté une évolution dans le sens d'une reconnaissance des conséquences des essais et de la mise en place d'un dialogue, alors que les archives seront ouvertes à certains chercheurs, qu'un suivi sanitaire sera mis en place et qu'un programme de travaux de réhabilitation est prévu sur certains sites.

Mme Hélène Luc a rappelé que la proposition de loi relative au suivi sanitaire des essais nucléaires français s'articulait autour de trois mesures principales : l'instauration du principe de présomption du lien avec le service pour les maladies dont souffre toute personne, civile ou militaire, ayant participé à une activité liée aux essais lorsqu'elle était en service actif ; la création d'un fonds d'indemnisation des victimes civiles et militaires de ces essais et d'un droit à pension pour les personnels civils et militaires et leurs ayants droit ; la création, auprès du premier ministre, d'une commission nationale de suivi des essais nucléaires composée de représentants du gouvernement et du Parlement, du gouvernement de la Polynésie française, des associations concernées et des organisations professionnelles et syndicales.

Elle a annoncé que son groupe déposerait prochainement deux autres propositions de loi. La première visera à modifier le code des pensions militaires d'invalidité pour permettre à la présomption d'imputabilité de jouer pour les maladies constatées au-delà du soixantième jour suivant le retour de mission. La seconde vise à créer un fonds d'indemnisation, à l'instar de celui établi pour les victimes de l'amiante.

Elle s'est déclarée déçue que le rapporteur ait émis un avis défavorable sur sa proposition de loi, estimant qu'une réponse rapide aux attentes des personnes malades était nécessaire, compte tenu de leur âge. Elle a souscrit à la proposition de poursuivre le travail d'information entrepris par la commission et proposé la constitution d'un groupe de travail formé d'un représentant de chaque groupe politique.

En réponse à cette intervention, M. André Dulait, rapporteur , a précisé que le suivi sanitaire des populations avait été assuré par les moyens de l'Etat durant la période des essais nucléaires, mais que la santé publique relevait de la compétence territoriale et que dans ce cadre, aucun dispositif particulier n'avait été mis en place après l'arrêt des essais. Il a aussi rappelé que l'Etat versait une compensation financière à la Polynésie depuis la fermeture du Centre d'expérimentation du Pacifique, cette contribution, initialement prévue pour une durée de deux années, étant désormais pérennisée et s'élevant à plus de 150 millions d'euros par an. Il a constaté que les îles et atolls les plus proches des sites d'essais n'avaient visiblement pas obtenu de dotations provenant de ces concours financiers. Enfin, il a indiqué que le délégué à la sûreté nucléaire de défense avait évoqué la possibilité d'une aide de l'Etat aux actions de réhabilitation qui seraient menées par le gouvernement de Polynésie ou les collectivités locales sur certains sites relevant désormais de leur responsabilité.

S'agissant des informations publiées par le ministère de la défense sur l'estimation des retombées les plus significatives, il a considéré qu'il était fallacieux de les présenter comme un aveu, qui interviendrait après des années de dénégations, de l'existence même de retombées lors des essais nucléaires. Il a en effet rappelé que le choix des sites d'essais, les prévisions météorologiques effectuées avant chaque tir, la définition de zones d'exclusion, la mise en oeuvre de mesures de protection pour les personnels et les populations, l'existence d'un suivi dosimétrique et la réalisation de mesures à la suite de chaque tir montraient bien que l'existence de retombées radiologiques était pleinement intégrée dans la conception même des essais nucléaires et de leur déroulement.

M. Jean Puech s'est déclaré choqué par certaines présentations visant systématiquement à culpabiliser l'Etat, alors que la France a pris, lors de la réalisation des essais nucléaires, des précautions sans aucune mesure avec celles, minimales, que l'on pouvait constater dans d'autres pays, notamment l'Union soviétique.

Mme Hélène Luc a déclaré que les membres du groupe communiste républicain et citoyen s'abstiendraient sur les conclusions du rapporteur.

La commission a alors décidé de rejeter la proposition de résolution n° 247 (2005-2006) de Mme Dominique Voynet et des membres du groupe socialiste tendant à la création d'une commission d'enquête sur les conséquences sanitaires et environnementales des essais nucléaires, menés en Polynésie entre 1966 et 1996, sur la santé des populations exposées et elle a également rejeté la proposition de loi n° 488 (2004-2005) de Mme Hélène Luc et des membres du groupe communiste républicain et citoyen relative au suivi sanitaire des essais nucléaires français.

ANNEXE - TEXTES DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION ET DE LA PROPOSITION DE LOI

I - Texte de la proposition de résolution n° 247 (2005-2006) de Mme Dominique Voynet et des membres du groupe socialiste tendant à la création d'une commission d'enquête sur les conséquences sanitaires et environnementales des essais nucléaires, menés en Polynésie entre 1966 et 1996, sur la santé des populations exposées.

