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Rapport n° 127 (2009-2010) de M. Marc LAMÉNIE , fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 2 décembre 2009

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N° 127

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2009-2010

Enregistré à la Présidence du Sénat le 2 décembre 2009

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires sociales (1), sur la proposition de résolution européenne de MM. Richard YUNG, Simon SUTOUR, Roland RIES, Mmes Raymonde LE TEXIER, Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Jacqueline ALQUIER, MM. Robert BADINTER, Didier BOULAUD, Mmes Bernadette BOURZAI, Claire-Lise CAMPION, Jacqueline CHEVÉ, Christiane DEMONTÈS, MM. Jean DESESSARD, Bernard FRIMAT, Jean-Pierre GODEFROY, Serge LAGAUCHE, Serge LARCHER, Jacky LE MENN, Mme Catherine TASCA et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, présentée en application de l'article 73 quinquies du Règlement , portant sur le respect du droit à l' action collective et des droits syndicaux en Europe dans le cadre du détachement de travailleurs,

Par M. Marc LAMÉNIE

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : Mme Muguette Dini , présidente ; Mme Isabelle Debré, M. Gilbert Barbier, Mme Annie David, M. Gérard Dériot, Mmes Annie Jarraud-Vergnolle, Raymonde Le Texier, Catherine Procaccia, M. Jean-Marie Vanlerenberghe , vice-présidents ; MM. Nicolas About, François Autain, Paul Blanc, Jean-Marc Juilhard, Mmes Gisèle Printz, Patricia Schillinger , secrétaires ; M. Alain Vasselle, rapporteur général ; Mmes Jacqueline Alquier, Brigitte Bout, Claire-Lise Campion, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Mme Jacqueline Chevé, M. Yves Daudigny, Mme Christiane Demontès, M. Jean Desessard, Mme Sylvie Desmarescaux, M. Guy Fischer, Mme Samia Ghali, MM. Bruno Gilles, Jacques Gillot, Adrien Giraud, Mme Colette Giudicelli, MM. Jean-Pierre Godefroy, Alain Gournac, Mmes Sylvie Goy-Chavent, Françoise Henneron, Marie-Thérèse Hermange, Gélita Hoarau, M. Claude Jeannerot, Mme Christiane Kammermann, MM. Marc Laménie, Serge Larcher, André Lardeux, Dominique Leclerc, Jacky Le Menn, Jean-François Mayet, Alain Milon, Mmes Isabelle Pasquet, Anne-Marie Payet, M. Louis Pinton, Mmes Janine Rozier, Michèle San Vicente-Baudrin, MM. René Teulade, François Vendasi, René Vestri, André Villiers.

Voir le(s) numéro(s) :

Sénat :

66 et 117 (2009-2010)

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

La commission des affaires sociales a été saisie d'une proposition de résolution européenne, déposée par les membres du groupe socialiste, portant sur le respect du droit à l'action collective et des droits syndicaux en Europe dans le cadre du détachement des travailleurs.

Cette proposition de résolution critique plusieurs décisions récentes rendues par la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) au sujet de l'interprétation qu'il convient de donner à la directive du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services.

Le droit à la libre prestation de services, au même titre que la liberté d'établissement ou que le droit à la libre circulation des travailleurs, est un principe consacré par les traités communautaires. En conséquence, toutes les dispositions qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher une entreprise de proposer ses services dans un autre pays de l'Union européenne sont prohibées.

Or, la jurisprudence récente de la Cour de Justice semble vouloir faire primer le principe de la libre prestation de services sur toute autre considération. Elle a en effet condamné les initiatives prises par des syndicats ou par des collectivités publiques dans le but d'imposer de meilleures conditions salariales, au motif qu'elles étaient constitutives d'une restriction prohibée à la libre prestation de service. Le groupe socialiste du Sénat critique cette jurisprudence et appelle de ses voeux une révision de la directive de 1996 pour fixer des règles plus protectrices des salariés.

La commission des affaires européennes, préalablement saisie en application du règlement du Sénat, a déjà proposé une analyse précise de la jurisprudence de la CJCE et de la proposition de résolution 1 ( * ) . Votre commission partage largement ses conclusions et s'attachera donc surtout, après un rappel des enjeux de ce débat juridique complexe, à formuler des observations et des recommandations destinées à éviter que le détachement de travailleurs ne conduise à un recul des droits sociaux en Europe.

I. LA JURISPRUDENCE DE LA COUR DE JUSTICE RELATIVE À LA PROTECTION DES SALARIÉS EN CAS DE DÉTACHEMENT TRANSFRONTALIER

Une entreprise de services qui remporte un marché dans un Etat différent de celui dans lequel elle est implantée est souvent conduite, pour en assurer l'exécution, à détacher, temporairement, une partie de ses salariés dans l'Etat où est installé son client. La question se pose alors de savoir quel sera le droit applicable au salarié pendant la durée de son détachement : seront-ce les règles de droit social de son Etat d'origine ou celles de l'Etat qui l'accueille temporairement ?

La directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996, concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services, répond à cette question. Si la directive a globalement atteint son objectif de protection des salariés, des difficultés sont apparues dans certains Etats européens, notamment dans les pays scandinaves et en Allemagne

A. LA DIRECTIVE SUR LE DÉTACHEMENT DE TRAVAILLEURS

1. Des dispositions protectrices

L'article 3 de la directive détermine les règles de droit applicables, en matière sociale, à un salarié détaché dans un autre Etat membre de l'Union européenne : celui-ci est alors soumis aux règles de l'Etat d'accueil dans les domaines suivants :

- la durée maximale du travail et les temps de repos ;

- la durée minimale des congés payés ;

- le salaire minimum ;

- les conditions de mise à disposition de travailleurs, notamment dans le cadre de l'intérim ;

- la sécurité, la santé et l'hygiène au travail ;

- les mesures protectrices des femmes enceintes, des jeunes mères, des enfants et des jeunes travailleurs ;

- l'égalité de traitement entre les femmes et les hommes et l'interdiction des discriminations.

L'article 3 précise que les règles applicables, dans ces différents domaines, doivent résulter de dispositions législatives, règlementaires ou administratives ou de conventions collectives d'application générale.

En outre, les Etats peuvent imposer aux entreprises des conditions de travail et d'emploi dans des matières autres que celles qui viennent d'être citées s'il s'agit de dispositions d'ordre public.

Deux précisions doivent enfin être apportées :

- d'abord, la directive n'interdit pas à une entreprise d'accorder volontairement à ses salariés des conditions d'emploi plus favorables que celles exigées par le droit en vigueur dans l'Etat d'accueil ;

- ensuite, les travailleurs qui bénéficient, dans leur Etat membre d'origine, de conditions d'emploi plus favorables que celles prévues dans l'Etat d'accueil continuent de bénéficier de ces dispositions plus avantageuses pendant la durée de leur détachement.

Le nombre de travailleurs détachés dans l'Union européenne n'est pas connu avec précision. Certaines estimations le situent autour d'un million, soit 0,4 % de la population en âge de travailler 2 ( * ) .

Si la directive n'indique pas quelle peut être la durée maximale d'un détachement, un règlement communautaire du 14 juin 1971 précise que celle-ci est au plus de douze mois, renouvelable une fois si la mission confiée au salarié n'est pas achevée. Passé ce délai, si le salarié reste dans l'Etat d'accueil, il cesse d'être affilié au régime de protection sociale de son Etat d'origine et doit s'affilier dans son Etat d'accueil.

