II. UN RETOUR À L'ÉQUILIBRE SOUMIS À DE NOMBREUX ALÉAS

Au moment où les bases du redressement paraissaient posées, la crise financière et la crise économique qui en découle, viennent remettre en cause la trajectoire ambitieuse définie pour un retour à l'équilibre des comptes de la sécurité sociale en 2012.

A. LES PRÉREQUIS

Comme l'indique le rapport annexé au projet de loi de programmation des finances publiques, l'une des conditions essentielles au redressement est le retour de la croissance.

Votre commission estime également indispensable la poursuite de réformes à caractère plus structurel.

1. Préparer le retour de la croissance

Le cadrage macroéconomique du présent projet de loi, identique à celui qui figurait dans le texte initial du projet de loi de programmation des finances publiques, était établi sur les hypothèses d'évolution économique suivantes :

Hypothèses d'évolution en moyenne annuelle sur la période 2009-2012

2009

2010-2012

Pib (en volume)

+ 1 %

+ 2,5 %

Masse salariale du secteur privé

+ 3,5 %

+ 4,6 %

Ondam (en valeur)

+ 3,3 %

+ 3,3 %

Inflation hors tabac

+ 2 %

+ 1,75 %

Ces hypothèses, que votre commission qualifiait de plutôt volontaristes il y a un mois, semblent aujourd'hui clairement dépassées, compte tenu de l'aggravation de la conjoncture mondiale.

Le Gouvernement a donc choisi, en toute transparence et dans un souci d'objectivité, de réviser à la baisse trois des hypothèses envisagées pour 2009 :

- la croissance du Pib serait comprise entre 0,2 % et 0,5 % ;

- l'inflation serait limitée à 1,5 % ;

- la masse salariale du secteur privé serait estimée à 2,75 %.

En revanche, le Gouvernement a décidé de maintenir la prévision de progression de l'Ondam à 3,3 %.

Ce cadrage est sans aucun doute plus réaliste. Mais il entraine des conséquences très lourdes en termes de perte de recettes et, par voie de conséquence, d'aggravation des déficits. En effet, un point de masse salariale en moins représente environ 2 milliards de moindres recettes pour le régime général .

Une telle situation justifie que les efforts soient amplifiés pour réformer structurellement notre système.

2. Trois défis à relever

Comme votre commission l'a indiqué à plusieurs reprises, seules des réformes en profondeur permettront de sauvegarder notre protection sociale.

Trois défis majeurs doivent en particulier être relevés :

- pour l'assurance maladie, aller au-delà des plans d'économies

Cette exigence doit s'appuyer sur une démarche constante de recherche des marges d'efficience qui sont nombreuses dans tous les secteurs, que ce soit les soins de ville, le médicament ou l'hôpital.

Dans ce but, votre commission souhaite qu'une véritable réforme de l'hôpital, sous tous ses aspects, qu'elle estime urgente et qu'elle appelle depuis longtemps de ses voeux soit engagée sans plus attendre. A cet égard, elle attend beaucoup du projet de loi « Hôpital, Santé, Patients, Territoires » qui devrait être examiné par le Parlement au début de 2009, mais plus encore de la mise en oeuvre effective sur le terrain de l'ensemble des mesures adoptées au cours des dernières années.

De la même façon, une réflexion approfondie sur la prise en charge des ALD devra être menée rapidement, compte tenu de leur taux de progression actuel et des conséquences que cela implique, par exemple dans la répartition des charges entre les trois acteurs du système, l'assurance maladie obligatoire, les assurances complémentaires et les assurés.

- pour la branche vieillesse, prendre les mesures nécessaires à la sauvegarde du régime

Le tome 5 du présent rapport propose un grand nombre d'orientations pour essayer de faire évoluer notre système de retraite.

Sans les détailler ici, il importe de souligner l'urgence de prendre des mesures à caractère durable de façon à la fois à sauvegarder le système actuel par répartition et à assurer, dans ce cadre, un taux de remplacement correct et à cesser de reporter les déficits très élevés actuels sur les générations qui viennent.

