AUDITIONS DU MERCREDI 16 AVRIL 2008

Réunie le mercredi 16 avril 2008 , sous la présidence de M. Nicolas About, président , la commission a procédé à l'audition de M. Marcel Grignard, secrétaire national, Mmes Laurence Laigo, secrétaire nationale, et Anne Florence Quintin, secrétaire confédérale de la Confédération française démocratique du travail (CFDT).

M. Marcel Grignard, secrétaire national de la CFDT, s'est d'abord félicité de ce que la mise en oeuvre de la loi de modernisation du dialogue social du 31 janvier 2007 ait favorisé la conclusion de l'accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2008 sur la modernisation du marché du travail. Sans remettre en cause les prérogatives du législateur, il a souhaité que l'esprit et l'équilibre général de l'accord soient respectés au cours de la discussion parlementaire.

Le projet de loi portant modernisation du marché du travail est le résultat d'une longue concertation entre les organisations signataires de l'ANI et les services du ministère du travail. Le projet de loi reprend fidèlement les stipulations de l'accord, tout en apportant des précisions utiles. Il s'agit d'un texte novateur, qui encadre les mesures à tonalité libérale qu'il comporte. Ainsi, le contrat à durée déterminée (CDD) à objet défini, qu'il est proposé d'instituer à titre expérimental, ne pourra être mis en oeuvre que si un accord collectif l'autorise. De même, la rupture conventionnelle du contrat du travail obéira à une procédure rigoureuse, de nature à rassurer tant les employeurs que les salariés.

L'ANI apporte en outre des droits nouveaux aux salariés, notamment aux jeunes travailleurs qui ne bénéficient pas encore d'une grande stabilité de l'emploi, en améliorant leur couverture santé et en réduisant l'ancienneté exigée pour bénéficier d'indemnités de licenciement. S'il ne constitue pas une révolution, l'accord marque donc une avancée importante.

Puis Mme Laurence Laigo, secrétaire nationale de la CFDT, a évoqué les négociations qui vont être ouvertes prochainement, en application des stipulations de l'ANI : elles porteront sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) et sur le bilan d'étape professionnel des salariés, sur la formation professionnelle et sur l'assurance chômage. Elles permettront de concrétiser les orientations définies dans l'ANI.

M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur, s'est enquis du jugement global de la CFDT sur l'accord : s'agit-il d'un accord banal, d'un accord qui apporte des progrès substantiels, voire d'un accord historique, comme l'ont affirmé certains députés lors des débats à l'Assemblée nationale ? Il a rappelé qu'il existe déjà une trentaine de types de contrats de travail et demandé si les négociateurs avaient envisagé de rationaliser ces dispositifs avant de proposer la création d'une nouvelle catégorie de CDD. Puis il a souhaité savoir si la CFDT approuve la stipulation qui incite les partenaires sociaux à renégocier, d'ici au 30 juin 2009, les accords collectifs prévoyant une durée de la période d'essai inférieure aux nouveaux plafonds légaux. Il a également voulu connaître le sentiment de la CFDT sur la proposition, formulée par plusieurs syndicats, consistant à prévoir une intervention du bureau de conciliation du conseil de prud'hommes dans la procédure de rupture conventionnelle. Enfin, il s'est interrogé sur la manière dont le pouvoir de direction de l'employeur peut être concilié, dans les entreprises de portage salarial, avec la garantie des droits reconnus à la personne portée sur son apport de clientèle.

Après avoir qualifié de novateur l'ANI conclu le 11 janvier dernier, M. Marcel Grignard a souligné que cet accord ne sera utile que s'il modifie les rapports entre employeurs et salariés dans les centaines de milliers d'entreprises françaises.

Certes, il existe un nombre excessif de contrats de travail, ce qui peut apparaître contradictoire avec la décision d'en créer un nouveau. Cependant, la CFDT a recherché des réponses concrètes aux problèmes qui se posent, ce qui l'a conduite à écarter provisoirement sa position de principe en faveur d'une rationalisation des contrats de travail. Cette question devra cependant être réexaminée dans les années qui viennent, en vue notamment de simplifier l'architecture des contrats aidés.

La CFDT est favorable à la renégociation des accords qui prévoient une période d'essai plus courte que les nouveaux plafonds légaux. En effet, certains accords de branche anciens méritent d'être réactualisés, en y intégrant les innovations contenues dans le projet de loi, notamment l'obligation de respecter un délai de prévenance en cas de rupture de la période d'essai et la prise en compte de la durée des stages effectués dans l'entreprise.

