Article 51 (Article 83 de la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques et article L. 213-8-2 [nouveau] du code de l'environnement) - Habilitation des agences de l'eau à acquérir des zones humides particulièrement menacées

Commentaire : cet article permet aux agences de l'eau de mener une politique d'acquisition foncière dans des zones humides particulièrement menacées en vue d'en assurer une gestion respectueuse.

I. Le droit en vigueur

Une zone humide est un espace où l'eau est le principal facteur contrôlant le milieu naturel et la vie animale et végétale associée. C'est le cas lorsque la nappe phréatique arrive près de la surface et là où des eaux peu profondes recouvrent les terres 64 ( * ) .

Un décret n° 2007-882 du 14 mai 2007 relatif à certaines zones soumises à contraintes environnementales et modifiant le code rural précise les conditions de délimitation des zones humides d'intérêt environnemental. La délimitation de ces zones est effectuée par le préfet, après avis du conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques, de la chambre d'agriculture et de la commission locale de l'eau lorsqu'elle a été constituée. Des avis complémentaires sont également prévus (commission départementale nature, paysages, sites).

La France métropolitaine compte aujourd'hui environ 1,5 million d'hectares de zones humides qui constituent à la fois d'importants réservoirs de biodiversité, un facteur d'amélioration de la qualité des eaux superficielles, des zones tampons diminuant les risques d'inondation en cas de fortes pluviométries et des moyens de stockage importants de carbone organique dans les sols.

Or, ces zones si importantes en termes environnementaux restent un des milieux les plus dégradés et les plus menacés du point de vue de leur surface et de leur état de conservation. La situation est particulièrement préoccupante pour les prairies humides, les landes humides et les annexes alluviales du fait :

- des conséquences de la PAC, qui a longtemps maintenu un important déséquilibre entre les aides apportées à des productions fortement consommatrices d'eau -comme le maïs irrigué- et celles bénéficiant à des activités favorables à la préservation des zones humides comme les prairies permanentes ;

- du manque d'entretien ou de l'inadaptation de certains systèmes hydrauliques dont elles dépendent ;

- de la pression à l'artificialisation, à l'urbanisation et au changement d'usage des terres.

Si le plan d'action gouvernemental adopté en 1995 n'a pas réussi à renverser la tendance, on observe toutefois un ralentissement de la dégradation de ces zones dû aux efforts réalisés en matière de préservation de la ressource en eau, d'agroenvironnement et de protection des espaces naturels. Ainsi, 60 % de la surface des zones humides d'importance majeure 65 ( * ) est couverte par le réseau Natura 2000 et 4 % par des mesures plus strictes.

De plus, l'ensemble des SDAGE comprend, depuis 1996, des orientations de restauration et de préservation des zones humides dont la mise en oeuvre est soutenue par les programmes d'intervention des agences de l'eau. Pour la période à venir, le volet consacré aux zones humides va s'amplifier, tant dans les futurs SDAGE (2010-2015) que dans les IX èmes programmes des agences de l'eau (2007-2012).

D'un point de vue opérationnel, le cadre juridique permettant la préservation des zones humides reste encore à parfaire . Les textes d'application des dispositions issues de la loi du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux 66 ( * ) ont exigé des démarches approfondies et commencent à être mis en oeuvre.

L'acquisition de zones humides constitue l'une des voies pour assurer leur protection. Certains acteurs (conservatoires d'espaces naturels, départements dans le cadre de leur politique de zones naturelles sensibles, associations telles que la Ligue la protection des oiseaux, la Fondation habitats des chasseurs...) peuvent déjà en acquérir afin de les gérer, directement ou par contrat passé avec un acteur local.

Cependant, les surfaces ainsi acquises restent modestes au regard de la totalité des zones humides françaises : le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres (CELRL) en achète environ 1.000 hectares par an ; les agences de l'eau 500 ou 600 ; les associations quelques centaines, mais elles se heurtent à l'exigence croissante des financeurs publics de garantir l'inaliénabilité des terrains acquis avec de tels fonds, ce qui n'est pas possible avec un statut associatif ; les départements ne sont pas en mesure de fournir de statistiques.

Le comité opérationnel a examiné les diverses possibilités techniques en vue de renforcer cette politique d'acquisition de zones humides. S'agissant des problèmes posés aux associations, il a constaté l'impossibilité de les résoudre d'un point de vue juridique et suggéré une meilleure articulation entre lesdites associations et les acteurs fonciers publics propriétaires en vue d'une bonne gestion conservatoire. Il a pris acte de la sensibilité du dossier de la taxe départementale sur les espaces naturels sensibles pour les départements et renvoyé à une discussion sur son emploi au sein d'un paquet de négociation entre l'Etat et l'Assemblée des départements de France.