- pour un financement durable de la protection sociale, préserver les recettes actuelles et mobiliser de nouvelles ressources

En matière de recettes, deux priorités doivent être retenues : éviter un trop grand effritement des recettes actuelles et imaginer le moyen de mobiliser de nouvelles ressources.

Pour respecter le premier objectif, il convient, d'une part, d'analyser les caractéristiques et les assiettes des ressources actuelles pour notamment empêcher leur « mitage », d'autre part, de se fixer un corpus de règles pour ne pas céder à la tentation facile de l'adoption de dispositifs d'exonérations. Ces deux aspects sont abordés dans la suite du rapport.

En ce qui concerne le deuxième objectif, votre commission rappelle qu'elle a lancé plusieurs débats, l'un sur la taxe nutritionnelle sur lequel elle avait d'ailleurs été suivie par le Sénat en loi de financement pour 2008, l'autre sur une orientation, au moins partielle, de la fiscalité écologique vers la sécurité sociale.

Le débat sur l'instauration d'une taxe nutritionnelle

I. Rappel de la position de la commission des affaires sociales sur la « fat tax »

L'analyse faite il y a un an par la commission des affaires sociales et par la Mecss est partie d'un double constat :

- la nécessité de lutter contre l'obésité , en réelle progression dans notre pays, et de renforcer les moyens actuels destinés à modifier les comportements alimentaires et à favoriser un meilleur équilibre alimentaire ;

- l'obligation de trouver et de diversifier les ressources nécessaires au rééquilibrage des comptes de la sécurité sociale .

La mise en place d'une taxe nutritionnelle permet de répondre à cette double préoccupation.

C'est au départ une idée américaine. A partir du début des années quatre-vingt, dans certains Etats américains, on décide de faire financer des campagnes promotionnelles en faveur d'une meilleure alimentation, alors inexistantes et pourtant jugées indispensables compte tenu de la progression de l'obésité, par la taxation des produits considérés comme les plus néfastes sur le plan alimentaire : sodas et boissons sucrées, bonbons et barres chocolatées, chips et autres snacks gras et salés.

Puis, la constatation d'un écart de coût de plus en plus important entre les produits sains, notamment les fruits et légumes, et les produits « malsains » conduit à l'idée qu'on pourrait taxer les « mauvais » produits et, à l'inverse, favoriser une baisse du prix des produits bons pour la santé, de façon à réduire cet écart.

Le principe est donc simple : taxer les produits non satisfaisants sur le plan nutritionnel.

Plusieurs modalités peuvent a priori être retenues :

- la taxation de certaines catégories de produits avec l'application d'un taux ou d'un montant par unité de produit ; exemple : 1 % du prix de vente hors taxe des confiseries, un centime par canette de boisson sucrée ou gazéifiée ;

- la taxation des composants jugés mauvais sur le plan nutritionnel (graisses, sel, sucre) et qui entrent dans la composition des produits alimentaires ;

- l'augmentation du taux de la TVA applicable à certains produits ; par exemple en France, on pourrait augmenter de 5,5 à 19,6 % le taux de TVA applicable aux barres chocolatées, sodas, chips, confiseries.

La commission des affaires sociales a retenu la première option . En effet, il ne lui a pas paru opportun d'augmenter la TVA, dont il pourrait être difficile de récupérer le produit supplémentaire pour l'affecter à la sécurité sociale. De même, la taxation des composants est extrêmement complexe à mettre au point et n'a d'ailleurs jamais encore été mise en oeuvre à ce jour.

L'amendement adopté par le Sénat dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 visait donc simplement à taxer les boissons sucrées (à l'exception des jus de fruits et des eaux minérales aromatisées) en appliquant un taux de 1 % au prix de vente hors taxe de ces produits.

Le choix des boissons sucrées visait à éviter de toucher des produits de première nécessité tout en ciblant la taxe sur des produits réellement néfastes sur le plan nutritionnel. Il s'agissait, pour le Sénat, de donner un signe ... qui a d'ailleurs été entendu, tant par le Gouvernement qui s'est engagé au dépôt d'un rapport, que par les professionnels concernés, et, naturellement aussi, les médias.

