II. LES ENSEIGNEMENTS À TIRER DANS LA PERSPECTIVE DU RENDEZ-VOUS DE 2008 SUR LES RETRAITES

A. PRIVILÉGIER LES MESURES D'ÉCONOMIES

1. Etablir un constat lucide et réaliste de la situation de l'assurance vieillesse

L'évolution à moyen et long terme des grands équilibres de l'assurance vieillesse est étroitement tributaire des comportements individuels des assurés sociaux. Or, la loi du 21 août 2003 a précisément accru leur liberté de choix, notamment de l'âge de départ en retraite. Dans ces conditions, l'établissement de prospectives constitue incontestablement un exercice difficile. Votre rapporteur constate que les principales hypothèses sur lesquelles repose l'actualisation du scénario de base du Cor publiée en octobre 2007 sont toutes favorables 11 ( * ) :

- l'estimation du décalage de l'âge moyen de départ à la retraite conduirait à terme à quelque 400 000 actifs supplémentaires ;

- le taux de chômage diminuerait et se stabiliserait à 4,5 % à partir de 2015 ;

- la croissance de la population se poursuivrait à un rythme assez élevé, sur la base d'un taux de fécondité de 1,9 enfant par femme et d'un solde migratoire positif de 100 000 par an ;

- les gains escomptés en matière d'espérance de vie seraient plus faibles que prévu en 2005, ce qui aboutirait mécaniquement à réduire le niveau des dépenses.

Votre rapporteur considère en revanche que les hypothèses de productivité restent au niveau, excessivement optimiste à son sens, de mars 2006 12 ( * ) . Ceci permet de réduire nettement les besoins prévisionnels de financement des caisses de retraite, mais n'est guère cohérent avec la moyenne récente obtenue par l'économie française (1,1 % par an).

D'une façon générale, la qualité des données prospectives souffre de l'archaïsme de l'organisation de nombreuses caisses de retraite dont l'activité consiste à encaisser des cotisations et payer des prestations.

Au-delà de ces problèmes techniques, gérer les régimes de retraite suppose de combattre certaines illusions : le refus de la réalité, la surestimation des marges de manoeuvre financière et la grande inertie des mécanismes de l'assurance vieillesse.

Le temps de réaction à la modification des paramètres d'équilibre des régimes de retraite est généralement long, jusqu'à vingt ans parfois pour enregistrer les premiers effets visibles de certaines mesures. Il faut donc agir le plus en amont possible.

Par ailleurs, la masse des réserves accumulées, lorsqu'elles existent, peut paraître élevée, mais se révèle en réalité limitée au regard de l'ampleur des déséquilibres qui attendent les régimes de retraite encore jeunes. Il en résulte parfois un sentiment trompeur de sérénité pour les gestionnaires des caisses de retraite : « En France depuis la guerre, nous vivons dans l'illusion créée par le baby-boom ; après guerre, le poids des retraites était amoindri par la pyramide des âges de l'époque. En outre, la durée de la retraite après une vie active plus longue qu'aujourd'hui (la retraite était à soixante-cinq ans) était nettement moindre car l'espérance de vie après soixante-cinq ans était plus faible. Aujourd'hui notre inconscient collectif sous-estime la modification de la pyramide des âges. Le coeur du problème des retraites tient, du fait de l'essence même du système de répartition, à la difficulté pour la société de réaliser le transfert intergénérationnel nécessaire. » 13 ( * )

2. Allonger l'horizon de la réforme jusqu'en 2040

L'horizon de la réforme dépend étroitement de la stratégie définie par les pouvoirs publics. Un régime n'est viable que s'il a une distance de sécurité que certains actuaires évaluent à environ vingt-cinq ans avant la date probable de survenance d'une crise de solvabilité. Si tel n'est pas le cas, une réforme s'impose à brève échéance.

En théorie, deux stratégies sont envisageables :


La recherche d'un équilibre absolu constitue assurément la démarche la plus ambitieuse. Elle suppose que dès la création d'un système de retraite donné, les conditions de son équilibre à long terme soient assurées. Cette technique repose sur l'idée qu'un niveau de réserve constant (en euros constants ou en années de prestations) entraînera des produits financiers eux-mêmes constants.


