IV. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES LOIS ADOPTER LES PROJETS DE LOI SANS MODIFICATION

A. SALUER L'ADAPTATION DE LA RÉPARTITION DES SIÈGES DE DÉPUTÉS AUX ÉVOLUTIONS DÉMOGRAPHIQUES, RÉFORME ATTENDUE DE LONGUE DATE

Ayant examiné attentivement les dispositions relatives à la délimitation des circonscriptions et à leur mode de scrutin, votre commission des Lois a décidé de les approuver sans modification.

1. Approuver les modalités prévues pour le « remodelage » des circonscriptions législatives

Votre commission des Lois souhaite saluer le choix d'adapter la délimitation des circonscriptions des élections législatives qui mettra fin à une situation choquante au regard du respect du principe d'égalité du suffrage.

Elle souhaite rappeler que le Sénat, en 2003, avait de lui-même adapté la répartition des sièges de ses membres pour tenir compte des évolutions démographiques intervenues dans les collectivités territoriales qu'il représente.

Votre rapporteur veut aussi insister sur les garanties apportées pour assurer, d'une part, la transparence et la sincérité du processus de redécoupage et, d'autre part, l'effectivité de la réforme :

- avant la présentation des textes examinés en Conseil des ministres, les formations politiques représentatives ont été consultées afin que les règles présidant aux opérations soient connues de tous et elles continueront à l'être lorsque ces dernières seront en cours ;

- l'habilitation autorisant le Gouvernement à procéder au redécoupage des circonscriptions par ordonnance, dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, a fait l'objet d'un consensus à l'Assemblée nationale.

Cette procédure permet en effet d'assurer la mise en oeuvre rapide de la réforme sans empêcher le Parlement d'arrêter ses choix . En effet, il peut s'exprimer sur les habilitations autorisées par le présent projet de loi ordinaire. Il pourra ensuite vérifier si ses choix ont été respectés par les projets d'ordonnances lors de la ratification.

Cette solution avait d'ailleurs été initialement retenue lors du dernier redécoupage de 1986 ;

- le travail de redécoupage serait encadré non seulement par l'avis du Conseil d'Etat mais également par l'avis public de la commission indépendante prévue à l'article 25 de la Constitution. Le choix de joindre trois personnalités qualifiées, respectivement désignées par le Président de la République, le président de l'Assemblée nationale et le président du Sénat, après avis des commissions permanentes compétentes de la ou les assemblées concernées constitue l'une des premières mises en oeuvre de la réforme de la procédure de nomination des emplois ou fonctions les plus importants prévue par la révision constitutionnelle.

A cet égard, votre rapporteur veut souligner que, conformément aux souhaits du Sénat lors de la révision constitutionnelle, les commissions compétentes des deux assemblées se prononceront séparément sur la nomination des candidats, conformément au principe d'autonomie des assemblées.

Il représente aussi un signe fort de transparence puisque ces désignations seront en pratique précédées par une audition des candidats par les commissions parlementaires, et par un avis public de ces dernières. L'opposition parlementaire sera associée à ces désignations et pourra s'exprimer sur la personnalité envisagée. Et l'on n'imagine mal qu'une personnalité refusée par cette dernière soit nommée - quand bien même le « veto » des 3/5 èmes des suffrages exprimés ne serait pas atteint .

Avec cette avancée notable, l'incompatibilité existant entre la fonction de membre de la commission et tout mandat électif et l'affirmation de la liberté totale des membres dans leur tâche sont autant de garanties effectives de l'indépendance de la commission ;

- le calendrier des opérations est clair . Selon le ministère de l'intérieur, les chiffres de la population devraient être connus en janvier 2009. De là, à titre indicatif, on peut considérer que les projets d'ordonnances pourront être élaborés dans le premier trimestre 2009. La commission prévue à l'article 25 de la Constitution et le Conseil d'Etat pourront alors être saisis. La ratification des ordonnances par le Parlement pourrait intervenir avant la fin de la présente session ;

- sur le fond, la méthode arrêtée pour le redécoupage (méthode par tranches de populations) a toujours été utilisée depuis 1875. Par ailleurs, les critères retenus pour l'encadrer (élection sur des bases essentiellement démographiques, continuité territoriale des circonscriptions, exceptions justifiées par des impératifs d'intérêt général...) ont été définis, parfois avec plus de précision, par le Conseil constitutionnel en 1986.

