ANNEXE 1 : COMPTE-RENDU DE L'AUDITION DE M. PASCAL CLÉMENT, GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE LE JEUDI 18 JANVIER 2007

La commission a tout d'abord entendu M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice , sur le projet de loi organique n° 125 (2006-2007) relatif au recrutement , à la formation et à la responsabilité des magistrats , et le projet de loi n° 133 (2006-2007), tendant à renforcer l' équilibre de la procédure pénale .

Après avoir rappelé que le drame d'Outreau avait suscité une réelle attente de l'opinion publique pour réformer le fonctionnement de la justice, M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice , a souligné que l'adoption de solutions de nature à éviter un nouveau drame ne pouvait être reportée après les échéances électorales.

Prenant acte des critiques formulées à l'égard de la présente réforme, il a déclaré avoir la conviction qu'elle constituait une étape nécessaire pour permettre aux Français de retrouver leur confiance dans la justice.

Il a estimé que le projet de réforme de la procédure pénale apportait des réponses précises et concrètes aux principaux dysfonctionnements constatés dans l'affaire d'Outreau.

Il a indiqué que, pour mettre fin à la solitude du juge d'instruction, des pôles de l'instruction, compétents pour les affaires criminelles et les affaires correctionnelles complexes donnant lieu à une co-saisine, seraient créés.

Il a précisé que ces pôles garantiraient l'effectivité des co-saisines et que ces dernières pourraient désormais être imposées par le président de la chambre de l'instruction, même sans l'accord du magistrat initialement saisi.

Il a estimé que la création des pôles permettrait de confier les affaires les plus complexes à des magistrats expérimentés et de faire travailler en binôme, à travers la co-saisine, les nouveaux juges d'instruction avec les plus anciens, et, plus généralement, de faire acquérir la culture du travail en équipe aux juges d'instruction.

Précisant que les pôles de l'instruction auraient en principe un ressort départemental, il a indiqué que, compte tenu de certaines particularités locales, des pôles pourraient toutefois s'étendre à plusieurs départements et que certains départements pourraient bénéficier de plusieurs pôles.

Il a insisté sur le fait que chaque tribunal de grande instance conserverait un juge d'instruction, chargé des affaires correctionnelles simples, et que les affaires resteraient jugées par la juridiction territorialement compétente.

Il a annoncé que les frais de déplacements supplémentaires supportés par les avocats intervenant au titre de l'aide juridictionnelle pour se rendre dans les pôles de l'instruction seraient pris en charge dans le cadre de la réforme.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice, a indiqué que, pour faciliter le fonctionnement des pôles, il avait décidé d'une part, d'accélérer la mise en place de la numérisation des procédures pénales, expérimentée par une centaine de tribunaux de grande instance actuellement, afin de favoriser l'accès en temps réel aux dossiers, et d'autre part, d'étendre l'utilisation de la visioconférence pour limiter les déplacements.

Affirmant que les pôles constituaient la première étape vers la collégialité de l'instruction, il a estimé que la mise en oeuvre immédiate de cette dernière aurait été impossible car impliquant environ 240 magistrats et 400 fonctionnaires de greffes supplémentaires.

Il a rappelé que tout en inscrivant le principe de la collégialité de l'instruction dans la loi, l'Assemblée nationale avait pris en compte cette contrainte en fixant l'entrée en vigueur de la collégialité dans un délai de cinq ans.

Il a déclaré que le projet de loi renforçait le caractère exceptionnel de la détention provisoire en limitant l'utilisation du critère du trouble à l'ordre public en précisant que ce dernier ne pourrait plus être employé en matière correctionnelle que pour le placement initial en détention provisoire.

Il a indiqué que le texte prévoyait également l'assistance obligatoire du mis en examen par un avocat lors du débat sur la détention provisoire et permettait au juge des libertés et de la détention de reporter ce débat en vue de favoriser le recours au contrôle judiciaire.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice, a souligné l'importance du renforcement du contrôle de la chambre de l'instruction sur le déroulement des informations par l'institution d'une audience garantissant l'examen public et contradictoire de tous les aspects de la procédure en cours, dès lors qu'une personne est détenue.

Rappelant que le projet initial du Gouvernement fixait à six mois le délai à l'issue duquel pouvait se tenir cette audience publique, il a relevé que l'Assemblée nationale, avec le soutien du Gouvernement, avait ramené ce délai à trois mois, considérant qu'il était nécessaire dans certains cas d'avoir plus rapidement un contrôle approfondi de la chambre de l'instruction.