2. Leur application en droit français

En application de ces dispositions, un salarié letton, détaché en France pendant six mois par exemple, ne pourra, pendant la durée de son détachement, être rémunéré à un niveau inférieur au Smic. Si la convention collective qui régit son activité prévoit un salaire minimum supérieur au Smic, il percevra un salaire au moins égal à ce minimum conventionnel.

L'encadré suivant détaille les dispositions du droit du travail applicables aux salariés détachés sur le territoire français.


Quelles sont les principales règles applicables aux salariés en détachement ?

? Droits fondamentaux

Les salariés détachés en France bénéficient des libertés individuelles et collectives dans les mêmes conditions que les salariés français et le droit de grève leur est reconnu. Ils bénéficient également du principe de non-discrimination et d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, ainsi que des dispositions relatives à la protection de la maternité et des jeunes au travail.

? Durée du travail et congés

En France, la durée légale maximale de travail est de dix heures par jour et de quarante-huit heures au cours d'une même semaine. Sont applicables aux travailleurs détachés les règles relatives aux congés annuels payés (évalués au prorata du séjour effectué en France), aux congés pour événements familiaux, au congé de maternité et de paternité. En revanche, ne s'appliquent pas les règles du code du travail relatives aux congés non rémunérés et au compte épargne temps.

Dans le secteur du BTP, l'employeur étranger doit s'affilier à la caisse des congés payés du BTP et au régime « chômage intempéries », sauf s'il existe un régime équivalent dans son pays.

? Salaire minimum

Quelle que soit la durée du détachement, les salariés détachés doivent être rémunérés au minimum sur la base du Smic ou du salaire minimum conventionnel, s'il est plus élevé. En outre, les indemnités couvrant les surcoûts occasionnés par le détachement (dépenses de voyage, de logement...) doivent être remboursées par l'employeur.

Lorsque la durée du détachement en France est supérieure à un mois, les salariés détachés doivent percevoir un salaire mensualisé et il doit leur être remis un bulletin de paie traduit en français.

? Règles relatives à la sécurité, la santé, l'hygiène au travail et la surveillance médicale

L'employeur doit veiller à la sécurité des lieux de travail des salariés, en tenant compte des risques professionnels auxquels ces derniers peuvent être exposés pendant leur période d'activité en France. Les salariés détachés en France bénéficient du droit de retrait, qui leur permet de quitter leur poste de travail s'ils sont exposés à un danger grave et imminent pour leur vie ou leur santé.

En ce qui concerne la santé au travail, l'employeur établi dans un Etat européen peut prouver que ses salariés bénéficient d'un régime de surveillance médicale équivalent au dispositif français et obtenir qu'ils soient dispensés de repasser les examens médicaux nécessaires préalablement à leur prise de poste en France. Ce sont toutefois les règles françaises qui fixent la périodicité des examens médicaux pendant la période de détachement des salariés en France. Les salariés détachés bénéficient, pendant la période de leur détachement en France, des prestations du service de santé au travail de l'entreprise d'accueil. Le surcoût éventuellement engendré pour l'entreprise d'accueil par la présence des salariés détachés pourra être répercuté sur l'entreprise étrangère.

Les garanties apportées par la directive sont essentielles pour éviter un « dumping salarial » généralisé en Europe et des distorsions de concurrence inacceptables entre les entreprises. La concurrence doit s'exercer au niveau de la qualité de la prestation de service ou du délai d'exécution, mais pas au niveau des salaires et des autres garanties sociales.

B. UNE INTERPRÉTATION STRICTE PAR LA COUR DE JUSTICE

Les Etats ou les organisations syndicales peuvent-ils imposer aux entreprises le respect de normes sociales qui vont au-delà de ce qui est expressément prévu par la directive ? Dans les arrêts « Laval » du 18 décembre 2007 et « Rüffert » du 3 avril 2008, la CJCE a répondu par la négative, livrant ainsi une interprétation stricte des termes de la directive.

1. Rappel des faits

? Dans l'affaire « Laval », une entreprise lettone, Laval un Partneri Ltd , avait détaché en Suède une partie de ses salariés pour y construire une école. Les syndicats suédois ont demandé à l'entreprise d'adhérer à la convention collective du bâtiment applicable localement. A la suite du refus de l'entreprise, les syndicats ont organisé un blocus de son chantier. Dans l'impossibilité de travailler, les salariés détachés sont rentrés dans leur pays d'origine. Puis des actions de boycott de l'entreprise ont conduit à son éviction du marché suédois.

Laval a porté plainte devant les juridictions suédoises en demandant que le blocus et les actions de solidarité ayant conduit au boycott soient déclarées illégales. La CJCE a été interrogée par un tribunal suédois sur la compatibilité des actions entreprises par les syndicats avec le principe de libre prestation et les règles de la directive sur le détachement de travailleurs.

? Dans l'affaire « Rüffert », le Land de Basse-Saxe avait adopté une loi prévoyant que les entreprises ayant remporté un marché public devaient appliquer les conventions collectives locales, notamment en matière de salaire minimum. En 2003, un marché a été passé avec l'entreprise Objekt und Bauregie pour la construction d'une prison. L'entreprise a eu recours à un sous-traitant polonais qui n'a pas respecté le salaire minimum conventionnel.

Le Land a alors résilié le contrat conclu avec Objekt und Bauregie , qui a porté l'affaire devant les tribunaux. La juridiction d'appel a décidé d'interroger la CJCE sur le point de savoir si la loi appliquée en Basse-Saxe, qui permet à un adjudicateur de travaux publics d'imposer aux entreprises qui remportent le marché le respect de certaines conventions collectives, est compatible avec le principe de la libre prestation de service et avec les dispositions de la directive.

2. La solution dégagée par la Cour de justice

Dans les deux affaires, la Cour a donné raison aux entreprises plaignantes en interprétant strictement les termes de la directive.

? La Cour souligne d'abord que les conventions collectives dont l'application a été demandée ne sont pas des conventions d'application générale au sens de la directive, c'est-à-dire celles qui s'appliquent sur tout le territoire d'un Etat membre ou à toutes les entreprises appartenant à un secteur ou à une profession déterminée. Comme l'observe la CJCE, les conventions collectives dont l'application a été demandée dans ces deux affaires ne répondaient pas à cette condition : elles ne s'appliquaient qu'à certaines entreprises du secteur de la construction.

? La Cour estime ensuite que les Etats membres n'ont pas le droit de fixer des conditions qui vont au-delà de ce qui est prévu par la directive. Dans l'arrêt « Rüffert », elle indique que l'article 3 de la directive « ne saurait être interprété en ce sens qu'il permet à l'Etat membre d'accueil de subordonner la réalisation d'une prestation de services sur son territoire à l'observation de conditions de travail et d'emploi allant au-delà des règles impératives de protection minimale » . Les règles impératives de protection minimale sont celles qui sont prévues explicitement par la directive.

La Cour estime que toute autre interprétation priverait la directive d'effet utile . Sans être très explicite sur ce point, elle semble craindre qu'une interprétation plus souple de sa part n'incite les Etats membres à multiplier les conditions au détachement de travailleurs, officiellement pour protéger les salariés, mais en réalité pour préserver leur marché intérieur.

? C'est en effet la protection du droit à la libre prestation de service qui est au coeur du raisonnement de la Cour. Celle-ci considère que les actions collectives menées par les syndicats, dans la première affaire, et les dispositions de la législation de Basse-Saxe, dans la seconde, sont susceptibles de rendre « moins attrayante » ou de « gêner » l'exécution par les entreprises de leurs prestations dans l'Etat membre d'accueil et constituent, dès lors, un obstacle à la libre prestation de services .