2. Emettre quelques observations sur les dispositions relatives à la répartition des sièges de députés

Conformément à une tradition républicaine 27 ( * ) bien établie, votre commission des Lois a décidé de ne pas modifier les dispositions relatives au nombre, au mode de scrutin des députés et à la délimitation de leurs circonscriptions. Elle a toutefois souhaité émettre quelques observations sur ces dispositions.

En premier lieu, le choix du Gouvernement de fixer le nombre total de députés dans la loi organique et de laisser la loi ordinaire arrêter le nombre de ceux qui sont élus dans les départements et dans les collectivités d'outre-mer constitue une évolution compatible avec la lettre de l'article 25 de la Constitution.

Il convient de souligner que, comme pour l'Assemblée nationale aujourd'hui, aucune disposition organique ne fixe aujourd'hui l'effectif total du Sénat et que plusieurs articles organiques du code électoral fixent le nombre de sénateurs élus dans les départements, dans les collectivités d'outre-mer et par les Français établis hors de France. Ces dispositions ne seraient pas modifiées par la présente réforme.

En deuxième lieu, votre rapporteur note que dès lors qu'il revient à la loi ordinaire de fixer le nombre de députés élus par les Français établis hors de France, ce dernier peut également être fixé par ordonnance comme le prévoit l'article 2 du projet de loi ordinaire . La voie des ordonnances semble de plus cohérente avec l'urgence de la détermination du nombre de ces députés et avec la nécessité de laisser une marge de manoeuvre au Gouvernement pour arrêter ce nombre en fonction des dernières données chiffrées connues sur les Français établis hors de France.

Il constate que le choix du Gouvernement, tendant, d'une part, à fixer ce nombre de députés au regard d'une base démographique établie en fonction des inscrits au registre consulaire et sur les listes électorales consulaires et, d'autre part, à prévoir leur élection au scrutin uninominal majoritaire dans plusieurs circonscriptions n'est pas celui de l'Assemblée des Français de l'étranger, qui, par deux fois, en septembre 2007 et 2008, a souhaité : l'élection de douze députés par le Français établis hors de France à la représentation proportionnelle.

Mais votre rapporteur rappelle que :

- sur la base démographique , les règles susceptibles d'être retenues tiennent compte d'une réalité : les inscrits sur les listes électorales consulaires le sont parfois aussi sur des listes électorales communales et pourront à l'avenir continuer à voter aux élections législatives dans ces communes. Cette population ne peut donc être prise en compte « deux fois » pour le calcul du nombre de députés concernés. De même, si le nombre des députés dans les départements et des collectivités repose sur une base démographique composée « d'habitants », il paraît cohérent d'exclure la population étrangère pour le calcul du nombre de députés élus à l'étranger sous peine d'aboutir à des aberrations ;

La base démographique susceptible d'être retenue par le Gouvernement :

Nombre d'inscrits sur les registres consulaires votant à l'étranger pour toutes les élections où cette possibilité est ouverte (509.140) x nombre d'inscrits sur les registres consulaires (1.403.580)/nombre d'inscrits sur les listes électorales consulaires (863.854) = Base démographique.

- l'extension à l'élection des députés élus par les Français établis hors de France du scrutin uninominal majoritaire en vigueur pour l'élection des autres députés constitue un choix clair du Gouvernement et de l'Assemblée nationale pour qui le mode de scrutin des députés élus par les Français de l'étranger doit être arrêté avant tout en fonction de la nécessité de faire émerger une majorité stable à l'Assemblée nationale permettant au Gouvernement de mener sa politique.