Quels sont les principaux arguments en faveur de la taxe ?

- elle permettrait de donner un signe à la population, d'imposer une prise de conscience sur les conséquences sanitaires des choix alimentaires. Le monde de la médecine, de même que l'OMS, se prononcent aujourd'hui sans équivoque sur la nécessité de donner cette alerte ;

- elle pourrait contribuer à financer le coût en augmentation rapide des problèmes de santé liés à l'obésité et aux mauvais comportements alimentaires.

L'élément fiscal ne peut toutefois, à l'évidence, être le seul moyen de lutter contre l'obésité. Il doit être associé à des campagnes promotionnelles, à de l'éducation et de la pédagogie, à l'incitation au développement des activités physiques et sportives, à une négociation active avec les industries alimentaires (réduction des teneurs en graisses, en sucre et en sel, diminution des portions, étiquetage des produits, contrôle du marketing et de la publicité), etc.

Quelle réponse apporter aux arguments avancés contre la taxe ?

- la taxe serait une atteinte à la liberté et à la vie privée, une intrusion du Gouvernement dans les choix nutritionnels qui sont éminemment personnels : argument toujours avancé dans les pays anglo-saxons. Mais ne taxe-t-on pas déjà le tabac ou l'alcool, pour des raisons précisément liées à la santé de la population ?

- la taxe aurait un impact disproportionné sur les populations pauvres ou à faible revenu ; mais ce sont aussi celles qui souffrent le plus des problèmes de santé liés à cette mauvaise alimentation et qu'il convient donc d'accompagner sur un meilleur chemin nutritionnel ;

- la difficulté du choix des aliments taxables , par exemple dans notre pays le problème des fromages qui ont un taux élevé de matière grasse ; cet argument existe bien sûr mais il ne paraît pas insurmontable : il est possible de mettre en place des taxes simples et claires, comme l'ont fait plusieurs Etats américains sur les sodas et boissons sucrées.

Pourquoi affecter la « fat tax » au financement de l'assurance maladie ?

- les mauvais régimes alimentaires et le manque d'exercice sont responsables de nombreux problèmes de santé : diabète, problèmes cardiaques, cancer, opérations du genou et de la hanche. Le coût de l'obésité est donc réel pour l'assurance maladie , sans parler des indemnités journalières ou même des allocations invalidité qui doivent parfois être versées.

Une étude de la Cnam démontre que, par rapport au reste de la population, les personnes obèses dépensent en moyenne 27 % de plus en soins de ville et 39 % en pharmacie. La Commission européenne estime que les dépenses liées à l'obésité coûtent chaque année entre 75 et 130 milliards d'euros à l'Europe des 15 ;

- le rendement d'une telle taxe n'est pas négligeable : même fixée à un taux modique, une taxe sur les aliments malsains peut générer des recettes importantes. Plusieurs Etats américains ont mis en place de telles taxes, à des taux faibles, essentiellement sur les sodas et boissons sucrées. Elles rapportent en général plusieurs centaines de millions de dollars par an aux budgets des Etats concernés. En France, on pourrait sans difficulté concevoir la mise en place une taxe qui rapporterait 500 millions d'euros par an ;

- dans la plupart des pays où une telle taxe a été instituée, son produit a été affecté au budget général, l'idée étant toutefois affirmée que ces sommes supplémentaires doivent permettre de renforcer les programmes de promotion de la santé, notamment à l'école, ou de subventionner des aliments tels que les fruits et légumes ou la pratique d'activités sportives et de mise en forme.

En France, ce serait une erreur d'affecter ces sommes au budget de l'Etat. En effet, ce n'est pas l'Etat qui prend en charge les dépenses supplémentaires liées aux problèmes nutritionnels.

Par ailleurs, on a déjà mis en place un système pour le financement de campagnes nutritionnelles par l'institut national de prévention et d'éducation à la santé (Inpes) à partir d'un prélèvement sur les publicités télévisées qui, d'ailleurs, ne fonctionne pas parfaitement et devra sans doute être revu.

