3. Des freins persistants

Malgré ces progrès, le développement des alternatives à l'incarcération se trouve entravé par un grand nombre de freins d'ordre matériel, psychologique et juridique.

Les freins psychologiques sont sans doute les plus difficiles à lever. Or ils s'avèrent nombreux.

Alors même que leur efficacité dans la prévention de la récidive est établie, les mesures d'aménagement de peines demeurent encore couramment considérées -la consultation régulière des médias suffit pour s'en convaincre- comme des faveurs accordées aux condamnés au mépris des risques encourus par la société.

La décision d'aménagement demeurant une décision juridictionnelle, dont la responsabilité appartient au juge de l'application des peines, votre rapporteur a pu constater à cet égard des jurisprudences très différentes selon les différents ressorts. Ainsi à Lyon, au mois de septembre 2007, les juges de l'application des peines limitaient de manière drastique le nombre de mesures.

Il ne faut pas non plus perdre de vue les réticences des détenus eux-mêmes à solliciter ou accepter un aménagement de leur peine. Les réserves portent plus particulièrement sur la libération conditionnelle et les contraintes prolongées qu'elle implique 32 ( * ) . Par ailleurs, s'il constitue une alternative heureuse à l'incarcération, le placement sous surveillance électronique ne saurait devenir la panacée : dans la mesure où elle implique de la personne placée une autocontrainte difficile à assumer, cette mesure ne peut en effet être imposée ni à tout le monde ni sur une longue période. L'Association nationale des juges de l'application des peines a d'ailleurs fait état, lors de son audition par votre rapporteur, de plusieurs cas de suicides de personnes ayant fait l'objet d'un tel placement, sans que le lien de causalité puisse toutefois être établi.

Les freins matériels sont eux aussi nombreux.

La situation économique constitue l'un d'entre eux, et non le moindre : en effet, l'aménagement de peines reste très largement subordonné à la possibilité, pour la personne condamnée, d'occuper un emploi ou de suivre une formation.

Le nombre limité des places en centre de semi-liberté 33 ( * ) ou en centre pour peines aménagées 34 ( * ) en constitue un autre. Si le taux global d'occupation des centres de semi-liberté est passé de 63,4 % au 1 er janvier 2002 à 91,3 % au 1 er janvier 2008, votre rapporteur a toutefois pu constater au cours de ses déplacements que toutes les places dans les quartiers ou centres de semi-liberté n'étaient pas occupées. L'administration pénitentiaire en convient et explique ces disparités par l'implantation des structures : les taux les plus faibles seraient observés dans celles qui sont situées dans les bassins d'emploi les moins dynamiques, les plus excentrées des centres villes et les moins bien desservies par les transports en commun. Tel n'est pourtant pas le cas du centre de semi-liberté d'Haubourdin, que votre rapporteur a visité le 18 septembre 2008.

Le centre de semi-liberté de Haubourdin

Ce centre accueille des hommes condamnés à une peine inférieure ou égale à un an ou purgeant un reliquat de peine inférieur ou égal à un an sous le régime de semi-liberté. Il abrite également le pôle centralisateur des personnes placées sous surveillance électronique et sous surveillance électronique mobile.

A la date de la visite de votre rapporteur, il comptait 46 détenus, soit un taux d'occupation de 79 %, légèrement supérieur à la moyenne nationale d'occupation des centres de semi-liberté qui s'établissait à 74 %. L'âge moyen était de 34 ans. L'effectif de personnels comprenait 23 agents dont 5 conseillers d'insertion et de probation. La direction interrégionale des services pénitentiaires disposait d'un agent contractuel uniquement chargé de la prospection et de la fidélisation des entreprises (il devait lui être prochainement adjoint un second agent contractuel).

Selon les interlocuteurs de votre rapporteur, les conditions d'hébergement au sein du centre de semi-liberté devraient être davantage orientées vers la préparation à la liberté que vers l'enfermement. Le centre de semi-liberté a d'ailleurs développé différentes activités de formation, culturelle et sportive afin de diversifier les conditions de détention. La principale difficulté rencontrée par la semi-liberté reste liée à l'insuffisance de l'offre d'emploi et de formation professionnelle.

Quant au pôle centralisateur PSE-PSEM, lors de la visite de votre rapporteur, il avait la responsabilité de 561 détenus placés sous PSE et de 2 détenus sous PSEM 35 ( * ) . La charge représentée par un PSEM correspond au suivi de 50 PSE. La direction interrégionale estimait à 40 équivalents temps-pleins supplémentaires les effectifs nécessaires pour développer les aménagements de peines sous le régime de la surveillance électronique (ainsi que les besoins liés aux écoutes téléphoniques dans la perspective du projet de loi pénitentiaire).