De plus, imposer une négociation des salaires entreprise par entreprise empêche les employeurs de savoir à l'avance quel sera le niveau de rémunération de leurs salariés détachés et complique donc tout exercice de prévision économique.

3. Une préoccupation légitime

Ces arrêts ont suscité l'inquiétude de la confédération européenne des syndicats (CES) et de différentes formations politiques en Europe. Le groupe socialiste du Sénat s'en fait l'écho lorsqu'il rappelle, dans sa proposition de résolution, la nécessité de « lutter contre ce qui pourrait s'apparenter à du " dumping social " ».

La jurisprudence de la CJCE a en effet pour conséquence de rendre possible une concurrence entre les entreprises fondée sur les écarts de salaires, tout au moins dans les pays, comme l'Allemagne ou la Suède, où la négociation sociale est décentralisée et où les conventions collectives ne s'appliquent pas nécessairement à tout un secteur d'activité. Or l'ambition de la directive n'était-elle pas précisément d'égaliser les conditions de la concurrence en Europe en imposant à tous les employeurs le respect des mêmes normes sociales sur un territoire ?

Sur le plan juridique, votre commission doit cependant admettre que les termes mêmes de la directive confortent plutôt l'analyse développée par la CJCE, dans la mesure où celle-ci fait clairement référence aux conventions collectives d'application générale.

C. LA CONCILIATION ENTRE LE DROIT À L'ACTION COLLECTIVE ET LES LIBERTÉS ÉCONOMIQUES

La jurisprudence de la Cour de Justice a également suscité une controverse en ce qui concerne les droits reconnus aux organisations syndicales. Les arrêts en cause sont l'arrêt « Laval », précité 3 ( * ) , et l'arrêt « Viking ».

1. Rappel des faits

L'affaire « Viking » pose le problème de la conciliation entre le respect du droit de grève et la liberté d'établissement des entreprises.

Viking est une société finlandaise qui exploite des lignes de ferries entre la Finlande et l'Estonie. Un de ses navires, le Rosella, assure la liaison entre Helsinki et Tallinn. En raison de la concurrence des navires estoniens, qui ont des coûts salariaux plus faibles, cette liaison est devenue déficitaire. En 2003, la société a envisagé d'immatriculer son navire en Estonie ou en Norvège, ce qui aurait eu pour effet de la dispenser d'appliquer la législation sociale finlandaise et l'aurait autorisée à négocier une nouvelle convention collective, moins avantageuse pour ses salariés.

Conformément au droit finlandais, la société a informé de son projet le syndicat FSU ( Finnish Seamen's Union ) et l'équipage du Rosella. FSU a fait part de sa ferme opposition et a obtenu de la fédération internationale des salariés des transports (ITF), qu'elle enjoigne, par circulaire, l'ensemble des syndicats adhérents de refuser de négocier une nouvelle convention collective avec la société Viking.

La société n'ayant pas renoncé à son projet, le syndicat FSU a ensuite annoncé une grève et exigé que, dans le cas où l'immatriculation du navire serait modifiée, elle n'entraîne aucune modification des conditions d'emploi des salariés. Dans un premier temps, Viking a accepté de différer son projet.

L'adhésion de l'Estonie à l'Union européenne, le 1 er mai 2004, lui a cependant donné de nouveaux arguments : l'entreprise a saisi la High Court of Justice , au Royaume-Uni, d'un recours tendant à faire annuler la circulaire émise par ITF, dont le siège est à Londres, au motif qu'elle entraverait la liberté d'établissement qui lui est reconnue en vertu de l'article 43 du traité instituant la Communauté européenne (traité CE).

La High Court a donné raison à la société Viking mais les syndicats FSU et ITF ont fait appel. La juridiction de renvoi a décidé d'interroger la CJCE pour savoir si le traité s'oppose à ce qu'une action syndicale tente de contrer la volonté d'un employeur de faire usage, pour des raisons économiques, de sa liberté d'établissement.

2. La solution dégagée par la Cour de justice

Dans les arrêts « Viking » et « Laval », qui ont été rendus à une semaine d'intervalle (11 et 18 décembre 2007), la CJCE a posé un certain nombre de principes relatifs au droit syndical.

? Elle reconnaît d'abord que le droit pour un syndicat de mener une action collective est un droit fondamental . Il appartient aux Etats membres d'en règlementer les conditions d'exercice, dans le respect du droit communautaire.

? La Cour rappelle ensuite que la protection d'un droit fondamental constitue un intérêt légitime de nature à justifier, en principe, une restriction aux obligations imposées par le droit communautaire. Elle ajoute cependant que l'exercice d'un droit fondamental doit être concilié avec les droits protégés par les traités communautaires et être conforme au principe de proportionnalité .

? Elle précise ensuite les conditions dans lesquelles cette conciliation doit être effectuée. Une restriction à la libre prestation de services ou à la liberté d'établissement ne saurait être admise que si elle poursuit un objectif légitime compatible avec le traité et se justifie par des raisons impérieuses d'intérêt général , pour autant, en pareil cas, qu'elle soit propre à garantir la réalisation de l'objectif poursuivi et qu'elle n'aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre.

? La Cour indique enfin que le droit de mener une action collective ayant pour but la protection des travailleurs de l'Etat d'accueil contre une éventuelle pratique de dumping social peut constituer une raison impérieuse d'intérêt général .

La CJCE s'assure donc que des critères rigoureux sont remplis avant d'admettre qu'une restriction puisse être apportée aux libertés économiques consacrées par les traités : il faut pouvoir se prévaloir d'une raison impérieuse d'intérêt général et il faut que la restriction soit adaptée et proportionnée au but poursuivi. Un motif de satisfaction cependant : la Cour admet que la protection des travailleurs puisse constituer un tel motif.

3. L'application aux cas d'espèce

Une fois que les règles de droit ont été posées, il reste à les appliquer dans chaque cas d'espèce.

Dans l'affaire « Laval », la CJCE a donné raison à l'entreprise plaignante : elle a estimé que le traité CE et la directive de 1996 s'opposent à ce qu'un syndicat tente, par un blocus, de contraindre une entreprise établie dans un autre Etat membre à engager une négociation sur les salaires, dès lors que la loi de l'Etat d'accueil ne fixe pas de salaire minimum, ou à adhérer à une convention collective prévoyant des conditions plus favorables que celles figurant dans la loi.

Un point important dans le raisonnement de la Cour est l'idée que le syndicat a tenté d'imposer à l'entreprise des conditions sociales qui vont au-delà des règles impératives de protection minimale garanties par la directive. A contrario , on peut penser que si l'action syndicale avait eu pour objectif d'assurer le respect de droits garantis par la directive, la CJCE l'aurait acceptée.

Dans l'arrêt « Viking », la CJCE s'est abstenue de trancher sur le fond de l'affaire : elle a renvoyé à la juridiction compétente au Royaume-Uni le soin de déterminer si les emplois ou les conditions de travail étaient sérieusement menacés, puis de vérifier que l'action collective était adaptée et proportionnée à l'objectif poursuivi. Si ces exigences sont satisfaites, alors l'action collective engagée par le syndicat est compatible avec le droit communautaire.

II. LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION DÉPOSÉE PAR LE GROUPE SOCIALISTE

La proposition de résolution formule un certain nombre de constats et avance des propositions destinées à renforcer la protection des travailleurs. La commission des affaires européennes en a effectué une première analyse, dont votre commission partage largement les conclusions.

A. LE CONTENU DE LA RÉSOLUTION

La proposition de résolution du groupe socialiste rappelle d'abord un certain nombre de principes et condamne des évolutions jugées néfastes.

