AUDITION DU MARDI 15 AVRIL 2008

Réunie le mardi 15 avril 2008 , sous la présidence de M. Nicolas About, président , la commission a procédé à l'audition de M. Georges Tissié, directeur des affaires sociales de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) sur le projet de loi n° 302 (2007-2008) relatif à la modernisation du marché du travail ( M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur ).

M. Georges Tissié, directeur des affaires sociales de la CGPME , a tout d'abord souligné que l'accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2008 sur la modernisation du marché du travail, dont la CGPME est signataire, est, par nature, le résultat d'un compromis. Les avancées significatives qu'il comporte, notamment la définition d'une période d'essai interprofessionnelle, la rupture conventionnelle du contrat de travail et la création d'un contrat à durée déterminée (CDD) à objet défini ont conduit la CGPME à porter une appréciation plutôt positive sur cet accord.

Toutefois, la CGPME éprouve de fortes réticences sur l'article 9 du projet de loi, qui abroge le contrat « nouvelles embauches » (CNE) et qui prévoit la requalification en contrat à durée indéterminée (CDI) des CNE en cours d'exécution. Le projet de loi s'écarte, sur ce point, de la lettre de l'ANI, qui stipulait seulement que la rupture du CNE devrait désormais être motivée. Les employeurs et les salariés qui ont conclu des CNE ont le sentiment que l'Etat revient sur la parole donnée en remettant en cause rétroactivement le régime juridique de leur contrat.

M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur, a rappelé que le CNE a été jugé incompatible avec la convention n° 158 de l'organisation internationale du travail (OIT), tant par le bureau international du travail (BIT) que par les tribunaux français. Dans ces conditions, la disparition du CNE n'était-elle pas inéluctable, sous peine de faire courir un risque juridique élevé aux entreprises comme aux salariés ?

M. Georges Tissié a insisté sur le fait que la décision du BIT condamne seulement l'absence de motivation de la rupture du CNE pendant deux ans, sans remettre en cause les autres aspects de ce contrat. Dans la mesure où les partenaires sociaux sont d'accord pour motiver désormais les ruptures de CNE, il n'était pas nécessaire de prévoir une requalification de ces contrats en CDI. Comme il ne sera plus possible de signer de nouveaux CNE après la publication de la loi, cette forme de contrat aurait fini par disparaître d'elle-même au fil du temps.

Mme Annie David a demandé en quoi la requalification en CDI peut gêner les employeurs, sauf à imaginer qu'ils ont conclu des CNE avec l'intention de licencier leurs salariés au bout de deux ans, puisque le CNE est de toute façon assimilé à un CDI passé cette période de deux ans.

M. Georges Tissié a répété que les partenaires sociaux ont prévu dans l'ANI que la rupture du CNE devrait toujours être motivée, sans proposer pour autant de faire disparaître les CNE en cours. Il a suggéré une modification du paragraphe II de l'article 9 du projet de loi, afin de substituer à la requalification une simple obligation de motiver la rupture.

M. Nicolas About, président , a souhaité savoir plus précisément ce qui distingue un CNE d'un CDI, hormis la dispense de motivation de la rupture pendant les deux premières années.

M. Georges Tissié a répondu que la CGPME défend une position de principe : les CNE en cours doivent aller jusqu'à leur terme, sous réserve de l'obligation de motivation.

M. Nicolas About, président, a demandé si la CGPME considère que le Gouvernement va au-delà de ce qui est strictement nécessaire en proposant la requalification des CNE en CDI. Il a de nouveau souhaité savoir précisément quelles sont les différences entre CNE et CDI, en mettant à part le problème de la motivation de la rupture, sur lequel la commission est désormais bien informée.

M. Georges Tissié a indiqué que la requalification a des conséquences financières, mais a refusé d'entrer plus avant dans ce débat.

Après avoir fait part de son étonnement, M. Nicolas About, président, a rappelé que l'audition a pour objectif d'éclairer la commission et il a donc insisté pour obtenir des précisions.

M. Georges Tissié a finalement indiqué que le CNE comporte d'autres spécificités. Ainsi, la requalification aura pour effet de priver les salariés en CNE de l'indemnité spécifique à laquelle ils ont droit en cas de rupture de leur contrat. Cette indemnité étant d'un montant plus élevé que celle que perçoit un salarié en CDI en cas de licenciement, la mesure leur sera donc en définitive défavorable.

M. Nicolas About, président, a fait observer que, dans l'économie générale du CNE, l'absence de motivation de la rupture était compensée par des indemnités plus élevées pour le salarié. Ne convient-il pas, dès lors que l'on revient sur l'absence de motivation, de revenir aussi sur l'indemnisation de la rupture, afin de rétablir l'équilibre ?

M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur, a demandé si cette question a donné lieu à d'importants débats au cours de la négociation de l'ANI.

M. Georges Tissié a indiqué que certains syndicats avaient proposé que les CNE en cours soient déclarés caducs ; la CGPME s'est opposée à cette proposition et a obtenu que l'accord se prononce sur la seule question de la motivation.