En ce qui concerne la rupture conventionnelle du contrat de travail, le projet de loi vise à garantir la liberté de consentement des parties. L'intervention d'un acteur extérieur à l'entreprise peut, de ce point de vue, s'avérer bénéfique. Si la CFDT a soutenu la proposition de faire intervenir le bureau de conciliation prud'homal, qui avait été suggérée au départ par d'autres syndicats, elle a fini par se rallier au compromis trouvé, qui prévoit une homologation de la rupture par la direction départementale du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle (DDTEFP).

Sur la question du portage salarial, il faut rappeler que des milliers de salariés travaillent actuellement pour des sociétés de portage, souvent dans la plus grande illégalité. Il s'agit souvent de seniors très qualifiés, arrivés en fin de carrière, mais aussi parfois de salariés beaucoup plus jeunes. La décision de confier à la branche de l'intérim le soin d'organiser ce secteur marque une première étape, qui devra être suivie par d'autres interventions législatives.

Après avoir estimé que la France a besoin de changements structurels, Mme Laurence Laigo a affirmé que l'ANI présente justement un caractère structurant, dans la mesure où il fixe les grandes orientations des politiques à mener pour réduire encore le taux de chômage et adapter notre système de protection sociale, hérité des Trente Glorieuses, à une situation de plus grande précarité de l'emploi.

Mme Annie David a demandé si les projets du Gouvernement en matière de contrôle des chômeurs inquiètent la CFDT, dans la perspective de la négociation de la future convention d'assurance chômage.

Mme Laurence Laigo a constaté que la question du contrôle des chômeurs est en effet de nouveau présente dans l'actualité ; elle a souhaité que le Gouvernement laisse aux partenaires sociaux la possibilité de définir les règles applicables par la voie du dialogue social.

Jugeant l'accord déséquilibré, M. Guy Fischer a estimé que le patronat a obtenu satisfaction sur ses trois principales revendications : le CDD à objet défini, la rupture conventionnelle et la période d'essai interprofessionnelle. Comment, dans ces conditions, la CFDT pourra-t-elle peser pour que les salariés trouvent des motifs de satisfaction dans ce projet de loi ?

M. Marcel Grignard s'est déclaré en désaccord avec cette interprétation : sur les trois sujets qui ont été mentionnés, la CFDT estime que l'ANI va améliorer la situation réelle des salariés. Concernant la période d'essai par exemple, il ne faut pas oublier que beaucoup d'employeurs embauchent d'abord leurs salariés en CDD, qui joue ainsi le rôle d'une période d'essai prolongée, avant de les recruter définitivement. De même, le CDD à objet défini marque un progrès par rapport à la situation actuelle, dans laquelle les salariés soit enchaînent les CDD, soit sont cantonnés à des statuts précaires en marge de l'entreprise, soit sont embauchés en CDI, puis licenciés, sans bénéficier des avantages auxquels on peut prétendre lors de l'arrivée à échéance d'un CDD.

La CFDT a veillé tout au long de la négociation à donner aux salariés des leviers pour agir. Le recours au CDD à objet défini est ainsi subordonné à la conclusion d'un accord collectif. En encadrant la rupture conventionnelle, on apporte également aux salariés des garanties supplémentaires par rapport aux ruptures de gré à gré qui peuvent exister aujourd'hui.

M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur, a demandé si la CFDT regrette qu'une importante centrale syndicale ne participe pas au mouvement de réforme en cours et si elle a l'espoir que cette organisation finisse par s'y rallier.

M. Marcel Grignard a répondu que la CFDT a pris la décision de signer l'accord en pleine autonomie et qu'elle respecte l'autonomie des autres organisations syndicales. Les relations entre les différentes centrales ont été très constructives, y compris avec la CGT, qui signe par ailleurs presque autant d'accords d'entreprises que la CFDT. Les syndicats ont collectivement la responsabilité de rénover la démocratie sociale et toutes les organisations ont des progrès à accomplir en ce sens.

Puis la commission a procédé à l'audition de Mme Gabrielle Simon, secrétaire générale adjointe de la confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC).

Mme Gabrielle Simon, secrétaire générale adjointe de la CFTC, a d'abord estimé que l'accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2008 sur la modernisation du marché du travail marque une étape importante sur la voie de la sécurisation du parcours de vie professionnelle. Considérant qu'un échec de la négociation aurait sans doute conduit à imposer plus de flexibilité aux salariés, les syndicats ont accepté des demandes de la partie patronale, en exigeant qu'elles soient encadrées.