Elle insiste sur la nécessité de lutter contre ce qui pourrait s'apparenter à du « dumping social » et souligne qu'une concurrence fondée seulement sur les différences de conditions de salaire et d'emploi entre les travailleurs européens risque de saper la confiance des citoyens dans la construction européenne .

Elle s'inquiète, plus généralement, d'une éventuelle hiérarchisation des normes qui donnerait la primauté aux libertés économiques garanties par les traités au détriment des droits reconnus aux syndicats.

Elle met en garde ensuite l'exploitation à caractère nationaliste qui a pu être faite de certains conflits sociaux. Une telle exploitation a été observée, par exemple, en Grande-Bretagne, lorsque des grèves ont été déclenchées, au début de l'année 2009, dans une raffinerie pour protester contre l'emploi de travailleurs portugais et italiens à des conditions différentes de celles offertes aux ouvriers locaux. Le British National Party , parti d'extrême-droite, a tenté d'attiser les tensions et d'instrumentaliser ce conflit à son profit, ce qui a conduit le secrétaire général du Trade Union Congress , principal syndicat britannique, à souligner que la colère devait être dirigée contre les employeurs et non contre les travailleurs étrangers.

De façon plus ponctuelle, la proposition de résolution condamne l'introduction, dans la jurisprudence de la Cour, d'un critère de proportionnalité pour apprécier si une action collective destinée à défendre les droits des salariés détachés est compatible ou non avec le droit communautaire.

La proposition de résolution recommande ensuite plusieurs orientations politiques de nature à améliorer la protection des droits des travailleurs :

- de manière générale, elle appelle la nouvelle Commission européenne à mener une véritable politique de l'emploi, centrée sur la qualité du travail et le progrès social ;

- elle demande l'inclusion dans les traités d'une clause de progrès social affirmant la primauté des droits sociaux sur les libertés économiques ;

- elle propose de réviser la directive de 1996 sur le détachement des travailleurs, en lien avec les partenaires sociaux européens, pour clarifier l'état du droit ;

- elle souhaite que l'information des travailleurs sur leurs droits et que les moyens de contrôle et de sanction en cas de non-respect de la directive soient renforcés.

B. LA POSITION DE LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

La commission des affaires européennes a formulé plusieurs observations. Tout en reconnaissant que la jurisprudence de la Cour suscite des inquiétudes légitimes, elle doute que la révision de la directive soit une option réaliste ni qu'elle soit juridiquement indispensable.

1. La révision de la directive serait difficile

La commission des affaires européennes a tout d'abord fait valoir que d'éventuelles discussions entre partenaires sociaux européens, en vue d'une révision de la directive de 1996, n'auraient que de faibles chances de succès, l'organisation patronale européenne, BusinessEurope , considérant qu'une telle révision n'est pas justifiée.

En second lieu, la discussion entre les vingt-sept Etats membres est peu susceptible de déboucher sur un renforcement des règles applicables en matière sociale. Les Etats les moins développés de l'Union n'auraient guère intérêt à durcir les termes de la directive, l'un de leurs rares avantages concurrentiels résidant justement dans la faiblesse de leurs coûts salariaux.

2. Les Etats affectés par la jurisprudence communautaire ont commencé à en tirer les conséquences

La jurisprudence de la CJCE affecte de manière très différenciée les Etats membres. Elle pose un réel problème aux Etats dans lesquels la négociation sociale est décentralisée au niveau de l'entreprise ou dans lesquels les conventions collectives ne s'appliquent pas obligatoirement à toutes les entreprises de la branche. Or ces Etats ne réclament pas une révision de la directive mais cherchent plutôt à adapter leurs règles de droit interne pour tirer les conséquences de la jurisprudence récente de la CJCE.

Le gouvernement suédois a ainsi proposé, le 8 octobre 2009, une série de mesures, qui devraient entrer en vigueur le 1 er avril prochain, destinées à encadrer les conditions dans lesquelles un syndicat peut engager une action collective contre une entreprise étrangère pour obtenir l'application d'un accord collectif. Elles précisent notamment que les revendications ne peuvent porter que sur des situations visées dans un accord central de branche et applicables en Suède à des collaborateurs dans une situation identique. Le ministère du travail sera chargé de donner aux entreprises étrangères toute information sur les accords collectifs qui leur seraient applicables.

En Allemagne, deux lois adoptées en avril 2009 ont étendu l'obligation de respecter un salaire minimum. La première impose aux employeurs de respecter un salaire minimum en cas d'emploi de travailleurs détachés quel que soit leur Etat d'origine. La seconde étend le salaire minimum à un certain nombre de branches.

3. L'impact de la jurisprudence communautaire sur la règlementation française du droit de grève

La commission des affaires européennes appelle à la vigilance face au risque « d'une altération profonde du droit de grève ». Elle considère que le contrôle de proportionnalité introduit par le Cour de justice est une nouveauté en droit français.

C. LA POSITION DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Votre commission considère que la proposition de résolution déposée par le groupe socialiste a permis d'ouvrir un débat utile sur un sujet qui, sous des apparences techniques, revêt en réalité une grande importance politique.

Nos concitoyens sont préoccupés par les conséquences sociales de l'ouverture du marché unique européen, surtout depuis l'adhésion, en 2004, des Etats d'Europe centrale et orientale dont le niveau de vie demeure bien inférieur à celui des pays fondateurs. Leur inquiétude face aux délocalisations et aux mouvements de main d'oeuvre, illustrée par la peur du « plombier polonais », a pesé lourd dans le résultat du référendum de 2005 sur le projet de traité constitutionnel.

1. Sur l'opportunité de réviser la directive sur le détachement de travailleurs

La directive de 1996 sur le détachement de travailleurs a permis, dans bien des cas, d'éviter que le dumping social redouté par certains se produise. Les termes de la directive se sont cependant révélés inadaptés au modèle de relations sociales très décentralisé en vigueur dans plusieurs Etats membres.

Le système français apparaît, en revanche, bien adapté aux exigences posées par la directive. Le code du travail fait en effet bénéficier les salariés, sur tout le territoire national, d'un niveau de protection élevé. Par ailleurs, la procédure d'extension des conventions collectives permet de les appliquer à l'ensemble des entreprises relevant d'une branche d'activité et non aux seules entreprises qui en sont signataires.

Votre commission partage l'analyse de la commission des affaires européennes sur une éventuelle révision de la directive : l'adoption d'un texte plus protecteur pour les salariés serait très improbable. La solution la plus immédiate au problème posé par la jurisprudence de la Cour de justice réside sans doute dans une évolution des règles de droit applicables dans les Etats membres concernés. Si ces Etats se dotent de règles générales imposant un niveau élevé de protection des salariés, la menace du dumping social sera, pour l'essentiel, écartée.

Votre commission est consciente de l'effort demandé à ces Etats, qui sont invités à transformer un modèle de relations sociales qui avait fait ses preuves et auquel ils pouvaient légitimement être attachés. Le pragmatisme qui les caractérise devrait cependant faciliter la mise en oeuvre de ces réformes.

Elle retient également l'idée de travailler à une meilleure application de la directive. Un règlement pourrait préciser son interprétation. Une politique telle que celle suivie par le Land de Basse-Saxe, visant à favoriser le « mieux-disant » social par le biais des procédures d'appel d'offre, devrait pouvoir être acceptée, dès lors qu'elle fait peser les mêmes exigences sur les entreprises nationales et sur celles établies dans d'autres Etats membres 4 ( * ) .

