EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est saisi, à la demande du groupe Rassemblement démocratique, social et européen (RDSE) qui en a sollicité l'examen en première lecture au cours de la séance mensuelle réservée du 13 février 2007, de la proposition de loi n° 156 (2006-2007) de M. Nicolas Alfonsi tendant à modifier certaines dispositions relatives au fonctionnement de la collectivité territoriale de Corse.

Ce texte reprend en premier lieu des amendements sur des dispositions techniques que notre collègue Nicolas Alfonsi avait déposé lors de la discussion en première lecture au Sénat de la loi n° 2007-128 tendant à promouvoir l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives et qui constituaient manifestement des « cavaliers ».

Votre rapporteur, également rapporteur de ce texte, avait recommandé à notre collègue de retirer ses amendements et de les transformer en une proposition de loi qui pourrait être discutée lors d'une séance mensuelle réservée.

Toutefois, le présent texte ne constitue pas une simple reprise de ces amendements puisqu'il préconise en outre et surtout une modification du mode de scrutin de l'Assemblée de Corse.

En 1982, 1991, 2002 et 2003 dans le cadre de la révision constitutionnelle relative à l'organisation décentralisée de la République, le Gouvernement et le Parlement ont adopté des dispositions institutionnelles, tant pour répondre aux difficultés spécifiques de l'île que pour concilier les particularités de la collectivité avec son attachement à la République.

Comme le rappelait notre collègue Paul Girod en 2001, le statut particulier de la Corse a valu à cette dernière « le qualificatif de « laboratoire institutionnel »...dont elle se serait parfois bien passée . » 2 ( * )

Simultanément, au gré de cette évolution spécifique de la Corse et des transferts de compétences liés au processus de décentralisation, les prérogatives de l'Assemblée de Corse ont été progressivement affirmées.

Depuis 1991, l'organisation institutionnelle inédite de la Corse repose sur un dialogue permanent entre un conseil exécutif, qui dirige l'action de la collectivité, et l'Assemblée de Corse , dotée d'un nouveau mode de scrutin destiné à assurer l'existence de majorités stables de gestion, qui règle par ses délibérations les affaires de la Corse.

Or, selon l'exposé des motifs du présent texte, « la loi du 13 mai 1991 (statut Joxe), s'inspirant d'un parlementarisme rationalisé qui n'avait pas lieu d'être, a séparé les fonctions de Président du conseil exécutif de celles de président de l'Assemblée de Corse, créant un bicéphalisme le plus souvent source de confusion ».

Votre commission considère toutefois que la remise en cause éventuelle du statut de la Corse n'est pas d'actualité, la collectivité ayant dans l'immédiat avant tout besoin de stabilité pour assurer son développement.

La présente proposition de loi ne constitue d'ailleurs pas une refonte du statut. Elle préconise en revanche d'adapter le mode de scrutin de l'Assemblée de Corse, qui a montré ses limites , rendant impossible l'émergence d'une majorité stable au sein de l'Assemblée et entravant par conséquent un développement efficace de la collectivité territoriale de Corse.

La réforme prévue tend à permettre aux seules formations politiques représentatives de siéger à l'Assemblée et à y garantir une majorité stable de gestion.

Votre commission constate que l'objectif du présent texte est légitime et, de surcroît, partagé par les parlementaires de Corse. Consciente de l'impossibilité d'adopter ce texte à l'Assemblée nationale avant la fin de la législature, elle considère qu'il constitue néanmoins une base sérieuse de discussion pour la modification à venir du mode de scrutin de l'Assemblée de Corse. En cas d'adoption par le Sénat, il pourra être transmis à l'Assemblée nationale à l'ouverture de la prochaine législature.

Elle insiste sur le fait que les propositions qu'elle contient devront être soumises pour consultation à l'Assemblée de Corse, afin de permettre à cette dernière de s'exprimer sur le changement de son mode d'élection.

En complément, la proposition de loi soumise à votre examen préconise certains aménagements techniques supposés faciliter le fonctionnement de l'Assemblée de Corse et du conseil exécutif de Corse.

I. AU CoeUR DE L'ORGANISATION INSTITUTIONNELLE CORSE, L'ASSEMBLÉE DE CORSE S'AFFIRME PROGRESSIVEMENT MAIS SON MODE D'ÉLECTION DEMEURE CONTESTÉ

A. UN ÉQUILIBRE INSTITUTIONNEL SPÉCIFIQUE FONDÉ SUR LE DIALOGUE ENTRE L'ASSEMBLÉE DE CORSE ET LE CONSEIL EXÉCUTIF

1. L'Assemblée de Corse a été dotée de compétences croissantes pour favoriser le développement de la collectivité territoriale de Corse

a) La Corse est une collectivité à statut particulier

Comme le rappelait notre collègue Jean-Patrick Courtois en 2003 3 ( * ) , la situation de la Corse est spécifique : « les particularités de la Corse par rapport au reste du territoire français résultent non seulement « de son insularité et de son relief, de son histoire et de sa culture », mais également d'une mise en cause récurrente et inacceptable de la légalité républicaine et d'un développement économique insuffisant ».