Il lui a paru peu opportun d'élargir les compétences du CELRL à l'ensemble des 1,5 million d'hectares de zones humides, mais plutôt de le mobiliser davantage dans les espaces où il est déjà implanté et peut être rapidement opérationnel. Ses deux zones d'intervention -départements littoraux et grands lacs- se caractérisent en effet par la présence d'importantes zones humides menacées par l'artificialisation.

La dernière solution, que le comité opérationnel a préconisée et qui a été retenue, était d'habiliter les agences de l'eau à mener une politique active d'acquisition foncière dans les zones humides non couvertes par la compétence du CELRL, dans les mêmes conditions que celui-ci.

II. Le dispositif du projet de loi

L'article 51 du projet de loi donne donc aux agences de l'eau une compétence d'acquisition de zones humides. Les ambitions affichées restent relativement modestes : le « Grenelle de l'environnement » a fixé l'objectif à 20.000 hectares de zones humides particulièrement menacées à acquérir d'ici le 31 décembre 2015 . Cependant, cet effort vient en surcroît de celui actuellement réalisé et a vocation à être poursuivi.

Le I de cet article modifie l'article 83 de la loi sur l'eau et les milieux aquatiques du 30 décembre 2006 afin d'inclure, aux cotés des actions de préservation, de restauration, d'entretien et d'amélioration, une nouvelle action d'acquisition de zones humides dans les orientations prioritaires de leurs programmes pluriannuels d'intervention pour les années 2007 à 2012.

Le II insère, dans la sous-section 1(Dispositions générales) de la section 3(Comités de bassin et agences de l'eau) du chapitre III (Structures administratives et financières) du titre I er (Eau et milieux aquatiques) du livre II (Milieux physiques) du code de l'environnement, un article L. 213-8-2 consacré à la politique foncière de sauvegarde des zones humides des agences de l'eau .

Son premier alinéa en pose le principe , en rappelant que cette mission intervient en plus de celles déjà attribuées aux agences de l'eau par l'article L. 213-8-1, soit la mise en oeuvre des SDAGE, l'alimentation en eau potable, la régulation des crues et le développement durable des activités économiques.

Le deuxième alinéa habilite les agences de l'eau à attribuer des aides aux collectivités locales, à leurs groupements et à des établissements publics en vue d'acquérir des parcelles composant ces zones.

Le troisième alinéa autorise les agences de l'eau à acquérir elles-mêmes des parcelles de ce type. Le régime prévu pour le CELRL par le code de l'environnement leur est alors applicable. Elles peuvent notamment exproprier tous droits immobiliers et exercer, à défaut du département, le droit de préemption.

L'exposé des motifs du projet de loi souligne que cette politique foncière devra être appréhendée comme un dernier recours et non une finalité en soi, l'objectif ultime étant une gestion des zones respectueuses de leur conservation. En pratique, l'activité foncière des agences de l'eau dépendra également de leur emplacement et du coût du foncier pour les zones humides ressortant de leur champ : celui-ci est en effet très varié, depuis les étangs de chasse ou les zones d'urbanisation très onéreuses aux tourbières sans vocation économique particulière. La maîtrise foncière devra être réservée aux situations dans lesquelles toute convention de restauration et de gestion apparaît impossible ; dans les cas normaux, l'approche contractuelle des modes de gestion doit rester la règle.

Les principaux critères de détermination des zones humides à enjeux de maîtrise foncière identifiés lors des travaux du comité opérationnel « trame verte et bleue » sont les suivants :

- l'intérêt écologique et hydrologique, en particulier vis-à-vis de l'atteinte des objectifs fixés par les directives européennes « cadre sur l'eau », « inondation » ; « habitats » et « oiseaux » ;

- la nature humide de la zone et ses fonctionnalités, en particulier en matière de biodiversité, de qualité et de quantité d'eau, de préservation de l'état écologique des milieux et de réduction des risques d'inondation ;

- le niveau des menaces d'artificialisation ou de déprise conduisant à l'altération du milieu, qu'une stratégie d'acquisition foncière permettrait de faire disparaître ;

- l'adéquation possible entre le besoin de gestion identifié pour protéger cette zone humide et l'existence d'acteurs locaux susceptibles d'assumer cette gestion dans un cadre juridique existant ;

- le rapport coût-efficacité de la mesure d'acquisition par rapport à d'autres dispositifs envisageables.

