II. L'OBJET DE LA PROPOSITION DE LOI : INSCRIRE L'INCESTE DANS LE CODE PÉNAL AFIN DE MIEUX L'IDENTIFIER ET D'AMÉLIORER LA PRISE EN CHARGE DES VICTIMES

A. INSCRIRE L'INCESTE DANS LE CODE PÉNAL

La présente proposition de loi vise à introduire et à définir la notion d'inceste dans le code pénal. Elle ne l'érige cependant pas en infraction spécifique et reprend le principe actuel du code pénal selon lequel ce comportement constitue une circonstance aggravante des viols, agressions sexuelles et atteintes sexuelles sur mineurs.

Aux termes de deux articles 222-32-1 21 ( * ) et 227-27-1 créés par la proposition de loi, seraient qualifiés d'inceste les viols, agressions sexuelles et atteintes sexuelles sur mineur commis sur un mineur par :

1° Son ascendant ;

2° Son oncle ou sa tante ;

3° Son frère ou sa soeur ;

4° Sa nièce ou son neveu ;

5° Le conjoint ou le concubin d'une de ces personnes ou le partenaire liés par un pacte civil de solidarité avec l'une de ces personnes.

Ce faisant, l'auteur de la proposition de loi a souhaité mettre le droit pénal en cohérence avec les dispositions du code civil relatives aux prohibitions au mariage et au pacte civil de solidarité.

Comme le montre Jean Carbonnier, les dispositions du code civil font apparaître trois zones d'interdiction, suivant la rigueur des conséquences :

§ une « zone d'horreur », où l'interdit est absolu. Il s'agit de la proche parenté par le sang, qui concerne les ascendants et descendants en ligne directe ainsi que les frères et soeurs ;

§ une « zone intermédiaire », où se situe l'interdiction de se remarier avec sa bru ou son gendre, sa belle-fille ou son beau-fils, mais seulement quand l'union d'où procédait l'alliance a été dissoute par le divorce ;

§ enfin, une « zone d'accommodement », qui concerne le remariage entre alliés en ligne directe, mais seulement quand la première union a été dissoute par décès, ainsi que le mariage entre oncle et nièce, tante et neveu 22 ( * ) .

Code civil (extraits) :

Article 161 : En ligne directe, le mariage est prohibé entre tous les ascendants et descendants et les alliés dans la même ligne.

Article 162 : En ligne collatérale, le mariage est prohibé, entre le frère et la soeur.

Article 163 : Le mariage est encore prohibé entre l'oncle et la nièce, la tante et le neveu.

Article 164 : Néanmoins, il est loisible au Président de la République de lever, pour des causes graves, les prohibitions portées :

1° par l'article 161 aux mariages entre alliés en ligne directe lorsque la personne qui a créé l'alliance est décédée ;

2° (abrogé) ;

3° par l'article 163 aux mariages entre l'oncle et la nièce, la tante et le neveu.

Article 310-2 : S'il existe entre les père et mère de l'enfant un des empêchements à mariage prévus par les articles 161 et 162 pour cause de parenté, la filiation étant déjà établie à l'égard de l'un, il est interdit d'établir la filiation à l'égard de l'autre par quelque moyen que ce soit.

Article 515-2 : A peine de nullité, il ne peut y avoir de pacte civil de solidarité :

1° Entre ascendant et descendant en ligne directe, entre alliés en ligne directe et entre collatéraux jusqu'au troisième degré inclus ;

2° Entre deux personnes dont l'une au moins est engagée dans les liens du mariage ;

3° Entre deux personnes dont l'une au moins est déjà liée par un pacte civil de solidarité.

Du fait de ces prohibitions à géométrie variable, la définition retenue des auteurs d'acte incestueux a fait l'objet de critiques au cours des débats à l'Assemblée nationale, certains députés faisant valoir qu'il n'était pas cohérent de réprimer ce que le droit civil peut, sous certaines conditions, autoriser 23 ( * ) .

