B. LA « COMMUNAUTARISATION » DE LA CONVENTION DE ROME

La transformation de la Convention de Rome en instrument communautaire a fait l'objet d'une large consultation à la suite de la publication d'un Livre vert de la Commission européenne en janvier 2003.

A l'issue de cette consultation, la Commission européenne a présenté, le 21 décembre 2005, une proposition de règlement communautaire, dit « Rome I », visant à remplacer la Convention de Rome et à harmoniser les règles de conflit de lois en matière contractuelle.

Cet instrument complèterait le règlement dit « Rome II », adopté le 11 juillet 2007, sur la loi applicable aux obligations non contractuelles, et le règlement du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale - dit « Bruxelles I » -, qui avait apporté une réponse à la question de la détermination du tribunal compétent en matière civile et commerciale. Le « reformatage » de la Convention de Rome répond à deux objectifs :

- développer l'espace judiciaire européen en favorisant la prévisibilité des résultats et la sécurité juridique. Le futur instrument communautaire devrait, en effet, faciliter la reconnaissance des décisions de justice en permettant aux juges de déterminer de façon uniforme la loi applicable à un contrat transfrontalier et en rendant plus aisée l'interprétation de la Cour de Justice des Communautés européennes par la voie du recours préjudiciel ;

- parfaire la construction du marché intérieur en évitant les distorsions de concurrence qui pourraient survenir entre les justiciables, mais aussi en assurant la sécurité juridique nécessaire au développement des échanges commerciaux transfrontières.

Après de difficiles négociations au sein du Conseil et au Parlement européen, le règlement « Rome I » a été adopté par les ministres de la justice des vingt sept Etats membres, lors de la réunion du Conseil « Justice et Affaires intérieures », des 5 et 6 juin 2008.

Le règlement « Rome I » n'introduit pas véritablement un nouveau dispositif juridique puisqu'il « communautarise » la convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles , à laquelle l'ensemble des États membres est déjà partie. Il opère néanmoins un important travail de modernisation de cette convention, conformément au souhait exprimé par la Commission dans son Livre vert en 2003.

Comme dans la Convention de Rome, l'idée centrale de ce texte est que les parties devraient être libres de choisir la loi qu'elles souhaitent voir appliquer à leur contrat , qu'il s'agisse de la loi d'un État membre ou de celle d'un État tiers à la Communauté européenne. A cette fin, le règlement autorise même les parties à désigner ou modifier postérieurement à la conclusion du contrat la loi applicable, ou encore à dépecer le contrat en plusieurs éléments soumis à des lois différentes.

Il convient de souligner que la proposition initiale de la Commission tendait même à renforcer l'autonomie de la volonté des parties en autorisant celles-ci à choisir, comme droit applicable, un droit non étatique aux côtés du seul choix de la loi d'un État. Lors des discussions au sein du Conseil, cette disposition a toutefois rencontré l'hostilité d'une majorité d'États membres, dont celle de la France, qui y ont vu une manoeuvre de la Commission pour ouvrir le chemin d'un droit européen des contrats, alors que ce point n'a jamais été discuté ou approuvé ni par les États membres au sein du Conseil, ni par le Parlement européen. Elle a, depuis, été retirée.

Au-delà de ce retrait, le règlement prévoit déjà certaines dispositions qui tendent à restreindre le libre choix des parties, telle celle qui formule l'impossibilité de contourner l'application des dispositions impératives du droit communautaire par le choix de la loi d'un État non membre.

La majeure partie de ce règlement est consacrée à la question de la loi applicable en cas d'absence de choix des parties . C'est principalement sur ce point que la Commission se livre à une modernisation de la Convention de Rome, afin d'assurer davantage de prévisibilité.

La Convention de Rome prévoit, en effet, qu'à défaut de choix, le contrat devait être régi par la loi du pays avec lequel il présentait les liens les plus étroits, tout en posant le principe d'une présomption générale au profit de la résidence habituelle du débiteur de la prestation caractéristique. Au contraire, le règlement édicte des règles beaucoup plus précises, laissant ainsi moins de discrétion aux juges. L'article 4 énonce ainsi, en premier lieu, les solutions particulières à différentes catégories de contrat (contrat de vente de marchandises, contrat de prestation de services, contrat de transport, contrat immobilier, contrat de franchise, contrat de distribution) puis pose, en second lieu, le principe du rattachement à la résidence habituelle du débiteur pour les contrats qui n'ont pas été cités expressément. L'architecture de la Convention de Rome en est ainsi totalement remaniée afin de garantir une application uniforme dans l'ensemble de la Communauté.

En plus de ces modifications visant à renforcer la sécurité juridique, le règlement s'attache à protéger les parties dites faibles , telles que les travailleurs ou les consommateurs. Des règles spéciales régissent ainsi les contrats individuels de travail ou les contrats de consommation .

