EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le processus engagé par les accords de Matignon en 1988 a apporté à la Nouvelle-Calédonie une situation institutionnelle apaisée. Cette stabilisation est le résultat d'une intense mobilisation politique et juridique, qui a doté la Nouvelle-Calédonie d'une organisation adaptée à son identité particulière.

Les réformes statutaires se sont en effet succédé à un rythme croissant après 1946, jusqu'à ce que la violence et l'impasse politique amènent les autorités locales et nationales à inventer un modèle original, faisant une large place à l'identité kanak et prenant en compte la nécessité d'un rééquilibrage économique des provinces.

Ainsi, depuis l'accord de Nouméa signé le 5 mai 1998, la Nouvelle-Calédonie constitue une entité juridique sui generis , dont les institutions et le système politique traduisent l'ambition d'un destin commun à toutes les communautés et définissent un partage de souveraineté avec la France.

Fondé sur les mêmes principes que les accords de Matignon signés en juin 1988, l'accord de Nouméa comporte de nombreuses innovations, telles que la définition d'une citoyenneté calédonienne au sein de la nationalité française. Peuvent donc participer pleinement à la conduite des affaires de la Nouvelle-Calédonie ceux de ses habitants qui justifient d'une implantation ancienne et solide sur son territoire.

Si la loi référendaire du 7 novembre 1988 relative à la mise en oeuvre des accords de Matignon comportait déjà une restriction du corps électoral pour le scrutin d'autodétermination, elle ne l'étendait pas aux élections aux conseils de province et au congrès 1 ( * ) .

L'accord de Nouméa prévoit quant à lui que « le corps électoral pour les élections aux assemblées locales propres à la Nouvelle-Calédonie sera restreint aux personnes établies depuis une certaine durée ». Afin de permettre la mise en oeuvre de l'accord, le titre XIII de la Constitution, consacré aux « Dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie », a défini les conditions de la consultation des populations de la Nouvelle-Calédonie sur l'accord de Nouméa et autorisé le Parlement à prendre, par une loi organique, les mesures nécessaires à son application.

Toutefois, le Conseil constitutionnel, examinant en mars 1999 la loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie, a fait prévaloir une interprétation du corps électoral restreint ouvrant le droit de vote aux élections provinciales aux nationaux français arrivés en Nouvelle-Calédonie après 1998 et justifiant de dix ans de résidence à la date de l'élection 2 ( * ) .

La question porte en fait sur la nature du tableau annexe visé à l'article 188 de la loi organique 3 ( * ) . Le Conseil constitutionnel estime qu'il s'agit du tableau intégrant chaque année les nationaux français, au fil de leur arrivée en Nouvelle-Calédonie, que celle-ci soit antérieure ou postérieure à la consultation du 8 novembre 1998 relative à l'accord de Nouméa.

Cette interprétation, organisant un corps électoral « glissant », diffère de celle affirmée par le législateur lors de l'élaboration de la loi organique, définissant un corps électoral « figé ». En effet, il ressort des travaux préparatoires que le tableau annexe visé à l'article 188 de la loi organique est celui arrêté en vue de la consultation du 8 novembre 1998, recensant les personnes qui ne justifiaient pas à cette date de dix ans de résidence sur le territoire.

Aussi, l'Assemblée nationale et le Sénat ont-ils respectivement adopté, en juin et en octobre 1999, un projet de loi constitutionnelle rétablissant l'interprétation selon laquelle ne sont admis à participer aux élections provinciales que les électeurs installés en Nouvelle-Calédonie avant la consultation de 1998 et domiciliés sur le territoire depuis dix ans 4 ( * ) .

Cependant, du fait de l'ajournement, pour des raisons extérieures au texte sur la Nouvelle-Calédonie, de la réunion du Parlement en Congrès sur ce projet de loi constitutionnelle, l'inscription dans la Constitution du « gel » du corps électoral est restée en suspens.

Or, les dispositions relatives au corps électoral des assemblées de province et du congrès de Nouvelle-Calédonie figuraient au sein d'un projet de loi constitutionnelle portant à titre principal sur le statut de la Polynésie française. Ce projet ne peut aujourd'hui être repris en l'état, la Polynésie française ayant depuis été dotée d'un statut d'autonomie, défini conformément au cadre constitutionnel des collectivités d'outre-mer (article 74 de la Constitution).