Il a ajouté que ce contrôle des chambres de l'instruction sur les cabinets des juges d'instruction serait aussi conforté par la mise en place d'assesseurs permanents au sein de ces chambres à partir de septembre 2007, lorsque l'activité de ces dernières le justifierait.

Il a noté que la transparence de la justice serait améliorée avec la publicité des audiences relatives à la détention provisoire et l'enregistrement audiovisuel, en matière criminelle, des interrogatoires de garde à vue et devant le juge d'instruction.

Il a expliqué que la publicité de ces audiences serait désormais le principe mais que certains gardes fous seraient posés pour préserver l'efficacité des investigations et la nécessaire sérénité des débats.

Déplorant le fait que l'enregistrement des interrogatoires de garde à vue et devant le juge d'instruction soit souvent interprété, à tort, comme une mesure de défiance à l'égard des forces de police et des magistrats, il a affirmé qu'il permettait au contraire de lever tout soupçon et de prévenir les mises en cause injustifiées dont font parfois l'objet ces interrogatoires.

Il a indiqué que ces enregistrements pourraient être consultés en cas de contestation et qu'ils permettraient par conséquent de mieux sécuriser les procédures.

Notant que certains acteurs du monde judiciaire contestaient l'utilité de prévoir ces enregistrements devant le juge d'instruction, considérant que la présence de l'avocat et du greffier permettraient de s'en dispenser, il a reconnu la différence de nature entre l'interrogatoire en garde à vue et devant le juge d'instruction, mais a considéré qu'il n'était pas envisageable, dans une société de plus en plus transparente, de refuser les garanties pouvant être apportées par les nouvelles technologies.

Ajoutant que des déplacements en Angleterre et en Italie lui avaient permis de constater que l'utilisation de tels enregistrements y était aujourd'hui appréciée, il a précisé qu'il avait paru préférable au Gouvernement de limiter dans un premier temps leur usage aux affaires criminelles et aux personnes mises en examen.

Il a assuré que le rapport demandé par l'Assemblée nationale permettrait de faire un bilan d'application de ces dispositions après deux ans et d'envisager, le cas échéant, leur extension.

Rappelant que le caractère contradictoire de l'instruction avait fait défaut dans l'affaire Outreau, il a annoncé que la mise en examen pourrait dorénavant être contestée à intervalles réguliers, et non pas seulement dans les six premiers mois, et que des confrontations individuelles pourraient être demandées.

Il a signalé que le caractère contradictoire des expertises serait également conforté par l'information des parties de la décision du juge ordonnant une expertise, sauf si cette information nuit à l'efficacité des investigations, par la possibilité de désigner un coexpert au choix de ces parties, et par la suppression du filtre du président de la chambre de l'instruction en cas d'appel du refus d'une contre expertise.

Il a affirmé que le règlement des informations serait aussi plus contradictoire avec l'obligation pour le juge de statuer au vu des réquisitions du parquet et des observations des parties, et la possibilité pour ces dernières de répliquer à ces réquisitions ou observations, ajoutant que l'ordonnance de renvoi devrait préciser les éléments à charge et à décharge concernant chacune des personnes mises en examen.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice, a insisté sur l'importance du renforcement, par le projet de loi, du caractère obligatoire de l'enregistrement des auditions des mineurs victimes et de l'assistance d'un avocat, le cas échéant commis d'office, pour ces derniers, lors de leurs auditions devant le juge d'instruction.

Estimant que la crédibilité de la justice passait aussi par sa célérité et par la nécessité de limiter, autant que faire se peut, les informations judiciaires injustifiées, il a rappelé que, conformément aux conclusions du rapport Magendie, le projet de loi supprimait l'extension jurisprudentielle de la règle selon laquelle « le criminel tient le civil en l'état », cette règle n'étant maintenue que pour l'action civile engagée en réparation du dommage causé par l'infraction.

Prenant l'exemple d'une plainte avec constitution de partie civile pour vol déposée par l'employeur dans le seul but de paralyser la contestation du licenciement aux prud'hommes, il a indiqué qu'une telle procédure n'aurait désormais plus l'effet recherché et que cette réforme devrait limiter le nombre de plaintes avec constitution de partie civile et, par conséquent, celui des informations.

