EXAMEN DU RAPPORT

Réunie le mercredi 30 avril 2008 , sous la présidence de M. Nicolas About, président , la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Pierre Bernard Reymond sur le projet de loi n° 302 (2007-2008) portant modernisation du marché du travail .

M. Pierre Bernard Reymond, rapporteur, a rappelé que le projet de loi vise à transposer les dispositions de nature législative contenues dans l'accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier dernier, qui met en oeuvre une véritable flexisécurité à la française. Cet accord a été approuvé par les trois organisations patronales (Medef, CGPME et UPA) et par quatre des cinq organisations syndicales représentatives (CFDT, FO, CFTC et CGC), seule la CGT ayant refusé de signer. Certaines stipulations de l'ANI sont d'application directe ou seront déclinées lors de négociations ultérieures, notamment dans la convention d'assurance chômage. Le Gouvernement prépare également quatre décrets qui complèteront la transposition.

Le projet de loi comporte une dizaine d'articles qui abordent des sujets variés, mais est bâti autour de trois mesures essentielles : la rupture conventionnelle du contrat de travail, la période d'essai et le contrat à durée déterminée (CDD) à objet défini. Deux autres mesures méritent une attention particulière : la suppression du contrat « nouvelles embauches » (CNE) et la légalisation du portage salarial.

La rupture conventionnelle est la pierre angulaire du texte, puisqu'elle traduit la volonté des partenaires sociaux de privilégier désormais la recherche de solutions négociées, plutôt que de s'inscrire dans une logique de conflit conduisant trop fréquemment à des actions en justice. Le dispositif proposé prévoit une procédure en trois temps : la convention de rupture est d'abord négociée lors d'un ou plusieurs entretiens au cours desquels l'employeur et le salarié peuvent se faire assister ; les parties disposent ensuite d'un délai de rétractation de quinze jours ; enfin, la convention est adressée, pour homologation, à la direction départementale du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle (DDTEFP). L'homologation n'interdit pas une éventuelle action en justice, tous les litiges étant portés devant le conseil de prud'hommes. Comme le stipule l'ANI, le salarié a droit à une indemnisation par l'assurance chômage.

Les partenaires sociaux ont ensuite souhaité qu'en matière de période d'essai, tous les salariés soient désormais couverts par des règles communes, définies au niveau interprofessionnel. Ils ont fixé, dans ce but, une durée maximale de la période d'essai, variable selon les catégories professionnelles, et un délai de prévenance, c'est-à-dire un délai minimum entre le moment où une des parties décide de rompre la période d'essai et le moment où cette rupture devient effective. Les accords collectifs existants qui prévoient une période d'essai plus longue que les nouveaux plafonds légaux continueront à s'appliquer, tandis que ceux qui prévoient des durées plus courtes cesseront de s'appliquer après le 30 juin 2009. L'intention des partenaires sociaux est clairement d'accroître la durée moyenne de la période d'essai, afin de dissuader certains employeurs d'utiliser le CDD ou l'intérim comme des outils de pré-recrutement et de favoriser l'embauche directe en CDI.

La troisième disposition significative porte sur la création du CDD à objet défini. Il s'agit d'un nouveau type de CDD, qui a pour caractéristique d'arriver à échéance lorsque l'objet pour lequel il a été conclu est réalisé. Subordonné à la conclusion d'un accord de branche ou d'entreprise et signé pour une durée comprise entre dix-huit et trente-six mois, il est réservé aux cadres et ingénieurs. Il peut être rompu à la date anniversaire de sa conclusion, par l'une ou l'autre des parties, pour un motif réel et sérieux. Ce nouveau contrat fera l'objet d'une évaluation au bout de cinq ans.

M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur, a ensuite présenté les deux autres mesures marquantes du projet de loi.