Concrètement, la maîtrise foncière des zones humides, et notamment l'acquisition, devra être privilégiée lorsque le cumul d'enjeux de préservation ou d'amélioration de la qualité et de la quantité de ressource en eau sera avéré.

Le quatrième alinéa régit les relations des agences de l'eau avec les fermiers exploitant les terres qu'elles ont ainsi acquises . La gestion des terres ainsi acquises se fera dans le cadre des baux ruraux. Les preneurs se trouveront alors dans une situation plus contraignante que pour des terres conventionnelles :

- ils ne pourront réaliser certaines opérations -retournement de parcelles de terres en herbe, mise en herbe de parcelles de terres, mise en oeuvre de moyens culturaux non prévus au bail- qu'après en avoir informé les agences ou les organismes gestionnaires des parcelles, par lettre recommandée avec accusé de réception plus d'un mois avant la date prévue pour réaliser lesdites opérations. Ainsi, les agences de l'eau pourront s'opposer au retournement ou au drainage des parcelles, pratiques néfastes d'un point de vue environnemental, dès leur achat ;

- ils seront tenus de prévenir immédiatement les agences de tous installations, ouvrages, travaux ou activités risquant d'affecter le bon état, la quantité ou la continuité écologique de l'eau contenue dans les zones humides et faisant l'objet d'une procédure d'autorisation ou de déclaration.

Le cinquième alinéa traite du renouvellement du bail portant sur les parcelles . Les agences peuvent en saisir l'occasion pour proposer à leur fermier des pratiques visant à préserver le caractère humide des zones exploitées. Des clauses contractuelles en ce sens peuvent notamment proscrire le drainage, ou encore le retournement de prairies.

L'exposé des motifs du projet de loi précise que ces contraintes nouvelles doivent s'accompagner d'une réduction du fermage. En cas de refus du preneur, celui-ci doit alors être indemnisé du préjudice subi.

Le preneur dont le bail n'est pas renouvelé subit en effet un préjudice, variable suivant l'importance des terres objets du bail au regard du fonctionnement de son exploitation. Il appartiendra au tribunal des baux ruraux de fixer l'indemnité en fonction du préjudice réellement subi.

III. La position de votre commission

Votre commission approuve la philosophie générale de cet article, qui est de garantir une gestion des zones humides les plus exposées par l'extension de l'urbanisme, ou les changements d'usage des terres, qui soit respectueuse de l'environnement et de la biodiversité. Ces zones fournissent en effet des « biens communs » naturels dont la suppression constituerait une porte pour la société toute entière.

Elle entend également, cependant, les craintes légitimes de certains acteurs, au premier rang desquels les agriculteurs, de voir toute activité figée dans ces zones, qui deviendraient alors de véritables sanctuaires environnementaux. Si telle n'était pas l'intention du Gouvernement, loin s'en faut, reste une certaine ambiguïté à la simple lecture de l'article.

Aussi, sur la proposition de son rapporteur, elle a ainsi souhaité mieux encadrer et préciser l'intervention des agences de l'eau pour l'acquisition de telles zones :

- cette intervention sera discutée et approuvée en comité de bassin, et ne relèvera pas uniquement des agences elles-mêmes ;

- elle n'aura lieu qu'en dernier recours, si aucun porteur de projet d'acquisition des zones humides ne s'est déclaré ;

- elle visera à éviter la déprise agricole et donnera lieu à une activité agricole sur les terres acquises.

A l'initiative de Mme Esther Sittler et plusieurs de ses collègues, elle a par ailleurs prévu l'octroi, par les agences de l'eau, d'aides aux conservatoires régionaux d'espaces naturels en vue de l'acquisition de parcelles composant les zones humides.

Votre commission a adopté cet article ainsi modifié.

* 64 La loi sur l'eau du 3 janvier 1992 associe plus techniquement les zones humides aux « terrains, exploités ou non, habituellement inondés ou gorgés d'eau douce, salée ou saumâtre de façon permanente ou temporaire ; la végétation, quand elle existe, y est dominée par des plantes hygrophiles pendant au moins une partie de l'année » .

* 65 L'échantillon dit « des zones humides d'importance majeure » suivi par l'Institut français de l'environnement (IFEN) est constitué de 152 sites en France métropolitaine et en Corse couvrant 2,4 millions d'hectares représentatifs de la diversité des situations des zones humides.

* 66 Ayant pour objet les zones humides d'intérêt environnemental, la délimitation des zones humides dans le cadre de la police de l'eau et l'exonération de la taxe sur le foncier non bâti.

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