Il a déclaré qu'en matière délictuelle, la recevabilité des plaintes avec constitution de partie civile serait subordonnée au refus de poursuites ou à l'inaction du parquet pendant trois mois.

Évaluant le coût de l'ensemble de la réforme à 30 millions d'euros pour le ministère de la justice, il a précisé qu'elle nécessiterait en particulier la création de 70 postes nouveaux de magistrats, pourvus par redéploiement, et de 102 emplois de fonctionnaires de greffe.

Indiquant que ce financement ne figurait pas dans le projet de loi de finances pour 2007, car le chiffrage précis de la réforme dépendait du périmètre définitif de la loi et de son calendrier de mise en oeuvre, il a assuré que le Gouvernement abonderait en tant que de besoin les crédits du ministère de la justice lorsque la loi serait promulguée.

Evoquant le projet de loi organique relatif au recrutement, à la formation et à la responsabilité des magistrats, M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice, a souligné, à titre liminaire, la nécessaire actualisation des dispositifs de formation et de discipline des magistrats.

Affirmant qu'un bon magistrat devait, avant de décider, douter, écouter et examiner tous les arguments qui lui sont soumis, en accordant la même importance à la parole de la victime et à celle du mis en cause, il a estimé que le stage préalable obligatoire constituait le seul moyen de vérifier le respect de ces règles par un futur magistrat.

Précisant que désormais, pour toutes les voies d'accès à la magistrature, ce stage aurait un caractère probatoire obligatoire avant la nomination dans les premières fonctions, il a jugé cette généralisation d'autant plus justifiée que l'Assemblée nationale, par amendements, avait ouvert l'accès au corps judiciaire à des candidats bénéficiant déjà d'une expérience professionnelle dans le domaine juridique.

Cette diversification du recrutement lui semblant insuffisante, il a plaidé pour un allongement de la durée du stage des auditeurs de justice au sein de cabinets d'avocats, actuellement de deux mois, afin de permettre un rapprochement entre les professions d'avocat et de magistrat.

Soucieux de préserver l'architecture de la formation à l'école nationale de la magistrature (ENM) et opposé à l'allongement éventuel de la durée de cette formation, il a exclu la possibilité de supprimer les stages actuels permettant aux auditeurs d'apprendre les techniques de rédaction, d'entretien ou de se familiariser avec les services de police ou l'administration pénitentiaire, invitant le Sénat à trouver un juste équilibre entre ces différents impératifs.

Partageant avec les députés le souci d'ouverture de la magistrature, le Gouvernement a accepté la mobilité obligatoire pour les magistrats introduite par l'Assemblée nationale, cette mobilité conditionnant l'accès aux fonctions les plus élevées de la magistrature (environ 10 % du corps judiciaire). Il a constaté que cette mesure s'inscrivait dans le cadre de la réflexion demandée au Premier Président de la Cour de Cassation, sur la formation spécifique des chefs de juridiction.

Jugeant sensible l'adaptation du régime disciplinaire des magistrats, car liée à l'indépendance de l'autorité judiciaire, M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice, a indiqué que la réforme proposée s'inscrivait dans les limites posées par l'avis du Conseil d'Etat du 19 octobre dernier.

Il a précisé que l'amendement adopté par l'Assemblée nationale prévoyait de sanctionner la violation grave et intentionnelle par un magistrat des règles de procédure constituant des garanties essentielles des droits des parties, commise dans le cadre d'une instance close par une décision de justice devenue définitive :

- le critère de la violation intentionnelle signifie que le magistrat, consciemment, n'a pas respecté les règles de procédure ;

- la référence à la violation grave permet de tenir compte des conditions matérielles d'exercice des fonctions judiciaires, qui contraignent parfois à s'écarter délibérément de certaines règles procédurales ; le manque de greffiers au sein des juridictions peut par exemple contraindre un juge des enfants à statuer seul dans son cabinet en matière d'assistance éducative, et ainsi, à commettre une violation intentionnelle d'une garantie essentielle des droits des parties, sans que cette violation soit grave, une violation grave devant être interprétée comme faisant grief à une partie en la privant d'un moyen de défense ou nuisant à l'impartialité du juge ;

- la prise en considération des garanties essentielles des parties pour décider de sanctionner un magistrat permet d'éviter la paralysie de la justice, en autorisant par exemple l'engagement d'une action disciplinaire à l'encontre d'un magistrat ayant convoqué un avocat par une lettre simple plutôt que par une lettre recommandée ;

-  l'exigence d'une violation intervenant dans le cadre d'une instance close par une décision de justice devenue définitive pour sanctionner le magistrat répond aux remarques du Conseil d'Etat pour lequel, d'une part, l'absence de cette mention introduit un risque de confusion entre l'office des juges d'appel et de cassation et celui du juge disciplinaire et, d'autre part, le conseil supérieur de la magistrature (CSM) ne doit pouvoir statuer en matière disciplinaire qu'une fois la procédure judiciaire close.