Un renforcement des moyens consacrés au contrôle de l'application de la directive est également souhaitable. La directive prévoit que les Etats membres doivent prendre les mesures nécessaires pour que les informations relatives aux conditions de travail et d'emploi soient facilement accessibles aux prestataires de services étrangers et à leurs salariés détachés. Les administrations nationales doivent aussi coopérer pour sanctionner les fraudeurs : si une entreprise ne respecte pas les règles impératives de protection des salariés dans l'Etat d'accueil, l'Etat d'origine doit en être informé et doit adopter les sanctions qui s'imposent.

Or la coopération entre les administrations nationales s'avère souvent déficiente et les moyens qui y sont consacrés insuffisants pour combattre efficacement les comportements illicites. Certaines entreprises n'ont pas d'activité réelle dans l'Etat dans lequel elles sont établies et sont de simples « boîtes aux lettres » qui pratiquent le détachement de salariés dans le seul but de contourner les règles sociales applicables dans le pays d'accueil. Sans modification des traités, une lutte plus déterminée des Etats membres contre ces pratiques permettrait déjà d'éviter de nombreux abus.

2. Sur le respect du droit à l'action collective

Sur la question du droit syndical, votre commission est peu convaincue par l'argumentation des auteurs de la résolution qui considèrent que la jurisprudence a établi une hiérarchie entre le droit syndical et les libertés économiques.

En réalité, la CJCE a recherché une conciliation entre ces droits fondamentaux, selon une démarche qui n'est pas très éloignée de celle retenue, en France, par le Conseil constitutionnel. Lorsqu'il a été amené à examiner la loi instaurant un « service minimum » dans les transports terrestres de voyageurs, le Conseil a rappelé qu' « aux termes du septième alinéa du Préambule de 1946 : " Le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent " ; qu'en édictant cette disposition, les constituants ont entendu marquer que le droit de grève est un principe de valeur constitutionnelle mais qu'il a des limites et ont habilité le législateur à tracer celles-ci en opérant la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels, dont la grève est un moyen, et la sauvegarde de l'intérêt général auquel la grève peut être de nature à porter atteinte » 5 ( * ) .

Votre commission ne partage pas non plus entièrement les craintes exprimées par la commission des affaires européennes au sujet d'une éventuelle altération du droit de grève.

Il convient de noter tout d'abord que la CJCE a condamné, dans l'affaire « Laval », une pratique de blocus qui est interdite en droit français. Ensuite, la CJCE a condamné des actions qui visaient à imposer un niveau de salaire qui n'était prévu ni dans une loi ni dans une convention collective d'application générale. Or, en France, le salaire minimum s'applique en vertu d'un texte législatif et les grilles salariales fixées dans les conventions collectives sont d'application générale. En conséquence, un mouvement de grève qui serait déclenché pour dénoncer, par exemple, une entreprise qui détacherait des salariés sans leur verser le salaire minimum conventionnel serait logiquement jugé compatible avec le droit communautaire.

Il n'est pas non plus certain que le contrôle de proportionnalité demandé par la Cour soit absolument étranger à la tradition française. Il existe en effet une jurisprudence relative à l'abus du droit de grève : est ainsi considéré comme abusif un mouvement de grève qui entraîne une désorganisation de l'entreprise mettant en péril sa survie. Le contrôle de l'abus de droit conduit à s'assurer que les moyens mis en oeuvre ne sont pas excessifs par rapport aux objectifs poursuivis. Les tribunaux condamnent également les comportements fautifs des grévistes.

Il convient toutefois de rester vigilant et d'analyser attentivement les futurs arrêts que pourrait rendre la Cour de justice en matière de droit syndical.

3. Sur l'inclusion d'une clause de progrès social

L'idée d'inclure dans les traités une clause de progrès social, qui affirmerait la primauté des droits sociaux fondamentaux sur les libertés fondamentales du marché intérieur, peut sembler séduisante, mais ses contours paraissent encore flous et ses perspectives de succès lointaines.

Les sénateurs du groupe socialiste suggéraient d'insérer une telle clause dans le traité de Lisbonne. Cependant, son entrée en vigueur, le 1 er décembre 2009, au terme d'un processus de ratification laborieux, conduit à penser qu'une nouvelle révision des traités ne sera pas à l'ordre du jour avant de nombreuses années. L'exigence de l'unanimité pour toute modification des traités constitue un obstacle supplémentaire.

Dans l'attente, il revient aux Etats membres et à la Commission européenne de veiller à ce que la dimension sociale de la construction européenne soit présente dans tous les projets à caractère économique qu'ils porteront. Ils peuvent s'appuyer, notamment, sur les dispositions de l'article 3 du traité sur l'Union européenne, qui consacre la finalité sociale de la construction européenne : il indique que l'Union « combat l'exclusion sociale et les discriminations, et promeut la justice et la protection sociales, l'égalité entre les femmes et les hommes, la solidarité entre les générations et la protection des droits de l'enfant. Elle promeut la cohésion économique, sociale et territoriale, et la solidarité entre les Etats membres ».

Cette base juridique devrait suffire à assurer un équilibre entre les libertés économiques et la protection des droits sociaux, votre commission étant convaincue que le soutien des peuples à la construction européenne dépend, en grande partie, de la capacité de l'Union européenne à promouvoir, sur l'ensemble de son territoire, un haut niveau de protection sociale.

*

* *

Conformément à l'accord politique passé entre les groupes au sujet de l'examen des textes inscrits à l'ordre du jour du Sénat sur proposition d'un groupe d'opposition ou minoritaire, votre commission des affaires sociales a décidé de ne pas adopter de texte pour la proposition de résolution afin qu'elle soit débattue, en séance publique, dans la rédaction initiale voulue par ses auteurs.

ANNEXE 1 - PROPOSITION DE RÉSOLUTION DÉPOSÉE PAR LE GROUPE SOCIALISTE

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vus l'article 39 du traité CE sur la liberté de circulation des travailleurs d'une part, et l'article 49 du traité CE sur la liberté de prestation de services d'autre part,

Vu les articles 136, 137, 138, 140 du traité CE,

Vu l'article 152 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, qui reconnaît le rôle des partenaires sociaux et l'importance du dialogue social et de la négociation collective,

Vu les articles 27, 28 et 34 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne,

Vu la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996 concernant le détachement des travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services, et notamment ses considérants (5), (12), et (22), ci-après nommée « la directive sur le détachement des travailleurs »,

Vu la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur, et en particulier ses articles 3 et 16(3),

Vu la « clause Monti » inscrite dans le règlement CE n° 2679/98 du Conseil du 7 décembre 1998 relatif au fonctionnement du marché intérieur en ce qui concerne la libre circulation des marchandises entre les États membres,

Vu la communication de la Commission COM (2008) 304 final du 13 juin 2007 au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions sur « le détachement de travailleurs dans le cadre de la prestation de services : en tirer les avantages et les potentialités maximum tout en garantissant la protection des travailleurs »,

Vus l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) du 11 décembre 2007 dans l'affaire C-438/05, International Transport Workers' Federation and Finish Seamen's Union/Viking Line ABP , l'arrêt de la CJCE du 18 décembre 2007 dans l'affaire C-341/05, Laval un Partneri Ltd , l'arrêt de la CJCE du 3 avril 2008 dans l'affaire C-346/06, Rüffert , ci-après nommés «Viking », « Laval », et « Rüffert »,

Vu la résolution du Parlement européen du 26 octobre 2006 sur l'application de la directive 96/71/CE concernant le détachement des travailleurs,

Vu la résolution du Parlement européen du 22 octobre 2008 sur les défis pour les conventions collectives dans l'UE,

