3. Les avantages de l'assiette localisée atténués par les effets du barème progressif

La territorialisation de l'assiette introduite par les députés présente l'avantage incontestable d'intéresser les élus au développement économique de leur territoire 64 ( * ) .

Combinée aux effets du barème progressif, elle a cependant pour effet de procurer un produit fiscal réduit aux collectivités sur le territoire desquelles les entreprises qui, compte tenu de leur niveau de chiffre d'affaires, n'acquittent pas la cotisation sur la valeur ajoutée au taux normal, sont nombreuses.

Autrement dit, le caractère progressif du barème conduit une même valeur ajoutée à être taxée à des taux différents selon la structure du tissu économique qui la produit. Schématiquement, la valeur ajoutée produite par dix entreprises de 5 millions d'euros de chiffre d'affaires sera moins taxée que la même valeur ajoutée produite par une entreprise de plus de 50 millions d'euros de chiffre d'affaires.

4. Les risque d'optimisation liés à la progressivité du barème

La mise en place d'un barème progressif engendre le risque de comportements d'optimisation fiscale, même si les effets de seuil ne sont plus aussi importants que sous le régime de la taxe professionnelle, lorsqu'un chiffre d'affaires de 7,6 millions d'euros emportait assujettissement à la cotisation minimale de 1,5 % de la valeur ajoutée.

Les données du problème ont bien été identifiées par la commission des finances de l'Assemblée nationale, qui a proposé une solution :

Extraits du débat, en première lecture, à l'Assemblée nationale 65 ( * )

M. Gilles Carrez , rapporteur général . Lorsque la cotisation minimale, qui ne joue qu'à partir de 7,6 millions de chiffre d'affaires, a été mise en place, certaines entreprises se sont organisées pour...

M. Jean-Pierre Balligand . Contourner !

M. Gilles Carrez , rapporteur général . ...se retrouver, comme par hasard, en dessous de cette somme de 7,6 millions. J'ai cité à plusieurs reprises, ces derniers mois, l'exemple d'un cabinet d'avocats fiscalistes dont le chiffre d'affaires était de 40 millions d'euros et qui acquittait 40 000 euros de taxe professionnelle. Ce n'est pas normal ! C'est que ce cabinet s'est filialisé en unités dont chacune fait moins de 7,6 millions de chiffres d'affaires. Elles ont pleinement profité de la suppression de la part salaires, puisque l'essentiel de leur création de richesse réside dans les salaires.

Nous avons donc adopté, madame le ministre, un amendement de consolidation. Nous nous sommes fondés sur un système existant : la consolidation à l'impôt sur les sociétés. De ce fait, quand une filiale est détenue au moins à 95 % par un groupe, on considère le chiffre d'affaires, non de la filiale, mais de l'ensemble du groupe, pour lui appliquer le bon barème de cotisation sur la valeur ajoutée.

Ainsi, le texte de l'amendement de réécriture complète de l'article adopté par les députés comportait l'alinéa suivant : « Pour une société membre d'un groupe mentionné à l'article 223 A, le chiffre d'affaires à retenir pour l'application du présent 2 s'entend de la somme des chiffres d'affaires de chacune des sociétés membres du groupe ». Le chiffre d'affaires était donc apprécié au regard du régime de l'intégration fiscale au sens de l'impôt sur les sociétés.

D'autres députés, notamment Charles de Courson et les membres du groupe Nouveau centre, proposaient de retenir une intégration encore plus stricte, celle figurant à l'article 209 B du code général des impôts et utilisée pour la lutte contre l'évasion fiscale.

L'Assemblée nationale a cependant modifié son dispositif, en retenant une proposition formulée par le Gouvernement :

Extraits des débats sur ce point, en première lecture,
à l'Assemblée nationale 66 ( * )

Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie. Monsieur de Courson, je faisais référence à ce sous-amendement n° 706 deuxième rectification tout à l'heure, lorsque je vous ai indiqué que je souhaitais proposer un mécanisme anti-abus répondant à l'objectif que nous poursuivons tous.

Aujourd'hui, certaines sociétés sous une forme X décident de se saucissonner en petits morceaux, de créer des filiales, en quelque sorte de s'organiser en fonction des seuils et des différents mécanismes que nous mettons en place dans le cadre de la contribution économique territoriale, toutes choses auxquelles d'autres avaient pu éventuellement procéder en leur temps, au seuil de 7,6 millions de chiffre d'affaires.

Nous souhaitons empêcher ce type de comportement. C'est la raison pour laquelle je vous propose d'adopter un mécanisme anti-abus.