Il a ajouté que la solution retenue permettrait d'éviter que la voie disciplinaire ne puisse être utilisée dans le cadre d'une instance en cours pour déstabiliser un magistrat et que la rédaction adoptée s'inscrivait dans le respect des principes de séparation des pouvoirs et d'indépendance de l'autorité judiciaire.

Rappelant que l'Assemblée nationale avait souhaité, avec l'accord du Gouvernement, que le CSM soit chargé d'élaborer et de rendre public un recueil des obligations déontologiques des magistrats, M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice, a souligné que cette innovation renforcerait l'effectivité de la responsabilité des magistrats.

Estimant que les événements récents avaient démontré l'inaptitude de certains magistrats à exercer l'ensemble des fonctions judiciaires, il a jugé opportun, lorsque l'encadrement d'un magistrat était nécessaire, de lui interdire , pour une durée déterminée, d'exercer des fonctions à juge unique.

Dénonçant l'impossibilité actuelle d'écarter immédiatement de l'exercice de toute fonction juridictionnelle un magistrat dont le comportement révèle des problèmes pathologiques, il a jugé utile de permettre au garde des sceaux, sur avis conforme du CSM, de suspendre de ses fonctions un magistrat dont le comportement justifie la saisine du comité médical, appelé à statuer dans un délai de six mois.

Il a rappelé la volonté des Français de voir développés les contrôles externes sur le fonctionnement de l'autorité judiciaire.

Constatant qu'il n'existait pas en l'état du droit, d'autorité extérieure à l'institution judiciaire habilitée à recueillir, examiner et donner suite aux réclamations des justiciables sur les dysfonctionnements de la justice liés au comportement des magistrats, il a jugé utile de confier cette tâche au Médiateur de la République, institution désormais connue et respectée par les Français.

Rappelant qu'en 2004, 23 % des 57.000 dossiers dont le Médiateur avait été saisi concernaient un dysfonctionnement de la justice, il a constaté l'écho important que recueillait chaque année dans l'opinion son rapport d'activité et la rigueur dont il faisait preuve à la fois dans le traitement des saisines et dans les conclusions qu'il en tire.

Le Médiateur de la République lui a semblé la seule autorité compétente pour recevoir les réclamations émanant de toute personne mettant en cause le comportement d'un magistrat. Celui-ci pourra transmettre au garde des sceaux une réclamation jugée sérieuse et si ce dernier décide de ne pas engager de poursuites disciplinaires, il devra en informer le Médiateur par une décision motivée.

Afin de donner un caractère public et officiel à une éventuelle saisine du garde des sceaux par le Médiateur, il a indiqué qu'à la suite des réponses de ce dernier, un rapport spécial établi par cette autorité serait publié au journal officiel.

Il a rappelé que conformément à la volonté des députés de renforcer l'information du Médiateur pour lui permettre d'identifier les réclamations « sérieuses », le Médiateur pourrait demander aux chefs de cour d'appel tous les éléments d'information utiles à ses investigations, ajoutant que la Chancellerie mettrait à sa disposition les moyens nécessaires pour faire face à ses nouvelles missions.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice, a conclu son propos en soulignant que les textes soumis à l'examen du Sénat constituaient un rééquilibrage majeur de la procédure pénale et un approfondissement de la responsabilité des magistrats, et qu'ils permettraient à l'institution judiciaire d'intervenir de façon plus transparente et mieux comprise des justiciables, dans un plus grand respect des droits des parties.

Se déclarant favorable à l'institution de la collégialité en matière d'instruction, M. François Zocchetto, rapporteur, s'est demandé s'il ne serait pas possible de réduire le délai d'entrée en vigueur de cette réforme essentielle, actuellement fixé à cinq ans, en procédant notamment à un redéploiement des magistrats.