Lors de leur audition, les représentants de l'Association nationale des juges de l'application des peines ont également constaté que les horaires d'ouverture de certains centres ou quartiers de semi-liberté ne permettaient pas aux personnes condamnées d'occuper des emplois nécessitant de travailler tôt le matin.

Dans son rapport du mois de novembre 2007, le Comité d'orientation restreint de la loi pénitentiaire a également déploré la pénurie de postes de travail disponibles pour permettre aux condamnés d'accomplir un travail d'intérêt général, mettant en exergue l'implication inégale des personnes morales de droit public, notamment les collectivités territoriales 36 ( * ) .

Lors de leur audition, les représentants de la Fédération citoyens et justice ont par ailleurs souligné à juste titre que les aménagements de peines ne pouvaient réussir sans un véritable accompagnement des condamnés. Se pose alors, comme souvent, la question des moyens financiers et humains alloués à cet objectif.

Les obstacles juridiques aux aménagements de peines sont assurément ceux qu'il est dans le pouvoir du Parlement de lever le plus aisément. Deux d'entre eux peuvent être dès à présent mis en exergue.

En premier lieu, les conditions d'octroi des différentes mesures d'aménagement de peines méritent sans doute d'être assouplies.

Le Comité d'orientation de la loi pénitentiaire a formulé à cet égard diverses préconisations, notamment : donner la faculté au juge de l'application des peines de renvoyer au tribunal de l'application des peines, c'est-à-dire à une formation collégiale, l'examen des dossiers difficiles ; instituer la semi-liberté ou le placement extérieur « aux fins de recherche d'emploi » ; proposer systématiquement un aménagement des trois derniers mois d'exécution des peines privatives de liberté égales ou inférieures à deux ans ; unifier la période d'éligibilité à la libération conditionnelle, supprimer l'automaticité de la période de sûreté assortissant la réclusion criminelle à temps...

En second lieu, la nouvelle procédure d'aménagement des peines des condamnés incarcérés proches de la libération, instituée par la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité et baptisée le « sas de sortie », n'a pas porté ses fruits.

Cette procédure, qui permet la mise à exécution d'une mesure proposée par le directeur du service pénitentiaire d'insertion et de probation en l'absence de réponse du juge de l'application des peines dans un délai de trois semaines sauf recours du ministère public, n'est guère prisée des magistrats et des condamnés, qui préfèrent la procédure classique du débat contradictoire devant le juge de l'application des peines -au cours duquel l'intéressé peut se faire assister d'un avocat- et s'est avérée à l'expérience excessivement lourde puisque, comme l'a indiqué un directeur de service pénitentiaire d'insertion et de probation à votre rapporteur, un conseiller d'insertion et de probation doit remplir pas moins de 22 documents pour un même dossier.

Toutefois, un décret du 3 mai 2007 concernant l'application de la loi relative à la prévention de la délinquance et de la loi renforçant l'équilibre de la procédure pénale a cherché à simplifier le dispositif 37 ( * ) .

* 32 En principe, la durée de la libération conditionnelle peut dépasser d'une année la durée de la peine non subie au moment de la libération.

* 33 Il existe en France 13 centres autonomes de semi-liberté dans les régions pénitentiaires suivantes : 4 à Paris, 3 à Strasbourg, 2 à Toulouse, 2 à Lyon, 1 à Dijon et 1 à Lille.

* 34 Trois centres pour peines aménagées fonctionnent actuellement à Metz, Marseille et Villejuif.

* 35 Au 25 juillet 2008, vingt-trois mesures avaient été prononcées treize étaient toujours en cours. Sur les dix placements terminés, on compte une libération conditionnelle révoquée partiellement, une libération conditionnelle révoquée totalement, un retrait total de surveillance judiciaire et quatre retraits partiels de surveillance judiciaire. Trois libérations conditionnelles seulement étaient parvenues à leur terme.

* 36 Rapport du Comité d'orientation restreint de la loi pénitentiaire - novembre 2007 - La Documentation française - page 9.

* 37 Ce décret a notamment supprimé la nécessité de constituer un dossier spécifique -une côte dans le dossier de l'intéressé suffit- ainsi que le principe de l'accord préalable du détenu qui n'est demandé que lors de la proposition d'un projet.

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