La singularité géographique de la collectivité est évidente, puisqu'elle est une île, et même « une montagne dans la mer ».

Sa singularité historique et culturelle, qui se mêle à un attachement indéfectible à la France (lors de la période coloniale ou des deux guerres mondiales, le patriotisme des Corses a été notable. Il s'est accompagné d'un engagement important des Corses dans les métiers du service public, civil ou militaire), résulte des influences différentes qui s'y sont succédées (Grecs ; Gênois ; Français...).

La Corse connaît en outre un développement économique fragile (faible industrialisation...). Le produit intérieur brut de la Corse est le plus faible des régions françaises (5.845 millions d'euros en 2005). La part des emplois publics dans l'emploi salarié est élevée (35%). Toutefois, au cours des dernières années, cette situation a connu une amélioration progressive en particulier sous l'effet du dynamisme des secteurs du commerce de détail et du bâtiment.

Enfin, la Corse connaît une mise en cause récurrente de la légalité républicaine. La violence en Corse constitue un phénomène déjà ancien, qui diminue mais persiste. A titre d'exemple, 766 attentats par explosif étaient recensés en 1982, 333 en 1993, 215 en 2005 et 168 au premier semestre 2006.

Aussi, au cours de ces dernières années, le Gouvernement et le législateur ont cherché à adapter l'organisation institutionnelle de la collectivité pour lui conférer de larges prérogatives lui permettant de faire face à ses difficultés particulières et d'assurer son développement tout en maintenant son « ancrage » dans la République française. La succession des textes statutaires au cours de ces dernières années (1982, 1991, 2002,...) met en lumière leurs hésitations pour parvenir au bon équilibre.

La loi n°75-356 du 15 mai 1975 sur le territoire de Corse a rétabli la « bi-départementalisation » de la Corse (départements de Corse-du-Sud et de Haute-Corse).

Les lois n°82-214 du 2 mars 1982 (organisation administrative) et n°82-659 du 30 juillet 1982 (compétences) ont donné à la Corse un statut particulier 4 ( * ) .

Son organe délibérant a alors reçu une appellation inédite dans les autres collectivités territoriales : l'Assemblée de Corse .

La loi du 2 mars 1982 a permis à cette dernière de saisir le Premier ministre de propositions de modification ou d'adaptation des dispositions législatives et réglementaires. Cette loi a en outre permis à l'Assemblée de créer des établissements publics (offices et agences).

La loi du 30 juillet 1982 a conféré à la Corse de larges compétences dont la plupart ont été généralisées par la suite  : agriculture ; aménagement du territoire et urbanisme ; communication, culture et environnement ; éducation et formation ; emploi ; énergie ; logement ; transports.

A la différence des régions toutefois, la collectivité peut créer des offices , qui sont des établissements publics à caractère industriel et commercial sous sa tutelle (exemples de l'office du développement agricole et rural ou de l'office des transports).

b) Une organisation des pouvoirs inédite au niveau régional, des pouvoirs importants

La loi du 13 mai 1991 a érigé la Corse en collectivité territoriale à statut particulier 5 ( * ) , la dotant en outre d'une organisation inédite en France métropolitaine tenant compte des imperfections du droit en vigueur (absence d'exécutif cohérent...). Cette organisation est caractérisée par :

- une assemblée élue au suffrage universel (l'Assemblée de Corse), organiquement séparée d'un exécutif élu en son sein (le conseil exécutif de Corse) et aux compétences larges ;

- la possibilité pour l'Assemblée de Corse de mettre en cause la responsabilité politique du conseil exécutif de Corse par une motion dite de « défiance constructive » ;

- l'institution d'un conseil économique, social et culturel de Corse. Cette compétence culturelle a été étendue depuis à l'ensemble des conseils économiques et sociaux des régions.

En outre, de nouvelles compétences dans divers domaines (agriculture ; éducation ; communication ; culture ; énergie ; logement ; tourisme...) ont été transférées à la collectivité de Corse. Les offices ont été rattachés à la collectivité territoriale et de nouveaux organismes ont été créés (office de l'environnement ; agence du tourisme). Chaque office ou agence est présidé par un membre du conseil exécutif.

A la suite du processus de négociations entre l'Etat et les élus de l'Assemblée de Corse dit « de Matignon », la loi n° 2002-92 du 22 janvier 2002 a encore renforcé les compétences de la collectivité territoriale de Corse et accompagné cette évolution par diverses mesures, notamment fiscales, destinées à favoriser le développement économique de la Corse.