Après s'être réjoui du renforcement des pouvoirs des chambres de l'instruction en matière de contrôle des décisions des juges d'instruction, en particulier par la possibilité d'effectuer un examen régulier de l'ensemble de la procédure de détention provisoire, il a souhaité savoir dans quel délai les effectifs des chambres de l'instruction seraient accrus à cet effet, se faisant l'écho des craintes formulées par certains magistrats entendus en audition.

Rappelant que le projet de loi prévoyait l'obligation d'enregistrement audiovisuel des gardes à vue et des auditions des personnes mises en examen devant le juge d'instruction pour les seules affaires criminelles, M. François Zocchetto, rapporteur, s'est également demandé si le changement de qualification de l'infraction au cours de l'enquête ou de l'instruction ne risquerait pas de frapper la procédure de nullité.

Il s'est enfin interrogé sur l'opportunité de conserver le critère de l'ordre public pour décider de la détention provisoire d'une personne mise en examen.

Après avoir salué l'amendement des députés tendant à mettre en place un recueil des obligations déontologiques des magistrats, M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur du projet de loi organique, s'est interrogé sur la définition de la faute disciplinaire proposée par le texte, considérant qu'en prévoyant que l'instance devait être close avant de pouvoir engager la responsabilité du magistrat, la rédaction proposée par l'Assemblée nationale risquait de conduire à ne sanctionner la faute du magistrat que très longtemps après sa commission. Il s'est prononcé en faveur d'une réforme ambitieuse mais réaliste de la formation et de la mobilité des magistrats. Tout en soulignant le rôle reconnu du Médiateur de la République, il a jugé complexe la procédure, introduite par l'Assemblée nationale, pour l'examen des plaintes des justiciables, le Médiateur, saisi par un parlementaire, ayant désormais la possibilité de solliciter des chefs de cour d'appel tous éléments d'informations utiles avant de saisir, le cas échéant, le garde des sceaux. Après avoir manifesté son hostilité à la saisine directe du CSM par le Médiateur, proposée par le rapport d'enquête de l'Assemblée nationale sur les dysfonctionnements de l'affaire Outreau, il a jugé utile de mettre en place un filtrage, composé de personnalités qualifiées, placé auprès du garde des sceaux, et chargé de traiter les réclamations.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice, a tout d'abord rappelé que la collégialité de l'instruction avait déjà été adoptée par le Parlement, à l'initiative de M. Robert Badinter, alors garde des sceaux, dans une loi du 10 décembre 1985 portant réforme de la procédure d'instruction en matière pénale qui n'est toutefois jamais entrée en vigueur, et que la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur l'affaire d'Outreau tenait beaucoup à l'instauration de cette collégialité.

Il a expliqué que cette réforme nécessitait toutefois du temps pour effectuer les recrutements et assurer la formation des magistrats. Faisant remarquer que de nombreux départs à la retraite devraient intervenir au cours des prochaines années et que, si le nombre de magistrats paraissait aujourd'hui satisfaisant, il n'en était pas de même pour les fonctionnaires des greffes, il a estimé qu'un délai de cinq ans pour l'instauration de la collégialité de l'instruction était réaliste.

Prenant pour exemple son expérience locale, il a mis en évidence les difficultés de mise en place de cette collégialité sur l'ensemble du territoire national, même si un poste de juge d'instruction était maintenu dans chaque tribunal de grande instance. Il a affirmé que cette réforme engendrerait nécessairement un recrutement supplémentaire de magistrats, le nombre de postes devant être créés étant estimé à 70, pour les seules chambres de l'instruction.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice , a ensuite indiqué que le maintien du critère de l'ordre public pour prononcer la détention provisoire s'expliquait principalement par la volonté de conserver la possibilité de mettre en détention des personnes mises en examen dans le cadre de violences urbaines.

Il s'est félicité que, conformément à l'objectif poursuivi depuis son arrivée au ministère de la justice, la détention provisoire ait baissé de 10 %.

Il a également estimé que le changement de qualification de l'infraction au cours de l'enquête ou de l'instruction ne devrait en aucun cas conduire à la nullité de l'interrogatoire de la personne gardée à vue ou de l'audition du mis en examen devant le juge d'instruction s'ils n'ont pas fait l'objet d'un enregistrement audiovisuel, la procédure ayant été respectée au regard de la qualification retenue au moment de l'interrogatoire ou de l'audition.