Ainsi, en ce qui concerne les contrats individuels de travail , le texte maintient la possibilité pour les parties de choisir la loi applicable au contrat, tout en prévoyant que ce choix ne saurait « avoir pour résultat de priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord en vertu de la loi qui, à défaut de choix, aurait été applicable ». A défaut de choix, c'est en effet la loi du pays dans lequel ou à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail qui s'applique, à moins que le contrat de travail ne présente des liens plus étroits avec un autre pays. On voit bien ici l'importance de ces dispositions qui s'articulent étroitement avec la directive concernant le détachement de travailleurs.

Pour les contrats de consommation , dans le but de renforcer la protection du consommateur, la proposition écartait la possibilité pour les parties de déterminer librement la loi applicable au contrat de consommation dès lors que le consommateur résidait dans un État membre de la Communauté ; la loi applicable devait être celle du pays dans lequel le consommateur a sa résidence habituelle. Toutefois, ces dispositions n'ont pas satisfait un certain nombre de délégations, au premier rang desquelles le Royaume-Uni. Soutenues sur ce point par le Parlement européen, elles ont obtenu un retour aux règles retenues par la Convention de Rome en matière de contrats conclus par les consommateurs. Ces règles maintiennent la possibilité, pour les parties, de choisir la loi applicable à ce type de contrat ; elle pose toutefois une réserve, selon laquelle « le choix par les parties de la loi applicable ne peut avoir pour résultat de priver le consommateur de la protection que lui assurent les dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord en vertu de la loi qui lui aurait été applicable, en l'absence de choix » c'est-à-dire de la loi du pays dans lequel il a sa résidence habituelle. A défaut de choix par les parties, c'est en effet la loi du pays de résidence habituelle du consommateur qui s'applique.

La France estime que le retour aux dispositions de la Convention de Rome marque une régression en matière de protection des consommateurs par rapport à la proposition de règlement initiale de la Commission. Les consommateurs français seront toutefois moins affectés par une telle disposition, en raison du haut niveau de protection des consommateurs en droit français.

Néanmoins, les dispositions retenues sont d'autant plus regrettables qu'elles sont très importantes au regard de la directive sur les services dans le marché intérieur qui renvoie à ce texte pour la définition des règles applicables aux consommateurs de services, de même que la directive sur le commerce électronique. On peut toutefois espérer que des mesures de révision de l'acquis en matière de protection des consommateurs soient déposées sous présidence française de l'Union européenne. La France a d'ailleurs fait une déclaration sur l'article 6 du règlement, d'après laquelle, lors de la révision du règlement de « Bruxelles I », les dispositions en matière de compétences de juridictions devraient être cohérentes avec l'article 6 du règlement « Rome I ».

Sur proposition allemande, des règles spéciales concernant les contrats d'assurance ont également été introduites dans le règlement, afin de mettre un terme à la confusion liée aux règles éparses qui régissent aujourd'hui les différents types de contrats d'assurance. L'ensemble des règles de conflit de lois en matière de contrats d'assurance devrait ainsi se trouver réunie dans un instrument juridique unique.

Il convient de noter que certaines directives communautaires, qui ont fixé des règles en matière de droit applicable pour les obligations contractuelles dans des secteurs spécifiques, devraient primer sur le règlement. C'est le cas de la directive sur les travailleurs détachés, des deux directives relatives à l'assurance-vie et l'assurance non-vie, ainsi que de la directive sur la restitution des objets culturels volés.

Le règlement « Rome I » devrait utilement rénover le cadre qui avait été précédemment fixé par la Convention de Rome du 19 juin 1980. Il constitue un élément essentiel de la mise en place d'un espace européen de justice et figurait, à ce titre, parmi les objectifs du programme pluriannuel de La Haye de 2004, qui a succédé au programme de Tampere. Ce règlement devrait, en effet, permettre de renforcer la sécurité juridique dans la Communauté.

Le règlement « Rome I » ne sera cependant pas applicable à un, voire deux États membres : d'une part, le Danemark, qui ne participe à aucune des mesures « communautarisées » relatives à l'espace de liberté, de sécurité et de justice ; d'autre part, le Royaume-Uni, qui bénéficie d'un régime dérogatoire lui permettant de participer au cas par cas aux mesures prises dans ces matières et qui n'a pas encore notifié son souhait de participer à ce règlement. Ce dernier a toutefois activement participé à l'élaboration du texte au sein du Conseil, ce qui laisse espérer qu'il fasse jouer sa clause d' opt-in . Le gouvernement britannique, qui y semble plutôt favorable, vient d'ailleurs de lancer une consultation à ce sujet.

Pour sa part, le Danemark avait annoncé son souhait d'organiser un référendum pour mettre un terme au régime dérogatoire dont ce pays bénéficie depuis le premier « non » danois au traité de Maastricht, notamment à l'égard des matières relatives à l'espace de liberté, de sécurité et de justice. Toutefois, le « non » irlandais lors du référendum sur le traité de Lisbonne a incité le gouvernement danois à reporter d'une année la consultation prévue sur ce sujet.

Ainsi, même si le règlement « Rome I » doit entrer prochainement en vigueur, la Convention de Rome du 19 juin 1980 continuera de régir les relations entre le Danemark, et peut-être le Royaume-Uni, et les vingt cinq autres Etats membres.

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