EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

La fonction publique a connu d'importantes réformes au cours de la précédente législature qui, sans refondre le statut général issu des lois de 1983, 1984 et 1986, l'ont sensiblement modifié et auxquelles le Sénat a apporté une contribution essentielle.

Ces réformes s'inscrivent dans une démarche générale de modernisation de l'État, liée à la redéfinition de ses missions dans un contexte de globalisation de l'économie, de décentralisation de l'initiative publique, de redéploiement des missions de service public sur les fonctions essentielles : les rapports entre public et privé, entre centre et périphérie, entre national et supranational changent en permanence et obligent l'État à s'adapter en introduisant dans son fonctionnement de nouveaux concepts -en matière de droit du travail, de management, de gestion- qui remettent en cause certains de ses principes fondateurs.

Au-delà de la division de l'administration entre trois fonctions publiques, ces mutations permettent de sortir de la fiction anthropomorphique de l'État, entité abstraite et omnipotente, et de le considérer dans sa réalité sociale et humaine. L'État et les collectivités publiques, ce sont d'abord des personnes, des organismes, des technostructures, régis par des actes unilatéraux -les statuts- dont l'efficacité est aujourd'hui contestée par les agents comme par les usagers, et dont les rivalités corporatistes montrent une réalité de corps séparés et rivaux plus que d'un ensemble virtuellement harmonieux.

Dans ce contexte, la mobilité des individus et des organes qui composent les collectivités publiques est un phénomène croissant. La recomposition permanente des structures administratives, plus subie que prévue, nécessite une plus grande souplesse pour les gérer que le droit rigide hérité du siècle dernier. La volonté des fonctionnaires de pouvoir évoluer dans leur carrière va dans le même sens.

Cette mobilité inévitable peut être envisagée de plusieurs façons suivant que l'on met l'accent sur les principes fondateurs du droit français de la fonction publique ou sur l'ouverture sans complexe à son temps et aux exemples des États voisins. Mais elle ne doit pas être envisagée verticalement, en partant du sommet suivant une définition unilatérale de l'intérêt général. Elle implique, pour être acceptée par les personnes qui font vivre au quotidien ces administrations, de respecter leurs droits au moment de leur imposer de nouveaux devoirs.

Tel est le sens du débat en cours dans lequel s'inscrit le projet de loi que le Parlement est conduit à examiner.

• La démarche gouvernementale

Quelques mois après son élection, lors d'un déplacement à l'institut régional d'administration de Nantes organisé le 19 septembre 2007, le Président de la République, M. Nicolas Sarkozy, a souligné la nécessité d'une refondation de la fonction publique et marqué sa volonté de conclure un nouveau pacte avec les fonctionnaires et les citoyens , appelé « service public 2012 ».

Aussi, qualifiant pour sa part la rénovation de la fonction publique d'« urgence nationale », le Premier ministre, M. François Fillon, a-t-il lancé le 1 er octobre dernier un débat national sur la fonction publique . Structuré en quatre séries de conférences, respectivement consacrées aux « valeurs, missions et métiers de la fonction publique », au « pouvoir d'achat », au « dialogue social » et aux « parcours professionnels » et auxquelles ont pu participer les fonctionnaires, les organisations syndicales, les usagers et les experts, ce débat vient de s'achever avec la publication d'un livre blanc sur la fonction publique, dont l'élaboration avait été confiée à M. Jean-Ludovic Silicani.

Dans le même temps, le gouvernement a engagé une réflexion sur les missions et le format des administrations dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP).

Vingt-six équipes d'auditeurs, composées de fonctionnaires issus des corps d'inspection et de consultants privés, soit environ 300 personnes, ont ainsi été mobilisées et le sont encore pour « passer au crible les politiques publiques ».

Leurs premiers travaux ont déjà permis au Conseil de modernisation des politiques publiques , qui rassemble autour du Président de la République l'ensemble du gouvernement et les membres du comité de suivi 1 ( * ) de la révision générale des politiques publiques, d'arrêter, le 12 décembre 2007 puis le 4 avril 2008, de nombreuses réformes.