Partageant l'analyse de M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur, sur la nécessité de préciser la faute disciplinaire pour donner une plus grande efficacité au dispositif, M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice , s'est en revanche déclaré hostile à la création d'une nouvelle « commission Théodule » qui aurait vocation à examiner les plaintes des justiciables, faisant valoir que le projet de loi organique proposait de confier cette mission à une institution connue et appréciée des Français, sans porter atteinte aux prérogatives des chefs de cour d'appel et du garde des sceaux, seules autorités habilitées à saisir le CSM.

M. Michel Dreyfus-Schmidt a émis des doutes sur le bien fondé de l'enregistrement des gardes à vue et des auditions des mis en examen devant le juge d'instruction, arguant du fait que les enregistrements actuellement effectués n'étaient que très rarement consultés.

Il a souhaité que le président de la chambre de l'instruction ne dispose plus de compétences propres, avant d'affirmer que les chambres de l'instruction ne contredisent presque jamais les décisions prises par les juges d'instruction.

Après avoir plaidé pour la mise en place d'une commission d'instruction des plaintes compétente pour saisir le CSM en matière disciplinaire, M. Michel Dreyfus-Schmidt a estimé nécessaire de prévoir une procédure d'urgence pour suspendre de ses fonctions un magistrat atteint de troubles pathologiques. Il a souhaité la publicité des avis du Conseil d'Etat et a jugé inopportuns les nouveaux pouvoirs dévolus au Médiateur en matière disciplinaire.

Il s'est enfin déclaré favorable aux autres dispositions de la réforme.

M. Patrice Gélard a relevé le grand nombre d'auditeurs de justice n'ayant pas suivi d'études de droit. Regrettant le caractère inadapté de la formation dispensée aux étudiants en droit dans le cadre des Instituts d'Etudes Judiciaires (IEJ), il s'est prononcé en faveur d'une formation juridique commune à tous les professionnels du droit à l'instar de l'Allemagne. Il a relevé que les Instituts d'Etudes Politiques (IEP) avaient su mettre en place des préparations efficaces au concours d'entrée à l'Ecole Nationale de la Magistrature (ENM). Il a souhaité qu'une réflexion s'engage pour que l'Université suscite davantage de vocations vers les carrières judiciaires.

Partageant le point de vue de M. Patrice Gélard sur la situation des IEJ, M. Robert Badinter a indiqué que l'instauration d'un double filtre des parlementaires puis du Médiateur pour l'examen des plaintes des justiciables compliquait la procédure, la plupart des plaintes étant aujourd'hui directement adressées aux chefs de cour ou au garde des sceaux.

Rappelant que les dysfonctionnements de la justice dans l'affaire « Grégory » reposaient sur les mêmes causes que ceux constatés dans l'affaire d'Outreau, M. Robert Badinter a estimé que le système judiciaire ne pouvait fonctionner qu'avec une collégialité de l'instruction ou l'instauration de la procédure accusatoire, difficilement intégrable au système français.

Estimant qu'il convenait de rompre avec la solitude du juge d'instruction, il a affirmé que la collégialité de l'instruction ne pouvait réussir qu'accompagnée d'une réforme de la carte judiciaire, sinon il serait difficile d'affecter des juges d'instruction qui n'auraient plus à traiter des affaires criminelles.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat a appelé de ses voeux une réforme plus globale de la justice, regrettant l'insuffisance des crédits alloués à l'institution judiciaire. S'agissant de la garde à vue, elle a marqué sa préférence pour la présence de l'avocat plutôt que pour l'enregistrement audiovisuel systématique. Elle a souhaité qu'une réflexion s'engage sur les pouvoirs du Médiateur, récemment étendus aux prisons, ainsi que sur l'opportunité de maintenir le filtre parlementaire préalable à la saisine du Médiateur.

Elle a également souhaité qu'en matière de détention provisoire le critère de l'ordre public soit supprimé et que soit instauré un délai butoir.

Evoquant des avis récents du CSM s'opposant à la nomination au siège de magistrats du parquet, Mme Catherine Troendle a rappelé l'attachement des magistrats à l'unicité du corps de la magistrature et à la mobilité des carrières entre le siège et le parquet. Elle s'est interrogée sur l'opportunité d'une réforme de la composition et du mode de fonctionnement du CSM.

M. Jean-René Lecerf a jugé que la saisine directe du Médiateur permettrait d'éviter qu'un parlementaire n'enclenche, même indirectement, une procédure disciplinaire à l'encontre d'un magistrat. Relevant que les dysfonctionnements judiciaires n'étaient pas toujours imputables aux magistrats, il s'est interrogé sur la possibilité d'ouvrir au Médiateur l'instruction des plaintes concernant les autres acteurs de l'institution judiciaire (notaires, huissiers...).