La première est la suppression du contrat « nouvelles embauches » (CNE) et la requalification en CDI de droit commun des CNE en cours au moment de la promulgation de la loi. Le CNE a pour caractéristique principale de pouvoir être rompu, pendant les deux premières années, sans que l'employeur ait à fournir de motif. Les cours d'appel de Bordeaux et de Paris puis le Bureau international du travail ont cependant conclu à la non-conformité du CNE à la convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail. Il paraît difficile dans ces conditions de satisfaire à la demande de la CGPME qui souhaite que les CNE en cours soient maintenus.

La deuxième mesure est la légalisation du portage salarial, qui est une forme d'organisation du travail tentant de concilier les avantages du travail indépendant avec ceux du salariat. Grâce au portage salarial, un professionnel autonome qui a trouvé une mission auprès d'une entreprise cliente peut bénéficier du statut de salarié en signant un contrat de travail avec une société de portage qui se charge des formalités administratives, du paiement des cotisations sociales et lui permet de s'affilier à l'assurance chômage.

La pratique actuelle du portage salarial pose cependant de sérieux problèmes juridiques : la qualité de salarié est parfois refusée à la personne portée et l'affiliation à l'assurance chômage est alors frauduleuse ; si la qualité de salarié lui est reconnue, la société de portage risque alors d'être sanctionnée pour prêt de main-d'oeuvre illicite.

Le projet de loi « sécurise » sur le plan juridique le portage salarial, notamment en introduisant une dérogation à l'interdiction du prêt de main-d'oeuvre illicite au profit de ces entreprises. Il propose également de confier l'organisation du portage à la branche de l'intérim, ce qui suscite les critiques compréhensibles des trois fédérations qui regroupent actuellement des entreprises de portage, en particulier celles du syndicat national des entreprises de portage salarial (Sneps) qui a déjà conclu un accord avec plusieurs syndicats représentatifs. Le syndicat des entreprises de travail temporaire, Prisme, s'est cependant engagé à associer ces trois fédérations à la négociation qu'il va conduire avec les syndicats de salariés.

Pour conclure, M. Pierre Bernard Reymond, rapporteur , a souhaité que la discussion parlementaire ne remette pas en cause les grands équilibres du texte, au risque de décourager les efforts entrepris par les organisations syndicales et patronales pour dégager des compromis.

M. Louis Souvet a regretté que les entreprises de portage salarial ne soient pas davantage associées à la négociation visant à encadrer le portage, qui les concerne pourtant en premier lieu, et que l'ANI ignore l'accord conclu par le Sneps en novembre 2007. Il s'est également demandé si la stipulation de l'ANI qui confie au secteur de l'intérim le soin d'organiser le portage ne va pas favoriser indûment les entreprises de travail temporaire.

Après avoir souligné que la négociation s'est déroulée très rapidement, ce qui n'a pas permis aux organisations syndicales de recueillir l'avis de leurs adhérents avant de signer l'accord, Mme Annie David a estimé que le projet de loi apporte beaucoup de flexibilité aux entreprises, mais peu de contrepartie aux salariés en termes de sécurité professionnelle. Elle s'est ensuite interrogée sur l'utilité du CDD à objet défini, rappelant que la grande majorité des cadres et ingénieurs travaillent déjà dans une logique de projet tout en bénéficiant d'un CDI. Puis elle a souhaité savoir si le nombre de ruptures conventionnelles est actuellement en augmentation : en effet, le rapporteur a indiqué que la rupture conventionnelle est rarement utilisée alors que le ministre a expliqué, lors de son audition devant la commission, qu'elle tend à se diffuser. Enfin, elle a demandé s'il sera possible d'obtenir, avant le débat en séance publique, le décret relatif au montant de l'indemnité de licenciement actuellement en cours de préparation, afin de s'assurer qu'il ne pénalise pas les salariés licenciés pour motif économique qui ont plus de dix ans d'ancienneté. Quoi qu'il en soit, le groupe communiste républicain et citoyen votera contre le projet de loi.

