III. UN RETOUR À LA DÉCONSOLIDATION DE LA DETTE PUBLIQUE ?

Les mesures de soutien à l'économie envisagées ou annoncées par le gouvernement pourraient ne pas être intégrées au sein des engagements pris en compte au titre de la dette publique, au sens d'Eurostat .

Dans une logique de comptabilité nationale, cette déconsolidation peut apparaître bienvenue, dès lors qu'elle ne provoque pas une détérioration des conditions de financement de l'Etat sur les marchés. Elle doit s'accompagner d'une analyse plus précise des risques budgétaires pris, et de la soutenabilité de la dette parapublique.

A. LES MESURES D'AIDES À L'ÉCONOMIE POURRAIENT NE PAS AVOIR D'IMPACT SUR LE DÉFICIT ET LA DETTE PUBLICS AU SENS DU TRAITÉ DE MAASTRICHT

1. Des mesures de soutien à l'économie hors budget ?

Du point de vue de la comptabilité nationale et des règles de la comptabilité européenne, le dispositif prévu par la loi du 16 octobre 2008 précitée pour le financement de l'économie pourrait ne pas avoir d'impact sur le solde et la dette publics. Il en est de même des mesures de soutien à l'économie dont la Caisse des dépôts et consignations pourrait être le vecteur. Banque de France et Caisse des dépôts et consignations ne font pas partie, en comptabilité nationale de la « sphère publique ». Il s'agit de « sociétés financières » et non d'organismes divers d'administration centrale (ODAC).

On rappelle que cette loi a pour fonction essentielle d'autoriser 20 % du PIB, cette somme se répartissant entre :

- pour 320 milliards d'euros , la garantie des créances émises avant le 31 décembre 2009, accordée par une société de refinancement des établissements de crédits, au capital majoritairement détenu par les banques, et se finançant par des émissions obligataires garanties par l'Etat ;

- pour 40 milliards d'euros , les financements levés par une société de prises de participations de l'Etat (SPPE), dont l'Etat sera l'unique actionnaire et qui aura pour objet de souscrire à des titres émis par des organismes financiers.

Si les deux sociétés sont des entités de droit privé, leur rôle particulier dans le refinancement des établissements financiers, les conditions de leur création, leur gouvernance conduisent à s'interroger sur leur inclusion ou non dans le périmètre des administrations publiques .

Dans un souci de transparence, leur inclusion peut se justifier, mais elle devrait faire l'objet d'une décision harmonisée à l'échelle de l'Union européenne par Eurostat , compte tenu de la création de structures de nature semblable dans les principaux pays européens.

Dans tous les cas, la création de ces structures n'a pas d'impact sur le déficit public, mais leur endettement pourrait ou non être intégré au sein de la dette publique. De toute manière, cet endettement important, mais ponctuel, doit être distingué - puisqu'il serait issu d'opérations financières, notamment en capital - du niveau actuel de l'endettement public, résultant principalement de déficits récurrents en fonctionnement. Surtout, ces opérations comportent des contreparties économiques (détentions d'actifs financiers ou de contre-garanties).

2. Les opérations des structures publiques créées pour soutenir le système financier sont sans impact sur le déficit, et marginales en ce qui concerne la dette publique

En comptabilité maastrichtienne, est qualifié par Eurostat d'opération financière tout apport de capitaux à une société par un Etat membre si l'Etat reçoit en échange un actif financier de même valeur . L'apport de capitaux doit avoir trois caractéristiques : libre disposition par la société des capitaux mis à disposition, habilitation des actionnaires à recevoir des dividendes et émission d'actions pour un montant équivalent aux fonds placés. Dans ce cas, l'opération financière n'est pas considérée comme ayant un impact sur le besoin de financement des administrations publiques, c'est-à-dire sur le déficit . La même analyse peut être faite s'agissant des prêts par des structures publiques, dès lors qu'elles reçoivent en contrepartie un titre de créance, ou une participation en capital.

Dans ces conditions, et c'est encore le cas dans le contexte actuel, il est parfois nécessaire pour certaines opérations financières , de créer une structure de portage ad hoc . Lorsque celle-ci est publique, l'emprunt qui couvre l'opération financière est, lui, bien enregistré dans la dette publique.

La solution employée consiste communément à trouver un établissement public (classé dans la catégorie des ODAC), portant la dette, a priori garantie par l'Etat, et recevant en échange les titres de la société concernée. Il n'y a pas d'impact en dépense et en déficit, ni du point de vue de la comptabilité budgétaire, ni du point de vue de la comptabilité maastrichtienne. En revanche, il y a, bien évidemment, un impact sur la dette publique car il s'agit d'un ODAC. Il faut, en effet, prendre en considération le fait que la dette maastrichtienne est une dette brute et non une dette nette , qui tiendrait compte en regard des engagements financiers des administrations financiers de la valeur de leurs actifs ou de leurs créances.

3. Le statut public ou privé des deux sociétés devra être précisé

Il reviendra en définitive à Eurostat de décider de l'inclusion des deux sociétés de refinancement et de recapitalisation des banques dans le champ des administrations publiques. Il conviendra d'harmoniser le traitement comptable de l'ensemble des entités nouvellement créées par les différents pays européens. Dans une logique de transparence, une décision d'inclusion peut paraître justifiée . Il y aurait comme un paradoxe à annoncer sur l'initiative des pouvoirs publics, et sur décision des plus hautes autorités de l'Etat, la constitution de ces deux sociétés, qui apparaissent comme la traduction de sa stratégie face à la crise financière, et sur un plan comptable, à considérer que ces entités ne constituent pas une administration publique.

