CHAPITRE III - La désignation du délégué syndical

Article 4 (art. L. 2143-3 à L. 2143-6, L. 2143-11 et L. 2324-2 du code du travail) - Conditions de désignation des délégués syndicaux

Objet : Cet article refonde la légitimité du délégué syndical sur son audience électorale.

I - Le dispositif proposé

Si l'abolition du délit de coalition date de 1864, les syndicats français n'ont pu légalement s'implanter dans l'entreprise que depuis la loi n° 68-1179 du 27 décembre 1968 qui faisait suite aux accords de Grenelle.

Dans toutes les entreprises, quel que soit le nombre de salariés, chaque syndicat représentatif peut décider de constituer une section syndicale qui assure la représentation des intérêts matériels et moraux de ses membres 31 ( * ) . Actuellement, les cinq organisations qui bénéficient de la présomption irréfragable et tout syndicat qui fait la preuve de sa représentativité dans l'entreprise peuvent donc créer une section syndicale dans toute entreprise.

Créer une section syndicale donne droit de collecter des cotisations syndicales dans l'entreprise 32 ( * ) , d'afficher librement des communications sur des panneaux réservés à cet usage 33 ( * ) , de diffuser des publications et tracts aux travailleurs de l'entreprise au sein de celle-ci aux heures d'entrée et de sortie du travail 34 ( * ) et, pour les adhérents du syndicat, de se réunir une fois par mois dans l'enceinte de l'entreprise en dehors de locaux de travail 35 ( * ) .

Cependant, ce n'est que dans les entreprises de cinquante salariés et plus que les syndicats qui y sont représentatifs peuvent désigner un délégué syndical .

Le code du travail, aux articles L. 2143-3 et suivants, dispose en effet que « chaque syndicat représentatif qui constitue une section syndicale dans les entreprises de plus de cinquante salariés désigne [...] un ou plusieurs délégués syndicaux pour le représenter auprès de l'employeur ».

La représentation auprès de l'employeur est une définition très laconique du rôle du délégué syndical dans l'entreprise. En pratique, celui-ci a une double fonction. D'une part, dès qu'un délégué syndical est désigné dans une entreprise, il a le monopole de négociation et de la conclusion des accords collectifs 36 ( * ) . D'autre part, il a pour mission de défendre les intérêts matériels et moraux des salariés, et donc de revendiquer une amélioration de leur condition dans l'entreprise 37 ( * ) .

Conformément aux articles L. 2143-12 et R. 2143-2, le nombre de délégués syndicaux dans les entreprises est fixé comme suit : un délégué pour 50 à 999 salariés, deux délégués pour 1 000 à 1 999 salariés, trois délégués pour 2 000 à 3 999 salariés, quatre délégués pour 4 000 à 9 999 salariés, cinq délégués au delà de 9 999 salariés.

Pour être désigné comme délégué syndical , un salarié doit satisfaire à trois conditions cumulatives . En vertu de l'article L. 2143-1, il doit être âgé de dix-huit ans révolus, travailler dans l'entreprise depuis un an au moins 38 ( * ) et n'avoir fait l'objet d'aucune interdiction, déchéance ou incapacité relative à ses droits civiques.

En outre, ne peuvent exercer un mandat de représentation les salariés qui disposent d'une délégation écrite particulière d'autorité les assimilant au chef d'entreprise ou qui représentent effectivement l'employeur devant les instances représentatives du personnel.

En l'état actuel du droit, il suffit donc de satisfaire à ces conditions et d'être désigné par un syndicat représentatif pour être délégué syndical dans une entreprise. Un salarié peut devenir délégué syndical même s'il ne s'est jamais présenté à une élection professionnelle.

C'est cette situation juridique que modifie le présent article, en instaurant deux nouvelles règles édictées au paragraphe I .

D'abord, pour les entreprises de cinquante salariés et plus, le délégué syndical devra désormais être désigné par une organisation syndicale représentative au sens de la présente loi , c'est-à-dire par un syndicat qui aura recueilli au moins 10 % des suffrages valablement exprimés au premier tour des dernières élections des titulaires au comité d'entreprise ou de la délégation unique de personnel, ou à défaut, des délégués du personnel 39 ( * ) .

Ensuite et surtout, le délégué syndical lui-même devra être désigné parmi les candidats aux élections professionnelles qui ont recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés 40 ( * ) .

Ce sont ces deux nouvelles règles qui refondent la légitimité du délégué syndical.

La suite de l'article tire les conséquences du paragraphe I pour tous les types de délégué syndical et tous les types d'entreprise.