Ces réformes, en cours, doivent permettre d'atteindre l'objectif de non-remplacement d'un départ de fonctionnaire à la retraite sur deux entre 2009 et 2011 tout en améliorant la qualité du service public. Elles représentent environ 7 milliards d'euros d'économies à l'horizon 2011, dont une partie sera redistribuée aux fonctionnaires.

Pour les accompagner et dans la mesure où la conférence sur les parcours professionnels s'est tenue à l'automne 2007, le gouvernement a pris l'initiative de soumettre au Sénat, sans attendre la publication du livre blanc sur la fonction publique, un projet de loi relatif à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique , sur lequel l'urgence pourrait être déclarée.

• Le sens du projet de loi

Ce projet de loi constitue, selon les propres mots du ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, M. Eric Woerth, une « boîte à outils visant à développer la mobilité des fonctionnaires et à leur offrir la liberté de mener leur carrière en exprimant mieux leurs talents en levant les blocages multiples qui entravent les carrières ».

Toutefois, ce texte comprend deux dimensions bien distinctes : d'une part, une série de dispositions destinées à faciliter la mobilité choisie des fonctionnaires, d'autre part, des mesures destinées à accompagner la restructuration engagée des administrations publiques, et surtout celles de l'État, dans le cadre de la « révision générale des politiques publiques » , sous la forme de dispositions proposées ou imposées aux agents de ces administrations.

Après avoir rappelé les enjeux qui s'attachent au développement de la mobilité des fonctionnaires et les mesures déjà prises pour l'encourager ainsi que les conséquences sociales et professionnelles de la révision générale des politiques publiques, votre rapporteur présentera les dispositions du projet de loi et les observations qu'elles appellent de la part de votre commission des lois.

I. LE CONSTAT : UNE MOBILITÉ ENCORE INSUFFISANTE DES FONCTIONNAIRES

La mobilité constitue à la fois un droit et, dans des hypothèses de plus en plus nombreuses, une obligation pour les fonctionnaires. Aussi a-t-elle constitué l'un des principaux thèmes de la conférence sur les parcours professionnels qui s'est tenue à l'automne 2007. Le constat est clair.

Le développement de la mobilité constitue une attente forte des agents et des employeurs publics. Toutefois, les parcours professionnels au sein des trois fonctions publiques demeurent peu diversifiés. Les nombreuses mesures adoptées récemment pour faciliter les échanges tant entre les administrations publiques qu'entre le secteur public et le secteur privé n'ont pas encore pu produire tous leurs effets.

A. UNE ATTENTE FORTE DES AGENTS ET DES EMPLOYEURS PUBLICS

Revendication ancienne des agents publics, la mobilité profite également à leurs employeurs et devient inéluctable dans le cadre de la réforme en profondeur de l'État qui se dessine.

1. Une revendication ancienne des fonctionnaires

Le développement de la mobilité constitue une revendication ancienne des fonctionnaires car elle leur permet de diversifier leurs parcours professionnels, d'acquérir des compétences nouvelles, de faire des expériences enrichissantes.

Contrairement à une idée reçue, il n'intéresse pas simplement les cadres mais l'ensemble des agents des trois catégories de la fonction publique. Ceux-ci n'aspirent pas seulement à changer d'employeur mais aussi, et sans doute surtout, à pouvoir évoluer au sein de leurs corps ou cadres d'emplois d'origine, en changeant de métiers.

Selon un sondage réalisé en novembre 2007 par l'institut Ipsos, 86 % des fonctionnaires interrogés estimaient ainsi qu'il devrait être possible de changer de métier tout en restant dans la fonction publique.

La diversité des parcours constitue l'un de ses principaux attraits.

2. Une utilité réelle pour les administrations

Le développement de la mobilité des agents intéresse également les employeurs publics.

Au même titre que la formation, les échanges tant entre les administrations publiques qu'entre le secteur public et le secteur privé s'avèrent indispensables pour maintenir et accroître les compétences des agents publics et, ainsi, améliorer le service rendu à la population.