Jugeant pertinentes les analyses de M. Patrice Gélard sur la qualité des centres de préparations des IEJ et IEP, M. Hugues Portelli a estimé nécessaire, pour le recrutement des magistrats, de valoriser les parcours professionnels et l'expérience de la vie, plutôt que la réussite au concours de l'ENM. Il a également prôné le renforcement de la formation continue des magistrats et une réflexion sur la fusion des deux ordres de juridiction (administratif et judiciaire), dans un souci d'efficacité et de rationalité.

M. Pierre Fauchon a considéré que la dualité de juridictions, legs historique souvent mal compris des Français, posait de nombreux problèmes pratiques. A cet égard, il a appelé de ses voeux l'unification du droit public et du droit privé, à l'instar de l'évolution amorcée en matière de dommages causés par des véhicules automobiles. Il a indiqué que la faculté de discernement, qualité première de tout magistrat, n'était pas nécessairement révélée par la réussite à un concours, faisant observer que dans le système britannique les juges étaient recrutés généralement parmi d'anciens avocats ayant démontré des compétences professionnelles et des qualités humaines certaines.

Insistant sur l'importance majeure de la prise en compte de la parole de l'enfant dans les affaires concernant des infractions de nature sexuelle, M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice , a indiqué que le non respect de l'obligation légale d'enregistrement audiovisuel des auditions des mineurs victimes constituait l'un des dysfonctionnements essentiels de l'affaire d'Outreau.

Souscrivant aux propos de M. Robert Badinter qui a précisé qu'il convenait de prendre toutes les précautions souhaitables pour le recueil de la parole de l'enfant, qui dit « sa » vérité, M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice , a salué la qualité et le savoir-faire des services judiciaires et hospitaliers spécialisés dans l'accueil des mineurs victimes et le recueil de leurs déclarations.

Il s'est ensuite déclaré défavorable à la suppression des pouvoirs propres du président de la chambre de l'instruction.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice, s'est déclaré ouvert sur la saisine directe du Médiateur par les citoyens, rappelant qu'un tiers des plaintes sont aujourd'hui adressées sans passer par un parlementaire. Il a jugé opportun que le Parlement débatte de cette question, rappelant l'attachement de certains députés à la saisine par voie parlementaire. Il a souligné que la réussite des étudiants formés dans les IEP aux concours de l'ENM -d'ailleurs très bien classés- démontrait qu'ils recevaient une formation juridique appropriée. Quant à la publicité des avis consultatifs du Conseil d'Etat, il a indiqué que la décision appartenait au Premier Ministre, président de cette institution.

Il a renouvelé son attachement à un délai de cinq ans pour l'entrée en vigueur de la collégialité de l'instruction, afin de procéder aux actions de formation et aux recrutements nécessaires, tout en rappelant les difficultés de mise en oeuvre de la réforme sur l'ensemble du territoire national.

Mme Borvo Cohen-Seat s'est prononcée en faveur d'une réforme de la composition du CSM.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice, a constaté l'absence de consensus sur la réforme de la composition du CSM, l'indépendance du parquet et la séparation des carrières entre le siège et le parquet, et a souligné que ces réformes ne répondaient pas aux dysfonctionnements apparus au cours de l'affaire d'Outreau. Il fait valoir, par ailleurs, que, fait sans précédent, le budget de la justice avait progressé de 38 % en cinq ans, contre 22 % lors de la précédente législature. Il a souhaité qu'une loi de programmation pour garantir des moyens de fonctionnement suffisants à l'institution judiciaire soit votée lors de la prochaine législature.

Après s'être félicité de l'augmentation du budget consacré à la justice dans le budget de l'Etat, passé de 1,2 % en 1986 à 2,2 % en 2006, M. Robert Badinter a déploré son niveau encore trop modeste.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice, a salué la qualité de la formation dispensée à l'ENM, évoquant le manque d'attractivité des voies parallèles, compte tenu des écarts de rémunérations. Il s'est déclaré favorable à l'ouverture de la magistrature à des profils plus diversifiés, permettant par exemple à une directrice des relations humaines d'une grande entreprise de terminer sa carrière à la chambre sociale de la Cour de cassation.

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