M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur, a répondu que ce décret donne lieu actuellement à une concertation avec les partenaires sociaux, ce qui constitue une garantie que les droits des salariés ne seront pas lésés.

MM. André Lardeux et Michel Esneu ont rappelé que la CGPME considère que la requalification des CNE en cours en CDI introduit une insécurité juridique préjudiciable aux entreprises et ont souhaité connaître la position du rapporteur sur ce point.

Mme Raymonde Le Texier a dénoncé les effets pervers potentiels du CDD à objet défini qui précarise fortement les salariés en les contraignant à retrouver un nouveau projet tous les deux ou trois ans pour ne pas être au chômage. Elle a demandé des précisions concernant la possibilité de rompre le contrat à la date anniversaire de sa conclusion. Au sujet du CNE, elle a souligné que ce contrat a été jugé non conforme à la convention n° 158 de l'OIT selon laquelle toute rupture à l'initiative de l'employeur doit être motivée ; il existe peut-être d'ailleurs un risque que la rupture conventionnelle soit elle aussi jugée non conforme à cette convention, lorsque l'employeur prendra l'initiative de la rupture. Enfin, elle a jugé le dispositif de portage salarial complexe et a demandé si une entreprise ne pourrait pas avoir recours à ce dispositif, plutôt que de recruter un cinquantième salarié par exemple, pour échapper au déclenchement de certains seuils sociaux.

Mme Bernadette Dupont s'est interrogée sur l'utilité de prévoir un recours devant le conseil des prud'hommes après l'homologation de la rupture conventionnelle, dans la mesure où la direction départementale aura déjà effectué un contrôle préalable de la convention de rupture.

M. Louis Souvet a indiqué avoir communiqué au rapporteur trois amendements relatifs aux groupements d'employeurs sur lesquels il souhaite avoir son sentiment.

M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur, a répondu qu'il paraît peu opportun d'introduire ces amendements dans le projet de loi portant modernisation du marché du travail car cela risquerait de compromettre l'équilibre voulu par les partenaires sociaux. Il serait plus adapté de les présenter lors de l'examen du projet de loi de modernisation de l'économie. Il a confirmé à M. Louis Souvet que ce second projet de loi n'est pas lui-même le fruit d'un accord des partenaires sociaux.

Mme Patricia Schillinger a regretté que le projet de loi crée un nouveau type de contrat de travail, estimant que les contrats existants sont déjà si nombreux et complexes qu'ils deviennent difficiles à maîtriser par les gestionnaires locaux.

M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur, a rappelé que le portage salarial existe depuis une vingtaine d'années en France et qu'il bénéficie chaque année à 20 000 personnes en dehors de tout cadre légal. C'est pourquoi les partenaires sociaux ont souhaité lui donner un support juridique et confié à la branche de l'intérim le soin de mener les négociations nécessaires. Ceci étant, les entreprises de portage salarial ne doivent pas être écartées de ces discussions, ce qui l'amène à proposer un amendement prévoyant une concertation obligatoire avec les fédérations du portage salarial. Le Gouvernement préférerait toutefois que la loi ne fasse référence qu'à une simple consultation de ces fédérations.

M. Nicolas About, président, a précisé que le Gouvernement souhaite, d'après les informations dont il dispose, que le projet de loi reste en l'état sur ce point et qu'une obligation de consultation ne serait acceptée qu'à titre de compromis.

M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur, a ensuite souligné que l'équilibre entre la flexibilité apportée aux entreprises et la sécurité juridique bénéficiant aux salariés doit s'apprécier au regard de la totalité de l'accord et non pas simplement au vu du projet de loi qui n'en transpose qu'une partie. Cet accord n'aurait pas été approuvé par quatre syndicats représentatifs s'il ne comportait pas des avancées significatives pour les salariés. Il convient, plus généralement, de se féliciter des progrès récemment observés en matière de dialogue social et de relations du travail.