En ce qui concerne la société ayant pour objet de souscrire à des titres émis par des organismes financiers, le doute apparaît faible. Elle est détenue par un actionnaire unique, l'Etat, qui nomme ses dirigeants. Elle bénéficie d'une garantie à titre gratuit de celui-ci. Elle a, certes, vocation à se comporter comme un « investisseur avisé ». Mais son rôle, sur le plan économique, se différencie peu, sinon par son ampleur, du rôle qu'a tenu l'ERAP, classé au sein des administrations publiques, au moment de la recapitalisation de France Télécom en 2003 . La garantie de l'Etat vise expressément, selon l'article 6 de la loi n° 2008-1061 du 16 octobre 2008 de finances rectificative pour le financement de l'économie, à assurer « la stabilité du système financier français ». Selon l'INSEE, on peut être amené à classer une société holding publique dans le secteur des administrations publiques lorsque « le holding a été mis en place par l'État « à des fins de politique générale » (développement d'investissements publics pour lesquels les capitaux privés ne sont pas nécessairement disponibles), et / ou avec un objectif précis et limité dans le temps : en général réorganiser des entreprises publiques et les privatiser, ou encore vendre des actifs douteux (cas de défaisance notamment) » .

Le cas du reclassement de la dette du consortium de réalisation (CDR) : rappels du rapport d'information de votre rapporteur général sur l'évolution de la dette publique de 2002

« Dans le cadre de la crise du Crédit Lyonnais, l'Etat est intervenu afin d'aider cette société à se défaire de certains de ses actifs. Une double structure a été mise en place : une structure de financement (EPFR), et des structures de cantonnement et de gestion des actifs (regroupées dans le groupe CDR). Dans le cadre de ce dispositif, l'Etat a apporté sa garantie à un prêt effectué par la banque à la structure de financement.

Un temps, on considéra que les organismes de défaisance étaient engagés dans une forme d'intermédiation financière, empruntant pour financer l'achat d'actifs qu'ils revendaient ensuite sur le marché. Ils furent exclus du champ des administrations publiques et leur dette ne fut dès lors pas considérée comme une composante de la dette publique, solution qui favorisa le respect du critère de dette publique posé comme exigence à l'adoption de l'euro.

Le SEC 95 (§ 2.34) devait estimer que le fait de s'exposer réellement au risque est une caractéristique essentielle de l'intermédiation financière. On dut alors considérer que ces structures agissaient au nom des administrations publiques, lesquelles prenaient de fait à leur charge la majeure partie du coût final de la défaisance.

Pour la structure de financement (l'EPFR), on considéra que, mise en place par l'État, contrôlée et in fine largement financée par lui, elle avait naturellement vocation à être classée dans le secteur des administrations publiques.

Pour la structure de cantonnement et de gestion des actifs (le CDR), son statut et la réalité de son activité financière sur le marché, qui auraient pu conduire à la classer formellement dans la catégorie des institutions financières, cédèrent devant le critère essentiel de l'exposition au risque ; celui-ci n'étant pas respecté, le dispositif de défaisance a été considéré dans sa globalité, et dans sa signification économique, par-delà l'apparence juridique.

Les deux structures (à l'exception d'une filiale du CDR) ont donc été reclassées en ODAC et furent ainsi, tardivement, réintégrées dans les administrations publiques. Considérées finalement comme des gestionnaires publics de biens, ayant une activité non marchande, leur dette fut intégrée dans la dette publique ».

Source : rapport d'information n° 361 (2001-2002)

S'agissant de la société de refinancement des établissements de crédits, le diagnostic peut paraître plus délicat, au moins sur un plan formel. Société de droit privé, la composition de son actionnariat n'est pas connue à ce jour. Mais ce capital devrait être mixte, avec une participation conjointe des établissements bancaires et de la puissance publique.

La société bénéficie d'une garantie de l'Etat, mais à titre onéreux. Un commissaire du gouvernement assiste aux séances de l'organe d'administration de la société avec un droit de veto sur les décisions de nature à affecter les intérêts de l'Etat au titre de sa garantie. Ses dirigeants seraient agréés par l'Etat, mais non nommés par lui. Elle constitue une institution financière. Comme on l'a déjà mentionné plus haut, la Banque de France ou la Caisse des dépôts et consignations : elles ne sont pas classées au sein des administrations publiques, mais dans le champ des institutions financières.

Pour le traitement en comptabilité nationale de la société de refinancement des établissements de crédits, tout dépendra dès lors de son autonomie de décision par rapport à l'Etat , et des conditions d'exercice de son activité « d'intermédiaire financier ». En l'espèce, le critère important sera de savoir si la société s'expose réellement par elle-même au risque , comme un intermédiaire financier de marché, ou si elle agit au nom de l'Etat. Elle pourrait se définir comme une « structure de place ». Mais son intervention sera en pratique étroitement liée , puisqu'elle conditionne la garantie à des conventions que l'Etat passera avec les banques .

Tout dépendra, dans les deux cas d'espèce, de la pratique, c'est-à-dire de la vie des deux entités concernées, et de la nature réelle, sur le plan économique, de leur activité. Quoiqu'il en soit, et si l'endettement d'une ou des deux entités ne devait pas figurer au sein de la dette publique, le Parlement devra être informé du niveau de leurs emprunts.

Une analyse des risques pris au titre du contribuable, et une analyse économique, en termes de soutenabilité des engagements souscrits, devra être fournie au Parlement . Au-delà des considérations un peu ésotériques relevant des décisions d'Eurostat, il est clair que ces deux outils n'ont été mis en place que grâce à la volonté de l'Etat, et que leur dette sera économiquement, même si elle ne l'est pas juridiquement, une dette de l'Etat.

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