Les paragraphes II et III étendent les nouvelles règles de nomination à la procédure de désignation du délégué syndical supplémentaire dans les entreprises de plus de cinq cents salariés . Les syndicats représentatifs peuvent en effet désigner dans ces entreprises, en plus du délégué syndical, un délégué supplémentaire sous certaines conditions fixées à l'article L. 2143-4. Actuellement, tout syndicat représentatif peut désigner un délégué syndical supplémentaire s'il a obtenu un ou plusieurs élus dans le collège des ouvriers et employés lors de l'élection du comité d'entreprise et s'il compte au moins un élu dans l'un des deux autres collèges 41 ( * ) . A l'avenir, le délégué supplémentaire devra lui aussi être désigné parmi les candidats ayant recueilli au moins 10 % des suffrages valablement exprimés aux élections professionnelles.

Le paragraphe IV prévoit que la condition des 10 % s'applique également au délégué central d'entreprise existant dans les entreprises de deux mille salariés et plus comportant au moins deux établissements de cinquante salariés chacun ou plus. Dans ces entreprises en effet, en vertu de l'article L. 2143-5, chaque syndicat représentatif peut désigner un délégué central d'entreprise, distinct des délégués syndicaux d'établissement. Ce délégué central devra dorénavant avoir recueilli 10 % de la totalité des suffrages valablement exprimés dans le ou les établissements de l'entreprise concernée.

Dans le même esprit, le paragraphe V pose un nouveau régime de désignation du délégué syndical dans les établissements de moins de cinquante salariés . L'article L. 2143-6 dispose que dans ces établissements, les syndicats représentatifs peuvent désigner, pour la durée de son mandat, un délégué du personnel comme délégué syndical. Comme les délégués du personnel sont par définition élus, il est inutile de leur appliquer la condition des 10 %.

Cependant, il est nécessaire, dans la logique du texte, de prévoir que seuls les syndicats représentatifs au niveau de l'établissement peuvent désigner un délégué du personnel pour les représenter. C'est pourquoi le paragraphe V précise que cette capacité est réservée aux syndicats représentatifs « dans l'établissement » .

Le paragraphe VI organise le régime de suppression du mandat syndical . Actuellement, l'article L. 2143-11 dispose que cette suppression intervient en cas de réduction importante et durable de l'effectif en dessous de cinquante salariés et est subordonnée à un accord entre l'employeur et l'ensemble des organisations syndicales représentatives. A défaut d'accord, l'autorité administrative peut décider que le mandat de délégué syndical prend fin. Il est ici proposé que ce mandat prend également fin lorsque le délégué syndical ne bénéficie plus de la légitimité électorale instaurée par la nouvelle loi, c'est-à-dire lorsque l'organisation syndicale à l'origine de la désignation n'est plus représentative, ou lorsque le délégué lui-même n'a pas recueilli aux élections suivantes 10 % des suffrages valablement exprimés.

Enfin, le paragraphe VII étend la règle des 10 % au représentant du syndicat représentatif au comité d'entreprise dans les entreprises de plus de trois cents salariés. Dans ces entreprises, en vertu de l'article L. 2324-2, chaque organisation syndicale de travailleurs représentative dans l'entreprise peut désigner un représentant au comité d'entreprise, qui assiste aux séances avec voix consultative.

Ce représentant devra désormais être choisi en priorité parmi les candidats qui ont obtenu 10 % des suffrages valablement exprimés au premier tour des dernières élections professionnelles.

II - Les modifications adoptées par l'Assemblée nationale

L'Assemblée nationale a apporté deux modifications à cet article :

- d'une part, elle a considéré qu'à partir du moment où un suffrage est considéré comme « exprimé », il est implicitement mais obligatoirement reconnu comme « valablement exprimé » . L'adverbe « valablement » étant superflu, il a donc été supprimé ;

- d'autre part, la rédaction du paragraphe VI laissait subsister une insécurité juridique, dans la mesure où l'on pouvait comprendre que, contrairement aux dispositions en vigueur de l'article L. 2143-11, les mandats syndicaux étaient automatiquement remis en cause dès lors qu'on ne pouvait plus constater, dans l'entreprise, que l'effectif de cinquante salariés n'avait pas été atteint pendant douze mois, consécutifs ou non, au cours des trois années précédentes. La rédaction adoptée par l'Assemblée nationale permet de lever cette difficulté d'interprétation.

III - La position de votre commission

Le présent article s'inscrit parfaitement dans la logique du projet de loi et de la position commune : renforcer la légitimité des organisations syndicales et de leurs représentants.