En cas d'apport, de cession d'activité ou de scission d'entreprises ayant une activité similaire ou complémentaire entraînant une diminution globale et significative de cotisation complémentaire, le chiffre d'affaires utilisé pour calculer le taux de cotisation complémentaire sera celui de l'ensemble des entreprises portées à l'opération. Il s'agit bien de mettre en oeuvre un mécanisme anti-abus.

Vous m'objecterez probablement qu'il serait préférable de prévoir un mécanisme qui, en toutes hypothèses, prenne en compte le chiffre d'affaires de l'intégralité d'un groupe. Dans ce cas, on ne se situe plus dans le domaine du mécanisme anti-abus, mais dans celui de la recomposition, un peu comme dans le cadre d'une intégration fiscale d'un périmètre de groupes pour les seuls besoins de la contribution économique territoriale. Or on ne voit pas pourquoi des groupes qui existent depuis dix, vingt, trente, voire quarante ans, avec une maison mère et des filiales seraient pénalisés.

Pourquoi, selon moi, la prise en compte d'un périmètre d'intégration pour les besoins de la contribution économique territoriale est-il pénalisant ?

Prenons une société A avec un chiffre d'affaires de 5 millions d'euros. Imaginons que ce même chiffre d'affaires corresponde à trois sociétés qui se facturent entre elles, dans le cadre d'un processus d'élaboration d'une partie de l'activité, de la mise en oeuvre, ou encore de l'amélioration de la finalité du produit, comme c'est le cas dans certains groupes textiles. Dans ces conditions, il faudra prendre le chiffre d'affaires intra groupes, c'est-à-dire les sommes que se facturent les sociétés les unes aux autres, et cela arrive plus souvent qu'on ne le croit ; à cela on ajoutera le chiffre d'affaires final de 5 millions d'euros. Pour un chiffre d'affaires réel de 5 millions d'euros, vous aurez pris en compte le million facturé entre la société A et la société B, les 3 millions facturés entre la société B et la société C plus les 5 millions qui seront facturés au final.

Cela s'apparente à un double comptage. C'est pourquoi je vous encourage vivement à adopter le sous-amendement du Gouvernement, qui vise à combattre l'optimisation fiscale que nous souhaitons éviter par tous les moyens. Ma proposition se substituerait à celle prévue à l'alinéa 55 - qui concerne la définition du périmètre du groupe et du mécanisme d'intégration à la contribution économique territoriale - lequel n'est pas approprié.

(...)

M. le président. Quel est l'avis de la commission sur le sous-amendement du Gouvernement ?

M. Gilles Carrez , rapporteur général. Pour ma part, je serais plutôt favorable à ce sous-amendement. Jérôme Cahuzac vient de résumer la situation et le problème qu'il pose pour ce qui concerne les stocks.

Le sous-amendement du Gouvernement est, en effet, monsieur Cahuzac, très intéressant pour le flux parce qu'il reprend la définition proposée tout à l'heure par Charles de Courson et que Michel Piron reprendra également dans un sous-amendement à venir, avec une entité détenue à partir de 50 % alors que, dans l'amendement de la commission des finances, il s'agit de monter à 95 %. Tel qu'il est rédigé, ce sous-amendement est tout à fait efficace. Je note simplement, madame la ministre, qu'il faudrait que sa date d'application ne soit pas fixée au 1 er janvier prochain.

Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie. Bien sûr.

M. Gilles Carrez , rapporteur général . Vous retenez un seuil bien connu qui figure dans le code des impôts depuis le début des années 90, à savoir que l'on ne peut pas - par modification juridique du statut de l'entreprise, fusion, absorption, scission, acquisition - obtenir, alors que les bases de la taxe professionnelle ne changent pas, une réduction de taxe professionnelle par simple montage juridique supérieur à un plafond fixé à 20 %. Vous vous calez sur ce plafond. Une modification dans l'organisation juridique de l'entreprise ne peut entraîner une diminution de plus de 20 % de l'imposition. C'est très clair.

Je me pose cependant une question, certes un peu extrême. Que se passerait-il pour une entreprise qui ferait des scissions à répétition ? Il nous faut nous pencher sur ce problème technique, mais j'entends bien que vos intentions sont tout à fait pures, et je ne doute pas que nous trouvions une solution.

La vraie question est, en effet, celle du stock. Il y a deux cas de figure.

Je ne nie pas que des entreprises se soient organisées par rapport au seuil de 7,6 millions, mais ce seuil est intervenu il y a une quinzaine d'années. La cotisation minimale a été introduite, si je ne m'abuse, en 1996. Nous sommes donc face à des situations anciennes. Si nous les modifions de façon rétroactive - même si, à l'époque, elles étaient guidées par des soucis d'optimisation fiscale - cela entraînera une augmentation brutale et massive de la taxe professionnelle, ce que nous ne souhaitons pas.

