B. PRÉSERVER LE PACTE ENTRE LES GÉNÉRATIONS

1. L'équité entre les générations, un principe menacé ?

La notion d'équilibre entre les générations est au coeur du fonctionnement de la retraite par répartition qui repose sur un contrat social : chaque génération a droit au fait que ses enfants lui assurent une retraite correspondant à celle qu'elle a assurée elle-même à ses parents. Ce contrat est passé entre les générations 1 (les parents) et 2 (les enfants) et engage la génération 3, celle des petits-enfants. Mais ses termes sont flous dans la mesure où ils ne portent ni sur le taux de remplacement, ni sur le taux de cotisations.

De plus en plus d'intervenants dans le débat public craignent que l'insuffisance des réformes réalisées jusqu'ici n'entraîne, compte tenu du vieillissement de la population, un transfert de revenu inéquitable entre les différentes générations. Les actifs d'aujourd'hui, au lieu d'épargner, tireraient ainsi une traite sur les actifs de demain et il n'est pas certain que ceux-ci accepteront de reconnaître cette créance. Il y a donc un véritable risque de répudiation.

Les jeunes valorisés d'hier sont devenus les seniors favorisés d'aujourd'hui : les premières classes d'âge du baby-boom semblent relativement épargnées.

« De cette façon, le salaire relatif (relativement à la moyenne nationale) des différentes classes d'âge met en évidence un retournement profond dans les conditions respectives des classes d'âge : les vingt-six/trente ans voient décliner leur salaire relatif à partir du début des années soixante-dix ; cinq ans plus tard, c'est au tour des trentenaires de voir fléchir leur niveau relatif, puis au début des années quatre-vingt-dix au tour des quadragénaires de l'époque. Les générations nées dans les années quarante apparaissent ainsi comme situées systématiquement au sommet d'une vague qui s'écroule pour les puînés. » (...) « En termes absolus, les nouvelles générations, celles arrivées dans le monde du travail après 1975, ont connu une stagnation de leur revenu, alors que les premiers nés du baby-boom ont bénéficié d'une croissance de l'ordre de 2 % par an par rapport à leurs prédécesseurs. » 15 ( * )

Cette thèse développée par certains universitaires est validée par la précarité des parcours professionnels des jeunes générations 16 ( * ) qui ne peut manquer d'avoir des conséquences en matière de retraite. Ainsi, un homme né en 1970 a validé en moyenne onze trimestres de moins à l'âge de trente ans que ses collègues de la génération 1950.

Age moyen d'entrée dans la vie active et « densité » des carrières

Nombre moyen de trimestres validés à 31 ans

Générations

1942

1946

1950

1954

1958

1962

1966

1970

Hommes

45

46

46

42,8

40,2

39

37

35,9

Femmes

34,8

37,5

40,1

39,5

38,5

38

36,9

35,7

2. L'émergence d'une crise de confiance chez les jeunes actifs

Une coupure générationnelle se situant autour de l'âge de quarante-cinq ans semble traverser la population française. La perception diffuse des problèmes de financement des retraites par l'opinion publique tend à remettre en cause sa vision de l'avenir des retraites.

Un sondage, réalisé en 2006 par l'Ifop pour le compte du cercle des épargnants, montrait ainsi que 61 % des Français se déclarent inquiets pour l'avenir de leur retraite.

Le conseil d'orientation des finances publiques dresse lui aussi un constat prospectif inquiétant en soulignant que les jeunes générations héritent d'une dette très supérieure à celle de leurs aînés et devront en outre financer des dépenses supplémentaires liées au vieillissement de la population : 17 ( * )

« En prenant pour base de départ la situation budgétaire de 2007 et en faisant l'hypothèse que les nouvelles dépenses liées au vieillissement s'accompagnent à due concurrence d'une augmentation du déficit, et donc de la dette, les générations à venir hériteront d'une dette insoutenable. En effet, la génération née dans les années soixante-dix a hérité d'une dette de trente-cinq points de Pib lors de son entrée dans la vie active ; la génération née en 1990 héritera d'une dette de plus de 60 %, la génération suivante d'une dette de cent points de Pib, et celle encore d'après d'une dette de 200 points de Pib, soit six fois supérieure à celle de ses arrière grands-parents ! »

Dans ces conditions, il semble indispensable de renforcer la crédibilité du système de retraite pour les jeunes actifs, non pas en augmentant les cotisations ou en cherchant à garantir un niveau moyen de taux de remplacement, ce qui est techniquement impossible à faire, mais en restaurant la pérennité financière de l'assurance vieillesse. Cela suppose de renforcer le principe de contributivité des régimes de retraite . Il semble légitime que le niveau de la retraite dépende étroitement de l'effort contributif de chacun, ce qui aujourd'hui est souvent loin d'être le cas dans notre pays.