Les trois premiers articles visaient à refonder la légitimité des syndicats sur leurs résultats électoraux. Cet article fait exactement la même chose pour les délégués syndicaux : ils devront forcément s'être présentés devant les salariés aux élections professionnelles et avoir obtenu un minimum de voix.

Cependant , trois ajustements sont nécessaires.

D'abord, aucune solution n'est prévue pour les cas où une organisation syndicale reconnue représentative dans l'entreprise ne trouve plus de salarié qui peut être désigné délégué syndical parce qu'il ne reste plus de candidats ayant obtenu 10 % des suffrages exprimés. Cette situation peut se produire notamment après le départ du délégué syndical en exercice. Votre commission propose donc d'adopter un dispositif visant à résoudre ce problème, en permettant que dans ce cas, une organisation syndicale représentative puisse désigner un délégué syndical parmi les autres candidats ou, à défaut, parmi ses adhérents au sein de l'entreprise.

Ensuite, la disposition proposée qui restreint le choix du délégué syndical central aux candidats ayant recueilli 10 % des suffrages dans un seul établissement de l'entreprise n'est pas satisfaisante. En effet, ce délégué aura pour mission de négocier pour l'ensemble des salariés de l'entreprise, et non uniquement pour ceux de l'établissement dont il est issu. Votre commission propose donc de prévoir que le délégué syndical central puisse être désigné librement par tout syndicat ayant prouvé sa représentativité dans l'entreprise.

Enfin, la mention « ou de la délégation unique du personnel » au paragraphe III de l'article L. 2143-4 n'a pas de sens, puisque le délégué syndical supplémentaire ne peut être désigné que dans les entreprises de plus de cinq cents salariés et que la délégation unique du personnel est limitée aux entreprises de moins de deux cent cinquante salariés. Votre commission propose donc de la supprimer.

Votre commission vous demande d'adopter cet article ainsi modifié.

* 31 Article L. 2142-1 du code du travail.

* 32 Article L. 2142-2 du code du travail.

* 33 Article L. 2142-3 du code du travail.

* 34 Article L. 2142-4 du code du travail.

* 35 Article L. 2142-10 du code du travail.

* 36 Articles L. 2232-11 et suivants.

* 37 On dit que si le délégué du personnel se contente de veiller à l'application du droit existant, le délégué syndical cherche à le modifier pour le rendre plus favorable aux salariés, même si cette fonction le conduit a fortiori à exiger lui aussi l'application des textes en vigueur (voir Droit du travail, droit vivant, 14 e édition, pp. 421-422, Jean-Emmanuel Ray, Editions Liaisons, 2005).

* 38 L'ancienneté est ramenée à quatre mois en cas de création d'entreprise ou d'ouverture d'un établissement nouveau, et à six mois pour les travailleurs intérimaires dans les entreprises de travail temporaire.

* 39 Il existe deux institutions représentatives du personnel élues au suffrage universel direct par les salariés : les délégués du personnel dans les entreprises de onze salariés et plus et le comité d'entreprise dans les entreprises de cinquante salariés et plus. Depuis 1993, dans les entreprises de moins de deux cents salariés, l'employeur peut décider que les délégués du personnel constituent la délégation du personnel au comité d'entreprise. Il ne peut prendre cette décision qu'après avoir consulté les délégués du personnel et s'il existe, le comité d'entreprise (article L. 2326-1 du code du travail). L'institution de la délégation unique vise à alléger les contraintes des petites entreprises. Les délégués du personnel et le comité d'entreprise conservent leurs attributions respectives que les mêmes élus exercent de manière alternative.

* 40 Les 10 % des suffrages s'apprécient « quel que soit le nombre de votants ». Cette précision vise à éviter l'application de la jurisprudence Adecco du 20 décembre 2006 de la Cour de cassation, selon laquelle, en l'absence de quorum aux élections professionnelles, les résultats sont considérés comme nuls et ne peuvent donc servir de fondement à la validité d'un accord majoritaire.

* 41 Il s'agit d'une part, du collège des ingénieurs, chefs de service, techniciens, agents de maîtrise et assimilés, d'autre part, du collège des ingénieurs, chefs de service et cadres administratifs, commerciaux ou techniques assimilés qui est constitué dans toutes les entreprises, quel que soit leur effectif, dès lors que le nombre de ces salariés est au moins égal à vingt-cinq. Le délégué supplémentaire est désigné parmi les adhérents du syndicat appartenant à l'un ou l'autre de ces deux collèges.

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