En troisième lieu, les débats à l'Assemblée nationale ont mis à jour une interrogation sur les modalités pratiques de la nécessaire conciliation entre le principe constitutionnel d'égale représentation des populations de chacune des circonscriptions pour l'élection des députés et la possibilité pour les habitants de certains territoires de « faire entendre leur voix » à l'Assemblée nationale en respectant le plafond constitutionnel de 577 députés.

La croissance démographique rapide et parfois fluctuante de certaines collectivités d'outre-mer au cours des dernières années (à titre d'exemple, Mayotte comptait environ 160.000 habitants au recensement de 1999 mais environ 186.000 habitants et 62.000 électeurs inscrits en 2007) pose incontestablement la question de la validité de la prise en compte du seul critère du nombre d'habitants pour fixer le nombre des députés. L'amendement initié par notre collègue René Dosière, qui a précisé que son dispositif ne concernait pas les circonscriptions métropolitaines, tend à y apporter une réponse.

Le Gouvernement s'en est remis à la sagesse de l'Assemblée, estimant d'une part, que l'amendement de M. René Dosière soulevait le problème de l' « augmentation du nombre de députés du seul fait d'une présence importante de ressortissants étrangers dans un département ou une collectivité d'outre-mer » et, d'autre part, que l'on ne pouvait préjuger de la position du Conseil constitutionnel sur la conformité à la Constitution d'un tel « tempérament » à l'application du critère de population 28 ( * ) .

En quatrième lieu, le choix, exprimé en première lecture par l'Assemblée nationale, de supprimer l'obligation d'élection d'au moins un député dans chaque collectivité d'outre-mer tend à revenir sur l'instauration prévue d'un siège de député élu à Saint-Barthélemy et d'un autre à Saint-Martin.

Ce choix reviendrait sur un principe jamais formulé mais implicitement reconnu par le législateur lors des opérations passées de nouvelle répartition des sièges de députés. En l'état du droit, chaque collectivité d'outre-mer élit un député, quelle que soit sa démographie.

Sans doute faut-il y voir une manifestation d'un « impératif d'intérêt général » lié aux caractéristiques de ces collectivités permettant, selon le Conseil constitutionnel, de s'affranchir du seul critère de la population.

Votre rapporteur , qui estime que le règlement de cette question concerne avant tout nos collègues députés, souhaite cependant rappeler le contexte dans lequel les deux sièges de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin ont été institués en 2007.

Ils furent créés par des amendements du Gouvernement rejoignant des amendements similaires de la commission des Lois de l'Assemblée nationale, au cours des débats sur la loi organique n° 2007-223 du 21 février 2007 portant dispositions institutionnelles et statutaires relatives à l'outre-mer, qui a précisé le statut des îles de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, jusqu'alors rattachées au département de la Guadeloupe et désormais élevées au rang de collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 de la Constitution.

Les articles L.O. 479 et L.O. 506 actuels du code électoral, qui seraient supprimés par l'article 7 du projet de loi organique, indiquent en effet respectivement qu'un député à l'Assemblée nationale est élu à Saint-Barthélemy (8.450 habitants) et qu'un autre est élu à Saint-Martin (29.112 habitants). En complément, l'article 18-I de la loi organique a prévu que ces articles nouveaux entreraient en vigueur à compter du renouvellement général de l'Assemblée nationale suivant le renouvellement de juin 2007.

Cependant, lors des débats sur son amendement tendant à fixer l'effectif maximal de l'Assemblée nationale dans l'article 24 de la Constitution, dans le cadre de la discussion du projet de loi constitutionnelle, le président et rapporteur de la commission des Lois, notre collègue Jean-Luc Warsmann, avait précisé que ce dispositif « aurait également pour effet de revenir sur la décision de créer deux sièges de députés pour les collectivités de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy . » 29 ( * )

Il avait ajouté en séance publique : « Aujourd'hui, le Gouvernement nous indique qu'il va rentrer dans une période de redécoupage complet. Madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, nous ne souhaitons pas de député pour l'île de Saint-Martin, ni pour l'île de Saint-Barthélemy (...) Nous souhaitons que, dans le cadre du redécoupage électoral, le Gouvernement prenne d'autres dispositions. Les deux collectivités ont été créées par la loi. Qu'elles aient chacune un sénateur, nous n'avons pas d'opinion là-dessus ; mais un député pour chacune, nous disons non, parce que nous considérons que cela ne respecterait pas des principes que nous appliquons sur l'ensemble des territoires français. » 30 ( * )

En première lecture sur la présente réforme, l'Assemblée nationale a donc supprimé le principe de l'élection d'un député dans chaque collectivité d'outre-mer régie par l'article 74 de la Constitution, prévue dans la rédaction initiale de l'article du projet de loi ordinaire.