3. La question de la progressivité du calendrier de la réforme de 2003 et de la juste contribution des « baby-boomers »

La modification de la durée de cotisation ne touche pas les membres d'une même génération de la même façon. En particulier, les personnes qui disposaient, avant la loi du 21 août 2003, du nombre de trimestres de cotisation requis, ne sont de facto pas concernées.

Comme pour la réforme de 1993, on observe une montée en charge progressive, classe d'âge après classe d'âge, de celle de 2003 18 ( * ) . On remarque en particulier que les générations les plus récentes sont de loin les plus concernées. Les simulations réalisées soulignent en effet que pour les classes d'âge 1940 à 1944, quasiment aucun individu ne sera obligé de décaler son âge de départ à la retraite et que pour les rares personnes se trouvant dans cette situation l'impact sera minime (0,1 an). En revanche, près de 25 % des assurés sociaux des générations 1955 à 1964 se trouveront dans l'obligation de cesser leur activité en moyenne 1,5 année plus tard qu'ils ne l'auraient fait avant l'entrée en vigueur de la loi du 21 août 2003.

La réforme de 2003 est marquée par une grande progressivité : en témoigne la décote dans la fonction publique qui ne sera pleinement effective qu'en 2015 pour le taux et en 2020 pour l'âge à partir duquel elle ne s'applique plus. Les ajustements nécessaires reposeront donc beaucoup sur les jeunes générations.

Ce constat conduit à poser le problème de la juste contribution passée et à venir des « baby-boomers » au processus de sauvegarde de l'assurance vieillesse. La pire des solutions serait d'augmenter le taux de cotisations. « En effet, elle fait supporter aux jeunes actifs un alourdissement sensible des prélèvements obligatoires finançant le régime de retraite sur l'ensemble de leur vie active. Pour les actifs proches de la retraite, l'alourdissement est limité et ne porte que sur un nombre restreint d'années. En d'autres termes, le choix du « tout fiscalo-social » est très inéquitable car il fait peser l'ajustement sur les enfants des baby-boomers qui doivent payer beaucoup plus cher aujourd'hui pour recevoir demain une pension inchangée. Les argumentaires appelant à la solidarité intergénérationnelle dans ce contexte se trompent de discours car ils militent en fait pour une solidarité à sens unique rendue possible surtout par le fait que l'électeur médian est aujourd'hui un baby-boomer (d'environ quarante-cinq ans). » (...)

« En l'absence de modification de l'âge effectif de départ en retraite, les effets de redistribution intergénérationnelle des réformes des retraites sont donc importants et se traduisent pour une bonne part par une guerre intergénérationnelle opposant les baby-boomers à leurs propres enfants. » 19 ( * )

4. La nécessité de rééquilibrer les efforts entre les différentes catégories d'assurés sociaux

Les inégalités entre les assurés sociaux se mesurent entre les générations et entre les ressortissants des grands régimes sociaux - et se cumulent parfois.

Malgré la difficulté de l'exercice consistant à comparer les différents systèmes de retraite, on constate néanmoins que la fonction publique, et plus encore les régimes spéciaux :

- font un effort de cotisation moindre que dans le secteur privé ;

- perçoivent des cotisations fictives et des subventions ;

- bénéficient de prestations et de conditions de départ en retraite plus avantageuses que dans les régimes de droit commun (Cnav, Agirc, Arrco).

La réforme des retraites de 2003 n'a pas modifié les termes de ce constat. Elle a toutefois procédé à un rapprochement partiel et graduel des trois fonctions publiques avec le secteur privé.

Au cours des prochaines décennies, les ressortissants du régime général subiront probablement une nouvelle diminution relative du niveau de leurs retraites, qui s'ajoutera aux effets cumulés des mesures prises depuis la fin des années quatre-vingt (indexation sur les prix depuis 1987, réforme Balladur de 1993, réformes des régimes complémentaires Agirc-Arrco de 1994, 1996 et 2001, loi du 21 août 2003). Quels que soient les scénarios envisagés, les salariés du secteur privé bénéficieront sans doute de prestations moins avantageuses tout en cotisant plus longtemps que leurs prédécesseurs.