C'est donc à l'assurance maladie qu'il faudra affecter le produit d'une éventuelle « fat tax » car c'est elle qui supporte l'essentiel des coûts dus aux problèmes nutritionnels et d'obésité, de la même façon que les droits tabacs ou alcools sont désormais, en très large partie, affectés à la sécurité sociale.

C'est d'ailleurs pour la même raison que la commission des affaires sociales suggère aussi, dans un autre ordre d'idée, qu'une partie de la future fiscalité écologique soit affectée à la sécurité sociale.

II. Le rapport de la mission IGF/Igas sur l'intérêt de mettre en place une taxe nutritionnelle

Cette mission est intervenue à la suite de la promesse faite en séance au Sénat par Eric Woerth, au nom du Gouvernement, à propos de l'amendement de la commission des affaires sociales instaurant une taxe sur les boissons sucrées.

Le 7 janvier 2008, les ministres de l'économie, des comptes publics et de la santé ont donc confié conjointement à l'Inspection générale des finances et à l'Inspection générale des affaires sociales la mission d'évaluer l'intérêt de la mise en place d'une contribution sur les produits trop gras, trop sucrés ou trop salés.

Le rapport qui devait être remis le 1 er juin au plus tard devait comporter :

- une évaluation précise des coûts pour l'assurance maladie liés à la consommation excessive de produits trop gras, trop sucrés ou trop salés ;

- une analyse de l'efficacité de la mise en place d'une contribution sur ces produits pour répondre à la progression de l'obésité au sein de la population française ;

- en lien avec les travaux de la revue générale des prélèvements obligatoires, une présentation des options qui pourraient être retenues dans la mise en oeuvre d'une telle contribution.

La lettre de mission précisait en outre que la mission devra veiller à intégrer les résultats des travaux scientifiques les plus récents dans le domaine de la santé et prendre en compte l'impact de ses propositions sur le pouvoir d'achat des ménages, au regard notamment des produits de substitution existants.

Remis à la fin du mois de juillet, ce rapport a abouti aux conclusions suivantes :

- il est vrai que les habitudes alimentaires des Français ont évolué au cours des années récentes avec notamment un accroissement de la consommation des boissons sucrées, des biscuits apéritifs, des biscuits sucrés, des plats cuisinés à emporter ou de la restauration à emporter ;

- le sujet est délicat : l'alimentation est un domaine symbolique en France, les industries alimentaires ont un poids économique majeur ;

- la création d'une taxe nutritionnelle devra clairement se situer comme une mesure destinée au financement de l'assurance maladie et comme une mesure-signal en faveur du changement des comportements alimentaires ; elle devra donc être accompagnée de dispositifs en matière d'information et de pédagogie ;

- la création d'une taxe sui generis rencontrerait un certain nombre d'obstacles juridiques, pratiques et techniques ; en revanche, le recours aux outils fiscaux disponibles devrait être privilégié et en particulier la TVA ; les mesures fiscales devront surtout privilégier les produits de snacking ;

- une actualisation des droits d'accises sur les alcools apparait aussi tout à fait fondée.

III. Le rapport de l'Assemblée nationale

Le rapport d'information de l'Assemblée nationale sur la prévention de l'obésité, présenté à la commission des affaires culturelles et sociales de cette assemblée par la députée Valérie Boyer, propose de faire de l'équilibre nutritionnel et de la lutte contre l'obésité une grande cause nationale pour 2009 .

Parmi les (nombreuses) propositions qu'il contient, il suggère :

- de faire passer le taux de Tva applicable aux produits de grignotage et de snacking de 5,5 % à 19,6 % ;

- en contrepartie, d'engager une procédure au niveau européen pour pouvoir assujettir certains produits comme les fruits et légumes à un taux super-réduit dérogatoire de 2 % ;

- renchérir la taxe sur la publicité pour les produits avec ajout de sucre, en la portant à 5 % (au lieu de 1,5 % actuellement), en supprimant parallèlement les exonérations possibles ;

- afficher le contenu en calories sur les publicités et les tickets de caisse des fast-foods ;

- étudier la question de l'utilisation des chèques restaurant pour l'achat de fruits et légumes.

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