Article unique

Il est créé en application de l'article 6 de l'ordonnance 58-1100 du 17 novembre 1958 et de l'article 11 du Règlement du Sénat, une commission d'enquête composée de 21 sénateurs.

Cette commission est chargée d'apporter toute la lumière nécessaire sur les conséquences sanitaires et environnementales des essais nucléaires effectués par la France en Polynésie française, entre 1966 et 1996.

Vu la nature des événements qu'elle est chargée d'examiner, la commission veille particulièrement à recueillir des informations sur des faits n'ayant pas donné lieu à des poursuites judiciaires, conformément aux dispositions du troisième alinéa du paragraphe I de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 précitée.

II - Texte de la proposition de loi n° 488 (2004-2005) de Mme Hélène Luc et des membres du groupe communiste républicain et citoyen relative au suivi sanitaire des essais nucléaires français.

Article 1er

Il est établi le principe de présomption de lien avec le service pour la ou les maladies dont souffre toute personne - civile ou militaire - ayant participé à une activité liée aux essais nucléaires, lorsqu'elle était en service actif.

Article 2

Pour être considérées comme liées au service, la loi exige que ces maladies aient été contractées à un niveau de 10 % ou plus, dans les quarante années après la dernière date à laquelle la personne désignée à l'article 1er participait à une activité liée aux essais nucléaires, cette durée étant réduite à trente ans après cette date dans les cas d'une leucémie.

Article 3

La liste des pathologies considérées comme liées à une activité liée aux essais nucléaires est fixée par décret. Une commission médicale statuera sur la recevabilité des dossiers.

Article 4

Il est créé un fonds d'indemnisation des victimes civiles et militaires des essais nucléaires et un droit à pension pour les personnels civils et militaires et leurs ayants droit. Ce fonds d'indemnisation est alimenté pour partie par les crédits de la défense alloués au titre de la compensation de l'arrêt des essais nucléaires.

Article 5

Il est créé auprès du Premier ministre une commission nationale de suivi des essais nucléaires. Cette commission est composée des ministres chargés de la défense, de la santé et de l'environnement ou de leur représentant, du Président du gouvernement de Polynésie française ou de son représentant, de deux députés et deux sénateurs, de représentants des associations représentatives des personnes civiles ou militaires concernées, de représentants des organisations syndicales patronales et de salariés ou de personnes qualifiées.

La répartition des membres de cette commission, les modalités de leur désignation, son organisation et son fonctionnement sont précisés par décret en Conseil d'Etat. Le président de la commission nationale de suivi des essais nucléaires est membre de droit de la direction du département de suivi des centres d'expérimentations nucléaires créé par l'arrêté conjoint du 7 septembre 1988 par le ministre de la défense et le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Article 6

Le suivi des questions relatives à l'épidémiologie et à l'environnement jusqu'à présent attribué au département de suivi des centres d'expérimentations nucléaires par l'arrêté du 7 septembre 1998 est attribué à la commission nationale de suivi des essais nucléaires qui assure le suivi de l'application de la présente loi. La commission assure en outre le suivi des populations qui vivent ou ont vécu à proximité des sites d'essais tant au Sahara qu'en Polynésie française.

Article 7

La décision concernant l'application du « principe de présomption de lien avec le service » défini par l'article 1er est prise par le Premier ministre sur proposition de l'un ou l'autre des ministres désignés à l'article 5.

Article 8

La commission nationale de suivi des essais nucléaires publie chaque année un rapport sur l'application de la loi.

Article 9

La présente loi est applicable aux territoires d'outre-mer et à la collectivité territoriale de Mayotte.

Article 10

Les charges éventuelles qui résulteraient pour l'Etat de l'application de la présente loi sont compensées à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle aux tarifs visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

* 1 Le sievert est l'unité de mesure utilisée pour évaluer les irradiations sur l'homme et les organismes vivants. Il quantifie la dose absorbée en tenant compte de la nature spécifique d'un rayonnement donné (notion de dose équivalente). C'est l'unité de référence pour évaluer le risque sur la santé entraîné par une exposition.

* 2 Le COSCEN est composé de trois membres du gouvernement, de trois membres de l'Assemblée de Polynésie et de trois membres de l'association Mururoa e tatou représentant d'anciens travailleurs polynésiens du Centre d'expérimentations du Pacifique.

* 3 Le service mixte de sécurité radiologique avait la responsabilité de la radioprotection des personnes et du suivi de la radioactivité dans le milieu physique (air, eau, sol). Le service mixte de contrôle biologique avait pour mission d'assurer la surveillance radiologique de la biosphère, y compris les denrées alimentaires et les eaux de boisson. Il était chargé d'évaluer l'exposition des populations au regard de leur alimentation.

* 4 Les personnels appelés bénéficient d'une présomption d'imputabilité au service à condition que la maladie ait été constatée après le 90 ème jour de service effectif et avant le 60 ème jour suivant le retour du militaire dans ses foyers.

* 5 Notamment les leucémies, les cancers broncho-pulmonaires primitifs par inhalation et les sarcomes osseux

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