La collectivité jouit désormais d'un pouvoir réglementaire dans ses domaines de compétences, sur habilitation du législateur , pour « fixer des règles adaptées aux spécificités de l'île sauf lorsque est en cause l'exercice d'une liberté individuelle ou d'un droit fondamental ».

Elle est chargée d'élaborer le plan de développement et d'aménagement durable de la Corse (PADDUC).

Avec l'Etat, elle élabore et veille à la mise en oeuvre du programme exceptionnel d'investissements (PEI), qui est destiné « à aider la Corse à surmonter les handicaps naturels que constituent son relief et son insularité et à résorber son déficit en équipements et services collectifs ».

La collectivité territoriale de Corse est désormais pleinement compétente pour : l'élaboration et l'adoption de la carte scolaire ; la construction et le financement des bâtiments universitaires ; la promotion des activités sportives et d'éducation populaire ; l'action culturelle ; le tourisme ; la gestion des forêts domaniales, des ports et des aéroports principaux ; la gestion des ressources en eau ; la définition des aides aux entreprises 6 ( * ) .

Dans les domaines de l'agriculture et de la pêche, de l'environnement et de la gestion du patrimoine historique, les compétences sont partagées avec l'Etat.

Pour accompagner ces transferts de compétences, l'Etat a transféré des moyens (81 agents ; crédits de fonctionnement et d'investissement) et des biens (réseau ferré ; forêts et terrains boisés du domaine privé de l'Etat...).

En outre, la « deuxième étape de la décentralisation » , symbolisée par la révision constitutionnelle relative à l'organisation décentralisée de la République 7 ( * ) , qui a conféré de nouvelles compétences aux collectivités territoriales (pouvoir réglementaire des collectivités dans leur domaine de compétence ; droit à l'expérimentation pour déroger aux lois et règlements encadrant ces compétences ; autonomie financière ; droit de pétition ; droit d'organiser un référendum local à valeur décisionnelle ou une consultation locale...) a bénéficié à la Corse comme aux autres collectivités territoriales de la République .

L'Assemblée de Corse aurait pu bénéficier de prérogatives supplémentaires et d'une nouvelle organisation institutionnelle si le projet de réforme statutaire soumis aux électeurs corses lors d'une consultation locale , le 6 juillet 2003 n'avait pas été rejeté par eux.

Ce statut aurait mis fin à la « bi-départementalisation » de la Corse et aurait instauré une architecture institutionnelle inédite. La collectivité unique aurait d'une part, réuni compétences et services de l'actuelle collectivité de Corse et des deux départements et, d'autre part, été subdivisée en deux conseils territoriaux correspondant aux anciens départements, amenés à mettre en oeuvre ses politiques.

Selon le texte soumis aux électeurs, « les membres de l'Assemblée de Corse et des deux conseils territoriaux (auraient été) élus dans le cadre d'une seule circonscription électorale correspondant à l'ensemble de la Corse.

L'élection (aurait eu) lieu au scrutin de liste à la représentation proportionnelle, avec attribution d'une prime majoritaire, dans le cadre de secteurs géographiques. Elle (aurait été) organisée sur une base essentiellement démographique. Le mode de scrutin (aurait permis) à la fois la représentation des territoires et celle des populations. Il (aurait garanti) le respect du principe de parité entre hommes et femmes en imposant que chaque liste de candidats soit composée alternativement d'un candidat de chaque sexe. »

Cependant, 51% des électeurs qui se sont exprimés ont refusé une telle évolution 8 ( * ) . Ce résultat, qui par définition avait valeur consultative, a toutefois amené le Gouvernement à renoncer à son projet de réforme.

* 2 Rapport n° 49 (2001-2002) au nom de la commission spéciale constituée sur le projet de loi relatif à la Corse.

* 3 Rapport n° 277 (2002-2003) au nom de la commission des Lois, sur le projet de loi organisant une consultation des électeurs de Corse sur la modification institutionnelle de la Corse.

* 4 Dans sa décision n° 82-138 DC du 25 février 1982, le Conseil constitutionnel avait constaté que « la disposition de la Constitution aux termes de laquelle « toute autre collectivité territoriale est créée par la loi » n'exclut nullement la création de catégories de collectivités territoriales qui ne comprendraient qu'une unité... ».

* 5 Dans sa décision n° 91-290 DC du 9 mai 1991, qui avait censuré la notion de « peuple corse » contenue dans la loi, le Conseil constitutionnel avait considéré « qu'en érigeant la Corse en collectivité territoriale à statut particulier et en la substituant à la région de Corse, sans pour autant mettre en cause l'existence des deux départements créés par la loi n° 75-356 du 15 mai 1975 sur le territoire de Corse, le législateur a entendu prendre en compte les caractères spécifiques de ce dernier... ».

* 6 Pour le détail de ces compétences, voir en annexe IV.

* 7 Loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003.

* 8 Le taux de participation était de 60,52%.

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