En ce qui concerne la rupture conventionnelle, il a précisé qu'elle est surtout utilisée aujourd'hui par des cadres de haut niveau. En lui donnant une base juridique plus solide, le projet de loi va rendre accessible cette modalité de rupture du contrat de travail à tous les salariés.

Abordant la question du CDD à objet défini, il a admis que l'on ne peut écarter tout risque de dérive. Toutefois, ce contrat lui semble répondre aux besoins d'un nombre croissant d'entreprises qui doivent recourir temporairement à des personnes très qualifiées afin de mener à bien des projets qui ont une durée de vie limitée dans le temps. Il a fait part de son intention de proposer à la commission un amendement précisant à quels moments il peut être rompu.

M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur, a ensuite rappelé que la CGPME est signataire de l'ANI et qu'à ce titre, elle a approuvé l'obligation de motiver la rupture du CNE. Dans la mesure où le CNE est non conforme à la convention n° 158 de l'OIT, il ne serait pas raisonnable de maintenir les contrats en cours qui sont affectés d'une grande insécurité juridique.

Il a enfin indiqué que la question de la rationalisation des nombreuses formes de contrats de travail reste posée et qu'il serait utile qu'elle donne lieu prochainement à une réflexion.

La commission a ensuite procédé à l'examen des amendements présentés par le rapporteur.

A l'article 1 er (information des élus du personnel sur le recours aux contrats à durée déterminée et aux contrats d'intérim), la commission a adopté un amendement qui prévoit l'information des délégués du personnel ou du comité d'entreprise sur les contrats conclus avec les sociétés de portage salarial.

A l'article 2 (durée de la période d'essai), outre deux amendements rédactionnels, elle a adopté trois amendements, pour préciser que la possibilité de renouveler la période d'essai doit être stipulée dans le contrat de travail ou la lettre d'engagement du salarié, pour faire bénéficier les salariés en CDD du délai de prévenance créé au profit des salariés en CDI et pour réduire la durée de ce délai de prévenance quand le salarié a été présent moins de huit jours dans l'entreprise.

La commission a adopté l'article 3 (ancienneté requise pour bénéficier de l'indemnisation conventionnelle de la maladie) sans modification.

A l'article 4 (adaptations du droit du licenciement), elle a adopté un amendement supprimant la disposition selon laquelle le salarié ne peut dénoncer le reçu pour solde de tout compte que par écrit et de façon motivée.

A l'article 5 (rupture conventionnelle du contrat de travail), la commission a adopté un amendement corrigeant une erreur d'imputation, un amendement rédactionnel et deux amendements de fond : le premier précise que l'employeur peut être assisté, pendant l'entretien préalable à la rupture conventionnelle, par un salarié de l'entreprise, ou, si l'entreprise compte moins de cinquante salariés, par un membre de son organisation patronale ou par un autre employeur de la même branche ; le second indique que le conseil de prud'hommes, saisi de la convention de rupture, statue en premier et dernier ressort.

A l'article 6 (contrat à durée déterminée à objet défini), elle a adopté un amendement précisant que le contrat peut être rompu au bout de dix-huit mois puis à la date anniversaire de sa conclusion.

La commission a adopté l'article 7 (création d'un fonds de mutualisation) sans modification.

A l'article 8 (portage salarial), elle a adopté trois amendements : le premier modifie la numérotation de la section consacrée au portage salarial pour tenir compte de l'insertion dans ce code d'une autre section par un projet de loi en cours d'examen ; le deuxième autorise les entreprises d'intérim à exercer l'activité de portage salarial ; le dernier prévoit que la branche de l'intérim organisera le portage par voie d'accord négocié en concertation avec les organisations représentatives du portage salarial.

La commission a adopté sans modification les articles 9 (abrogation du CNE) et 10 (application à Mayotte).

La commission a enfin adopté le texte ainsi amendé.

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