Néanmoins, si la définition retenue par la proposition de loi a pour but de mettre le droit pénal en cohérence avec le droit civil, elle procède également d'une toute autre préoccupation que celle qui fonde les prohibitions au mariage : elle prend en compte en effet l'ensemble des membres de la cellule familiale qui sont censés apporter une protection à l'enfant afin de lui permettre de se construire en tant qu'individu. C'est précisément en raison de ce rôle très particulier que ces personnes auraient dû jouer dans la vie de l'enfant que les violences sexuelles qu'elles lui auraient infligées seraient considérées comme présentant un degré de gravité supplémentaire à celles qui auraient pu être infligées en-dehors de la cellule familiale.

En tout état de cause, votre commission relève que le champ des auteurs de violences sexuelles incestueuses, tel qu'il est retenu par la proposition de loi, recouperait en grande partie l'ensemble des personnes que la jurisprudence considère d'ores et déjà comme constituant un « ascendant légitime, naturel ou adoptif ou [...] toute autre personne exerçant une autorité sur la victime ». En effet, le juge pénal a été amené, depuis le XIX ème siècle, à regarder comme exerçant une autorité de fait sur la victime un certain nombre de personnes appartenant à la cellule familiale. Ont par exemple été considérés comme exerçant une telle autorité un homme qui avait infligé des violences aux enfants issus du premier mariage de son épouse 24 ( * ) , même lorsqu'ils ne résident pas au domicile familial 25 ( * ) , le concubin de la grand-mère de l'enfant 26 ( * ) , ou encore le grand-oncle par alliance de la victime, qui la recevait quotidiennement dans son domicile, alors qu'elle lui avait été confiée par la mère 27 ( * ) . Par un arrêt en date du 15 septembre 2004, la Cour de cassation a estimé qu'un oncle par alliance pouvait exercer une autorité de fait sur son neveu, dans la mesure où ce dernier avait été laissé par ses parents, présents sur les lieux, sous la surveillance du futur agresseur pendant une brève période de jeu.

Dans ces conditions, la qualification de l'inceste retenue par la proposition de loi ne modifierait réellement l'état du droit qu'en aggravant les peines pour les oncles, tantes, neveux et nièces, ou les conjoints de ces derniers, lorsque ces personnes n'exercent pas une autorité de droit ou de fait sur la victime au sens où l'entend actuellement la jurisprudence.

La proposition de loi inclut également une disposition tendant à définir la notion de contrainte (qui est un élément constitutif des infractions de viol et d'agressions sexuelles) afin de permettre aux juges de prendre en compte la spécificité du contexte incestueux dans lequel se sont déroulées les violences dès l'examen de la qualification de l'infraction, et non plus uniquement au moment de l'examen des circonstances aggravantes, et de mettre ainsi un terme à la déqualification des viols en atteintes sexuelles qui est parfois opérée par les juridictions de jugement.

Enfin, l'Assemblée nationale a adopté un amendement présenté par M. Christian Estrosi et tendant à porter à cinq ans et 75.000 euros d'amende les peines encourues en cas d'atteintes sexuelles commises par un ascendant ou une personne ayant autorité sur un adolescent âgé entre quinze et dix-huit ans.

Par ces dispositions tendant à « poser sur l'acte le terme qui lui convient » (exposé des motifs), la proposition de loi a pour but de permettre de mieux identifier les victimes d'inceste et, ainsi, d'améliorer leur prise en charge en adaptant cette dernière à la spécificité des traumatismes qu'elles ont subis.

* 21 Votre commission a modifié l'insertion de cet article dans le code pénal. Il s'agirait désormais de l'article 222-31-1.

* 22 Jean Carbonnier, Droit civil, La famille, l'enfant, le couple, PUF, 2002, page 447.

* 23 Voir le compte-rendu des débats, séances du 28 avril 2008.

* 24 Cass. Crim., 16 février 1837 ; Cass. Crim., 27 juin 1903.

* 25 Cass. Crim., 30 août 1855.

* 26 Cass. Crim., 10 avril 1959.

* 27 Cass. Crim., 9 décembre 1875.

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