Evolution prévisionnelle du taux de remplacement d'une employée
payée au salaire moyen toute sa carrière

Génération

1943

1948

1952

1956

1961

1966

Age de liquidation

62 ans

62,5 ans

63 ans

64 ans

64 ans

64 ans

Année

2005

2010

2015

2020

2025

2030

Retraite totale nette

13 059

14 351

15 737

16 294

16 306

16 028

(euros 2005)

100

109,9

120,5

124,8

124,9

122,7

Taux de remplacement net

Cnav

56,7 %

55,4 %

56,4 %

56,8 %

56,5 %

56,6 %

Arrco

19,1 %

19,0 %

19,5 %

19,8 %

19,4 %

19,1 %

Total

75,8 %

74,4 %

75,9 %

76,6 %

75,9 %

75,7 %

Espérance de retraite

26,9 ans

26,9 ans

26,8 ans

26,1 ans

26,3 ans

26,3 ans

(droit direct)

Délai de récupération

10,6 ans

11,5 ans

12,7 ans

13,5 ans

14,0 ans

14,4 ans

Taux de récupération

2,5

2,3

2,1

1,9

1,8

1,8

Source : Agirc-Arrco

Evolution prévisionnelle du taux de remplacement d'un homme- cadre
payé au salaire moyen toute sa carrière

Génération

1942

1947

1951

1955

1960

1965

Age de liquidation

63 ans

63,5 ans

64 ans

65 ans

65 ans

65 ans

Année

2005

2010

2015

2020

2025

2030

Retraite totale nette

37 128

35 320

35 702

37 176

35 061

34 487

(euros 2005)

100

95,1

96,1

100,1

94,4

92,9

Taux de remplacement net

Cnav

22,0 %

22,9 %

23,6 %

23,6 %

25,9 %

27,5 %

Arrco

7,6 %

8,2 %

8,5 %

8,6 %

9,3 %

9,5 %

Agirc

34,3 %

30,5 %

28,9 %

28,0 %

23,7 %

20,7 %

Total

63,9 %

61,6 %

61,0 %

60,2 %

58,9 %

57,7 %

Espérance de retraite

21,7 ans

21,8 ans

21,9 ans

21,6 ans

22,2 ans

22,7 ans

(droit direct)

Délai de récupération

12,1 ans

13,2 ans

14,8 ans

16,0 ans

16,9 ans

17,6 ans

Taux de récupération

1,8

1,7

1,5

1,3

1,3

1,3

Source : Agirc-Arrco

En revanche, le niveau de la pension des fonctionnaires sera in fine maintenu s'ils travaillent plus longtemps. La préservation des retraites futures de la fonction publique et du régime général ne se présente donc pas dans les mêmes conditions. Il conviendrait là encore de rééquilibrer « pour l'avenir les efforts demandés aux différentes catégories d'assurés sociaux. Depuis la fin des années quatre-vingt, le poids effectif de la sauvegarde de l'assurance vieillesse a essentiellement porté sur les jeunes générations ainsi que sur les actifs du secteur privé. Il semble donc difficile de les solliciter à nouveau de façon prioritaire à l'occasion de la prochaine réforme.

« Inversement, les ressortissants des trois fonctions publiques n'ont été inclus dans le champ de ce processus de réformes successives que depuis 2003 et bon nombre des nouvelles dispositions du code des pensions civiles et militaires de retraite n'entrent en application que très progressivement. Fort logiquement, les fonctionnaires civils et militaires pourraient représenter à l'horizon 2020 entre 60 % et 70 % des besoins de financement de l'ensemble de la branche vieillesse. C'est donc bien là qu'il faut faire porter l'effort, ainsi que sur la réforme des régimes spéciaux. » 20 ( * )

* 15 Article consacré « aux nouvelles générations devant la panne prolongée de l'ascenseur social » du sociologue Louis Chauvel - Janvier 2006 - Revue de l'OFCE.

* 16 Insee - Etudes et résultats n° 401, mai 2005 « Début de vie professionnelle et acquisition de droits à la retraite » - Insee - Données sociales (édition 2006) « Les droits à la retraite des cotisants » - Insee première n° 1104, octobre 2006 « De 1977 à 2002, l'emploi des jeunes salariés est de plus en plus découpé par des interruptions »

* 17 Premier rapport du conseil d'orientation des finances publiques - p. 16.

* 18 Document de travail de l'Ined n° 126 (avril 2005) - L'impact des réformes de 1993 et de 2003 sur les retraites - Thierry Debrard et Anne-Gisèle Privat.

* 19 Retraites : mieux vaut différer la mise au repos qu'écraser d'impôts. Frédéric Gonand - Laboratoire d'économétrie de l'Ecole polytechnique. Ouvrage collectif déjà cité « Les retraites » - p. 44 et 45.

* 20 Rapport d'information de la Mecss n° 403 (2006-2007) - Alain Vasselle « Finances sociales : après la rechute, la guérison », p. 58.

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