Considérant que la liberté de circulation des travailleurs dans l'Union européenne implique l'abolition de toute forme de discrimination fondée sur la nationalité entre les travailleurs ressortissants d'un État membre en ce qui concerne les conditions d'emploi, de travail et de rémunération,

Considérant que le principe de l'égalité de traitement entre travailleurs pour un même travail sur un même lieu de travail est remis en cause par les récents arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes dans les affaires « Laval », « Viking » et « Rüffert »,

Considérant que le droit de grève et le droit à l'action collective sont des droits fondamentaux faisant partie intégrante des principes généraux du droit communautaire,

Considérant le dialogue social entre partenaires sociaux comme un élément essentiel du modèle social et économique européen,

Déclare inacceptable que le droit fondamental des partenaires sociaux de recourir à des actions collectives passe après les droits économiques dans un ordre hiérarchisé des libertés fondamentales,

Estime que cette hiérarchisation des normes en droit communautaire pourrait poser des problèmes de cohérence avec d'autres systèmes juridiques, tels celui de l'Organisation Internationale du Travail et celui du Conseil de l'Europe,

Rappelle que le droit de grève est de nature constitutionnelle dans nombre d'États membres, dont la France, et qu'il est à ce titre protégé dans le cadre du marché intérieur par la « clause Monti »,

Estime essentiel dans un contexte de crise économique et sociale extrêmement grave de garantir un niveau élevé de protection aux travailleurs et de lutter contre ce qui pourrait s'apparenter à du « dumping social »,

Estime que la concurrence sur la seule base de conditions salariales et de travail différentes entre travailleurs européens dans le cadre transnational d'une prestation de services sape la confiance des citoyens envers la construction européenne,

Condamne l'instrumentalisation politique à visée nationaliste qui est faite de certains conflits sociaux impliquant des travailleurs européens de nationalité différente,

Condamne l'introduction d'un principe de proportionnalité pour juger des actions menées à l'encontre d'entreprises utilisant la liberté de prestation de services dans le marché intérieur pour remettre en cause les conditions d'emploi et de traitement des travailleurs détachés dans l'État membre d'accueil,

Estime que la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés européennes ne saurait suffire à clarifier l'état du droit en matière de travailleurs détachés,

Estime que la nouvelle Commission européenne devra orienter son mandat en faveur d'une véritable politique de l'emploi centrée sur la qualité du travail et le progrès social,

Estime qu'il en va de la responsabilité du législateur européen de procéder à un éclaircissement juridique des dispositions de la directive par le législateur européen, notamment quant à la valeur juridique des conventions et accords collectifs au regard de l'article 3 de la directive sur le détachement des travailleurs,

Estime urgent de procéder à la révision de la directive sur le détachement des travailleurs en consultation avec les partenaires sociaux européens,

Demande l'introduction d'une clause de progrès social donnant la primauté aux droits sociaux fondamentaux sur les libertés fondamentales du marché intérieur sur la base de l'article 3 (3) sous paragraphe 3 du traité de Lisbonne (sous réserve de sa ratification),

Souhaite un large champ d'application de ce qui peut être considéré comme des « dispositions d'ordre public » que les États membres peuvent appliquer en plus du noyau de normes minimales énoncées par la directive sur le détachement des travailleurs,

Demande que la directive introduise une délimitation temporelle dans la définition d'un travailleur détaché afin d'éviter toute utilisation abusive du détachement,

Souhaite que des dispositions contraignantes soient prises vis-à-vis des États membres comme des employeurs, permettant de garantir une information correcte des travailleurs détachés sur les droits dont ils disposent,

Souhaite le renforcement des contrôles et des moyens de sanction en cas de non-respect des dispositions de la directive,

Demande au Gouvernement de rendre compte à la Représentation nationale de l'application de cette directive en France,

Demande à la Commission européenne sur la base de ces orientations d'insérer dans son prochain programme de travail pour l'année 2010 une proposition de révision de la directive sur le détachement des travailleurs,

Demande au Gouvernement d'agir dans le sens de cette résolution.

ANNEXE 2 - LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

- Nathalie NIKITENKO , conseillère au secrétariat général aux affaires européennes ;

- Laure LAZARD-HOLLY et Jean-Claude BRUNET , conseillers au cabinet du ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville ;

- Séverine PICARD , conseillère juridique de la Confédération européenne des syndicats.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

Réunie le mercredi 2 décembre 2009 sous la présidence de Muguette Dini, présidente, la commission a examiné le rapport de Marc Laménie sur la proposition de résolution européenne n° 66 (2009-2010) présentée par Richard Yung et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, en application de l'article 73 quinquies du Règlement du Sénat, portant sur le respect du droit à l'action collective et des droits syndicaux en Europe dans le cadre du détachement de travailleurs , dans le texte n° 117 (2009-2010) transmis par la commission des affaires européennes.

Marc Laménie , rapporteur, a indiqué que la proposition de résolution, déposée par les membres du groupe socialiste, sera examinée en séance publique le 10 décembre prochain. Elle a été transmise à la commission sans modification par la commission des affaires européennes.

Cette proposition de résolution ne porte pas seulement, en fait, sur le droit syndical mais, plus généralement, sur la protection des salariés en cas de détachement transfrontalier et sur le risque de dumping social en Europe.

Son objet est de revenir sur trois arrêts importants de la Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE), rendus en 2007 et en 2008, et qui ont suscité une certaine inquiétude dans les milieux syndicaux. Ces arrêts ont précisé l'interprétation de la directive du 16 décembre 1996 relative au détachement des travailleurs, en opérant une conciliation entre le droit à l'action collective reconnu aux syndicats et les libertés économiques accordées aux entreprises.

Il faut rappeler qu'une entreprise qui remporte un marché de prestations de services dans un autre Etat membre de l'Union européenne est souvent amenée à détacher temporairement des salariés pour exécuter cette prestation. La question est alors de savoir quel est le droit applicable aux salariés détachés. La directive de 1996 y a répondu en dressant la liste des matières pour lesquelles c'est le droit de l'Etat d'accueil qui s'applique, en l'occurrence les règles relatives à la durée maximale du travail et au temps de repos, à la durée minimale des congés payés, au salaire minimum, à la sécurité, la santé et l'hygiène au travail, aux mesures protectrices des femmes enceintes, des jeunes mères, des enfants et des jeunes travailleurs et à l'interdiction des discriminations. Cette liste peut être complétée, à l'initiative des Etats, par des dispositions d'ordre public.

Les règles visées doivent résulter de dispositions législatives, réglementaires ou administratives ou de conventions collectives d'application générale. A titre d'illustration, un salarié détaché en France bénéficiera obligatoirement du Smic ; s'il travaille dans une branche où le salaire minimum conventionnel est supérieur au Smic, c'est ce salaire conventionnel qui devra lui être versé. Ces dispositions protectrices visent à prévenir le risque de dumping social en Europe. La concurrence entre entreprises doit s'exercer au niveau de la qualité du service fourni ou des délais d'exécution, mais pas au niveau des salaires.

Si la directive a globalement atteint son objectif, la CJCE en a donné une interprétation restrictive qui a posé un problème dans certains Etats membres, notamment en Allemagne et en Suède, où la négociation collective est très décentralisée.

Elle a ainsi considéré, dans les arrêts « Laval » et « Rüffert », qui datent de 2007 et de 2008, que la directive définit des « règles impératives de protection minimale », que les Etats membres ne peuvent compléter sans apporter une restriction injustifiée à la liberté de prestation de service.