Le « maintien d'une distance de sécurité » est l'autre branche de l'alternative lorsque la première méthode est manifestement hors de portée . Elle consiste à repousser, au-delà d'un horizon prédéterminé, par des mesures progressives la date à laquelle une crise de solvabilité est susceptible de se produire. Cela suppose des réformes régulières qui garantissent une réduction à terme du niveau de déficit stabilisé (en phase de maturité), voire le maintien d'un excédent technique le temps que des réserves soient constituées et permettent d'atteindre, grâce aux produits financiers, un niveau d'équilibre pérenne.

Toutefois, lorsqu'un certain stade est dépassé, la « distance de sécurité » est franchie et le choc, c'est-à-dire la crise de solvabilité, constitue alors une certitude à plus ou moins long terme. La décennie perdue en raison de l'ajournement des réformes entre 1993 et 2003 et de l'entrée en vigueur progressive de certaines dispositions de la loi du 21 août 2003 devrait conduire à se fixer désormais pour objectif 2040 plutôt que 2020.

3. Ne pas surestimer les futurs excédents de l'assurance chômage

Après quatre années de déficits importants entre 2002 et 2005, le solde annuel de l'assurance chômage s'est nettement redressé en 2006 avec un excédent de 344 millions d'euros. Ce retour à l'équilibre a permis de commencer à rembourser une dette qui a culminé à plus de 13 milliards d'euros fin 2006.

en millions d'euros

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

solde de l'Unedic

1 332

247

-3 720

-4 282

-4 420

-3 192

344

situation financière au 31/12

2 947

2 105

-1 615

-5 836

-10 260

-13 452

-13 108

Source : ministère du budget

A court terme, l'Unedic prévoit un excédent de 2,99 milliards d'euros pour 2007 et de 4,71 milliards en 2008. La dette de l'assurance chômage pourrait ainsi être apurée à l'horizon 2011-2012. Cette amélioration spectaculaire conduit naturellement à envisager les conditions dans lesquelles pourrait être réalisé le transfert des futurs excédents de l'assurance chômage au profit de l'assurance vieillesse.

Le principe de cette opération avait été envisagé dès les débats parlementaires de la réforme des retraites de 2003. Elle permettrait effectivement de réduire les besoins de financement du système de retraite dans les limites suivantes :

- l'Unedic ne devrait pas être en mesure de venir en aide à la branche vieillesse avant au mieux quatre ou cinq ans ;

- l'Etat doit recueillir l'accord des partenaires sociaux qui gèrent aujourd'hui paritairement l'assurance chômage et seront donc en situation de demander des contreparties ;

- les gestionnaires de l'Unedic ont déjà décidé qu'une partie des excédents futurs sera attribuée à un fonds de régulation ;

- l'histoire enseigne que l'amélioration de la conjoncture économique suscite des revendications en faveur d'une amélioration de l'indemnisation des chômeurs. Les excédents futurs risquent donc d'être plus faibles que prévu.

Certains observateurs doutent même que l'augmentation du nombre des départs en retraite liés aux premières classes d'âge du baby-boom se traduise forcément par une baisse du taux de chômage 14 ( * ) :

« Tout d'abord, les hypothèses sur le chômage revêtent désormais une importance étonnante et déterminent largement la viabilité du financement de la réforme. En résumé, l'incertitude sur l'évolution de l'équilibre financier des régimes de retraite est accrue sauf à avoir des idées extrêmement claires sur l'évolution à venir du taux de chômage. Or, c'est loin d'être le cas et ce, d'autant qu'un grand mythe est entretenu, à savoir la baisse mécanique du taux de chômage avec la baisse de la population active consécutive à l'arrivée des baby-boomers à l'âge de la retraite. Ce recul massif et rapide du taux de chômage, qui signifierait purement et simplement la stabilité des besoins en emplois de l'économie, est en réalité plus que discutable. »

En définitive, la prudence devrait conduire à envisager le redressement de l'assurance vieillesse comme le résultat d'une priorité absolue accordée aux économies sur les dépenses. Une évolution plus dynamique des recettes serait naturellement bienvenue, mais ne pourrait y contribuer qu'à titre complémentaire, voire résiduel.

* 11 Séance plénière du 22 octobre 2007.

* 12 Le Cor a retenu une hypothèse de productivité moyenne de 1,7 % par an jusqu'en 2013 et de 1,8 % entre 2014 et 2050.

* 13 Les retraites : Libres opinions d'experts européens - ouvrage déjà cité. - Entretien avec Edmond Alphandery (p. 282).

* 14 Stéphane Hamayon et Florence Legros - Perspectives du système de retraite français : la montée des incertitudes.

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