Le Sénat est par conséquent appelé à examiner un nouveau projet de loi constitutionnelle modifiant l'article 77 de la Constitution. L'objet de ce texte, adopté par l'Assemblée nationale le 13 décembre 2006, est d'inscrire dans la Constitution la définition du corps électoral appelé à élire les assemblées de province et le congrès de la Nouvelle-Calédonie qu'avait retenue le législateur dès 1999.

En dépit du temps écoulé depuis la première tentative de révision constitutionnelle sur cette question en 1999, le texte soumis au Sénat permettra de préciser en temps utile la volonté du pouvoir constituant. En effet, les personnes inscrites au tableau annexe en raison de l'interprétation retenue par le juge constitutionnel, et qui en seront retirées après l'adoption du présent projet de loi constitutionnelle, n'auraient, en tout état de cause, pu participer à l'élection des assemblées de province et du congrès de Nouvelle-Calédonie avant le scrutin de 2009.

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La Nouvelle-Calédonie en quelques chiffres

Située dans le Pacifique occidental, la Nouvelle-Calédonie, dont la superficie atteint 18.575 km², fait partie de l'ensemble mélanésien.

L'archipel comprend la Grande-Terre (400 km de long sur 50 km de large), les quatre îles Loyauté (Ouvéa, Lifou, Tiga et Maré), l'archipel des îles Belep, l'île des Pins et quelques îlots lointains.

La zone économique exclusive entourant la Nouvelle-Calédonie couvre 1,4 million de km² (soit la moitié de la superficie de la mer Méditerranée).

La Nouvelle-Calédonie se situe à 18.368 km de Paris, à 4.629 km de Papeete, à 2.103 km des îles Wallis et Futuna, à 1.978 km de Sydney (Australie) et à 1.859 km d'Auckland (Nouvelle-Zélande).

Le recensement effectué en 2004 par l'Institut de la statistique et des études économiques (ISEE) de la Nouvelle-Calédonie établit la population de la collectivité à 230.789 habitants , contre 196.936 en 1996, soit une progression de 17,25 %. Ce recensement ne comporte pas de répartition entre les différentes communautés.

La population de l'archipel se répartit de la façon suivante :

- Province Sud : 164.235 habitants (134.546 en 1996) ;

- Province Nord : 44.474 habitants (41.413 en 1996) ;

- Province des îles Loyauté : 22.080 habitants (20.877 en 1996).

La répartition spatiale de la population fait apparaître une forte concentration à Nouméa, qui regroupe 91.386 habitants, soit 39,5 % de la population de la collectivité, tandis que le Grand Nouméa, qui rassemble les communes de Dumbéa, Païta, Mont-Dore et Nouméa, concentre près de 60 % des habitants.

La population de la Nouvelle-Calédonie est très jeune, puisque 39,5 % de la population a moins de 20 ans (25,3 % en métropole).

I. L'ORGANISATION INSTITUTIONNELLE DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE ISSUE DE L'ACCORD DE NOUMÉA

L'organisation institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie résulte pour l'essentiel de l'accord de Nouméa du 5 mai 1998, approuvé lors de la consultation de la population du 8 novembre 1998, et concrétisé par la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998 et la loi organique du 19 mars 1999. Aux termes de cet accord, la Nouvelle-Calédonie jouit d'un statut d'autonomie devant aboutir, à l'issue d'une période de quinze à vingt ans, à une consultation sur l'accession à la pleine souveraineté.

A. LA DÉFINITION DES CONDITIONS D'ÉVOLUTION DE L'ARCHIPEL PAR L'ACCORD DE NOUMÉA

Comme le rappellent nos collègues Christian Cointat, Simon Sutour et votre rapporteur dans le rapport fait à l'issue de leur mission effectuée en Nouvelle-Calédonie en septembre 2003, « tout le prix du consensus retrouvé autour des institutions de la Nouvelle-Calédonie ne peut se mesurer sans un retour sur l'histoire récente de cette collectivité marquée par la violence et l'instabilité » 5 ( * ) .