Telles sont sans doute les raisons pour lesquelles la mobilité n'est pas seulement un droit mais constitue de plus en plus souvent une obligation pour les agents. Nombreux sont les statuts particuliers qui subordonnent désormais un avancement de grade à une mobilité préalable, interne ou externe.

A titre d'exemple, les membres des corps recrutés par la voie de l'Ecole nationale d'administration doivent accomplir, « après deux années au moins de services effectifs dans l'administration », une période de mobilité statutaire de deux ans les amenant à exercer des activités différentes de celles normalement dévolues à leur corps d'appartenance ou de celles qui leur étaient initialement confiées 2 ( * ) .

3. Une conséquence inévitable de la réforme de l'État

La réforme de l'État entreprise dans le cadre de la révision générale des politiques publiques implique la suppression d'un grand nombre d'emplois et contraint les fonctionnaires concernés à la mobilité.

Le 19 septembre dernier, le Président de la République avait annoncé la division par deux du nombre des structures de l'administration centrale . La fusion de la direction générale des impôts et de la direction générale de la comptabilité publique vient ainsi de donner naissance à une nouvelle direction générale des finances publiques. 10 % des bureaux devraient être supprimés en administration centrale et les deux réseaux devraient être totalement unifiés à compter du 1 er janvier 2009. Le 4 avril 2008, le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique a annoncé la fusion de la direction de la vie associative et la direction de la jeunesse et de l'éducation populaire du ministère de la jeunesse et des sports, celle des services chargés de la statistique au ministère de l'industrie et à l'Insee ou encore celle des directions de la formation et de l'administration de la police nationale.

L' organisation des services déconcentrés de l'État est, elle aussi, sur le point d'être simplifiée. Au niveau régional, huit directions vont être créées : elles seront dotées d'un périmètre plus large et plus lisible et intègreront les services d'établissements publics afin de renforcer la cohérence de l'action de l'État. Au niveau départemental, les directions seront elles aussi fusionnées, pour permettre une mutualisation de leurs moyens de fonctionnement, et seront organisées par politique publique et non plus par logique administrative, dans le respect de l'appartenance des fonctionnaires à leur ministère de rattachement.

La réforme de la carte judiciaire va impliquer les changements d'affectation de nombreux magistrats et fonctionnaires des greffes. Au 1 er janvier 2011, 178 tribunaux d'instance et 23 tribunaux de grande instance auront été supprimés, 7 tribunaux d'instance et 7 juridictions de proximité étant créés en parallèle. Dès le 1 er janvier 2009, 55 tribunaux de commerce seront supprimés et 6 créés, dont un tribunal mixte à Saint-Pierre-de-la-Réunion. « Le 1 er janvier 2011, ce sont 862 juridictions, contre 1.190 avant la réforme, qui assureront le service public de la Justice » a affirmé Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice.

La mise sous autorité commune des forces de police et de gendarmerie devrait se traduire par « une mutualisation de leurs moyens, dans le respect du statut et de l'unité de chacune des deux forces ». Ainsi, la gestion administrative et la fonction de paye des personnels de la police seront intégrées.

Enfin, dernier exemple, les armées vont elles aussi profondément transformer l'organisation de leurs fonctions de soutien (près de 60 % des effectifs), par une mutualisation de moyens (notamment interarmées) qui permettra de mettre fin à l'émiettement excessif des responsabilités.

* 1 Ce comité de suivi, coprésidé par le secrétaire général de l'Elysée et le directeur de cabinet du Premier ministre, est composé, outre les ministres intéressés, de membres permanents : le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, rapporteur général, le secrétaire d'Etat à la prospective et à l'évaluation des politiques publiques, les rapporteurs généraux des commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat, le président du conseil d'administration de BNP-Paribas, M. Michel Pébereau, et le receveur général des finances, M. Philippe Parini.

* 2 Décret n° 2004-708 du 16 juillet 2004 relatif à la mobilité et au détachement des fonctionnaires des corps recrutés par la voie de l'Ecole nationale d'administration.

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