Les organisations syndicales ont ainsi obtenu que le contrat à durée indéterminée (CDI) soit consacré comme la forme normale d'emploi, ce qui a eu pour corollaire de supprimer le contrat « nouvelles embauches » (CNE). Le développement de l'économie suppose, en effet, de renforcer la confiance des salariés dans l'avenir et donc de réduire la précarité de l'emploi.

La CFTC a défendu la transférabilité du droit individuel à la formation (Dif), de manière à ce que les droits sociaux soient désormais attachés à la personne, et non plus au contrat de travail. Des avancées ont également été enregistrées en matière de complémentaire santé : la CFTC avait demandé que le salarié puisse en conserver le bénéfice pendant toute la durée de sa période d'indemnisation par l'assurance chômage ; un accord a finalement été trouvé sur un maintien des droits pendant trois mois.

L'allongement de la période d'essai ne constitue pas un recul, car le CDD et l'intérim sont aujourd'hui souvent détournés de leurs finalités par les employeurs et utilisés pour mettre à l'essai un salarié avant de l'engager en CDI. Les syndicats ont modéré les demandes des employeurs sur ce point : les organisations patronales avaient d'abord proposé que la durée de la période d'essai soit fixée, pour les cadres, à six mois, renouvelables trois fois, avec une possibilité de nouvelle prorogation si un accord collectif l'autorisait ! Un tel dispositif aurait conduit à la création de véritables « intermittents de l'emploi », alors que les entreprises ont besoin, au contraire, de salariés de mieux en mieux formés pour faire face à la mondialisation.

L'obligation d'informer les institutions représentatives du personnel sur le recours à l'intérim et au CDD dans l'entreprise constitue une autre innovation de l'accord. La CFTC demande, traditionnellement, que les cotisations à l'assurance chômage soient modulées en fonction de la durée des contrats de travail dans l'entreprise. Il est indispensable, pour ce faire, d'obtenir une cartographie des pratiques des entreprises.

Mme Gabrielle Simon a ensuite insisté sur les difficultés d'accès à l'emploi des jeunes. Le fait que la durée des stages soit prise en compte pour déterminer celle de la période d'essai marque une avancée, de même que la mise en oeuvre, par le service public de l'emploi (SPE), d'un plan personnalisé d'aide au retour à l'emploi. Chaque stage sera mentionné dans le passeport formation, ce qui facilitera ensuite la validation des acquis de l'expérience (VAE).

Les syndicats ont également obtenu, malgré les réticences des organisations patronales, que l'ancienneté requise pour bénéficier de l'indemnité conventionnelle de maladie soit réduite, ainsi que la durée du délai de carence qui doit s'écouler avant le début de son versement. Il a également été décidé de doubler le montant de l'indemnité de licenciement. L'accompagnement personnalisé des demandeurs d'emploi revêt cependant une importance essentielle : au Danemark, la politique de flexisécurité a produit ses effets grâce à une politique d'activation de l'emploi reposant sur l'accompagnement des chômeurs.

M. Nicolas About, président, a demandé si la fusion de l'ANPE et des Assedic ne vise pas, précisément, à améliorer l'accompagnement des demandeurs d'emploi.

Mme Gabrielle Simon a répondu qu'il convient maintenant de passer des intentions aux actes, ce qui suppose de dégager des moyens.

Abordant ensuite la rupture conventionnelle du contrat de travail, elle a indiqué que cette solution avait été préférée à la « séparabilité » préconisée par le Medef, qui apparaissait peu sécurisée. Si la CFTC a obtenu que le salarié dispose d'un droit de rétractation, sa proposition que le salarié donne son accord après avoir organisé son projet professionnel, en lien avec le SPE, n'a en revanche pas été retenue, cette procédure ayant été jugée excessivement complexe par les autres négociateurs. Il appartiendra à la direction départementale du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle (DDTEFP) de veiller à la liberté de consentement des parties.

Au sujet du CDD à objet défini, la CFTC tenait à ce qu'il s'agisse d'un CDD, et non d'un CDI, afin que le salarié bénéficie de garanties renforcées.