1. De l'instabilité institutionnelle aux accords de Matignon

Après la Seconde Guerre mondiale, le débat politique néo-calédonien est dominé par l'Union calédonienne (UC), alliance pluriethnique et autonomiste fondée en 1956. Dans les années 1970, la production de nickel se développe et de nouveaux arrivants -néo-hébridais et Wallisiens pour la plupart- s'installent.

Face à l'affirmation de la revendication indépendantiste, le courant loyaliste, favorable au maintien de la Nouvelle-calédonie dans la République, s'organise avec la création en 1978 par M. Jacques Lafleur du Rassemblement pour la Calédonie dans la République (RPCR). Les forces indépendantistes se fédèrent quant à elles, en 1984, autour du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS), dirigé par le regretté Jean-Marie Tjibaou.

Aussi la Nouvelle-Calédonie connaît-elle au cours de la seconde moitié du XXème siècle une évolution statutaire marquée par une grande instabilité, qui aboutit dans les années 1980 à une crise particulièrement grave.

En effet, de 1946, date de son accession au statut de territoire d'outre-mer, à 1988, l'organisation institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie a fait l'objet de huit statuts 6 ( * ) , dont quatre entre 1984 et 1988. A cette époque, le débat sur l'accès à l'indépendance se radicalise et les tensions entre les communautés s'accentuent. La succession de statuts éphémères s'accompagne de violences, qui culminent lors de l'embuscade de Hienghène le 5 décembre 1984 et de la prise d'otages d'Ouvéa le 22 avril 1988.

Afin d'éviter que la Nouvelle-Calédonie ne sombre dans la guerre civile, le Premier ministre, M. Michel Rocard, dépêche alors une mission chargée de renouer le dialogue entre le FLNKS et le RPCR.

Ces négociations aboutissent le 26 juin 1988 à une déclaration commune signée à l'hôtel Matignon par le Premier ministre, huit représentants du RPCR et cinq représentants du FLNKS. Le 20 août 1988 intervient l'accord Oudinot , qui fixe le principe d'une consultation sur l'autodétermination à échéance de dix ans et organise un nouvel équilibre institutionnel 7 ( * ) .

Le nouveau statut découlant des accords de Matignon est soumis à un référendum national le 6 novembre 1988 ; malgré un faible taux de participation, le « oui » l'emporte avec 80 % des suffrages exprimés.

La mise en oeuvre des accords de Matignon rétablit durablement la paix civile et donne à la Nouvelle-Calédonie des institutions stables .

Aussi, les protagonistes sont-ils convaincus, à l'issue de la période de dix ans, de la nécessité de préserver ces acquis en repoussant une consultation référendaire sur l'autodétermination susceptible de raviver les antagonismes.

* 1 Les signataires de la déclaration de Matignon, qui prévoyait d'appliquer la même restriction du corps électoral pour les élections aux conseils de province, sont revenus sur ce point lors de la négociation d'Oudinot d'août 1988.

* 2 Décision n° 99-410 DC du 15 mars 1999 sur la loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie.

* 3 Un tableau annexe est un document dressant la liste des personnes satisfaisant aux conditions générales pour être électeurs, mais ne remplissant pas les conditions particulières pour participer aux élections considérées.

* 4 La restriction du corps électoral ne s'appliquant, conformément à l'accord de Nouméa, que pendant une période transitoire de quinze à vingt ans, à l'issue de laquelle il sera procédé à une ou plusieurs consultations sur l'accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté.

* 5 Rapport fait au nom de la commission des lois par MM. Jean-Jacques Hyest, Christian Cointat et Simon Sutour à la suite d'une mission effectuée en Nouvelle-Calédonie et à Wallis-et-Futuna du 9 au 20 septembre 2003, n° 216 (2003-2004).

* 6 Cf. le rapport fait au nom de la commission des lois par M. Jean-Jacques Hyest sur les projets de loi organique et ordinaire relatifs à la Nouvelle-Calédonie, n°180 (1998-1999).

* 7 La déclaration signée à Matignon et l'accord Oudinot constituent les « accords de Matignon ».

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