Le deuxième cas de figure est celui des groupes familiaux. Indépendamment de toute question d'optimisation fiscale, un groupe a pu être organisé de telle façon que telle filiale réalise quelques millions de chiffre d'affaires. Les grands groupes ne sont évidemment pas concernés ; une filiale de grand groupe se situe au-delà de 10 millions de chiffre d'affaires et la question ne se pose pas. Je veux seulement faire remarquer que les groupes familiaux se verraient imposer une augmentation brutale de cotisation.

Nous avons longuement évoqué cette question en commission des finances. À ces deux réserves près, le sous-amendement du Gouvernement me paraît extrêmement intéressant.

Le dispositif ainsi présenté, qui figure désormais au 1 du II du texte proposé pour l'article 1586 ter du code général des impôts et s'inspire de la rédaction de l'article 1518 B du même code, repose sur le choix de ne pas revenir sur l'organisation actuelle des entreprises, même si elle a été conçue dans une logique d'optimisation fiscale. Il se contente d'encadrer les flux.

Ainsi, en cas de d'apport, de cession d'activité ou de scission d'entreprise réalisé entre deux entreprises du même groupe (lorsque l'entité à laquelle l'activité est transmise est détenue à plus de 50 % par l'entreprise qui transmet ou par une entreprise qui détient cette dernière ou une de ses filiales), le chiffre d'affaires à prendre en compte pour la détermination du taux auquel la valeur ajoutée sera imposée est égal à la somme des chiffres d'affaires de l'ensemble des redevables parties à l'opération , et ce dans les mêmes proportions et tant que trois conditions sont remplies simultanément.

La première condition prévoit que la consolidation ne s'applique que si l'écart entre les cotisations dues par l'ensemble des parties à l'opération est inférieur de plus de 20 % à ce qu'il aurait été en l'absence d'opération.

La deuxième condition prévoit que l'activité continue d'être exercée par les parties à l'opération ou par une ou plusieurs de leurs filiales.

La troisième condition précise que l'ensemble des sociétés en cause ont des « activités similaires ou complémentaires ». L'adjectif « similaire » vise les cas dans lesquels une entreprise se scinderait en plusieurs entités régionales exerçant les mêmes activités. L'adjectif « complémentaire » fait référence à des scissions en fonction des différentes activités sectorielles d'une même entreprise.

Comme le relève le rapporteur général du budget à l'Assemblée nationale, ce dispositif ne permet pas de protéger les ressources des collectivités territoriales contre les effets d'opérations de restructuration successives qui, d'une année sur l'autre, entraîneraient des pertes de recettes de cotisation sur la valeur ajoutée inférieures à 20 %. Le Gouvernement considère que, avec le barème progressif, les effets de seuil seront beaucoup moins forts que dans le régime actuel et que les entreprises n'auront pas d'intérêt à engager des opérations de restructuration pour un gain fiscal modique.

Afin de renforcer l'encadrement du dispositif, votre commission des finances vous propose de ramener de 20 % à 10 % le seuil de pertes de recettes au-delà duquel le chiffre d'affaires des parties à l'opération de restructuration est « recalculé » en faisant la somme du chiffre d'affaires de l'ensemble des parties à l'opération. Cette mesure constituerait un alignement sur le régime actuel de prévention de l'optimisation excessive de la taxe professionnelle par les groupes fiscalement intégrés.

La définition du chiffre d'affaires ainsi établie a vocation à être utilisée uniquement pour la détermination du taux auquel sera taxée la valeur ajoutée. Il conviendra par conséquent de procéder à une modification rédactionnelle et de déplacer ces dispositions dans le paragraphe relatif à la détermination du taux de la cotisation sur la valeur ajoutée, c'est-à-dire le 2 du II de l'article 1586 ter du code général des impôts.

* 64 La territorialisation de la valeur ajoutée rend également les ressources des collectivités vulnérables aux fluctuations de l'activité des entreprises situées sur leur territoire. Pour la taxe professionnelle, les dispositions de l'article 53 de la loi n° 2003-1311 de finances pour 2004, prévoient, en cas de pertes de bases « importantes », une compensation des pertes de bases dégressive sur trois ans. Il importera, le moment venu, de s'interroger sur la pertinence de la transposition de ce dispositif aux impositions composant la contribution économique territoriale.

* 65 Compte rendu des débats de l' Assemblée nationale, première séance du 22 octobre 2009.

* 66 Compte rendu des débats de l'Assemblée nationale, deuxième séance du jeudi 22 octobre 2009.

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