2. La Haute Cour de justice : une instance de jugement inadaptée

Le titre IX de la Constitution définit une procédure de jugement du chef de l'Etat. L'article 68 prévoit en effet d'une part que le Président de la République « ne peut être mis en accusation que par les deux assemblées statuant par un vote identique au scrutin public et à la majorité des membres les composant » et, d'autre part, qu'« il est jugé par la Haute Cour de justice ».

Ces dispositions soulèvent une double interrogation, quant aux peines que peut prononcer la Haute Cour de justice et quant au caractère juridictionnel de la procédure .

S'agissant des sanctions susceptibles d'être prononcées pour le cas de haute trahison, la question se posait déjà sous la IIIème République, la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 organisant une procédure de nature juridictionnelle (art. 12) 29 ( * ) . Barthélémy et Duez déduisaient de cette imprécision une entière liberté des juges pour déterminer la sanction 30 ( * ) .

Ayant à juger le ministre Malvy, le Sénat constitué en Cour de justice s'estima d'ailleurs compétent pour qualifier les faits reprochés et pour décider en conséquence de la peine qui leur était applicable 31 ( * ) . Ministre de l'intérieur, Malvy fut accusé d'avoir renseigné l'Allemagne sur certains projets militaires et provoqué des mutineries au sein de l'armée française. Le 28 novembre 1917, la Chambre des députés le renvoie devant le Sénat constitué en Cour de justice, pour crime de trahison tel que le définissait le code pénal. Cependant, la Cour de justice condamne, le 6 août 1918, Malvy à cinq ans de bannissement pour avoir, dans l'exercice de ses fonctions, « méconnu, violé et trahi les devoirs de sa charge, dans des conditions le constituant en état de forfaiture ».

Sous la Vème République, la rédaction de l'article 68 antérieure à la révision constitutionnelle de juillet 1993 montre que le constituant a souhaité affirmer la souveraineté de la Haute Cour de justice à cet égard.

La confusion issue du caractère juridictionnel d'une procédure visant en fait à mettre en jeu la responsabilité du chef de l'Etat pour des manquements aux devoirs de sa charge rend indispensable une clarification.

L'article 67 de la Constitution institue une Haute Cour de justice composée de membres élus « en leur sein et en nombre égal, par l'Assemblée nationale et par le Sénat après chaque renouvellement général ou partiel de ces assemblées. La Haute Cour de justice élit son président parmi ses membres. »

La Constitution renvoie à une loi organique la composition, les règles de fonctionnement et la procédure applicable devant la Haute Cour de justice. Ainsi, l'ordonnance n°59-1 du 2 janvier 1959 portant loi organique sur la Haute Cour de justice prévoit que celle-ci se compose de 24 juges titulaires et de 12 juges suppléants, chaque assemblée élisant respectivement la moitié de cet effectif (art. 2). La commission d'instruction est composée de 5 membres titulaires et deux suppléants, désignés chaque année par le bureau de la Cour de cassation parmi les magistrats du siège de cette juridiction (art. 12) 32 ( * ) . Le ministère public est exercé par le procureur général près la Cour de cassation, assisté par le premier avocat général et deux avocats généraux qu'il désigne (art.13). La Haute Cour est par ailleurs dotée d'un greffe, assuré par le greffier en chef de la Cour de cassation (art. 14).

Tout contribue donc à donner à la Haute Cour de justice un caractère juridictionnel, en dépit du contenu essentiellement politique de la seule incrimination dont elle puisse connaître et de l'absence de définition des peines qu'elle pourrait prononcer.

Ainsi, Dominique Chagnollaud estime qu'« étant indéfinie, la haute trahison contrarie le principe de légalité des infractions, tout autant que celui de la légalité des peines, (sauf la destitution) tandis que les arrêts de la Haute Cour -haute trahison ou pas- ne sont pas susceptibles d'appel. Sur tous ces points, au regard de la Convention européenne des droits de l'homme, cette juridiction a déjà vécu » 33 ( * ) .

La commission Avril souligne d'ailleurs que le titre IX de la Constitution organise une « justice politique » et observe que « le rapprochement de ces deux termes évoque la figure de rhétorique qu'on appelle un oxymore ».

Par conséquent, la nécessité d'établir une procédure politique et non judiciaire de mise en cause de la responsabilité du Président de la République rend également indispensable la référence à un organe politique légitime. En effet, il ne s'agit pas de juger une personne, mais d'apprécier une situation politique. Il ne s'agit pas de prononcer une peine mais de mettre fin au mandat que la personne n'est plus en mesure d'exercer en raison des manquements à ses devoirs.

Les immunités politiques

L'immunité est une protection permettant à une personne, en raison d'une qualité officielle (chef d'État, parlementaire...) de ne pas être soumise à l'application du droit commun. L'irresponsabilité et l'inviolabilité constituent deux immunités distinctes .

L'irresponsabilité du chef de l'État est l'immunité de fond en vertu de laquelle celui-ci n'a pas à répondre des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions, ni devant le Parlement ou le peuple, ni devant la justice (sauf en cas de haute trahison, et avec un privilège de juridiction, selon le dispositif initial de l'article 68 de la Constitution).

L'inviolabilité est une immunité de procédure, protégeant le titulaire d'une qualité officielle à l'égard des poursuites judiciaires et de toute mesure privative ou restrictive de liberté.

* 29 Le Président de la République et les ministres devaient être jugés par le Sénat.

* 30 J. Barthélémy et P. Duez, Traité de droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 1933, p.620.

* 31 Cf. Thierry Ablard, Le statut pénal du chef de l'Etat, Revue française de droit constitutionnel, n° 51, 2002, p.660.

* 32 Le procureur général et le premier avocat général ne participent pas à cette élection.

* 33 Dominique Chagnollaud, La Cour de cassation et la responsabilité pénale du chef de l'Etat ou les dominos constitutionnels, Revue du droit public, n° 6, 2001, p. 1619.

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