Ainsi, dans la première affaire, des syndicats suédois avaient tenté de contraindre une entreprise du bâtiment lettone à appliquer aux salariés qu'elle avait détachés en Suède une convention collective couvrant une partie seulement de ce secteur. La CJCE a estimé que les actions menées par ces syndicats n'étaient pas compatibles avec la liberté de prestation de service, dans la mesure où elles visaient à imposer à l'entreprise le respect de règles sociales ne figurant pas dans une convention collective d'application générale.

Dans la seconde affaire, le Land de Basse-Saxe, en Allemagne, avait exigé que toutes les entreprises qui remportent un marché public s'engagent à appliquer une convention collective déterminée. Là encore, la Cour de justice a considéré que cette pratique était contraire à la liberté de prestation de services, dans la mesure où la convention collective ne s'appliquait pas à toutes les entreprises du secteur.

Les arrêts « Laval » et « Viking » ont ensuite précisé dans quelles conditions une action syndicale destinée à défendre les droits des salariés est compatible avec les libertés économiques garanties par le droit communautaire.

Selon la CJCE, le droit pour un syndicat de mener une action collective est un droit fondamental : toutefois, l'exercice de ce droit fondamental doit être concilié avec les droits protégés par les traités communautaires et être conforme au principe de proportionnalité.

En conséquence, les restrictions qui peuvent être légitimement apportées aux libertés économiques garanties par les traités communautaires doivent répondre à certaines conditions :

- elles doivent poursuivre un objectif légitime compatible avec les traités et se justifier par des raisons impérieuses d'intérêt général ;

- elles doivent être de nature à garantir la réalisation de l'objectif poursuivi et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre.

Ces conditions peuvent, certes, paraître rigoureuses. Cependant, la Cour considère que la protection des travailleurs de l'Etat d'accueil contre une pratique de dumping social constitue un motif impérieux d'intérêt général.

Ainsi, elle a admis, dans l'affaire « Viking », que des syndicats finlandais avaient pu déclencher une grève pour dissuader une entreprise de transports maritimes d'immatriculer un de ses navires en Estonie, ce qui aurait eu pour effet de soustraire l'équipage à l'application du droit social finlandais. Elle a laissé le soin à la juridiction nationale de déterminer si les conditions de travail et d'emploi des salariés étaient réellement menacées mais, dans l'affirmative, la grève lancée par les syndicats pour dissuader leur employeur de s'établir en Estonie aurait apporté une restriction justifiée à la liberté d'établissement.

Ces arrêts ont néanmoins suscité l'inquiétude de la confédération européenne des syndicats (CES), qui y a vu une atteinte au droit fondamental des syndicats à l'action collective.

La proposition de résolution du groupe socialiste exprime la même préoccupation : elle critique une forme de primauté donnée aux droits économiques sur le droit à l'action collective et s'inquiète du risque de dumping social résultant de l'interprétation stricte des termes de la directive. Elle condamne l'introduction d'un critère de proportionnalité pour évaluer l'action des syndicats. Elle appelle à une révision de la directive de 1996 et à un renforcement des moyens de contrôle, ainsi qu'à l'inclusion, dans les traités, d'une clause de progrès social.

Marc Laménie , rapporteur, a dit partager certaines des observations formulées par la commission des affaires européennes sur la proposition de résolution.

Est-il, d'abord, opportun de demander une révision de la directive sur le détachement de travailleurs ? Cette solution semble, à première vue, la mieux à même de renforcer la protection des travailleurs. Toutefois, il est peu probable qu'une renégociation aboutisse à un renforcement des droits des salariés, les Etats où les salaires sont les plus faibles n'ayant guère intérêt à s'engager sur cette voie. En outre, les Etats membres concernés par les trois affaires ne réclament pas une révision de la directive : ils ont plutôt choisi d'adapter leurs règles de droit interne pour tirer les conséquences de la jurisprudence communautaire. En revanche, il serait envisageable de compléter la directive par un règlement d'application, qui préciserait son interprétation, et de renforcer les moyens de contrôle.

Sur la question du droit syndical, on peut juger un peu excessive l'affirmation selon laquelle une hiérarchie des normes aurait été établie au détriment des syndicats et au profit de la liberté économique des entreprises. En réalité, la CJCE invite à opérer une conciliation entre ces différents droits et libertés.

En ce qui concerne le principe de proportionnalité, il reste à apprécier l'application qu'il trouvera en droit français. S'il consiste simplement à sanctionner l'abus du droit de grève ou le comportement fautif des grévistes, il est compatible avec notre droit national.

Les signataires de la proposition de résolution suggèrent enfin d'insérer une clause de progrès social dans le traité de Lisbonne, afin d'affirmer la supériorité des droits sociaux fondamentaux sur les libertés économiques. Ce traité est finalement entré en vigueur le 1er décembre 2009, au terme d'un long processus de ratification, et il est douteux que sa modification soit envisagée par les Etats membres avant plusieurs années. Il ne peut donc s'agir là que d'un objectif de long terme. En tout état de cause, l'article 3 du traité sur l'Union européenne consacre déjà avec force la finalité sociale de la construction européenne. Cette base juridique devrait suffire à assurer un équilibre entre les libertés économiques et la protection des droits sociaux.

En conclusion, Marc Laménie , rapporteur, a proposé, conformément à l'accord politique passé entre les groupes au sujet de l'examen des textes inscrits à l'ordre du jour du Sénat sur proposition d'un groupe d'opposition, de ne pas modifier la proposition de résolution, afin qu'elle soit débattue, en séance publique, dans la rédaction voulue par ses auteurs. Lors d'une prochaine réunion, la commission examinera les amendements à la proposition de résolution qui seraient éventuellement déposés avant son examen en séance publique.

Muguette Dini , présidente, a précisé le choix ouvert à la commission ; si elle adopte la proposition de résolution, le texte deviendra celui de la commission ; sinon, le texte examiné en séance publique sera celui déposé par ses auteurs, ce qui n'empêchera pas les membres de la commission de proposer de l'amender, cette seconde solution paraissant, en l'espèce, préférable.

Alain Vasselle a jugé, comme le rapporteur, excessif de considérer que la Cour de justice fait prévaloir la liberté économique des entreprises au détriment des droits des travailleurs et il a souhaité que la proposition de résolution puisse être amendée sur ce point.

Muguette Dini , présidente, a rappelé que la proposition du rapporteur de ne pas adopter le texte laisse toute latitude - y compris à la commission elle-même - de déposer des amendements sur ce point en vue de l'examen du texte en séance publique.

Isabelle Debré s'est interrogée sur le souhait des auteurs de la proposition de résolution d'insérer dans le traité de Lisbonne une clause de progrès social. Ne se satisfont-ils pas des dispositions, rappelées par le rapporteur, qui figurent déjà dans le traité ? Comment, d'ailleurs, rédiger cette clause, ce qui exigerait une définition juridique de la notion de progrès social ?

Marc Laménie , rapporteur, a dit partager ces interrogations. Il a par ailleurs réitéré l'expression de ses doutes sur l'éventualité d'une révision prochaine du traité et rappelé la difficulté d'obtenir un accord unanime des Etats membres pour modifier les traités.

André Villiers a remarqué que, bien que les directives communautaires inspirent très largement le droit national, on observe, dans le domaine social, une juxtaposition de règles nationales. La proposition de résolution traite du problème des travailleurs détachés, mais ce n'est pas le seul qui se pose en matière de liberté de circulation ou de concurrence. Ainsi, l'actualité donne en France, dans le secteur des transports routiers, un nouvel exemple des problèmes posés par la différence des législations sociales nationales, qui a permis de créer des situations de dumping social, au profit d'abord des pays du sud de l'Europe puis, aujourd'hui, des nouveaux Etats membres situés en Europe orientale. Il serait certainement nécessaire de parvenir à une uniformisation des réglementations nationales mais, comme l'a souligné le rapporteur, il s'agit là d'un objectif de long terme.