Selon le rapporteur de l'Assemblée nationale, « L'amendement (de la commission) tend à supprimer, dans le huitième alinéa de l'article 2, la disposition prévoyant qu'il y ait au minimum un député dans chaque collectivité d'outre-mer et en Nouvelle-Calédonie .(...)

Il permet de répondre à la préoccupation exprimée par plusieurs orateurs (...) au sujet de Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Ces deux îles ont respectivement une population de 35 000 et 7 000 habitants, ce qui fait que, avec l'application de la répartition par tranche, elles ne peuvent avoir un député chacune, sauf à adopter la disposition de l'article 2 selon laquelle une collectivité d'outre-mer doit posséder au moins un député .

Or nous pensons que cela ne doit pas être le cas pour Saint-Martin et Saint-Barthélemy, dont les populations peuvent être représentées -comme c'est le cas actuellement, sans qu'elles s'en trouvent mal- en étant intégrées dans l'une des circonscriptions de la Guadeloupe.

Nous souhaitons donc supprimer cette disposition, le Gouvernement étant libre, s'il le souhaite, de prévoir un seul siège pour les deux îles.

Par ailleurs, je tiens à faire remarquer que nos réticences ne valent ni pour Saint-Pierre-et-Miquelon ni pour Wallis-et-Futuna, qui sont dans une situation très différente. Saint-Pierre-et-Miquelon est une collectivité isolée, à l'écart de tout, et il est indispensable qu'elle ait son député, quoi qu'il arrive. De la même façon, il serait difficile de rattacher, pour l'élection des députés, le territoire de Wallis-et-Futuna à la Nouvelle-Calédonie, distante de 2 100 kilomètres. »

Toutefois, à l'issue de ces débats, le secrétaire d'Etat à l'outre-mer, M. Yves Jégo, a confirmé que le prochain redécoupage des circonscriptions confirmerait la création de ces deux sièges : « le Gouvernement ne change pas sa position, la Constitution est claire, il y aura un député pour Saint-Martin et un député pour Saint-Barthélemy » 31 ( * ) . Et devant votre commission des Lois, « il a rappelé que le Gouvernement avait retenu le principe de la représentation de chaque collectivité d'outre-mer par un sénateur et un député. Il a regretté que le débat engagé sur la représentation parlementaire des collectivités d'outre-mer ait conduit à viser spécifiquement certains territoires, dans le cadre de ce qui pourrait apparaître comme une forme de racisme territorial, faute de critère lisible. » 32 ( * )

* 27 Lors des débats sur la nouvelle délimitation des circonscriptions législatives de 1986, l'ancien président de la commission des Lois, M. Jacques Larché, avait constaté que le Sénat, par principe, ne remettait pas en cause les choix arrêtés par les députés en la matière en relevant que sur les neuf lois ayant procédé ou autorisé les redécoupages précédents, six avaient été adoptées sans modification et trois avec des modifications rédactionnelles ou de coordination (rapport n° 15, 1 ère session ordinaire 1986-1987).

* 28 Assemblée nationale, deuxième séance publique du 20 novembre 2008.

* 29 Bulletin des commissions - réunion du 14 mai 2008 à 9h30 :

www.assemblee-nationale.fr/13/cr-cloi/07-08/c0708058.asp#P6_316 .

* 30 Deuxième séance publique du 26 mai 2008 :

www.assemblee-nationale.fr/13/cri/2007-2008/20080168.asp .

* 31 Déclaration en date du 20 novembre 2008.

* 32 Deuxième réunion de la commission des Lois du 25 novembre 2008.

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