M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur, a ensuite demandé si la création de la nouvelle période d'essai interprofessionnelle prévue par le projet de loi n'atténue pas quelque peu les effets de la suppression du CNE.

Confirmant que la création de cette période d'essai interprofessionnelle est, à ses yeux, un point positif, M. Georges Tissié a cependant regretté que le projet de loi fixe seulement un plafond à la durée de la période d'essai, mais pas de durée plancher, contrairement à l'ANI. Cette période d'essai interprofessionnelle devrait permettre d'éviter de recourir au CDD au moment de la première embauche d'un salarié.

M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur, a ensuite abordé le sujet de la rupture conventionnelle du contrat de travail : la décision de faire homologuer la rupture par la direction départementale du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle (DDTEFP) n'est-elle pas contradictoire avec la suppression, il y a une vingtaine d'années, de l'autorisation administrative de licenciement ?

M. Georges Tissié a répondu que la CGPME était défavorable à cette solution, qui a d'ailleurs donné lieu à de réels débats au sein de la délégation patronale ; elle avait plutôt défendu l'idée d'un contrôle par le bureau de jugement du conseil de prud'hommes. In fine, un accord a été trouvé sur l'intervention de la DDTEFP. Toutefois, les litiges relatifs à la rupture conventionnelle seront bien portés devant le conseil de prud'hommes, ce qui donne en partie satisfaction à la CGPME.

M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur, a demandé si la CGPME accepterait que le dossier d'homologation déposé à la DDTEFP précise si l'initiative de la rupture incombe à l'employeur ou au salarié.

M. Georges Tissié a indiqué que la CGPME est attachée au principe d'une rupture décidée d'un commun accord et qu'elle est donc réservée sur toute proposition qui suggérerait que la rupture est décidée à l'initiative de l'une ou l'autre des parties.

Puis M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur, a souhaité connaître la position de la CGPME sur le portage salarial. En particulier, considère-t-elle que la personne portée doit se voir reconnaître le statut de salarié ?

M. Georges Tissié a souligné que le portage salarial donne lieu à des débats sans fin, notamment parce qu'il recouvre des pratiques très diverses : certains portés sont couverts par l'assurance chômage, d'autres non ; certains sont dans une relation de subordination vis-à-vis de la société de portage, tandis que d'autres sont très indépendants. Soulignant que le projet de loi n'apporte pas de réponses à toutes les questions, il a rappelé que l'ANI prévoit que la branche de l'intérim sera chargée d'organiser le portage par voie d'accord. Il a souhaité que les accords conclus dans certaines branches, l'informatique par exemple, qui couvrent déjà une partie des portés, soient également pris en compte.

En réponse à M. Paul Blanc, qui demandait si les écarts observés entre le projet de loi et l'ANI signé en janvier étaient de nature à modifier l'appréciation de la CGPME, M. Georges Tissié a indiqué qu'ils ne remettent pas en cause le jugement globalement positif porté par la CGPME, tant sur l'accord que sur le projet de loi.

Mme Raymonde Le Texier a souhaité savoir pourquoi la CGPME était favorable à une intervention du bureau de jugement du conseil de prud'hommes plutôt qu'à une intervention de la DDTEFP dans la procédure de rupture conventionnelle. Elle a fait observer ensuite que la rupture conventionnelle serait vraisemblablement demandée, le plus souvent, par l'employeur, et souligné que l'allongement de la période d'essai permettra à l'entreprise de réaliser des économies, en évitant le recours au CDD, dont la rupture est plus coûteuse. Au total, ne peut-on avoir le sentiment que l'accord penche tout de même en faveur des employeurs ?

M. Georges Tissié a considéré que l'allongement de la période d'essai est un élément de souplesse, certes utile aux entreprises, mais bénéfique aussi pour les salariés, puisqu'il leur permettra d'être recrutés plus souvent en CDI. Il a confirmé qu'il y a un certain paradoxe à proposer une intervention de la DDTEFP dans la procédure de rupture conventionnelle, après avoir combattu pendant des années l'autorisation administrative de licenciement, mais il a estimé qu'il s'agit là du résultat d'un compromis. Il a enfin contesté l'idée selon laquelle l'accord serait déséquilibré en faveur des employeurs, en faisant valoir notamment que la rupture conventionnelle sera financièrement très avantageuse pour le salarié, qui percevra des allocations chômage.

Mme Annie David a cependant estimé que l'employeur aura toujours la faculté de refuser l'offre de rupture conventionnelle formulée par le salarié, alors que ce dernier pourra difficilement refuser l'offre de rupture proposée par l'employeur.

M. Georges Tissié a réaffirmé que la rupture conventionnelle serait financièrement intéressante pour le salarié, à tel point que certains négociateurs se sont d'ailleurs inquiétés des conséquences de cette mesure sur les comptes de l'assurance chômage. Il a souhaité, en conclusion, que le Parlement modifie le moins possible le projet de loi portant modernisation du marché du travail.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page