M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur, a souhaité connaître la position de la CFTC sur la disposition du projet de loi qui conduit à renégocier les accords collectifs lorsque la durée de la période d'essai est inférieure aux nouveaux plafonds légaux. Puis il a demandé si la CFTC est favorable à l'intervention de la DDTEFP dans la procédure de rupture conventionnelle du contrat de travail et s'il serait judicieux d'indiquer à l'administration qui, de l'employeur ou du salarié, est à l'origine de la rupture. Il a ensuite voulu savoir si la décision de créer le CDD à objet défini a été précédée d'une évaluation des contrats existants et si certains contrats peu utilisés pourraient être supprimés. Enfin, il s'est interrogé sur l'incidence que pourrait avoir le développement du portage salarial sur les comptes de l'assurance chômage.

Mme Catherine Procaccia a fait observer que si le projet de loi prévoit de réduire la durée la période d'essai des salariés qui ont déjà effectué un stage dans l'entreprise, il est surprenant qu'aucune disposition analogue n'existe pour les salariés précédemment en apprentissage ou ayant effectué une formation en alternance dans l'entreprise.

Sur la période d'essai, Mme Gabrielle Simon a rappelé que l'ANI avait prévu des durées minimales et maximales, alors que le projet de loi n'a retenu qu'un plafond ; elle a cependant estimé que cette différence est sans incidence pratique, dans la mesure où les entreprises se seraient efforcées, en tout état de cause, de négocier les durées les plus longues possibles.

Concernant la rupture conventionnelle, la CFTC aurait souhaité une intervention du bureau de conciliation prud'homal, mais le Medef était hostile à une intervention des prud'hommes. Leur proposition de prévoir une homologation par la DDTEFP a stupéfié les représentants syndicaux, en raison de sa proximité avec l'autorisation administrative de licenciement, qui avait été tant combattue par les organisations patronales. La CFTC était initialement réservée sur l'idée de créer ce nouveau mode de rupture du contrat de travail, considérant que la rupture décidée à l'initiative de l'employeur devait rester un licenciement et celle décidée par le salarié une démission. La rupture conventionnelle sera toujours négociée, dans les faits, à l'initiative de l'une ou l'autre des parties.

Mme Raymonde Le Texier a suggéré que l'employeur sera vraisemblablement à l'origine de la plupart des ruptures conventionnelles.

Mme Gabrielle Simon a contesté ce point de vue, faisant valoir que les salariés sont parfois poussés à la démission par diverses formes de harcèlement moral, et qu'ils ne perçoivent, dans ce cas, aucune des indemnités qui seront désormais accordées en cas de rupture conventionnelle.

Mme Annie David a répliqué qu'il serait singulier que l'employeur accepte de négocier une rupture conventionnelle, alors qu'il fait justement pression sur le salarié pour le pousser à la démission...

Mme Gabrielle Simon a insisté sur le rôle des syndicats qui peuvent soutenir les salariés dans ce type de situation.

Evoquant la multiplicité des contrats de travail, elle a estimé qu'il est sans doute possible d'apporter quelques simplifications, mais a jugé irréaliste la perspective d'un contrat de travail unique. La CFTC n'a pas été à l'origine du CDD à objet défini, qui répond à une demande patronale, mais elle a insisté, durant la négociation, pour que la durée de ce contrat soit au moins de dix-huit mois alors que les organisations patronales souhaitaient qu'il puisse être rompu à la date anniversaire de sa conclusion.

Répondant à Mme Catherine Procaccia, elle a indiqué que l'apprentissage et les formations en alternance ne sont pas pris en compte parce que les syndicats n'ont pas obtenu gain de cause sur ce point.

Après que M. Nicolas About, président, eut suggéré qu'un amendement parlementaire pourrait peut-être y remédier, Mme Gabrielle Simon a précisé que son organisation manquerait de cohérence si elle demandait que des amendements soient votés par le Parlement alors qu'elle est signataire de l'accord.

M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur, a fait observer que le projet de loi prévoit à la fois que le CDD à objet défini a une durée minimale de dix-huit mois et qu'il peut être rompu à sa date anniversaire. Cela signifie-t-il qu'il peut être rompu au bout de douze mois ou seulement après vingt-quatre mois ?

Mme Gabrielle Simon a répondu que les syndicats se sont fermement opposés à toute possibilité de rupture au bout de douze mois. La durée de dix-huit mois qui a été retenue correspond à la durée maximale d'un CDD aujourd'hui. La rupture n'est donc possible qu'à la date du deuxième anniversaire de la conclusion du contrat.

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