Raymonde Le Texier a estimé qu'il serait intéressant qu'un accord existe au sein du Sénat pour affirmer que l'Union européenne ne doit pas servir de prétexte à un nivellement par le bas des droits des travailleurs et que la concurrence doit jouer au bénéfice de la qualité des savoir-faire, et non au détriment du niveau des salaires et de la protection sociale. La crise a fait progresser de 80 % le chômage en Europe et il est de l'intérêt de tous que les textes communautaires protègent l'ensemble des travailleurs.

Annie David a rappelé qu'un million de salariés sont concernés par les détachements transfrontaliers. Il y a donc de véritables risques de dumping social dans des secteurs comme les transports ou le bâtiment : le fameux exemple du « plombier polonais » n'est pas uniquement anecdotique. Le respect des salariés, des droits syndicaux, la lutte contre le dumping social ont donc un sens, et l'opposition à la Constitution européenne ou au traité de Lisbonne se fondait principalement sur la crainte que leur application ne se traduise par une révision à la baisse des garanties offertes aux travailleurs. Le traité de Lisbonne favorise la libre circulation des biens et des capitaux au détriment des femmes et des hommes qui travaillent. Il est donc utile de soutenir la proposition de résolution, dont on pourrait cependant souhaiter qu'elle soit plus exigeante sur la question des droits des salariés.

Françoise Henneron a observé que, dans le domaine des transports routiers, la divergence des règles nationales en matière de durée des temps de conduite et de conditions de travail porte atteinte à l'égalité de concurrence mais aussi à la sécurité routière.

Marc Laménie , rapporteur, a relevé qu'en dépit du sujet très technique sur lequel elle porte, la proposition de résolution aborde en effet toutes les questions relatives à l'harmonisation de la protection sociale et des droits des salariés, sur lesquelles son examen en séance publique permettra de débattre.

Annie Jarraud-Vergnolle a demandé quel est le droit applicable lorsqu'une entreprise française fait travailler dans un pays étranger des salariés de plusieurs nationalités.

Elle s'est aussi interrogée sur les conditions dans lesquelles la charte européenne des droits fondamentaux pourra être appliquée et interprétée par la CJCE. Sa portée ne sera-t-elle pas affaiblie par les exceptions accordées à certains Etats membres ?

Elle a enfin rappelé que le Parlement européen a adopté, le 22 octobre 2008, une résolution soulignant les lacunes et les incohérences de la législation communautaire et demandant à la Commission européenne d'élaborer des propositions permettant de prévenir des difficultés d'interprétation.

Marc Laménie , rapporteur, a précisé que le droit du pays d'origine s'applique s'il est plus favorable que celui du pays de détachement et que, pour les salariés non détachés, le droit applicable est celui de leur lieu de travail.

René Teulade a évoqué l'exemple d'une entreprise qui avait développé des activités en Europe orientale et avait proposé à des salariés français d'y travailler pour le même salaire que celui des employés recrutés localement.

A l'issue de cette discussion et avant que la commission ne se prononce sur la proposition de résolution, Muguette Dini , présidente, a expliqué que celle-ci est inscrite en séance publique au titre de l'ordre du jour réservé au groupe socialiste. Dans ce cas, comme l'a rappelé le rapporteur, le texte examiné en séance doit être celui de la version initialement déposée par ses auteurs. Deux moyens permettent d'aboutir à cette situation :

- soit la commission adopte sans modification le texte, qui devient alors celui de la commission ;

- soit, conformément à l'article 42 de la Constitution et au deuxième alinéa de l'article 42-6 du Règlement du Sénat, la commission n'adopte pas de texte et le débat s'engagera, en séance publique, sur le texte de la proposition dans la rédaction soumise à la commission.

Cette seconde option, proposée par le rapporteur, semble bien adaptée à une proposition de résolution européenne et présente l'avantage de permettre ensuite à la commission de déposer des amendements pour la séance publique.

Isabelle Debré a souhaité savoir pourquoi il est exclu que la commission rejette la proposition.

Muguette Dini , présidente, a expliqué que, dans ce cas, le texte initial ne pourrait pas venir en séance publique, ce qui serait contraire à l'accord politique conclu entre les présidents de groupe afin de permettre l'examen de propositions émanant de l'opposition.

Isabelle Debré a dit comprendre cette préoccupation, mais s'est interrogée sur une procédure qui conduit à avoir des débats identiques en commission puis en séance publique.

Muguette Dini , présidente, a fait valoir que ce cas de figure se présente pour l'ensemble des textes et que cette procédure a pour objectif de respecter l'esprit de la réforme de la Constitution et de celle du Règlement du Sénat.

Annie Jarraud-Vergnolle a soutenu l'intérêt de procéder de la sorte : en l'absence de débat en séance publique, les auteurs de la proposition n'auraient pas la possibilité de la présenter et de la défendre.

Annie David a fait observer à son tour que le rejet, par les commissions, des propositions de loi ou de résolution de l'opposition aurait pour effet d'empêcher leur examen en séance publique lors des semaines d'initiative parlementaire.

Raymonde Le Texier a fait remarquer que la question posée par Isabelle Debré a l'intérêt de mettre en évidence l'aspect quelque peu artificiel du fonctionnement démocratique.

A l'inverse, Muguette Dini , présidente, a estimé que l'objectif de permettre la discussion des propositions de l'opposition en séance publique répond à un vrai souci démocratique.

Alain Vasselle a regretté que la méthode retenue prive la séance publique de la vision du rapporteur, qui a mené une étude approfondie du sujet et acquis une expertise. Ne serait-il pas intéressant que le rapporteur puisse présenter, dès le stade de son rapport en commission, des propositions d'amendements, même de manière informelle ?

Jacky Le Menn a estimé que le débat en commission n'ôte pas son intérêt au débat en séance publique. La réunion de commission ne permet pas en effet d'épuiser toutes les questions comme celle, soulevée par Isabelle Debré, de la notion de progrès social et de sa traduction juridique. Peut-être la majorité du Sénat finira-t-elle par être convaincue du bien-fondé de cette proposition de résolution au terme de sa discussion.

A l'issue de ce débat, la commission, suivant les propositions de son rapporteur, a décidé de ne pas établir de texte pour la proposition de résolution européenne. En conséquence, le débat portera, en séance publique, sur le texte tel que déposé par ses auteurs.

* 1 Cf. le rapport Sénat n°117 (2009-2010) fait par Denis Badré au nom de la commission des affaires européennes.

* 2 Cf. la communication de la commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, « Détachement de travailleurs dans le cadre de la prestation de services : en tirer les avantages et les potentialités maximum tout en garantissant la protection des travailleurs », p. 3.

* 3 Cf. p. 10.

* 4 Sur ce point, votre commission fait observer que l'avocat général près la Cour de justice avait estimé que ni le traité CE ni la directive de 1996 ne faisaient obstacle à l'application d'une législation telle que celle du Land de Basse-Saxe, dès lors que cette législation comporte bien, pour les travailleurs détachés, un avantage réel qui améliore leur protection sociale et que le principe de transparence des conditions d'exécution du marché public est respecté. La Cour n'a cependant pas suivi ces conclusions.

* 5 Décision n° 2007-556 DC du 16 août 2007.

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